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30/10/1997 | CANADA | N°[1997]_3_R.C.S._701

Canada | Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701 (30 octobre 1997)


Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701

Jack Wallace Appelant

c.

United Grain Growers Limited Intimée

Répertorié: Wallace c. United Grain Growers Ltd.

No du greffe: 24986.

1997: 22 mai; 1997: 30 octobre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel du manitoba

POURVOI PRINCIPAL et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (1995), 102 Man. R. (2d) 161, 93 W.A.C. 161, [19

95] 9 W.W.R. 153, 34 C.B.R. (3d) 153, 14 C.C.E.L. (2d) 41, 95 C.L.L.C. ¶210‑046, [1995] M.J. No. 344 (QL) et (1995)...

Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701

Jack Wallace Appelant

c.

United Grain Growers Limited Intimée

Répertorié: Wallace c. United Grain Growers Ltd.

No du greffe: 24986.

1997: 22 mai; 1997: 30 octobre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel du manitoba

POURVOI PRINCIPAL et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (1995), 102 Man. R. (2d) 161, 93 W.A.C. 161, [1995] 9 W.W.R. 153, 34 C.B.R. (3d) 153, 14 C.C.E.L. (2d) 41, 95 C.L.L.C. ¶210‑046, [1995] M.J. No. 344 (QL) et (1995), 107 Man. R. (2d) 227, 109 W.A.C. 227, [1995] M.J. No. 482 (QL), qui a accueilli l’appel principal et l’appel incident d’une décision de la Cour du Banc de la Reine (1993), 87 Man. R. (2d) 161, [1993] 7 W.W.R. 525, 49 C.C.E.L. 71, [1993] M.J. No. 365 (QL), accordant à l’appelant des dommages‑intérêts pour congédiement injustifié. Pourvoi principal accueilli en partie, les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidents en partie. Pourvoi incident rejeté.

Stacey Reginald Ball et George J. Orle, c.r., pour l’appelant.

John M. Scurfield, c.r., et Richard W. Schwartz, pour l’intimée.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major rendu par

1 Le juge Iacobucci — Il est question en l’espèce d’un pourvoi principal et d’un pourvoi incident. Le pourvoi principal porte surtout sur des questions d’indemnisation dans une action pour congédiement injustifié, et plus particulièrement sur l’existence d’un contrat à durée déterminée, le droit à des dommages‑intérêts pour souffrances morales, la question de savoir s’il est possible de poursuivre pour «renvoi de mauvaise foi», et la période appropriée de préavis raisonnable. Le pourvoi incident soulève une question de droit de la faillite, à savoir si un failli non libéré peut intenter en son propre nom une action pour congédiement injustifié.

1. Les faits

2 En 1972, Public Press, une filiale en propriété exclusive de l’intimée United Grain Growers Ltd. («UGG»), a décidé de mettre à jour ses opérations et d’essayer d’accroître le volume de ses travaux d’impression commerciale. Don Logan était, à l’époque, directeur du marketing des divisions de l’édition et de l’impression de la compagnie. Selon Logan, pour réussir à accroître ce volume, il fallait embaucher quelqu’un qui était déjà un bon vendeur relativement à un appareil spécialisé désigné sous le nom de presse «rotative».

3 En avril 1972, l’appelant, Jack Wallace a rencontré Logan afin de discuter de son embauche éventuelle. Wallace possédait le genre d’expérience que Logan recherchait, car il travaillait depuis environ 25 ans pour un concurrent qui utilisait la presse «rotative». Wallace s’inquiétait de la façon injuste dont lui‑même et d’autres employés étaient traités par leur employeur. Toutefois, il a exprimé certaines réserves quant à l’idée de mettre en péril son emploi stable dans la compagnie. Wallace a expliqué à Logan que, comme il était âgé de 45 ans, s’il devait quitter l’emploi qu’il occupait alors, il exigerait une garantie de sécurité d’emploi. Il a aussi tenté d’obtenir de Logan plusieurs garanties de traitement et de rémunération équitables. Il a obtenu ces garanties et Logan lui a dit que, s’il fournissait le rendement escompté, il pourrait continuer de travailler pour Public Press jusqu’à sa retraite.

4 Wallace a commencé à travailler pour Public Press en juin 1972. Il a obtenu beaucoup de succès au sein de la compagnie et a été le meilleur vendeur durant chacune des années où il a occupé son poste.

5 Le 22 août 1986, Wallace a été congédié sommairement par Leonard Domerecki, le directeur des ventes de Public Press. Domerecki n’a fourni aucune explication de son geste. Dans les jours précédant le congédiement, tant Domerecki que le directeur général de UGG avaient félicité Wallace pour son travail.

6 Par lettre en date du 29 août 1986, Domerecki a informé Wallace que la principale raison pour laquelle il mettait fin à son emploi était son incapacité à s’acquitter de ses fonctions de façon satisfaisante. La déclaration dans laquelle Wallace alléguait le congédiement injustifié a été présentée le 23 octobre 1986. Dans sa défense, l’intimée a soutenu que le congédiement de Wallace était justifié. Cette allégation a été maintenue pendant plus de deux ans et n’a été retirée qu’à l’ouverture du procès le 12 décembre 1988.

7 À l’époque de son congédiement, Wallace avait presque 59 ans. Il avait travaillé pour Public Press durant 14 ans. La cessation de son emploi et les allégations de motif déterminé ont engendré chez Wallace des problèmes émotifs qui l’ont forcé à demander de l’aide psychiatrique. Ses tentatives de trouver un emploi similaire ont été vaines dans une large mesure.

8 Le 26 septembre 1985, Wallace a fait une cession volontaire de ses biens. Lorsqu’il a intenté son action contre l’intimée, Wallace était toujours un failli non libéré. Après que Wallace eut fini de présenter sa preuve au procès, UGG a entrepris de modifier sa défense afin de faire valoir que, en tant que failli non libéré, Wallace n’avait pas la capacité d’intenter ou de continuer les poursuites. UGG a réclamé la radiation de la demande de dommages‑intérêts fondée sur l’absence de préavis raisonnable de cessation d’emploi, que Wallace avait présentée.

9 Le juge de première instance a accordé l’autorisation de modifier la défense et a radié la demande de Wallace visant à obtenir des dommages‑intérêts pour rupture de contrat. Il a statué qu’à cet égard l’action était nulle depuis le début. Wallace a tenté d’interjeter appel de cette décision, mais la Cour d’appel du Manitoba a suspendu l’appel jusqu’à la fin du procès. Le procès a repris et, sous réserve de l’issue de l’appel sur la question de la faillite, Wallace a obtenu des dommages‑intérêts pour congédiement injustifié qui étaient fondés sur une période de préavis de 24 mois, ainsi que des dommages‑intérêts majorés.

10 La Cour d’appel du Manitoba a infirmé les conclusions du juge de première instance relativement à la capacité de l’appelant d’intenter une action pour rupture de contrat. Elle a également accueilli l’appel incident de l’intimée en substituant un jugement en faveur de l’appelant fondé sur une période de préavis raisonnable de 15 mois et a écarté l’attribution de dommages‑intérêts majorés. Notre Cour a accordé l’autorisation de pourvoi le 9 mai 1996.

2. Les dispositions législatives pertinentes

11 Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B‑3

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

«biens» Biens de toute nature, meubles ou immeubles, en droit ou en équité, qu’ils soient situés au Canada ou ailleurs. Leur sont assimilés les sommes d’argent, marchandises, droits incorporels et terres, ainsi que les obligations, servitudes et toute espèce de droits, d’intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, dans des biens, ou en provenant ou s’y rattachant.

67. (1) Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers [. . .] comprennent:

c) tous les biens, où qu’ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu’il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération;

d) les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.

68. (1) Par dérogation au paragraphe 67(1), lorsque le failli reçoit ou a droit de recevoir des fonds à titre de traitement, salaire ou autre rémunération d’une personne qui l’emploie [. . .], le syndic peut, d’office, ou doit, sur demande des inspecteurs ou des créanciers, demander au tribunal d’ordonner que soit payée au syndic la partie des fonds que peut déterminer le tribunal, eu égard aux charges familiales et à la situation personnelle du failli.

99. (1) Toutes transactions d’un failli avec une personne qui traite avec lui de bonne foi et pour valeur, relativement aux biens acquis par le failli après la faillite, si elles sont complétées avant toute intervention de la part du syndic, sont valides à l’encontre du syndic, et tout droit ou intérêt dans ces biens qui, en vertu de la présente loi, est dévolu au syndic, prend fin et cesse de la manière et dans la mesure requises pour donner effet à une semblable transaction.

3. Historique des procédures judiciaires

A. Cour du Banc de la Reine du Manitoba (1992), 82 Man. R. (2d) 253

12 Le juge Lockwood a accordé l’autorisation de modifier la défense pour permettre à UGG de soulever la question de la situation de l’appelant en tant que failli non libéré. Après avoir examiné la jurisprudence et la doctrine pertinentes, il a radié la demande de Wallace visant à obtenir des dommages‑intérêts pour rupture de contrat, en concluant qu’il appartient au syndic de faillite de présenter une demande de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié, fondée sur l’absence de préavis. Il a statué qu’à cet égard l’action était nulle depuis le début. Ni l’une ni l’autre partie n’a contesté le droit de Wallace de maintenir ses réclamations pour souffrances morales et perte de réputation ainsi que sa demande de dommages‑intérêts punitifs. Le juge Lockwood a souligné que ces demandes étaient de nature personnelle et qu’il n’appartenait pas au syndic de les faire.

B. Cour d’appel du Manitoba (1993), 85 Man. R. (2d) 40

13 La cour a suspendu jusqu’à la fin du procès l’appel de l’appelant concernant l’ordonnance interlocutoire du juge Lockwood.

C. Cour du Banc de la Reine du Manitoba (1993), 87 Man. R. (2d) 161

14 L’appelant a prétendu qu’il avait négocié avec UGG un contrat à durée déterminée qui lui garantissait la sécurité d’emploi jusqu’à la retraite, sous réserve seulement d’une cessation d’emploi pour un motif valable. Le juge Lockwood a rejeté cet argument. À son avis, la conclusion d’un contrat à durée déterminée serait très rare. Il a affirmé qu’un tel contrat est de nature si particulière qu’il exige des conditions très explicites. Il a statué que la preuve de la rencontre entre Logan et Wallace avant l’embauchage de Wallace n’était pas suffisante pour que l’on puisse déduire que les parties avaient conclu un contrat à durée déterminée. De plus, il a décidé que, de toute façon, un tel contrat serait incompatible avec la politique d’emploi de UGG et que toute modification de cette politique exigerait l’adhésion du directeur du personnel, du directeur général ou du président de UGG. Aucune modification de la politique d’emploi de la compagnie n’a été demandée ni accordée.

15 Pour déterminer la période appropriée de préavis raisonnable, le juge Lockwood a tenu compte d’un certain nombre de facteurs, dont l’ancienneté de l’appelant, son âge, la nature de son emploi, l’historique de la relation avec son employeur, ses compétences et la possibilité d’obtenir un emploi similaire. De plus, il a noté la difficulté que Wallace éprouvait à trouver un autre emploi. Il a attribué cette difficulté en grande partie à la preuve d’une rumeur qui avait circulé parmi les gens du métier que Wallace [traduction] «devait avoir fait quelque chose de répréhensible» pour être congédié par UGG. À la page 170, le juge Lockwood a conclu:

[traduction] Compte tenu des facteurs susmentionnés et, plus particulièrement, du fait que le congédiement péremptoire et les actes subséquents de [l’intimée] ont écarté presque toute possibilité pour [Wallace] de trouver un emploi dans son domaine, je conclus qu’il est justifié d’accorder une indemnité maximale en pareil cas. Je fixe donc à 24 mois la période de préavis raisonnable.

16 En plus de sa demande de salaire tenant lieu de préavis, Wallace a réclamé des dommages‑intérêts pour souffrances morales et présenté des demandes fondées à la fois sur la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle. La demande fondée sur la responsabilité contractuelle visait à obtenir des dommages‑intérêts pour souffrances morales, perte de réputation et de prestige, ainsi que des dommages‑intérêts punitifs. Citant l’arrêt Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, le juge Lockwood a statué que le droit de Wallace à une indemnité sous cette forme de dommages‑intérêts dépendait de la question de savoir si la conduite de UGG constituait une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action. Il a souligné que, malgré l’absence de contrat à durée déterminée, Wallace avait obtenu une garantie de sécurité d’emploi pourvu qu’il ne donne à UGG aucun motif de le congédier. S’appuyant sur la décision Pilon c. Peugeot Canada Ltd. (1980), 114 D.L.R. (3d) 378 (H.C. Ont.), le juge Lockwood a conclu que UGG avait dû prévoir que, si Wallace était congédié sans motif ou sans avertissement, il éprouverait probablement des souffrances morales. C’était une condition implicite du contrat, et le congédiement constituait donc une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action et à une indemnisation.

17 Quant à la demande fondée sur la responsabilité délictuelle, l’appelant a sollicité des dommages‑intérêts pour négligence, y compris des dommages‑intérêts punitifs ou, subsidiairement, des dommages‑intérêts majorés pour harcèlement et oppression causés délibérément ou par négligence. Cette demande était fondée sur les affirmations du juge Anderson dans l’arrêt Vorvis de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, (1984), 9 D.L.R. (4th) 40, aux pp. 54 et 55. Le juge Lockwood a commencé son analyse en examinant la preuve relative aux souffrances morales et a conclu que, bien que la cession de biens effectuée par Wallace ait dû contribuer à augmenter son stress, le congédiement lui‑même constituait [traduction] l’«élément principal» à l’origine de sa dépression (à la p. 176). Passant ensuite à la partie de la demande concernant le harcèlement et l’oppression causés délibérément ou par négligence, il admis le témoignage de Domerecki selon lequel UGG avait l’intention de [traduction] «jouer dur» avec Wallace, UGG n’avait aucune raison de le congédier et la raison exposée dans la lettre de Domerecki en date du 29 août 1986, était fausse. Il a également noté le retrait tardif des allégations d’existence d’un motif de congédiement. Le juge Lockwood a statué que le comportement de l’intimée devait donner lieu à l’indemnisation des souffrances morales au moyen de dommages‑intérêts majorés.

18 Le juge Lockwood était d’avis que, puisque les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vorvis n’avaient pas commenté les affirmations du juge Anderson de la Cour d’appel relativement à la demande fondée sur la responsabilité délictuelle, on pouvait en déduire que, dans les circonstances appropriées, une telle demande pourrait découler d’une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action résultant de la violation même. D’après lui, les circonstances requises existaient en l’espèce. Il a conclu, à la p. 177:

[traduction] J’estime qu’il était raisonnablement prévisible que des souffrances morales résulteraient de la manière dont le congédiement a été effectué et également de la décision de jouer dur avec [l’appelant]. À la suite de cette décision, [l’intimée] a maintenu son argument de motif valable pendant une période d’environ deux ans et quatre mois durant laquelle [l’appelant] a sans doute éprouvé d’autres souffrances morales. Il y a donc eu manquement par négligence à l’obligation de diligence qui justifie l’indemnisation au moyen de dommages‑intérêts majorés.

19 Compte tenu des circonstances et après avoir conclu que la défenderesse était tenue de payer des dommages‑intérêts majorés pour souffrances morales en raison de sa responsabilité tant délictuelle que contractuelle, le juge Lockwood a fixé l’indemnité à 15 000 $.

20 En ce qui concerne la demande de dommages‑intérêts punitifs présentée par l’appelant, le juge Lockwood s’est appuyé sur l’arrêt Vorvis, précité, pour conclure que le comportement justifiant l’attribution de tels dommages‑intérêts devrait être [traduction] «dur, vengeur, répréhensible et malicieux» (p. 179). À son avis, le comportement reproché en l’espèce n’était pas suffisant pour constituer une faute donnant ouverture à un droit d’action et n’était pas non plus extrême au point de justifier la condamnation à de tels dommages‑intérêts fondée sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle.

D. Cour d’appel du Manitoba (1995), 102 Man. R. (2d) 161

21 Après avoir réglé deux questions qui ne se posent pas dans le présent pourvoi, le juge en chef Scott a abordé, au nom de la cour à l’unanimité, la question de savoir si la situation de Wallace en tant que failli non libéré le rendait incapable d’intenter une action pour rupture de contrat. Le juge en chef Scott a commencé son analyse en examinant les dispositions de la Loi sur la faillite (les art. 2 et 67 et le par. 71(2)) qui prescrivent la dévolution automatique des «biens» au syndic de faillite. Il a reconnu que l’une des exceptions à ces dispositions est l’art. 68, qui maintient l’exemption historique du salaire relativement aux biens dévolus au syndic. L’appelant a soutenu qu’une action pour congédiement injustifié était analogue au «salaire ou autre rémunération» au sens de l’art. 68 et constituait donc un bien exempté par la Loi. Cependant, le juge en chef Scott a examiné la jurisprudence concurrente sur ce point et a statué que les décisions défavorables à la position de Wallace étaient plus convaincantes. Il a conclu que l’art. 68 ne s’appliquait pas en l’espèce et que, puisque la demande de Wallace pour congédiement injustifié constituait un bien au sens de la Loi, elle était sous le contrôle du syndic.

22 Le juge en chef Scott a reconnu que le juge Lockwood était arrivé à une conclusion similaire sur cette question. Toutefois, contrairement au juge de première instance, il était d’avis que cette conclusion ne tranchait pas la question de la capacité de Wallace de présenter une demande fondée sur la responsabilité contractuelle.

23 L’appelant a invoqué l’arrêt Cohen c. Mitchell (1890), 25 Q.B.D. 262, dans lequel la Cour d’appel d’Angleterre a établi une distinction entre les biens possédés au moment de la faillite et les biens acquis après celle‑ci. Il a été déclaré que les biens acquis après la faillite ne sont pas dévolus automatiquement au syndic de manière à empêcher le failli d’intenter une action. Ce dernier conserve plutôt la capacité d’intenter l’action à moins que le syndic n’intervienne. Le juge en chef Scott a noté que cet arrêt a été appliqué à maintes reprises au Canada. Cependant, il estimait que l’arrêt Cohen et les arrêts qui l’ont suivi visent surtout à empêcher les tiers de perdre aux mains du syndic de faillite les biens qu’ils ont achetés au failli de bonne foi et pour valeur ou moyennant contrepartie. Ce principe de common law est formulé, a‑t‑il dit, au par. 99(1) de la Loi sur la faillite, mais ni la jurisprudence ni les dispositions législatives n’abordent directement la question des droits existant entre le failli et le syndic. À la page 175, il écrit:

[traduction] Comme corollaire logique, il s’ensuit, me semble‑t‑il, que le tiers bénéficiaire d’une telle protection [l’intimée en l’espèce] ne devrait pas pouvoir opposer au failli non libéré le titre de propriété du syndic lorsque ce dernier n’est pas intervenu.

24 Selon le juge en chef Scott, il s’agissait simplement de savoir, en réalité, si l’appelant pouvait intenter son action relative aux biens acquis après la faillite lorsque le syndic ne s’intéressait nullement au litige. Pour trancher cette question, il s’est lancé dans un examen de la jurisprudence antérieure à l’arrêt Cohen et a conclu que les tribunaux reconnaissaient depuis longtemps le pouvoir d’un failli d’intenter une action pour protéger ses biens et que ce pouvoir s’est étendu, par la suite, aux poursuites en obtention de dommages‑intérêts. Toutefois, le failli possédait ce pouvoir sous réserve du pouvoir discrétionnaire du syndic d’intervenir. Le juge en chef Scott a fait observer que la common law avait établi ce principe de «bon sens» malgré la présence constante de la loi anglaise et de la loi canadienne qui prévoyaient que tous les biens présents et futurs passaient aux cessionnaires (syndics) de la faillite. Le juge en chef Scott a rejeté deux décisions récentes contraires, en déclarant que ni l’une ni l’autre ne concernait des biens acquis après une faillite et ne renvoyait à l’arrêt Cohen.

25 D’après le juge en chef Scott, le juge Lockwood avait confondu la question de savoir si le syndic pouvait intenter l’action pour congédiement injustifié, ce qu’il pouvait manifestement faire, avec celle du droit du failli de le faire lorsque le syndic choisit de ne pas intervenir. Le juge en chef Scott conclut ceci, à la p. 177:

[traduction] Le principe selon lequel le titre de propriété des biens acquis après la faillite est dévolu au syndic, mais aussi selon lequel le failli a le pouvoir d’intenter une action en ce qui les concerne à moins que le syndic n’intervienne et tant qu’il ne l’a pas fait, est si bien établi qu’il serait possible de soutenir que [l’intimée], par opposition au syndic, n’a pas qualité pour soulever la question. Mais nous n’avons pas à trancher cette question; il suffit de dire que la conclusion du juge Lockwood est tout à fait erronée. Wallace avait le droit de continuer, en son propre nom, son action pour congédiement injustifié en l’absence du syndic.

26 Quant à la question de l’existence d’un contrat à durée déterminée, le juge en chef Scott a décidé que le juge de première instance avait eu raison de conclure qu’il n’existait aucun contrat à durée déterminée jusqu’à l’âge de la retraite. À son avis, il est rare que les formules générales d’incitation comme celles constatées par le juge de première instance visent ou sont considérées comme suffisant à créer une obligation juridique exécutoire. De plus, il a souscrit à l’opinion du juge Lockwood relativement à la nature particulière d’un tel contrat, en concluant qu’il nécessiterait des conditions expresses et devrait sûrement être consigné par écrit.

27 En examinant la période de préavis auquel l’appelant avait droit, le juge en chef Scott a reconnu que la manière dont le congédiement a été effectué et les circonstances qui l’ont entouré peuvent être pertinentes pour déterminer la période de préavis appropriée lorsque les chances de l’employé congédié de se trouver un autre emploi sont réduites. Toutefois, il doutait de l’opportunité d’examiner son incidence au moyen d’un ajout distinct à la période de préavis appropriée. Il a plutôt conclu que c’était l’un des nombreux facteurs à prendre en considération.

28 Compte tenu des conditions indéterminées de l’emploi de Wallace, de son poste et de l’expérience acquise au sein de la compagnie ainsi que de son âge et de ses perspectives d’emploi, le juge en chef Scott a souscrit à la conclusion du juge de première instance que l’on se devait d’accorder le montant maximal de dommages‑intérêts. Néanmoins, il a statué que la période de 24 mois accordée indiquait qu’un élément de dommages‑intérêts majorés s’était glissé dans la décision du juge de première instance. Le juge en chef Scott a noté la tendance récente à accorder des indemnités supérieures au niveau indiqué par la jurisprudence antérieure et a conclu que la période de préavis de 15 mois était appropriée.

29 Passant ensuite à la réclamation de Wallace pour souffrances morales, le juge en chef Scott a fait observer que, historiquement, les tribunaux ont refusé d’accorder des dommages‑intérêts de ce genre dans des actions pour rupture de contrat. Cependant, il a reconnu qu’il y avait eu certaines exceptions, à savoir lorsque la protection contre des souffrances morales ou la jouissance d’un droit était le véritable objet du contrat. À son avis, l’exception qui a été prévue pour ces cas de «vacances» et ces cas de «tranquillité d’esprit» ne devait pas être étendue davantage pour permettre l’indemnisation dans des circonstances où il était «raisonnablement prévisible» que le congédiement causerait des souffrances morales. S’appuyant plutôt sur l’arrêt Vorvis, précité, il a conclu que l’attribution de dommages‑intérêts en sus d’une indemnité pour rupture de contrat en raison du défaut de donner un préavis raisonnable [traduction] «doit se fonder sur un comportement donnant lui‑même ouverture à un droit d’action» (p. 184). De plus, il a fait observer que la notion de prévisibilité et l’idée de déterminer si les souffrances morales auraient raisonnablement été envisagées par les parties à l’époque de la conclusion du contrat de travail sont annihilées par la nécessité d’avoir une faute indépendante.

30 À la page 184, le juge en chef Scott conclut ceci:

[traduction] En l’espèce, le juge de première instance a appliqué le critère de la prévisibilité raisonnable. Il a manifestement commis une erreur en agissant ainsi. Sa conclusion qu’il y a eu «manquement par négligence à l’obligation de diligence qui justifie l’indemnisation au moyen de dommages‑intérêts majorés» ne peut pas tenir puisqu’il n’y a pas de conclusion, ni aucune preuve à l’appui d’une conclusion, que les actes de UGG étaient de nature à constituer une cause indépendante d’action.

31 De même, le juge en chef Scott a rejeté la conclusion du juge de première instance selon laquelle le traitement équitable était une condition implicite du contrat. À son avis, la conduite qui ne donne pas elle-même ouverture à un droit d’action conformément à l’arrêt Vorvis ne peut pas acquérir cette qualité du simple fait qu’on la qualifie de condition implicite du contrat et qu’on soutienne que les parties ont dû prévoir que des souffrances morales résulteraient si l’employé était congédié dans des circonstances qui, bien que ne donnant pas indépendamment ouverture à un droit d’action, étaient néanmoins rudes. Ce raisonnement, selon le juge en chef Scott, [traduction] «n’est que la règle de la “prévisibilité raisonnable”, que les juges majoritaires dans l’arrêt Vorvis n’ont pas adoptée sous un autre nom» (p. 185).

32 Pour répondre à l’argument de Wallace selon lequel il existe, en matière de responsabilité délictuelle, une cause d’action distincte et indépendante appelée «renvoi de mauvaise foi», le juge en chef Scott a noté l’absence de jurisprudence convaincante relativement à cette proposition. Il a statué que les tribunaux canadiens n’ont pas encore reconnu l’existence d’un tel délit civil.

33 Le juge en chef Scott a également rejeté l’argument selon lequel UGG était responsable d’avoir infligé intentionnellement des souffrances morales. L’examen des motifs du jugement du juge Lockwood n’a révélé l’existence d’aucune conclusion que UGG avait tenté délibérément d’infliger des souffrances morales à Wallace. Par conséquent, le juge en chef Scott a conclu que la réclamation ne reposait pas sur des faits.

34 Passant ensuite à la question des dommages‑intérêts punitifs, le juge en chef Scott a rejeté l’argument de Wallace selon lequel le juge de première instance avait commis une erreur en refusant d’accorder de tels dommages‑intérêts. Il n’a pu trouver aucune raison de modifier la conclusion du juge Lockwood que le comportement de l’intimée n’était pas extrême au point de justifier l’attribution de ce genre de dommages‑intérêts. De plus, le comportement de l’intimée ne constituait pas une faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action, qui, d’après les juges majoritaires dans l’arrêt Vorvis, précité, est nécessaire dans les cas où l’attribution de dommages‑intérêts punitifs est justifiée.

4. Les questions en litige

35 Le pourvoi incident soulève une question: un failli non libéré peut‑il intenter une action pour congédiement injustifié?

36 Le pourvoi principal soulève cinq questions:

a. Existait‑il un contrat à durée déterminée?

b. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en écartant l’attribution, par le juge de première instance, de dommages‑intérêts majorés résultant de souffrances morales?

c. L’appelant peut‑il intenter des poursuites fondées sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle pour «renvoi de mauvaise foi»?

d. L’appelant a‑t‑il droit à des dommages‑intérêts punitifs?

e. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en ramenant de 24 à 15 mois la période de préavis raisonnable ?

37 Comme le pourvoi incident porte sur la question préliminaire de savoir si seulement l’action de l’appelant peut être intentée, je vais l’examiner en premier lieu.

5. Analyse

A. La capacité d’intenter une action en tant que failli non libéré

38 Les parties ont convenu que la demande de dommages‑intérêts pour souffrances morales et perte de réputation ainsi que de dommages‑intérêts punitifs est de nature personnelle. Une telle cause d’action n’est pas dévolue au syndic de faillite et peut donc être exercée par Wallace de son propre chef: Re Holley (1986), 59 C.B.R. (N.S.) 17 (C.A. Ont.). Toutefois, la partie de l’action de Wallace pour congédiement injustifié qui se fonde sur l’absence de préavis est une réclamation pour rupture de contrat. La question de savoir s’il peut faire cette réclamation est exactement ce que les parties cherchent à régler dans le pourvoi incident.

39 La Cour d’appel a conclu que, bien que le titre de propriété sur les biens acquis après la faillite soit dévolu au syndic de faillite, le failli conserve le pouvoir d’intenter une action en ce qui les concerne, à moins que le syndic n’intervienne. Par conséquent, selon la cour, comme le syndic en l’espèce ne s’est pas intéressé au litige, Wallace avait le droit d’intenter son action pour congédiement injustifié malgré sa situation de failli non libéré. Même si j’estime que la Cour d’appel est parvenue au bon résultat, je ne puis souscrire, en toute déférence, à ses motifs.

40 Le paragraphe 67(1) de la Loi sur la faillite décrit les biens du failli qui constituent le patrimoine attribué à ses créanciers. Aucune distinction n’est faite entre les biens qui existent à la date de la cession des biens et les biens acquis après cette date mais avant la libération du failli. Le paragraphe 67(1) se lit ainsi:

67. (1) Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers [. . .] comprennent:

c) tous les biens, où qu’ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu’il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération;

d) les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.

41 Le mot «biens» est défini à l’art. 2 de la Loi et comprend les droits incorporels qui, à leur tour, comprennent les réclamations pour rupture de contrat: voir Ranch des Prairies Ltée c. Bank of Montreal (1988), 53 Man. R. (2d) 308 (C.A.).

42 Dès qu’une ordonnance de séquestre est rendue ou qu’une cession de biens est produite, le par. 71(2) de la Loi prévoit que:

. . . un failli cesse d’être habile à céder ou autrement aliéner ses biens qui doivent, sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des droits des créanciers garantis, immédiatement passer et être dévolus au syndic nommé dans l’ordonnance de séquestre ou dans la cession . . .

43 Le libellé de la Loi indique clairement que, lors de la cession des biens, le failli renonce à la capacité d’aliéner tant les biens existants que les biens acquis après la cession, qui sont tous dévolus au syndic de faillite. Vu que la Loi définit les biens comme comprenant les droits incorporels, il appert que le failli non libéré est incapable d’intenter une action pour rupture de contrat. Cependant, la Cour d’appel a accepté l’argument de l’appelant selon lequel les termes de la Loi n’étaient pas destinés à être interprétés littéralement. La cour a conclu que les juges se sont fondés sur la common law pour dégager le sens ordinaire de la Loi en ce qui concerne les biens acquis après la cession des biens.

44 Dans ses motifs, la Cour d’appel s’est appuyée fortement sur l’arrêt Cohen, précité, de la Cour d’appel d’Angleterre. Dans l’arrêt Cohen, un failli non libéré avait participé à l’achat et à la vente de machines agricoles. Certaines de ces machines avaient été saisies, et le failli cherchait à intenter une action pour détournement illicite. Le failli n’avait pas les fonds nécessaires pour intenter une action et a donc cédé sa cause d’action à un tiers. En échange de la cession, le tiers a fait grâce du prêt qu’il avait consenti au failli. Un litige a alors opposé le tiers et le syndic de faillite pour déterminer qui avait droit aux dommages‑intérêts qui avaient été accordés.

45 À la page 267, le maître des rôles lord Esher affirme:

[traduction] . . . jusqu’à ce que le syndic intervienne, toutes les opérations qu’un failli effectue, après sa faillite, avec une autre personne qui traite avec lui de bonne foi et moyennant contrepartie, relativement aux biens qu’il a acquis après sa faillite, qu’il y ait ou non connaissance de l’existence de la faillite, sont opposables au syndic.

46 Cette proposition a depuis été formulée au par. 99(1) de la Loi sur la faillite du Canada. Ce paragraphe se lit ainsi:

99. (1) Toutes transactions d’un failli avec une personne qui traite avec lui de bonne foi et pour valeur, relativement aux biens acquis par le failli après la faillite, si elles sont complétées avant toute intervention de la part du syndic, sont valides à l’encontre du syndic, et tout droit ou intérêt dans ces biens qui, en vertu de la présente loi, est dévolu au syndic, prend fin et cesse de la manière et dans la mesure requises pour donner effet à une semblable transaction.

47 Dans l’arrêt Cohen, la cour a ensuite fait plusieurs affirmations générales au sujet de la distinction entre les biens existants et ceux acquis après la faillite. Le lord juge Fry s’est reporté à la disposition de la Bankruptcy Act de son pays qui, à l’instar du par. 67(1) de notre loi, inclut parmi les biens dévolus au syndic tous les biens du failli non libéré, indépendamment de la date de leur acquisition. Toutefois, le lord juge Fry a noté la difficulté que le sens ordinaire de cette disposition engendre pour le failli qui traite avec autrui et acquiert des droits ou des biens pendant qu’il est encore en faillite. Il a dit que, pour remédier à cette difficulté, la common law a établi une distinction entre les biens existants et ceux acquis après la faillite, à savoir que les biens acquis après la faillite ne sont pas dévolus au syndic de manière à empêcher le failli d’intenter une action. Mais l’intervention du syndic est requise à cette fin.

48 Wallace s’est fondé sur ces affirmations pour prétendre que la common law traite différemment les biens existants et les biens acquis après la faillite et que, parce que sa cause d’action a pris naissance après la cession de ses biens, il pouvait à juste titre intenter, en son propre nom, une action pour rupture de contrat. La Cour d’appel a approuvé ses arguments en grande partie et, en fait, sa décision semble avoir été fortement influencée par les propos de la cour dans l’arrêt Cohen, précité. Cependant, comme la Cour d’appel l’a elle‑même fait observer, l’arrêt Cohen et bon nombre des affaires qui l’ont suivi concernaient la protection des tiers participant à des transactions de bonne foi et moyennant contrepartie avec des faillis non libérés.

49 Ce n’est pas le cas en l’espèce. Contrairement aux faits de l’arrêt Cohen, Wallace n’a participé à aucune transaction de bonne foi et moyennant contrepartie avec un tiers après la cession de ses biens, ce qui atténue considérablement le caractère persuasif de cet arrêt. Je ne crois pas que les affirmations générales de l’arrêt Cohen relativement aux biens acquis après la faillite s’appliquent à ces circonstances factuelles très différentes. À mon avis, le fait que la Cour d’appel anglaise soit arrivée à une conclusion similaire vient étayer ce point de vue. Dans l’arrêt Re Pascoe, [1944] 1 Ch. 219 (C.A.), la cour a examiné un certain nombre d’affaires, parmi lesquelles l’arrêt Cohen dont on a dit qu’il était l’arrêt de principe contemporain. Ce faisant, la cour a rejeté péremptoirement l’argument de l’appelant qui a trouvé grâce aux yeux de la Cour d’appel en l’espèce. Le maître des rôles lord Greene a statué que ces arrêts n’établissent pas que les biens acquis après la faillite appartiennent au failli jusqu’à ce que le syndic intervienne et les réclame. À la page 226, il dit:

[traduction] . . . le titre de propriété du syndic n’est atténué que par les droits accordés au failli par l’art. 47 [essentiellement le même que le par. 99(1) de notre loi], qui protègent les transactions avec des tiers mais ne limitent en aucune façon le titre de propriété du syndic, sauf dans la mesure où ce titre risque d’être diminué dans des cas visés par l’article.

50 Les motifs de la Cour d’appel du Manitoba, bien qu’inspirés de l’arrêt Cohen, s’étendaient au‑delà des faits particuliers de cet arrêt. Après avoir noté l’influence de l’arrêt Cohen sur le par. 99(1) de la Loi, le juge en chef Scott a déclaré, au nom de la cour, à la p. 175:

[traduction] Comme corollaire logique, il s’ensuit, me semble‑t‑il, que le tiers bénéficiaire d’une telle protection ne devrait pas pouvoir opposer au failli non libéré le titre de propriété du syndic lorsque ce dernier n’est pas intervenu.

51 À mon avis, en décrivant l’intimée en l’espèce comme étant un «tiers», la Cour d’appel a étendu le sens de ce terme au‑delà de celui qui lui est attribué par le par. 99(1). Le juge Lane affirme, au sujet de cet article de la Loi, dans la décision Wyssling (Trustee of) c. Latreille Estate (1990), 78 C.B.R. (N.S.) 114 (C.S. Ont.), à la p. 127:

[traduction] À mon avis, cet article était censé servir de bouclier aux tiers qui risqueraient, par ailleurs, de perdre aux mains du syndic les biens qu’ils ont achetés au failli de bonne foi et moyennant contrepartie.

52 Je suis d’accord avec cette affirmation et note que les principes énoncés dans l’arrêt Cohen servent la même fin. Bien que, dans un sens général, UGG puisse être décrite comme un tiers par rapport à la relation qui existe entre Wallace et le syndic, elle n’est pas un tiers au sens du par. 99(1). Ce paragraphe semble envisager que le tiers a reçu ou acheté de bonne foi quelque chose d’une certaine valeur du failli et qu’il pourrait, par ailleurs, le perdre aux mains du syndic. UGG ne répond tout simplement pas à cette description. Donc, en toute déférence, le corollaire logique établi par la Cour d’appel est erroné parce que l’intimée n’est pas, à mon avis, un tiers du genre envisagé par le par. 99(1).

53 Par conséquent, dans le présent contexte, je ne puis être d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel que les tribunaux ont établi un principe de sens commun qui permet au failli non libéré d’aliéner des biens acquis après la cession de ses biens pourvu que le syndic ne soit pas intervenu. À mon avis, la capacité d’aliéner de tels biens se limite aux cas où il s’agit de transactions que des tiers ont faites de bonne foi et moyennant contrepartie avec un failli non libéré relativement aux biens acquis après sa faillite. Le sens ordinaire de la Loi indique que, en dehors de ces circonstances très restreintes (ou de l’exception créée par le par. 68(1), que j’examinerai plus loin), le failli perd la capacité d’aliéner ses biens, indépendamment de la question de savoir s’ils ont été acquis avant ou après la cession de ses biens.

54 Cette perception de la question dont nous sommes saisis a été appliquée correctement dans deux arrêts récents de tribunaux d’appel. Dans l’arrêt McNamara c. Pagecorp Inc. (1989), 76 C.B.R. (N.S.) 97, la Cour d’appel de l’Ontario a statué qu’un failli non libéré n’avait pas la capacité juridique d’intenter une action relativement aux biens que le demandeur et son épouse possédaient à l’époque de la faillite et qui lui avaient été revendus par le syndic avant sa libération.

55 À la page 98, la cour affirme:

[traduction] Selon l’économie de la Loi sur la faillite, tous les biens qui appartenaient au failli à la date de la faillite et tous ceux qui ont été acquis par le failli avant sa libération sont dévolus au syndic. Il ne fait aucun doute qu’un failli non libéré ne peut pas intenter [une] action pour faire valoir des droits de propriété et nous sommes convaincus que tel est l’état du droit même lorsque, comme en l’espèce, les biens auraient été vendus par le syndic au failli avant sa libération.

56 Dans l’arrêt Long c. Brisson, [1992] 5 W.W.R. 185, où il était aussi question d’un failli non libéré qui cherchait à intenter une action relativement à des biens, la Cour d’appel de l’Alberta a cité l’arrêt McNamara et a conclu, à la p. 186:

[traduction] Le failli non libéré n’a pas la qualité requise pour intenter une action ou d’autres procédures en son propre nom lorsqu’il s’agit de recouvrer des biens. Seul le syndic de faillite a cette qualité . . .

C’est l’économie de la Loi sur la faillite . . .

57 La Cour d’appel a tenté d’établir une distinction d’avec ces deux affaires pour le motif que ni l’une ni l’autre ne faisait mention de l’arrêt Cohen, précité, et que les deux semblaient traiter de biens acquis avant la faillite. Cependant, il m’est difficile d’adopter ce point de vue. Selon mon interprétation des faits de l’arrêt McNamara, les biens à l’origine du litige ont été acquis après la cession des biens et non pas avant, comme l’a conclu la Cour d’appel. Mais même là, j’estime que la date d’acquisition des biens n’est pas pertinente étant donné que la Loi n’établit aucune distinction fondée sur ce motif. De plus, l’absence de tout renvoi à l’arrêt Cohen n’a aucune conséquence compte tenu des affirmations que j’ai faites plus haut relativement à l’application limitée de cet arrêt.

58 Le libellé de la Loi est clair. Le failli non libéré n’a pas la capacité d’aliéner ses biens, et aucune distinction n’est établie quant à savoir si ces biens ont été acquis avant ou après la cession de ses biens. Je dois donc, en toute déférence, rejeter la conclusion de la Cour d’appel que le failli a la capacité d’intenter une action pour rupture de contrat relativement à des biens acquis après la faillite, à moins que le syndic n’intervienne. À mon avis, le failli ne pourra généralement aliéner ses biens que dans les circonstances décrites au par. 99(1).

59 Néanmoins, cela n’est pas suffisant pour déterminer si la demande de Wallace est nulle parce que le par. 68(1) de la Loi prévoit une autre exception à cette règle générale lorsque les biens en question peuvent être qualifiés de «traitement, salaire ou autre rémunération». Contrairement à la Cour d’appel, je crois que le failli non libéré peut intenter une action contre un ancien employeur pour obtenir des dommages‑intérêts tenant lieu de préavis raisonnable, non pas à cause du moment de l’acquisition de tels biens mais plutôt à cause de la nature des biens en question.

60 Le paragraphe 68(1) de la Loi prévoit ce qui suit:

68. (1) Par dérogation au paragraphe 67(1), lorsque le failli reçoit ou a droit de recevoir des fonds à titre de traitement, salaire ou autre rémunération d’une personne qui l’emploie [. . .], le syndic peut, d’office, ou doit, sur demande des inspecteurs ou des créanciers, demander au tribunal d’ordonner que soit payée au syndic la partie des fonds que peut déterminer le tribunal, eu égard aux charges familiales et à la situation personnelle du failli.

61 Wallace a soutenu devant la Cour d’appel que, puisque la nature véritable du produit résultant d’une action pour congédiement injustifié est analogue au «salaire ou autre rémunération», il n’est pas inclus dans les biens qui sont dévolus au syndic et le failli peut intenter l’action en son propre nom. La Cour d’appel a jugé qu’il y avait une jurisprudence claire à l’encontre de cette proposition et conclu que le par. 68(1) ne s’applique pas. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord avec cette conclusion.

62 L’intimée a prétendu que notre Cour devait établir une distinction entre les dommages‑intérêts pour rupture d’un contrat de travail et un «traitement, salaire ou autre rémunération». À l’appui de cet argument, elle s’est fondée fortement sur l’arrêt Neilson c. Vancouver Hockey Club Ltd., [1988] 4 W.W.R. 410 (C.A.C.‑B.), autorisation de pourvoi refusée, [1988] 2 R.C.S. viii, où le demandeur avait un contrat aux termes duquel il serait l’entraîneur de l’équipe de hockey de la défenderesse jusqu’à la fin de la saison 1985. Il a été congédié en 1984 en violation de ce contrat. Le demandeur, qui avait trouvé un emploi similaire peu après la cessation de son emploi, a cherché à qualifier son action d’action en obtention d’une rémunération promise et non pas en obtention de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié, dans l’espoir d’éviter l’application des principes de limitation du préjudice. À la page 412, le juge Seaton (avec l’appui du juge Aikins) déclare: [traduction] «La règle générale veut que l’employé qui a fait l’objet d’un congédiement injustifié intente une action en obtention de dommages‑intérêts et non pas en obtention de la rémunération promise.»

63 L’intimée a allégué que l’arrêt Neilson établit que le produit d’une action pour congédiement injustifié constitue des dommages‑intérêts et non pas un «traitement, salaire ou autre rémunération». Il ne mérite donc pas la protection particulière de la Loi et est dévolu automatiquement au syndic de faillite. La Cour d’appel a partagé cet avis.

64 Cependant, l’arrêt Neilson portait sur la question de savoir si la limitation du préjudice était un facteur à prendre en considération en évaluant les dommages‑intérêts dans le cas d’une rupture de contrat de travail à durée déterminée. Il n’était pas question de faillite dans cette affaire et aucun examen n’y a été fait du sens de l’expression «traitement, salaire ou autre rémunération» figurant dans la Loi sur la faillite. J’estime donc que les propos du juge Seaton ne sont pas déterminants quant à la question dont notre Cour est saisie. De même, les autres arrêts sur lesquels la Cour d’appel s’est appuyée ne comportent aucun examen du par. 68(1) et ont donc une valeur de persuasion limitée: voir, par exemple, Bailey c. Thurston & Co., [1903] 1 K.B. 137 (C.A.); Lough c. Digital Equipment of Canada Ltd. (1986), 57 O.R. (2d) 456 (H.C.).

65 Selon ma perception de l’affaire, la nature fondamentale des dommages‑intérêts accordés dans une action pour congédiement injustifié ressemble clairement à celle du «salaire» dont il est question au par. 68(1). En l’absence de motif valable, l’employeur reste libre de congédier un employé en tout temps à la condition de lui donner un préavis raisonnable en ce sens. Pour fournir à l’employé un préavis raisonnable, l’employeur a deux choix: soit exiger de l’employé qu’il continue de travailler durant cette période, soit lui verser un salaire tenant lieu de préavis: D. Harris, Wrongful Dismissal (1989 (feuilles mobiles)), à la p. 3‑10. Il n’y a pas de doute que, si l’employeur choisit d’exiger de l’employé qu’il continue de travailler durant la période de préavis, ses gains durant cette période constitueront un traitement ou salaire au sens du par. 68(1) de la Loi. La seule différence existant entre ces gains et le salaire tenant lieu de préavis est que l’employé reçoit une somme forfaitaire au lieu de recevoir cette somme étalée sur la période de préavis. La nature de ces fonds reste la même et le par. 68(1) s’appliquera donc aussi dans ces circonstances.

66 Dans le cas où un employé est congédié de façon injustifiée, les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié correspondent au traitement que l’employé aurait touché s’il avait travaillé durant la période de préavis à laquelle il avait droit: Sylvester c. Colombie‑Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315. Le fait que cette somme soit accordée à titre de dommages‑intérêts au procès ne change rien à la nature fondamentale des fonds. Les dommages‑intérêts accordés dans une action pour congédiement injustifié représentent, en réalité, le traitement que l’employeur aurait dû verser à l’employé soit au cours de la période de préavis raisonnable soit comme salaire tenant lieu de préavis. Par conséquent, conformément à l’exception établie au par. 68(1) pour les «traitement, salaire ou autre rémunération», cette somme d’argent ne constitue pas le patrimoine attribué aux créanciers d’un failli et n’est pas dévolue au syndic. Le droit d’action est le moyen d’obtenir ces dommages‑intérêts et fait l’objet de la même exemption.

67 À l’appui de cette conclusion, je souligne que plusieurs tribunaux ont interprété de façon libérale l’expression «traitement, salaire ou autre rémunération». On a jugé qu’elle comprenait les prestations d’invalidité (Re Ali (1987), 62 C.B.R. (N.S.) 64 (C.S. Ont.)), l’indemnité de départ (Re Giroux (1983), 45 C.B.R. (N.S.) 245 (C.S. Ont.), et Re Greening (1989), 73 C.B.R. (N.S.) 24 (B.R.N.‑B.)) et les remboursements d’impôt sur le revenu (Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765). Dans Re Giroux, le juge Smith déclare, à la p. 247:

[traduction] En général, on ne devrait éprouver aucune difficulté à inclure dans la définition de traitement, salaire et autre rémunération presque tous les avantages dont bénéficient les employés. À moins que le contexte n’exige une interprétation restreinte, toute récompense devrait normalement être considérée, sinon comme un «traitement ou salaire», au moins comme une «rémunération», qu’elle prenne la forme d’une prestation de maladie, de primes, de vacances payées ou d’un salaire tenant lieu de préavis. [Je souligne.]

68 Les considérations d’ordre public qui sont à la base du par. 68(1) de la Loi incitent davantage à donner une interprétation libérale au libellé de ce paragraphe. Dans l’arrêt Marzetti, précité, la Cour déclare, à la p. 801:

. . . je préfère, lorsque des besoins familiaux sont en cause, pécher par excès de prudence. À l’art. 68 de la Loi sur la faillite, le législateur a indiqué qu’avant que le salaire soit attribué aux créanciers, il convenait d’avoir «égard aux charges familiales et à la situation personnelle du failli». À mon sens, cela traduit une préoccupation prépondérante pour le soutien des familles.

69 Jusqu’à ce qu’il ait trouvé un autre emploi, l’employé congédié de façon injustifiée aura besoin de fonds pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. L’obtention de dommages‑intérêts comblera ces besoins, essentiellement en remplissant les goussets qui autrement auraient été remplis par un traitement ou un salaire. Si la somme accordée est considérée comme constituant le patrimoine attribué aux créanciers du failli qui est dévolu au syndic, le failli et sa famille peuvent être privés d’un revenu essentiel pendant une période d’indigence. À mon avis, pour respecter l’esprit de la Loi, les mots «traitement, salaire ou autre rémunération» figurant au par. 68(1) doivent comprendre des dommages‑intérêts accordés pour congédiement injustifié. Les mêmes raisons de principe qui empêchent les traitement, salaire et autre rémunération d’être dévolus automatiquement au syndic doivent sûrement s’appliquer dans le contexte d’un congédiement injustifié, car de tels dommages‑intérêts remplissent la même fonction que le salaire ou traitement gagné dans le cours d’un emploi. Conclure le contraire irait à l’encontre de l’intention du législateur de placer les besoins de la famille avant ceux des créanciers.

70 De plus, je note que les risques d’abus associés à cette interprétation du par. 68(1) sont rares. Les créanciers et les syndics sont encore protégés adéquatement du fait que le par. 68(1) permet aux syndics, de leur propre initiative ou sur l’ordre des créanciers, de s’adresser à la cour pour obtenir une ordonnance enjoignant de payer au syndic la partie du «traitement, salaire ou autre rémunération» que la cour juge non nécessaire pour subvenir aux besoins du failli ou de sa famille.

71 Pour les motifs susmentionnés, je conclus que l’appelant peut intenter, en son propre nom, une action pour congédiement injustifié. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi incident et je passe maintenant à l’examen des questions soulevées par le pourvoi principal.

B. Le contrat à durée déterminée

72 L’appelant a soutenu que les tribunaux d’instance inférieure ont commis une erreur en rejetant sa prétention qu’il avait conclu un contrat de travail à durée déterminée jusqu’à sa retraite. Le juge de première instance a procédé à un examen exhaustif de toutes les circonstances entourant l’engagement de Wallace et a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve à l’appui de sa prétention. La Cour d’appel a accepté les faits constatés par le juge de première instance et s’est dite d’accord avec sa conclusion. Compte tenu de ces conclusions de fait concordantes, je ne vois aucune erreur manifeste ni aucune autre raison de modifier la conclusion des tribunaux d’instance inférieure.

C. Les dommages‑intérêts pour souffrances morales

73 S’appuyant sur les principes énoncés dans l’arrêt Vorvis, précité, la Cour d’appel a jugé que toute attribution de dommages‑intérêts en sus d’une indemnisation de rupture de contrat en raison du défaut de donner un préavis raisonnable de cessation d’emploi [traduction] «doit se fonder sur un comportement donnant lui‑même ouverture à un droit d’action» (p. 184). Bien que l’arrêt Vorvis ait été critiqué (voir, par exemple, I. Christie et autres, Employment Law in Canada (2e éd. 1993), aux pp. 749 et 750; R. B. Schai, «Aggravated Damages and the Employment Contract» (1991), 55 Sask. L. Rev. 345, à la p. 355; J. Swan, «Extended Damages and Vorvis v. Insurance Corporation of British Columbia» (1990), 16 Can. Bus. L.J. 213), il représente un énoncé exact de l’état du droit. La Cour d’appel a également fait remarquer que cette exigence annihile nécessairement le fait que le juge de première instance s’en remette à la notion de prévisibilité et aux questions envisagées par les parties. Un contrat de travail n’est pas un contrat dans lequel la tranquillité d’esprit est elle-même visée (voir, par exemple, l’arrêt Jarvis c. Swans Tours Ltd., [1973] 1 Q.B. 233 (C.A.)), et ainsi, en l’absence d’une faute donnant elle‑même ouverture à un droit d’action, la prévisibilité des souffrances morales ou le fait que les parties aient envisagé qu’elles surviendraient n’a aucune conséquence, sous réserve de ce que j’affirme plus loin sur le comportement de l’employeur.

74 La Cour d’appel a statué qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour conclure que les actes de UGG constituaient une faute donnant elle‑même ouverture à un droit d’action fondé sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle. Je suis d’accord avec cette conclusion et je ne vois aucune raison de la modifier. Je note toutefois que, dans les cas où le mode de congédiement a causé des souffrances morales, sans constituer une faute donnant elle‑même ouverture à un droit d’action, l’employé n’est pas dépourvu de tout recours. Dans ces circonstances, le juge de première instance a plutôt le pouvoir discrétionnaire de prolonger la période de préavis raisonnable auquel un employé a droit. Ainsi, même si l’indemnisation des souffrances morales n’est peut‑être pas possible sous la forme d’une certaine catégorie de dommages‑intérêts, il reste encore possible d’obtenir une indemnité. Je reviendrai sur ce point dans mon analyse du préavis raisonnable.

D. Le renvoi de mauvaise foi

75 L’appelant a pressé notre Cour de conclure qu’il pouvait intenter contre UGG des poursuites fondées sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle pour «renvoi de mauvaise foi». En ce qui concerne l’action fondée sur la responsabilité contractuelle, il a soutenu que la Cour devrait considérer que le contrat de travail comporte une condition implicite voulant que l’employé ne puisse être congédié que de façon justifiée ou pour des raisons commerciales légitimes. Je ne puis souscrire à un tel argument. La loi reconnaît depuis longtemps le droit réciproque de l’employeur et de l’employé de mettre fin au contrat de travail en tout temps pourvu qu’il n’y ait pas de dispositions expresses contraires. Dans l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, le juge Gonthier résume ainsi, au nom de la Cour, les principes généraux en matière contractuelle qui s’appliquent aux contrats de travail (à la p. 858):

Dans le cadre d’un contrat d’emploi à durée indéterminée, une partie peut procéder à la résiliation unilatérale du contrat. Cette résiliation est qualifiée de congédiement, si elle origine de l’employeur, ou de démission, si elle origine de l’employé. Si l’employeur congédie l’employé sans cause, il doit donner à ce dernier un préavis raisonnable (délai‑congé) de la rupture prochaine du contrat ou une indemnité qui en tienne lieu.

76 L’obligation d’avoir des motifs de «bonne foi» de congédier irait, en fait, à l’encontre de ces principes et priverait les employeurs de la capacité de déterminer la composition de leur personnel. Dans le contexte des théories admises en matière de relations entre employeurs et employés, une telle règle serait, à mon avis, trop envahissante et incompatible avec les principes reconnus du droit régissant la relation employeur-employé et il conviendrait davantage de laisser au législateur le soin de l’adopter plutôt que de la laisser à la décision des tribunaux.

77 Je dois également rejeter la prétention de l’appelant qu’il peut engager des poursuites fondées sur la responsabilité délictuelle pour manquement à une obligation de bonne foi et de traitement équitable en matière de congédiement. La Cour d’appel a noté l’absence de jurisprudence et de doctrine convaincantes sur ce point et a statué que les tribunaux canadiens n’ont pas encore reconnu l’existence d’un tel délit civil. Je suis d’accord avec ces conclusions. Créer un tel délit en l’espèce constituerait donc une modification radicale du droit et, encore là, une mesure qu’il serait préférable de laisser au législateur le soin de prendre.

78 Pour ces motifs, je conclus que l’appelant ne peut pas intenter des poursuites fondées sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle pour «renvoi de mauvaise foi». Cependant, je reviendrai sur le sujet de la bonne foi et du traitement équitable dans mon analyse ultérieure du préavis raisonnable.

E. Les dommages‑intérêts punitifs

79 Les dommages‑intérêts punitifs sont l’exception à la règle générale voulant que les dommages‑intérêts soient destinés à indemniser le demandeur. Ces dommages‑intérêts visent à punir le défendeur: S. M. Waddams, The Law of Damages (3e éd. 1997), à la p. 483. L’appelant a fait valoir que le juge de première instance et la Cour d’appel ont commis une erreur en refusant d’accorder des dommages‑intérêts punitifs. Je ne suis pas d’accord. Le juge Lockwood s’est fondé sur l’arrêt Vorvis, précité, pour décider que UGG n’avait pas adopté un comportement «dur, vengeur, répréhensible et malicieux» au point de commander l’imposition de tels dommages‑intérêts. Il a également noté l’absence de faute donnant ouverture à un droit d’action. La Cour d’appel a partagé le même avis. Encore une fois, il n’y a aucune raison de modifier ces conclusions. Par conséquent, je suis d’accord avec les tribunaux d’instance inférieure pour dire que rien ne justifie l’attribution de dommages‑intérêts punitifs.

F. Le préavis raisonnable

80 La Cour d’appel a confirmé les conclusions de fait du juge de première instance et a convenu que, dans les circonstances de la présente affaire, l’on se devait d’accorder le montant maximal de dommages‑intérêts pour défaut de donner préavis. Toutefois, la cour a statué que l’indemnité de 24 mois de salaire tenant lieu de préavis, accordée par le juge de première instance, était excessive et indiquait qu’un élément de dommages‑intérêts majorés s’était glissé dans sa décision. Elle a écarté cette indemnité et l’a remplacée par un montant équivalant à 15 mois de salaire. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rétablir l’indemnité de 24 mois de salaire tenant lieu de préavis, que le juge de première instance a accordée à titre de dommages‑intérêts.

81 Pour déterminer ce qui constitue un préavis raisonnable de cessation d’emploi, les tribunaux ont généralement appliqué les principes énoncés par le juge en chef McRuer dans Bardal c. Globe & Mail Ltd. (1960), 24 D.L.R. (2d) 140 (H.C. Ont.), à la p. 145:

[traduction] Il est impossible de préciser ce qui constitue un préavis raisonnable dans des catégories particulières de cas. Le caractère raisonnable du préavis est à déterminer au cas par cas, eu égard à la nature de l’emploi, à l’ancienneté de l’employé, à l’âge de celui‑ci et à la possibilité d’obtenir un poste similaire, compte tenu de l’expérience, de la formation et des compétences de l’employé.

82 Notre Cour a adopté la liste précédente de facteurs dans l’arrêt Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, à la p. 998. Appliquant ces facteurs à la présente affaire, je souscris à la conclusion du juge de première instance que, compte tenu de l’âge avancé de l’appelant, de ses 14 années d’ancienneté comme meilleur vendeur de la compagnie et de ses perspectives limitées de réemploi, une longue période de préavis est justifiée. Je note cependant que l’arrêt Bardal, précité, ne précise pas, ni n’a été interprété comme signifiant implicitement, que les facteurs qui y sont énumérés sont exhaustifs: voir, par exemple, Gillespie c. Bulkley Valley Forest Industries Ltd., [1975] 1 W.W.R. 607 (C.A.C.‑B.); Corbin c. Standard Life Assurance Co. (1995), 15 C.C.E.L. (2d) 71 (C.A.N.‑B.); Bishop c. Carleton Co‑operative Ltd. (1996), 21 C.C.E.L. (2d) 1 (C.A.N.-B.). Les tribunaux canadiens ont ajouté plusieurs autres facteurs à la liste de l’arrêt Bardal. L’application de ces facteurs à l’évaluation de la période de préavis d’un employé congédié dépendra des circonstances particulières de chaque affaire.

83 L’un des facteurs souvent examinés est de savoir si l’employé congédié a été incité à quitter un emploi antérieur stable: voir, par exemple, Jackson c. Makeup Lab Inc. (1989), 27 C.C.E.L. 317 (H.C. Ont.); Murphy c. Rolland Inc. (1991), 39 C.C.E.L. 86 (C. Ont. (Div. gén.)); Craig c. Interland Window Mfg. Ltd. (1993), 47 C.C.E.L. 57 (C.S.C.‑B.). Selon un auteur de doctrine, maints tribunaux ont tenté d’indemniser les employés congédiés pour la confiance et les attentes qu’ils avaient, en augmentant la période de préavis raisonnable dans le cas où l’employeur avait incité l’employé à [traduction] «quitter un emploi stable, bien rémunéré [. . .] sur la foi de promesses d’avancement professionnel et de responsabilités, de sécurité et de rémunération accrues au sein de la nouvelle organisation» (I. Christie et autres, op. cit., à la p. 623).

84 Dans plusieurs affaires, les tribunaux ont examiné précisément l’existence d’une promesse de sécurité d’emploi: voir, par exemple, Makhija c. Lakefield Research (1983), 14 C.C.E.L. 131 (H.C. Ont.), décision confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario (1986), 14 C.C.E.L. xxxi; Mutch c. Norman Wade Co. (1987), 17 B.C.L.R. (2d) 185 (C.S.). Je note, en particulier, que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a récemment adopté cette méthode dans l’arrêt Robertson c. Weavexx Corp. (1997), 25 C.C.E.L. (2d) 264. Les faits de cette affaire ressemblaient énormément à ceux dont notre Cour est saisie en l’espèce. Le juge Goldie y affirme, au nom de la cour, aux pp. 271 et 272:

[traduction] Les discussions au sujet d’un emploi à long terme [. . .] ont sans doute aussi fait partie de l’incitation de l’intimé à faire son choix. Comme je l’ai conclu, ces discussions n’avaient pas la force d’un contrat au sens du contrat à durée déterminée dont parle l’intimé, mais elles ont été et sont, à mon avis, importantes en ce qui concerne la question du préavis raisonnable.

85 À mon sens, de telles incitations sont comprises à juste titre dans les considérations qui tendent à accroître la durée du préavis requis. Je suis d’accord avec les remarques de Christie et autres, op. cit., et je reconnais qu’il faut préserver la confiance et les attentes de l’employé dans des cas où il y a incitation à agir. Je note toutefois que toutes les incitations n’auront pas le même poids au moment de déterminer la période de préavis appropriée. L’importance de l’incitation en question variera selon les circonstances de l’affaire, et tout effet qu’elle pourra avoir sur la période de préavis est une question qu’il est préférable de laisser à la discrétion du juge de première instance.

86 En l’espèce, le juge de première instance a conclu que UGG s’est donné beaucoup de mal pour apaiser les craintes de Wallace de mettre en péril l’emploi stable qu’il occupait alors et pour l’inciter à se joindre à la compagnie. À la page 172, le juge de première instance affirme:

[traduction] [L’intimée] avait besoin d’une personne ayant les compétences de [l’appelant] et était disposée à satisfaire à ses demandes pour obtenir ses services [. . .] J’ai conclu qu’il n’existait pas de contrat à durée déterminée. Cependant, on a donné à l’appelant une garantie de sécurité, pourvu qu’il ne donne à [l’intimée] aucune raison de le congédier. [Je souligne.]

87 Outre la promesse qu’il pourrait continuer à travailler pour la compagnie jusqu’à sa retraite, UGG lui a offert plusieurs garanties de traitement équitable. De plus, bien que la compagnie n’ait eu que des ententes salariales avec ses employés existants, elle a certifié à Wallace qu’elle instaurerait un régime de commission pour lui. Bien que le juge de première instance n’ait pas mentionné expressément le facteur de l’incitation dans son analyse du préavis raisonnable, je crois que, dans les circonstances de la présente affaire, ces incitations, notamment la garantie de sécurité d’emploi, sont des facteurs qui étayent sa décision d’accorder un montant maximal de dommages‑intérêts.

88 L’appelant a pressé notre Cour de reconnaître la capacité d’un employé congédié d’intenter des poursuites fondées sur la responsabilité contractuelle ou, subsidiairement, sur la responsabilité délictuelle pour «renvoi de mauvaise foi». Quoique j’aie rejeté ces deux moyens d’obtenir une indemnisation, je n’excuse nullement le comportement des employeurs qui soumettent leurs employés à un traitement brutal et implacable en les congédiant, sans se soucier de leur bien‑être. Je crois plutôt qu’une telle conduite de mauvaise foi dans la façon de congédier est un autre facteur qui est compensé adéquatement par un ajout à la période de préavis.

89 Dans l’arrêt Lojstrup c. British Columbia Buildings Corp. (1989), 34 B.C.L.R. (2d) 357, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que les décisions Addis c. Gramophone Co., [1909] A.C. 488 (H.L.), Peso Silver Mines Ltd. (N.P.L.) c. Cropper, [1966] R.C.S. 673, Ansari c. British Columbia Hydro and Power Authority (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 33 (C.S.), et Wadden c. Guaranty Trust Co. of Canada, [1987] 2 W.W.R. 739 (B.R. Alb.), empêchent de prolonger la période de préavis de manière à tenir compte du mode de congédiement. En général, on a conclu dans ces décisions que les réclamations relatives à la façon dont le renvoi a été effectué ne sont pas prises en considération à juste titre dans une action en obtention de dommages‑intérêts pour rupture de contrat. On y affirme plutôt que les dommages‑intérêts se limitent au préjudice qui découle de la rupture elle‑même, qui, dans le contexte de l’emploi, est le défaut de donner un préavis raisonnable. Il a été jugé que le mode de congédiement n’influe pas sur ces dommages‑intérêts.

90 Bien que ces décisions reposent sur des principes généraux du droit des contrats, je crois, en toute déférence, qu’elles ont toutes omis de tenir compte des caractéristiques exceptionnelles du type particulier de contrat qu’elles visaient, c’est‑à‑dire un contrat de travail. Il n’y a pas eu non plus de reconnaissance adéquate de la relation particulière que régissent ces contrats. À mon sens, ces considérations sont toutes deux pertinentes.

91 Le contrat de travail comporte de nombreuses caractéristiques qui le distinguent du contrat commercial ordinaire. Certaines des opinions exprimées à ce sujet qui ont déjà été approuvées dans des arrêts antérieurs de notre Cour (voir, par exemple, l’arrêt Machtinger, précité) méritent d’être réitérées. Comme K. Swinton l’a fait remarquer dans «Contract Law and the Employment Relationship: The Proper Forum for Reform», dans B. J. Reiter et J. Swan, dir., Studies in Contract Law (1980), 357, à la p. 363:

[traduction] . . . il est rare que les conditions d’un contrat de travail résultent de l’exercice du pouvoir de négocier librement selon le modèle des échanges commerciaux entre deux commerçants. D’une manière générale, les employés, pris individuellement, n’ont ni le pouvoir de négociation ni les renseignements nécessaires pour obtenir dans leurs contrats des conditions plus avantageuses que celles offertes par l’employeur, surtout relativement à la permanence.

92 Cette inégalité de pouvoir n’est pas limitée au contrat de travail lui‑même. Elle sous‑tend plutôt presque toutes les facettes de la relation entre l’employeur et son employé. Dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, le juge en chef Dickson a commenté, au nom de la Cour à la majorité, la nature de cette relation. Aux pages 1051 et 1052, il a cité, en l’approuvant, un passage tiré de l’ouvrage de P. Davies et M. Freedland, intitulé Kahn‑Freund’s Labour and the Law (3e éd. 1983), à la p. 18:

[traduction] [L]a relation entre un employeur et un employé ou un travailleur isolé est typiquement une relation entre une personne qui est en situation d’autorité et une personne qui ne l’est pas. À son début, il s’agit d’un acte de soumission, dans son fonctionnement, il s’agit d’un acte de subordination . . .

93 Cette inégalité de pouvoir a amené les juges majoritaires de notre Cour dans l’arrêt Slaight Communications, précité, à décrire les employés comme un groupe vulnérable dans la société: voir p. 1051. La vulnérabilité des employés ressort de l’importance que notre société attache à l’emploi. Comme l’a fait observer le juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la p. 368:

Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien‑être sur le plan émotionnel.

94 Ainsi, pour la plupart des gens, le travail est l’une des caractéristiques déterminantes de leur vie. Par conséquent, tout changement survenant dans la situation professionnelle d’une personne aura sûrement de graves répercussions. Dans son article intitulé «Aggravated Damages and the Employment Contract», loc. cit., Schai notait, à la p. 346, que [traduction] «[l]orsque ce changement est involontaire, le “bouleversement personnel” est encore plus grand.»

95 Le moment où il y a rupture de la relation entre l’employeur et l’employé est celui où l’employé est le plus vulnérable et a donc le plus besoin de protection. Pour reconnaître ce besoin, le droit devrait encourager les comportements qui réduisent au minimum le préjudice et le bouleversement (tant économique que personnel) qui résultent d’un congédiement. Dans l’arrêt Machtinger, précité, on a fait remarquer que la façon dont il peut être mis fin à un emploi revêt tout autant d’importance pour l’identité d’une personne que le travail lui‑même (à la p. 1002). En poussant plus loin cet énoncé, je souligne que la perte d’emploi est toujours un événement traumatisant. Cependant, lorsque la cessation d’emploi s’accompagne d’actes de mauvaise foi dans la façon dont le renvoi est effectué, les résultats peuvent être particulièrement dévastateurs. À mon avis, pour que les employés puissent bénéficier d’une protection adéquate, les employeurs devraient assumer une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement, de sorte que tout manquement à cette obligation serait compensé par une prolongation de la période de préavis.

96 Ce point de vue est étayé par les propos de mon collègue le juge Gonthier dans l’arrêt Farber, précité, où il déclare, au nom de la Cour à l’unanimité, à la p. 859:

. . . il n’est pas nécessaire que l’employeur ait eu l’intention de forcer son employé à quitter son emploi ou qu’il ait été de mauvaise foi en modifiant de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail, pour que celui‑ci soit résilié. Toutefois, si l’employeur était de mauvaise foi, cela aurait un impact sur les dommages à accorder à l’employé.

97 Je trouve un autre appui à ce point de vue dans les décisions rendues dans plusieurs affaires où le mode de congédiement faisait partie des facteurs considérés pour déterminer la période de préavis: Eyers c. City Buick Cadillac Ltd. (1984), 6 C.C.E.L. 234 (H.C. Ont.), infirmé en partie (1986), 13 O.A.C. 66, sans aucune observation quant au mode de congédiement; Jivrag c. City of Calgary (1986), 13 C.C.E.L. 120 (B.R. Alb.), appel infirmé en partie (1987), 18 C.C.E.L. xxx (C.A. Alb.), sans aucune observation quant au mode de congédiement; Hudson c. Giant Yellowknife Mines Ltd. (1992), 44 C.C.E.L. 109 (C.S.T.N.‑O.); Hall c. Giant Yellowknife Mines Ltd. (1992), 44 C.C.E.L. 101 (C.S.T.N.‑O.); Trask c. Terra Nova Motors Ltd. (1995), 9 C.C.E.L. (2d) 157 (C.A.T.‑N.); MacDonald c. Royal Canadian Legion (1995), 12 C.C.E.L. (2d) 211 (C.S.N.‑É.); Corbin, précité; Dunning c. Royal Bank (1996), 23 C.C.E.L. (2d) 71 (C. Ont. (Div. gén.)); Deildal c. Tod Mountain Development Ltd. (1997), 91 B.C.A.C. 214.

98 Il n’est pas possible de définir exactement l’obligation de bonne foi et de traitement équitable. Cependant, je crois tout au moins que, dans le cadre d’un congédiement, les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables. Afin d’illustrer des manquements possibles à cette obligation, je vais maintenant mentionner certains exemples du genre de conduite que les tribunaux ont désapprouvé dans la jurisprudence susmentionnée.

99 Dans l’arrêt Trask, précité, un employeur a porté une accusation erronée de participation à un vol et a communiqué cette accusation à d’autres employeurs éventuels de l’employé congédié. La décision Jivrag, précitée, portait sur des accusations de vol également, combinées au refus de fournir une lettre de références après la cessation d’emploi. Dans l’affaire Dunning, précitée, il y avait clairement un comportement de mauvaise foi. Même si le poste du demandeur avait été éliminé, plusieurs cadres supérieurs lui avaient dit qu’on lui trouverait probablement un autre poste et que la nouvelle affectation nécessiterait une mutation. Cependant, en même temps qu’on rassurait le demandeur au sujet de son avenir, un cadre supérieur de la compagnie envisageait de mettre fin à son emploi. Comme on ne pouvait lui trouver aucun poste, il a été décidé de mettre fin à l’emploi du demandeur. Cette décision n’a pas été communiquée au demandeur pendant plus d’un mois même si ses employeurs savaient qu’il était en train de vendre sa maison en prévision de sa mutation. Le demandeur a appris brusquement la nouvelle de la cessation de son emploi après avoir vendu sa maison.

100 Dans l’arrêt Corbin, précité, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a exprimé son mécontentement au sujet de la conduite d’un employeur qui a pris la décision de congédier l’employé pendant que celui‑ci était en congé d’invalidité en raison d’une grave dépression. L’employé a avisé le gestionnaire de la date à laquelle il retournerait au travail et l’a informé qu’il prenait deux semaines de vacances. Il a été congédié immédiatement à son retour au travail. Les faits de l’affaire MacDonald, précitée, illustrent également un comportement de mauvaise foi. Dans cette affaire, l’employeur défendeur a fermé son bar pendant trois mois et a licencié le barman demandeur. Pendant la fermeture du bar, le comité de direction a été remplacé et les nouveaux dirigeants ont décidé d’instaurer un régime de salaire différent pour les barmans lorsque le bar rouvrirait. L’employeur a annoncé un emploi de barman à un salaire horaire inférieur de presque la moitié à celui du demandeur. Celui‑ci n’était pas au courant de son changement de situation et c’est seulement lorsqu’il a aperçu l’annonce dans le journal qu’il a appris qu’il avait été congédié sans qu’on lui offre de réintégrer son poste.

101 Ces exemples n’épuisent nullement la liste de tous les types possibles de mauvaise foi ou de traitement inéquitable dans la façon de congédier quelqu’un. Cependant, ils indiquent tous le type de comportement qui doit ouvrir droit à une indemnisation au moyen d’un ajout à la période de préavis. Je note que, selon les circonstances de chaque affaire, les actes de mauvaise foi ou de traitement inéquitable ne seront pas tous préjudiciables de la même façon et que la prolongation de la période de préavis variera. De plus, je n’ai pas l’intention de préconiser quelque chose qui ressemble à une demande automatique de dommages‑intérêts de ce genre dans tous les cas de congédiement. Dans chaque cas, le juge de première instance doit examiner la nature de la conduite de mauvaise foi et ses répercussions dans les circonstances.

102 En l’espèce, la Cour d’appel a reconnu que le mode de congédiement est pertinent pour déterminer la période appropriée de préavis raisonnable. Toutefois, s’appuyant sur les décisions Trask, précitée, et Gillman c. Saan Stores Ltd. (1992), 45 C.C.E.L. 9 (B.R. Alb.), la cour a conclu que ce facteur ne peut être pris en considération que [traduction] «s’il a des répercussions sur les perspectives d’emploi futur de l’employé congédié» (p. 180). En toute déférence, je crois que c’est une opinion trop restrictive. À mon avis, le droit doit reconnaître un plus grand nombre de préjudices pouvant découler d’un traitement inéquitable ou de la mauvaise foi dans la façon dont le congédiement a été effectué.

103 Il est admis depuis longtemps que l’employé congédié n’a pas droit à l’indemnisation des préjudices découlant du congédiement lui‑même: voir, par exemple, Addis, précité. Ainsi, bien que la perte d’emploi soit très souvent la cause de vexations et de troubles émotifs, le droit ne reconnaît pas cela comme étant des pertes pouvant donner lieu à indemnisation. Cependant, lorsqu’un employé peut établir qu’un employeur a eu un comportement de mauvaise foi ou l’a traité de façon inéquitable en le congédiant, les préjudices tels que l’humiliation, l’embarras et la perte d’estime de soi et de conscience de sa propre valeur peuvent tous ouvrir droit à indemnisation selon les circonstances de l’affaire. Dans ces cas, l’indemnisation résulte non pas du congédiement lui‑même, mais plutôt de la façon dont le congédiement a été effectué par l’employeur.

104 Souvent les préjudices immatériels découlant des actes de mauvaise foi ou de traitement inéquitable accomplis lors d’un congédiement ont pour effet de compliquer la recherche d’un autre emploi; c’est là une perte matérielle que la Cour d’appel a, à juste titre, reconnue comme justifiant un ajout à la période de préavis. Il est probable que plus le congédiement sera effectué de façon inéquitable ou de mauvaise foi, plus cela diminuera la capacité de l’employé congédié de se trouver un nouvel emploi. Cependant, à mon sens, les préjudices immatériels sont suffisants en soi pour donner droit à une indemnisation. Je reconnais que la conduite de mauvaise foi qui influe sur les perspectives d’emploi peut justifier une indemnisation beaucoup plus élevée que celle qui n’a pas cet effet, mais dans les deux cas, il en résulte un préjudice qui devrait donner lieu à indemnisation.

105 Il a été reconnu, dans d’autres domaines du droit, que ces types de préjudices peuvent donner lieu à indemnisation. Dans l’arrêt McCarey c. Associated Newspapers Ltd. (No.2), [1965] 2 Q.B. 86 (C.A.), le lord juge Pearson a examiné l’étendue de l’indemnisation dans une action pour libelle diffamatoire. Il affirme, aux pp. 104 et 105:

[traduction] Les dommages‑intérêts compensatoires, dans un cas où ils sont généraux, peuvent comprendre plusieurs sortes différentes d’indemnisation pour le demandeur lésé. Ils peuvent comprendre non seulement les pertes pécuniaires réelles et les pertes pécuniaires prévues ou tout inconvénient qui, sur le plan social, résulte ou, est‑il permis de croire, peut résulter de la faute commise. Ils peuvent également comprendre la vexation naturelle -‑ l’angoisse et le chagrin naturels qu’il peut avoir ressentis du fait d’avoir été diffamé, et, si le défendeur a eu un genre de comportement autoritaire, oppressif, insultant ou méprisant qui accentue les souffrances morales causées par la diffamation et peut constituer une atteinte à l’amour‑propre et à la confiance en soi du demandeur, ce sont des éléments appropriés à prendre en considération dans un cas où les dommages‑intérêts sont généraux.

106 La liste que donne le lord juge Pearson des éléments qui font à juste titre l’objet d’une indemnisation dans le cas d’une attribution de dommages‑intérêts de ce genre a été perçue favorablement par la Section d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse dans Barltrop c. Canadian Broadcasting Corp. (1978), 25 N.S.R. (2d) 637, aux pp. 661 et 662, autorisation de pourvoi refusée, [1978] 1 R.C.S. vi. Comme on lui avait demandé d’évaluer les dommages‑intérêts dans une action en diffamation, le juge en chef MacKeigan de la Nouvelle‑Écosse a, au nom de la cour à l’unanimité, cité et approuvé le passage susmentionné (voir également: Stumpf c. Globe Holdings Ltd. (1982), 22 Alta. L.R. (2d) 55 (B.R.), à la p. 61).

107 À mon avis, il n’y a aucune raison valable de ne pas reconnaître que les préjudices pouvant donner lieu à indemnisation dans des cas de diffamation pourraient le faire dans le contexte d’un congédiement injustifié. Le droit devrait se soucier de la grande vulnérabilité des employés qui perdent leur emploi et assurer leur protection en encourageant un comportement adéquat et en empêchant toutes les pertes préjudiciables, tant matérielles qu’immatérielles, qui peuvent découler des actes de mauvaise foi ou de traitement inéquitable accomplis lors d’un congédiement. Je note qu’il pourra y avoir des gens qui diront que ce point de vue impose une obligation onéreuse aux employeurs. Je leur répondrai simplement que je ne vois pas comment il peut être onéreux de traiter des gens équitablement, raisonnablement et décemment au moment où ils sont traumatisés et désespérés. À mon avis, la personne raisonnable s’attendrait à un tel traitement. Il devrait en être ainsi de la loi.

108 Dans l’affaire dont nous sommes saisis, le juge de première instance a cité plusieurs exemples de comportement de mauvaise foi de la part de UGG. Il a noté la façon brusque dont Wallace a été congédié même si ses supérieurs l’avaient félicité pour son travail seulement quelques jours auparavant. Il a conclu que UGG a décidé consciemment de [traduction] «jouer dur» avec Wallace et a maintenu des allégations non fondées de motif de congédiement jusqu’au jour où le procès a débuté. De plus, à la suite de la persistance de UGG à maintenir ces allégations, [traduction] «[o]n s’est passé le mot, et la rumeur a circulé parmi les gens du métier qu’il avait été impliqué dans quelque chose de répréhensible» (p. 173). Enfin, il a conclu que le congédiement et les événements subséquents ont contribué largement à la dépression de Wallace. Après avoir examiné la liste de facteurs établie dans Bardal, il déclare, à la p. 170:

[traduction] Compte tenu [de ces] facteurs [. . .] et, plus particulièrement, du fait que le congédiement péremptoire et les actes subséquents de la défenderesse lui ont fait perdre presque toute possibilité de trouver un emploi dans son domaine, je conclus qu’il est justifié d’accorder une indemnité maximale en pareil cas.

109 Je souscris à la conclusion du juge de première instance que les actes de UGG ont sérieusement diminué les chances de Wallace de se trouver un emploi similaire. Compte tenu de ce fait et des autres circonstances de la présente affaire, je ne suis pas convaincu que le juge de première instance a commis une erreur en accordant l’équivalent de 24 mois de salaire pour tenir lieu de préavis. Il se peut qu’une telle somme représente une indemnité maximale; toutefois, compte tenu de tous les facteurs pertinents, cette somme n’est pas déraisonnable et, par conséquent, je ne vois aucune raison d’intervenir. Donc, pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis de rétablir l’ordonnance du juge de première instance relativement à la période appropriée de préavis raisonnable et d’accueillir le pourvoi sur ce point.

6. Conclusions et dispositif

110 Je suis d’avis de rejeter le pourvoi incident avec dépens et d’accueillir en partie le pourvoi principal avec dépens devant notre Cour et les tribunaux d’instance inférieure. Je suis d’avis d’annuler l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba et de rétablir l’indemnité de 24 mois de salaire accordée par le juge de première instance pour tenir lieu de préavis. Tel qu’expliqué plus haut, la demande de l’appelant est rejetée sous ses autres aspects.

Version française des motifs des juges La Forest, L’Heureux-Dubé et McLachlin rendus par

111 Le juge McLachlin (dissidente en partie) — J’ai pris connaissance des motifs du juge Iacobucci. Bien que je souscrive à une grande partie de ses motifs, ma perception du droit m’amène à diverger d’avis tant sur le plan de la méthode utilisée que sur celui du résultat.

112 En ce qui concerne la méthode utilisée, l’opinion que j’adopte diverge de celle du juge Iacobucci à deux égards. Premièrement, j’estime que l’attribution de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié devrait se limiter aux facteurs pertinents quant à la possibilité de trouver un autre emploi. Il s’ensuit que la période de préavis sur laquelle se fondent ces dommages‑intérêts ne devrait être prolongée en raison du mode de congédiement que si celui‑ci a une incidence sur les perspectives de réemploi de l’employé. Deuxièmement, je suis d’avis que le droit a évolué et qu’il permet maintenant de reconnaître l’existence d’une obligation implicite d’agir de bonne foi en matière de cessation d’emploi.

113 Ces divergences m’amènent à un résultat différent de celui de mon collègue. Je confirmerais les dommages‑intérêts fondés sur un préavis de 24 mois que le juge de première instance a accordés pour congédiement injustifié. Je confirmerais aussi les dommages‑intérêts de 15 000 $ que le juge de première instance a accordés pour souffrances morales résultant du manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi en congédiant un employé.

114 Quant au pourvoi incident, je suis d’accord avec le juge Iacobucci pour dire que la faillite du demandeur ne fait pas obstacle à l’action qu’il a intentée. Les dommages‑intérêts tenant lieu de préavis raisonnable constituent un «traitement, [un] salaire ou [une] autre rémunération» aux fins de la loi en matière de faillite et peuvent donc être réclamés. Je conclus également que les dommages‑intérêts accordés pour manquement à l’obligation implicite d’agir de bonne foi peuvent être réclamés en raison de la nature personnelle de la cause d’action.

Le droit

115 L’action pour congédiement injustifié se fonde sur une obligation implicite du contrat de travail de donner un préavis raisonnable de l’intention de mettre fin à la relation employeur-employé (ou de verser un salaire tenant lieu de préavis) en l’absence d’un motif valable de congédiement: I. Christie et autres, Employment Law in Canada (2e éd. 1993), à la p. 609. Si un employeur ne donne pas à son employé un préavis raisonnable de cessation d’emploi, ce dernier peut intenter une action pour violation de cette condition implicite. Une action pour «congédiement injustifié» ne porte pas sur le caractère fautif ou juste du congédiement même. Loin de qualifier un congédiement de faute, le droit permet à la fois à l’employeur et à l’employé de mettre fin sans motif à leur relation. Il n’y a faute que si l’employeur rompt le contrat en ne donnant pas à l’employé congédié un préavis raisonnable de cessation d’emploi. La réparation de cette rupture de contrat consiste à accorder des dommages‑intérêts fondés sur la période du préavis qui aurait dû être donné. La longueur de la période de préavis est fonction du délai raisonnable nécessaire pour trouver un emploi similaire. Les dommages‑intérêts correspondent au montant que l’employé aurait gagné pendant cette période. Ils rétablissent l’employé dans la situation où il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté — ce qui représente la manière correcte de calculer les dommages‑intérêts pour rupture de contrat.

116 Pour déterminer la période de préavis raisonnable, la cour examine les caractéristiques de la relation particulière entre l’employeur et l’employé, qui sont pertinentes quant aux chances de l’employé de trouver un emploi similaire, notamment [traduction] «la nature de l’emploi, [. . .] l’ancienneté de l’employé, [. . .] l’âge de celui‑ci et [. . .] la possibilité d’obtenir un poste similaire, compte tenu de l’expérience, de la formation et des compétences de l’employé»: Bardal c. Globe & Mail Ltd. (1960), 24 D.L.R. (2d) 140 (H.C. Ont.), à la p. 145, le juge en chef McRuer, approuvé dans Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, aux pp. 998 et 999.

117 Comme le souligne mon collègue, les facteurs énumérés dans l’arrêt Bardal ne sont pas considérés comme exhaustifs. Les tribunaux en ont ajouté d’autres dans le processus d’évaluation, souvent sans exposer les raisons de principe de le faire. Il en a résulté de la confusion quant aux types de facteurs qui pourraient être pris en compte à l’avenir. En conséquence, ce domaine du droit [traduction] «est souvent incertain et imprévisible»: Christie et autres, op. cit., à la p. 611. D’où la question qui se pose en l’espèce: quand, le cas échéant, le mode de congédiement peut‑il avoir une incidence sur la période de préavis sur laquelle se fondent les dommages‑intérêts accordés pour congédiement injustifié?

118 Mon collègue le juge Iacobucci affirme que le mode de congédiement peut être pris en compte de façon générale pour définir la période de préavis en cas de congédiement injustifié. Selon un autre point de vue, le mode de congédiement ne devrait être pris en considération pour déterminer la période de préavis que s’il a une incidence sur la difficulté de trouver un autre emploi; en l’absence d’un tel lien, les dommages‑intérêts relatifs au mode de cessation d’emploi doivent reposer sur une autre cause d’action.

119 Je préfère ce deuxième point de vue pour les motifs qui suivent. Premièrement, il me semble plus compatible avec la nature de l’action pour congédiement injustifié. Deuxièmement, ce point de vue, contrairement à l’autre, respecte le principe selon lequel les dommages‑intérêts doivent reposer sur une cause d’action. Troisièmement, il me semble plus conforme à la jurisprudence, notamment à l’arrêt Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, le juge McIntyre. Quatrièmement, ce point de vue favorise davantage la certitude et la prévisibilité du droit en matière de dommages‑intérêts pour cessation d’emploi. Enfin, il existe d’autres moyens tout aussi efficaces de réparer les préjudices imputables au mode de congédiement qui n’a pas d’incidence sur la possibilité de trouver un nouvel emploi. Je vais analyser, à tour de rôle, chacune de ces raisons de préférer la deuxième solution.

1. Compatibilité avec la nature de l’action pour congédiement injustifié

120 Comme je l’ai déjà mentionné, l’action pour congédiement injustifié est une action pour violation d’une condition implicite du contrat de travail, qui enjoint de donner un préavis raisonnable de cessation d’emploi. Or, un préavis raisonnable correspond au délai qui peut être raisonnablement nécessaire pour trouver un autre emploi. Il s’ensuit que seuls les facteurs pertinents quant aux perspectives de réemploi doivent être pris en compte pour déterminer la période de préavis. Inclure d’autres facteurs revient à tenir compte de questions qui n’ont rien à voir avec la rupture du contrat pour laquelle des dommages‑intérêts sont manifestement accordés.

2. Compatibilité avec le principe selon lequel les dommages‑intérêts doivent reposer sur une cause d’action

121 Des dommages‑intérêts ne peuvent être réclamés que pour une faute qui donne ouverture à un droit d’action et donc à une indemnisation: Brown c. Waterloo Regional Board of Commissioners of Police (1983), 43 O.R. (2d) 113 (C.A.), conf. en partie (1982), 37 O.R. (2d) 277 (H.C.). Étant donné que, dans une action pour congédiement injustifié, la faute qui donne ouverture à indemnisation est le défaut de donner un préavis raisonnable de manière à permettre à l’employé de se trouver un autre emploi, le demandeur qui a gain de cause n’aura droit qu’à des dommages‑intérêts découlant de cette faute.

122 Il s’ensuit que, dans une action pour manquement à l’obligation contractuelle de donner un préavis raisonnable, les seuls dommages‑intérêts qui peuvent être accordés sont ceux liés aux perspectives de réemploi. Les autres fautes doivent être réparées autrement.

3. Compatibilité avec la jurisprudence

123 Ce n’est pas la première fois que notre Cour étudie la question de savoir si les dommages‑intérêts liés au mode de congédiement peuvent prolonger la période de préavis sur laquelle se fondent les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié. C’est précisément ce que notre Cour a refusé de faire dans l’arrêt Vorvis, précité.

124 Comme en l’espèce, le demandeur dans l’affaire Vorvis réclamait des dommages‑intérêts pour congédiement injustifié ainsi que des dommages‑intérêts pour les souffrances morales que lui avait causées la façon brutale dont son employeur l’avait traité à l’époque de son renvoi. Notre Cour a confirmé le principe de longue date selon lequel les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié (contrairement à ceux découlant d’un autre acte fautif) étaient limités à la perte résultant de l’absence de préavis raisonnable de cessation d’emploi. Le juge McIntyre a, au nom de la Cour à la majorité, cité les arrêts Addis c. Gramophone Co., [1909] A.C. 488 (H.L.), et Peso Silver Mines Ltd. (N.P.L.) c. Cropper, [1966] R.C.S. 673, conf. (1965), 56 D.L.R. (2d) 117 (C.A.C.-B.), et déclaré, à la p. 1103:

On a généralement appliqué la règle établie depuis longtemps dans les arrêts Addis et Peso Silver Mines pour refuser l’attribution de [. . .] dommages‑intérêts [majorés]. Dans les relations entre employeur et employés [. . .], il a toujours été loisible à l’une ou l’autre des parties de résilier le contrat de travail moyennant un préavis raisonnable et, en conséquence, le seul préjudice qui pourrait en découler serait celui qui résulte de l’omission de donner ce préavis.

125 Cela dit, le juge McIntyre n’a pas tranché la question de la possibilité d’accorder des dommages‑intérêts majorés en cas de congédiement injustifié, «surtout quand les actes reprochés donneraient eux‑mêmes ouverture à un droit d’action» (p. 1103).

126 On soutient que ces propos signifient que la période de préavis sur laquelle reposent les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié peut être prolongée de manière à tenir compte du mode de congédiement, même lorsqu’il n’a aucune incidence sur les perspectives de réemploi. Cet argument me paraît dépasser largement le sens de ces propos. Il me semble plus probable que le juge McIntyre, sans écarter la possibilité d’accorder des dommages‑intérêts majorés dans le cadre d’une action contractuelle pour congédiement injustifié (par exemple, lorsque le mode de congédiement a une incidence sur les perspectives de réemploi), était d’avis que, généralement, l’attribution de dommages‑intérêts majorés ne serait possible que lorsque les actes reprochés donneraient eux‑mêmes ouverture à un droit d’action. Cette interprétation est compatible avec la distinction de longue date, confirmée dans l’arrêt Vorvis, entre les dommages‑intérêts pour manquement à l’obligation contractuelle de donner un préavis raisonnable de cessation d’emploi et d’autres causes d’action indépendantes pouvant donner ouverture de façon plus générale à des dommages‑intérêts découlant du mode de congédiement. Selon ce point de vue, la première source de dommages‑intérêts est l’action traditionnelle pour congédiement injustifié visant l’indemnisation de l’absence de préavis raisonnable. La deuxième source de dommages‑intérêts comprend les actions fondées sur une faute donnant elle‑même ouverture à un droit d’action. Le mode de congédiement peut entrer dans ces deux catégories d’actions: dans la première, s’il a une incidence sur les perspectives de réemploi; dans la dernière, de façon plus générale. Le cas échéant, des dommages‑intérêts majorés supplémentaires peuvent être accordés si le comportement de l’employeur était «dur, vengeur, répréhensible et malicieux» au point de commander l’attribution de dommages‑intérêts représentant une punition en plus d’une indemnisation.

127 En conclusion, il me semble que le principe général qui sous‑tend l’arrêt Vorvis veut que les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié se limitent aux dommages‑intérêts découlant du manquement à l’obligation implicite de l’employeur de donner un préavis raisonnable. L’attribution de dommages‑intérêts résultant du mode de congédiement doit reposer sur une cause d’action indépendante, sauf si ce mode de congédiement a prolongé le délai nécessaire pour trouver un nouvel emploi et, partant, la période de préavis.

128 Le point de vue que je propose est aussi compatible avec la lettre et l’esprit de l’arrêt Bardal, précité. Chacun des facteurs énumérés dans l’arrêt Bardal fournit un indice quant aux perspectives d’emploi de l’employé en cause: Christie et autres, op. cit., aux pp. 611 à 620. Le facteur de la «possibilité de trouver un autre emploi» est directement relié au degré de difficulté que l’employé peut s’attendre à éprouver dans la recherche d’un nouvel emploi. Les «caractéristiques de l’emploi» sont prises en compte en raison de l’hypothèse selon laquelle les employés qui occupent un poste à l’échelon supérieur seront moins en mesure de trouver un autre emploi parce que les postes offerts à cet échelon sont plus rares. L’«ancienneté» peut être considérée pour un certain nombre de raisons, mais une raison de prendre en compte ce facteur est que [traduction] «les employés qui ont le plus d’ancienneté seront vraisemblablement plus âgés et donc moins en mesure de se trouver un autre emploi» (Christie et autres, op. cit., à la p. 618). Cela explique aussi pourquoi l’«âge de l’employé» doit être considéré.

129 Enfin, le point de vue que j’adopte est compatible avec les arrêts Vorvis et Bardal, interprétés ensemble. Élargir les facteurs énoncés dans l’arrêt Bardal de manière à inclure des questions qui n’ont rien à voir avec les perspectives de réemploi revient, en fait, à provoquer l’effondrement de la distinction, confirmée dans l’arrêt Vorvis, entre la cause d’action fondée sur le manquement à l’obligation contractuelle de donner un préavis raisonnable de cessation d’emploi et les causes d’action indépendantes fondées sur une autre faute de l’employeur.

130 Je conclus que la jurisprudence appuie le point de vue suivant. Si l’employeur congédie un employé d’une manière qui a un effet négatif sur ses chances de trouver un autre emploi, une cour peut à bon droit prolonger la période de préavis raisonnable dont bénéficie l’employé, de manière à tenir compte de cette difficulté accrue. Autrement, la période de préavis raisonnable ne devrait pas être prolongée pour compenser le comportement répréhensible que l’employeur a adopté en procédant au congédiement. L’indemnisation d’un tel préjudice doit s’appuyer sur une cause d’action indépendante.

4. Certitude et prévisibilité

131 Comme nous l’avons vu, le droit est devenu «incertain et imprévisible» du fait que certains tribunaux ont, dans le passé, tenu compte de facteurs qui n’avaient rien à voir avec les perspectives de réemploi pour déterminer la période de préavis sur laquelle reposent les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié: Christie et autres, op. cit., à la p. 611. Persister dans cette voie en permettant qu’un comportement qui n’a rien à voir avec les perspectives d’emploi influe sur la période de préavis ne ferait qu’accroître cette incertitude et cette imprévisibilité. En tentant d’établir la période de préavis raisonnable selon le contrat, les employeurs et les juges buteraient sur de nouvelles questions épineuses qui n’ont rien à voir avec la faute de l’omission de donner un préavis raisonnable. Quel type de comportement de la part de l’employeur est susceptible de prolonger la période de préavis? Quel délai devrait être ajouté pour un type particulier de comportement répréhensible? Il serait difficile, dans une action pour congédiement injustifié, de donner à ces questions des réponses structurées et cohérentes en l’absence de fondement juridique justifiant l’attribution de dommages‑intérêts majorés pour la manière dont le congédiement a été effectué.

132 En limitant les facteurs dont il est tenu compte pour déterminer la période de préavis raisonnable aux questions qui ont une incidence sur la possibilité de trouver un autre emploi, on obtiendra un droit plus prévisible en matière de congédiement injustifié, ce qui aidera les employeurs à prévoir la longueur du préavis qu’un employé recevra vraisemblablement. Demander à l’employeur de prendre en compte un comportement indéterminé qui n’a rien à voir avec ces facteurs, pour fixer la longueur du préavis, a pour effet de rendre plus complexe et moins précis l’examen de ce qui constitue une période de préavis appropriée.

5. La possibilité d’exercer d’autres recours

133 On soutient qu’en calculant la période de préavis afin d’éviter une injustice et de garantir une réparation adéquate à l’employé qui se trouve dans une situation comme celle qui existe en l’espèce, il faut tenir compte du comportement répréhensible qui n’a aucune incidence sur les perspectives de réemploi, que l’employeur a adopté en procédant au congédiement. Pour répondre à cet argument, il suffit de préciser que le droit offre d’autres recours relativement au comportement répréhensible que l’employeur adopte dans ces circonstances.

134 Le droit en matière de responsabilité délictuelle et contractuelle reconnaît l’existence d’un certain nombre de causes d’action indépendantes pour le comportement répréhensible adopté en congédiant un employé. Si l’employeur diffame l’employé ou lui cause volontairement des souffrances morales, l’employé peut intenter contre lui une action fondée sur la responsabilité délictuelle. Si l’employeur a incité l’employé à quitter un emploi stable en lui promettant de meilleures conditions de travail, l’employé peut éventuellement intenter une action fondée sur la responsabilité délictuelle pour déclaration inexacte faite par négligence, ou intenter une action pour violation d’une condition contractuelle expresse. Enfin, un traitement inéquitable au moment du congédiement peut donner ouverture à une action pour violation d’une condition implicite du contrat de travail.

135 Le droit a évolué au point qu’il est maintenant possible d’ajouter un nouveau recours à ces actions traditionnelles: l’action pour manquement à une obligation contractuelle implicite d’agir de bonne foi en congédiant un employé. Je suis d’accord avec le juge Iacobucci pour dire qu’un employeur a une obligation d’agir de bonne foi et de manière équitable lorsqu’il congédie des employés, et plus particulièrement que «les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables» (par. 98). Je suis également d’accord pour dire que cette obligation ne va pas jusqu’à empêcher les employeurs de congédier leurs employés sans motif de «bonne foi», car pareil élargissement du droit du travail serait «trop envahissan[t] et incompatible avec les principes reconnus du droit régissant la relation employeur-employé» (par. 76). L’employeur et l’employé demeurent tous les deux libres de résilier sans motif le contrat de travail. Cela n’est pas incompatible avec l’obligation de bonne foi. Bien que certains tribunaux aient reconnu l’obligation de l’employeur d’agir de bonne foi dans d’autres contextes que celui du congédiement d’un employé (voir plus loin), nous n’avons pas, en l’espèce, à aller au-delà du contexte du congédiement.

136 Cependant, mon opinion diverge de celle de mon collègue en ce sens que je ne vois aucune raison de ne pas considérer comme une condition implicite du contrat de travail l’attente, dont il reconnaît l’existence, que l’on fasse preuve de bonne foi en congédiant un employé. Affirmer que l’obligation de faire preuve de bonne foi en congédiant un employé est un principe de droit, comme le fait mon collègue, revient à affirmer qu’il s’agit d’une obligation que le droit inclut implicitement dans les relations contractuelles entre l’employeur et l’employé. En d’autres termes, il s’agit d’une condition implicite du contrat.

137 L’inclusion de cette condition implicite satisfait au critère énoncé par notre Cour dans l’arrêt Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711. Le juge Le Dain a statué, au nom de la Cour à la majorité, qu’il est possible d’inclure des conditions implicites fondées sur la coutume ou l’usage, sur l’existence d’une intention présumée et en tant que particularités juridiques d’une catégorie ou d’un type particuliers de contrats, dont la nature et la teneur doivent être déduits dans une large mesure. Si l’inclusion d’une condition implicite fondée sur l’existence d’une intention présumée doit être nécessaire «pour donner à un contrat de l’efficacité commerciale ou pour permettre de quelque autre manière de satisfaire au critère de “l’observateur objectif”, terme dont les parties diraient, si on leur posait la question, qu’elles avaient évidemment tenu son inclusion pour acquise» (p. 775), l’inclusion d’une condition implicite en tant que particularité juridique doit seulement être nécessaire en ce sens qu’elle est requise par la nature du contrat plutôt qu’en raison de l’intention présumée des parties en cause.

138 C’est ce type d’inclusion d’une condition implicite qui est en cause dans l’obligation de bonne foi proposée. Comme le souligne le juge Iacobucci, les contrats de travail comportent des caractéristiques fort différentes des autres types de contrats en raison du pouvoir de négociation souvent inégal des parties en cause dans ce genre de relation. Cela rend l’employé vulnérable, et ce, d’autant plus lors d’un congédiement. La nature de cette relation commande donc que la partie vulnérable bénéficie d’une certaine protection. Exiger des employeurs qu’ils fassent preuve de bonne foi dans leur manière de traiter leurs employés au moment de les congédier fournit cette protection spéciale. Il s’ensuit qu’une condition implicite est nécessaire au sens requis pour justifier que le droit intègre implicitement une condition au contrat

139 La reconnaissance de l’existence, dans le contrat de travail, d’une condition implicite de bonne foi en matière de congédiement d’employés trouve appui dans la jurisprudence, dans la doctrine et dans l’évolution connexe d’autres domaines du droit des contrats. J’examinerai d’abord la jurisprudence. Le juge Braidwood de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé l’existence d’une obligation de bonne foi lors d’un congédiement dans l’arrêt Deildal c. Tod Mountain Development Ltd. (1997), 91 B.C.A.C. 214 (quoique, en définitive, l’affaire ait été tranchée en fonction d’autres moyens, étant donné que les parties n’avaient pas fait valoir ce point). Deildal a éprouvé des souffrances morales et subi une atteinte à sa réputation professionnelle et à ses perspectives de carrière en raison de la façon dont il a été congédié. Le juge Braidwood a statué que deux actions pouvaient être intentées en pareil cas: l’une, pour violation de la condition contractuelle implicite du préavis raisonnable de cessation d’emploi, l’autre, pour manquement à l’obligation d’agir de bonne foi en congédiant le demandeur. Il a écrit ceci à l’appui du deuxième type d’action (au par. 77):

[traduction] Le contrat à l’étude en l’espèce ne constitue pas un simple échange commercial sur le marché des biens et services. Habituellement, un contrat de travail a une durée plus longue et est de nature plus personnelle que la plupart des contrats, et il implique un degré plus élevé de dépendance et de confiance mutuelles, ce qui engendre, en contrepartie, un risque accru d’abus et de préjudice. Il est tout à fait logique de déduire que les parties à un tel contrat conviendraient, si elles réfléchissaient à la question, de prendre des mesures raisonnables pour se protéger mutuellement d’un tel préjudice ou, à tout le moins, qu’elles ne saisiraient pas délibérément et avec malveillance l’occasion de le causer.

La dissidence du juge Gibbs était compatible avec ce point de vue.

140 Dans l’arrêt Deildal, précité, le juge Braidwood a confirmé l’existence d’une obligation contractuelle implicite de bonne foi en matière de cessation d’emploi, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Nouvelle‑Zélande qui confirme l’existence d’une telle obligation, c’est‑à‑dire l’arrêt Whelan c. Waitaki Meats Ltd., [1991] 2 N.Z.L.R. 74 (H.C.), approuvé par la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande dans Ogilvy & Mather (New Zealand) Ltd. c. Turner, [1994] 1 N.Z.L.R. 641, et souvent suivi. Dans l’arrêt Whelan, aux pp. 89 et 90, le juge Gallen a évalué la possibilité d’inclure des conditions implicites dans le contrat en examinant les circonstances particulières de la relation entre l’employeur et l’employé:

[traduction] En l’espèce, comme je l’ai déjà conclu, le demandeur occupait un poste de niveau supérieur comportant des responsabilités importantes. [. . .] En raison de la nature de ses états de service, combinée au poste qu’il occupait, je pense qu’il avait le droit de présumer que son employeur le traiterait d’une manière qui lui permettrait de conserver sa dignité dans la collectivité et de ne pas voir sa situation aggravée par un acte précipité risquant d’être mal interprété. Je crois que, dans l’ensemble, ces questions deviennent des conditions implicites de son contrat de louage de services avec le défendeur et que ce dernier avait, pour sa part, l’obligation de les respecter. [Je souligne.]

Vu que l’employeur avait traité le demandeur d’une manière qui lui avait causé [traduction] «indûment des problèmes de souffrances morales, d’angoisse, d’humiliation, de vexation et de perte de dignité» (p. 90), le juge Gallen a accordé des dommages‑intérêts à la fois pour l’omission de donner un préavis raisonnable et pour la manière dont le congédiement a été effectué.

141 Les tribunaux canadiens ont souvent reconnu certains aspects d’une obligation de bonne foi lors du congédiement d’employés. Dans Carrick c. Cooper Canada Ltd. (1983), 2 C.C.E.L. 87 (H.C. Ont.), le juge Trainor a conclu qu’un employeur avait le devoir de traiter son employé avec égard et respect. De même, dans Bernardin c. Alitalia Air Lines (1993), 50 C.C.E.L. 156, aux pp. 162 et 163, le juge Gomery de la Cour supérieure du Québec a statué qu’un employeur qui met fin à la relation avec un employé a le devoir de le faire d’une manière qui ne cause pas trop d’anxiété à cet employé. D’autres tribunaux ont inclus un devoir d’équité procédurale dans le contexte d’un congédiement lors de l’examen de la question de savoir s’il existait un «motif valable» de congédiement sommaire: Christie et autres, op. cit., à la p. 416. D’autres tribunaux, encore, ont décidé que, lorsqu’un contrat de travail confère expressément des pouvoirs discrétionnaires à l’employeur, celui‑ci doit les exercer raisonnablement et de bonne foi; voir, par exemple, Cohnstaedt c. Université de Regina, [1989] 1 R.C.S. 1011, à la p. 1019; Greenberg c. Meffert (1985), 50 O.R. (2d) 755 (C.A.), à la p. 764, autorisation de pourvoi refusée, [1985] 2 R.C.S. ix; Truckers Garage Inc. c. Krell (1993), 3 C.C.E.L. (2d) 157 (C.A. Ont.), à la p. 164. Il a également été décidé qu’un employeur a, envers un employé, une obligation d’équité procédurale qui donne notamment à l’employé le droit d’être interrogé honnêtement et de manière non hostile au sujet de ses prétendues lacunes avant d’être congédié: Doyle c. London Life Insurance Co. (1985), 23 D.L.R. (4th) 443 (C.A.C.‑B.), autorisation de pourvoi refusée, [1986] 1 R.C.S. x. Voir aussi: Shiloff c. R. (1994), 6 C.C.E.L. (2d) 177 (C.F. 1re inst.).

142 Le poids de la doctrine appuie l’imposition par les tribunaux d’une obligation de faire preuve de bonne foi lors du congédiement d’employés. Christie et autres, op. cit., laisse entendre que [traduction] «[l]a promesse implicite de traiter un employé avec respect et dignité dans des situations de cessation d’emploi offre les meilleures chances d’indemnisation des souffrances morales» (p. 750).

143 De même, le professeur Schai (dans «Aggravated Damages and the Employment Contract» (1991), 55 Sask. L. Rev. 345) exprime l’avis qu’[traduction] «une condition contractuelle implicite de bonne foi constitue le meilleur moyen pour le droit d’indemniser un employé du préjudice psychologique qu’il subi en étant congédié de façon injustifiée» (p. 349). Il écrit ceci, à la p. 363:

[traduction] Une condition implicite de bonne foi sera utile de deux façons. Elle servira principalement de moyen d’indemniser les personnes lésées par la manière brutale et malveillante dont leur employeur les a traitées. Elle jouera en outre, du point de vue de l’attribution de dommages‑intérêts majorés, un rôle de dissuasion moins important.

144 Dans la même veine, G. England note que l’imposition à l’employeur d’une obligation implicite de bonne foi assurerait la symétrie de ce domaine du droit car les employés ont déjà, envers leur employeur, le devoir d’agir raisonnablement dans son intérêt: «Recent Developments in the Law of the Employment Contract: Continuing Tension Between the Rights Paradigm and the Efficiency Paradigm» (1995), 20 Queen’s L.J. 557.

145 Enfin, l’existence d’une obligation contractuelle implicite de faire preuve de bonne foi lors du congédiement d’un employé est compatible avec la reconnaissance d’une obligation implicite de bonne foi et de traitement équitable dans d’autres secteurs du droit des contrats, notamment en matière de contrats commerciaux, de contrats d’assurance et de contrats relatifs à des opérations immobilières. (Voir S. K. O’Byrne, «Good Faith in Contractual Performance: Recent Developments» (1995), 74 R. du B. can. 70; B. J. Reiter, «Good Faith in Contracts» (1983), 17 Val. U. L. Rev. 705, et E. P. Belobaba, «Good Faith in Canadian Contract Law», dans Commercial Law: Recent Developments and Emerging Trends (1985), 73.) On peut également souligner que notre Cour a confirmé l’existence d’une condition contractuelle implicite de bonne foi et de traitement équitable en droit civil québécois: Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122.

146 Somme toute, j’estime que le droit a évolué au point de reconnaître l’existence, dans les contrats de travail, d’une obligation contractuelle implicite de bonne foi en vertu de laquelle l’on est tenu de faire preuve de bonne foi envers l’employé en le congédiant. Dans la mesure où la reconnaissance d’une telle condition peut être perçue comme une nouveauté, elle est visée par la refonte progressive du droit approuvée dans Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750, aux pp. 760 et 761, et R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, à la p. 668. L’action pour manquement à cette obligation complète les causes d’action indépendantes déjà reconnues en matière contractuelle et délictuelle et permet de remédier amplement à des actes fautifs comme ceux invoqués par l’appelant, sans modifier l’action traditionnelle pour congédiement injustifié fondée sur un préavis.

Application du droit

147 Après avoir tenu compte des facteurs énumérés dans l’arrêt Bardal et du fait que [traduction] «le congédiement péremptoire et les actes subséquents de la défenderesse lui ont fait perdre presque toute possibilité de trouver un emploi dans son domaine» (p. 170), le juge de première instance a fixé à 24 mois la période de préavis raisonnable. La Cour d’appel a ramené la période de préavis de 24 à 15 mois pour le motif que le juge de première instance avait pu laisser un élément de dommages‑intérêts majorés se glisser dans son évaluation et que les dommages‑intérêts accordés récemment dans ce type de cas devenaient trop élevés. Je ne suis pas d’accord. Le juge de première instance a tranché l’affaire en examinant soigneusement les perspectives de réemploi de l’appelant. Il n’a tenu compte d’aucun autre facteur. Je ne vois aucune raison de modifier son évaluation.

148 L’appelant a aussi réclamé des dommages‑intérêts pour souffrances morales et perte de réputation et de prestige, ainsi que des dommages‑intérêts punitifs. Le juge de première instance a conclu que c’est le congédiement et les événements qui ont suivi qui sont la principale cause de l’angoisse éprouvée par M. Wallace. Ce préjudice peut donner lieu à réparation à la condition de découler de l’omission de l’employeur de faire preuve de bonne foi envers M. Wallace au moment de son congédiement. Le juge de première instance a conclu que UGG avait fait preuve de mauvaise foi: (1) en congédiant M. Wallace brusquement après l’avoir félicité à maintes reprises avant son congédiement, et (2) en décidant de jouer dur avec M. Wallace en maintenant, jusqu’à l’ouverture du procès, des allégations de motif valable de congédiement qui n’étaient absolument pas fondées, de telle sorte que M. Wallace a été essentiellement banni du milieu de l’impression. UGG a donc violé la condition implicite de bonne foi et de traitement équitable en agissant comme elle l’a fait au moment du congédiement. Les dommages‑intérêts pour souffrances morales et perte de réputation sont des dommages‑intérêts généraux découlant directement de la violation de la condition implicite par l’employeur et peuvent donc être réclamés. En conséquence, je confirmerais l’indemnité de 15 000 $ accordée par le juge de première instance pour ces préjudices additionnels.

149 Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du juge de première instance que UGG n’a pas adopté un comportement suffisamment «dur, vengeur, répréhensible et malicieux» pour justifier l’attribution de dommages‑intérêts punitifs.

150 Les parties ont convenu que, sur le plan de la responsabilité délictuelle, la demande relative aux souffrances morales et à la perte de réputation serait de nature personnelle et ne ferait donc pas partie du patrimoine du failli attribué à ses créanciers. Il s’agit de savoir si une action pour souffrances morales et pour perte de réputation, fondée sur la violation d’une condition contractuelle implicite de bonne foi, est elle aussi de nature personnelle. À mon avis, elle l’est. Il s’agit de savoir non pas si l’action semble fondée sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle, mais plutôt si les dommages-intérêts réclamés ont trait à une perte personnelle par opposition à une perte matérielle. Tel que confirmé par le juge Goodman dans Re Holley (1986), 59 C.B.R. (N.S.) 17 (C.A. Ont.), à la p. 35, [traduction] «le droit n’a pas pour principe de convertir en argent destiné aux créanciers le malaise psychique ou physique résultant de l’angoisse éprouvée par le débiteur». Je conclus donc que l’appelant n’était pas privé du droit de réclamer des dommages‑intérêts pour la violation de la condition implicite parce qu’il était un failli non libéré au moment où l’action a été intentée.

151 Je rejetterais le pourvoi incident et j’accueillerais le pourvoi principal avec dépens devant notre Cour et les tribunaux d’instance inférieure, et je rétablirais les indemnités de 24 mois de salaire et de 15 000 $ que le juge de première instance a accordées, respectivement, à titre de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié, et pour les souffrances morales et la perte de réputation.

Pourvoi principal accueilli en partie avec dépens, les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidents en partie. Pourvoi incident rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Riley, Orle, Giesbrecht, Born, Winnipeg.

Procureurs de l’intimée: Wolch, Pinx, Tapper, Scurfield, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1997] 3 R.C.S. 701 ?
Date de la décision : 30/10/1997
Sens de l'arrêt : Le pourvoi principal est accueilli en partie et le pourvoi incident est rejeté

Analyses

Faillite - Biens d’un failli - Traitement, salaire ou autre rémunération - Action pour congédiement injustifié intentée par un failli non libéré - Les dommages‑intérêts pour congédiement injustifié constituent‑ils un traitement, un salaire ou une autre rémunération? - Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B‑3, art. 68(1).

Procédure civile - Congédiement injustifié - Failli non libéré réclamant des dommages‑intérêts pour congédiement injustifié - Un failli non libéré peut‑il intenter en son propre nom une action pour congédiement injustifié?.

Employeur et employé - Congédiement injustifié - Employé congédié sommairement réclamant des dommages‑intérêts pour congédiement injustifié - Juge de première instance accordant à l’employé des dommages‑intérêts fondés sur un préavis de 24 mois et des dommages‑intérêts majorés - La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en réduisant à 15 mois la période de préavis raisonnable? - La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en écartant l’attribution de dommages‑intérêts majorés? - Est‑il possible d’intenter une action pour «renvoi de mauvaise foi»? - L’employé a‑t‑il droit à des dommages‑intérêts punitifs?.

En 1972, une imprimerie appartenant exclusivement à l’intimée a décidé de mettre à jour ses opérations et d’essayer d’accroître le volume de ses travaux d’impression commerciale. L’appelant W a rencontré L, le directeur du marketing des divisions de l’édition et de l’impression de la compagnie, afin de discuter de son embauche éventuelle. W possédait le genre d’expérience que L recherchait, car il travaillait depuis environ 25 ans pour un concurrent qui utilisait un type de presse particulier. W a expliqué à L que, comme il était âgé de 45 ans, s’il devait quitter l’emploi qu’il occupait alors, il exigerait une garantie de sécurité d’emploi. Il a aussi tenté d’obtenir de L plusieurs garanties de traitement et de rémunération équitables. Il a obtenu ces garanties et L lui a dit que, s’il fournissait le rendement escompté, il pourrait continuer de travailler pour la compagnie jusqu’à sa retraite. W a été embauché et il a obtenu beaucoup de succès au sein de la compagnie; il a été le meilleur vendeur durant chacune des années où il a occupé son poste. En 1986, il a été congédié sommairement sans explication. W a présenté une déclaration dans laquelle il alléguait avoir été congédié de façon injustifiée. Dans sa défense, l’intimée a soutenu que le congédiement de W était justifié. Cette allégation a été maintenue jusqu’à l’ouverture du procès. La cessation de son emploi et les allégations de motif déterminé ont engendré chez W des problèmes émotifs qui l’ont forcé à demander de l’aide psychiatrique. Ses tentatives de trouver un emploi similaire ont été vaines dans une large mesure. Avant son congédiement, W a fait une cession volontaire de ses biens et il était toujours un failli non libéré lorsqu’il a intenté son action contre l’intimée. Le juge de première instance a radié sa demande de dommages‑intérêts pour rupture de contrat, en concluant qu’il appartient au syndic de faillite de présenter une demande de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié, fondée sur l’absence de préavis, et il a statué qu’à cet égard l’action était nulle depuis le début. W a tenté d’interjeter appel de cette décision, mais la Cour d’appel a suspendu l’appel jusqu’à la fin du procès. Le procès a repris et, sous réserve de l’issue de l’appel sur la question de la faillite, W a obtenu des dommages‑intérêts pour congédiement injustifié qui étaient fondés sur une période de préavis de 24 mois, ainsi qu’une indemnité de 15 000 $ à titre de dommages‑intérêts majorés pour souffrances morales, fondés sur la responsabilité tant délictuelle que contractuelle. Le juge de première instance a refusé d’accorder des dommages‑intérêts punitifs. La Cour d’appel a infirmé les conclusions du juge de première instance relativement à la capacité de W d’intenter une action pour rupture de contrat, concluant que W avait le droit de continuer, en son propre nom, son action pour congédiement injustifié en l’absence du syndic. Elle a également accueilli l’appel incident de l’intimée. Elle a ramené la période de préavis raisonnable à 15 mois, pour le motif que le juge de première instance avait pu laisser un élément de dommages‑intérêts majorés se glisser dans son évaluation et que les dommages‑intérêts accordés récemment dans ce type de cas devenaient trop élevés, et elle a écarté l’attribution de dommages‑intérêts majorés.

Arrêt (les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidents en partie quant au pourvoi principal): Le pourvoi principal est accueilli en partie et le pourvoi incident est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major: W peut intenter, en son propre nom, une action pour congédiement injustifié. Bien que, en vertu de la Loi sur la faillite, le failli non libéré n’ait pas la capacité d’aliéner ses biens, et qu’aucune distinction ne soit établie quant à savoir si ces biens ont été acquis avant ou après la cession de ses biens, le par. 68(1) prévoit une exception à cette règle générale lorsque les biens en question peuvent être qualifiés de «traitement, salaire ou autre rémunération». Pour respecter l’esprit de la Loi, cette exception doit comprendre des dommages‑intérêts accordés pour congédiement injustifié. Ces dommages‑intérêts correspondent au traitement que l’employé aurait touché s’il avait travaillé durant la période de préavis à laquelle il avait droit. Le fait que cette somme soit accordée à titre de dommages‑intérêts au procès ne change rien à la nature fondamentale des fonds. Plusieurs tribunaux ont interprété de façon libérale l’expression «traitement, salaire ou autre rémunération». Les considérations d’ordre public qui sont à la base de cette disposition incitent davantage à lui donner une interprétation libérale.

Il y a lieu de rétablir l’indemnité de 24 mois de salaire tenant lieu de préavis que le juge de première instance a accordée à titre de dommages‑intérêts. Compte tenu de l’âge avancé de W, de ses 14 années d’ancienneté comme meilleur vendeur de la compagnie et de ses perspectives limitées de réemploi, une longue période de préavis est justifiée. Un autre facteur à examiner est de savoir si l’employé congédié a été incité à quitter un emploi antérieur stable. Bien que le juge de première instance n’ait pas mentionné expressément le facteur de l’incitation dans son analyse du préavis raisonnable, dans les circonstances de la présente affaire, ces incitations, notamment la garantie de sécurité d’emploi, sont des facteurs qui étayent sa décision d’accorder un montant maximal de dommages‑intérêts.

La conduite de mauvaise foi dans la façon de congédier est un autre facteur qui est compensé adéquatement par un ajout à la période de préavis. Le contrat de travail comporte de nombreuses caractéristiques qui le distinguent du contrat commercial ordinaire. D’une manière générale, les employés, pris individuellement, n’ont ni le pouvoir de négociation ni les renseignements nécessaires pour obtenir dans leurs contrats des conditions plus avantageuses que celles offertes par l’employeur, surtout relativement à la permanence. Cette inégalité de pouvoir n’est pas limitée au contrat de travail lui‑même, mais elle sous‑tend presque toutes les facettes de la relation entre l’employeur et son employé. Le moment où il y a rupture de la relation entre l’employeur et l’employé est celui où l’employé est le plus vulnérable et a donc le plus besoin de protection. Pour reconnaître ce besoin, le droit devrait encourager les comportements qui réduisent au minimum le préjudice et le bouleversement (tant économique que personnel) qui résultent d’un congédiement. Pour que les employés puissent bénéficier d’une protection adéquate, les employeurs devraient assumer une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement, de sorte que tout manquement à cette obligation serait compensé par une prolongation de la période de préavis. Même s’il n’est pas possible de définir exactement l’obligation de bonne foi et de traitement équitable, les employeurs doivent, tout au moins dans le cadre d’un congédiement, être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables.

Bien que l’employé congédié n’ait pas droit à l’indemnisation des préjudices découlant du congédiement lui‑même, lorsqu’un employé peut établir qu’un employeur a eu un comportement de mauvaise foi ou l’a traité de façon inéquitable en le congédiant, les préjudices tels que l’humiliation, l’embarras et la perte d’estime de soi et de conscience de sa propre valeur peuvent tous ouvrir droit à indemnisation selon les circonstances de l’affaire. Souvent les préjudices immatériels découlant des actes de mauvaise foi ou de traitement inéquitable accomplis lors d’un congédiement ont pour effet de compliquer la recherche d’un autre emploi; c’est là une perte matérielle que la Cour d’appel a, à juste titre, reconnue comme justifiant un ajout à la période de préavis. Cependant, les préjudices immatériels sont suffisants en soi pour donner droit à une indemnisation. La conduite de mauvaise foi qui influe sur les perspectives d’emploi peut justifier une indemnisation beaucoup plus élevée que celle qui n’a pas cet effet, mais dans les deux cas, il en résulte un préjudice qui devrait donner lieu à indemnisation. Le juge de première instance a cité plusieurs exemples de comportement de mauvaise foi de la part de l’intimée. Même si l’attribution de l’équivalent de 24 mois de salaire pour tenir lieu de préavis représente une indemnité maximale, cette somme n’est pas déraisonnable compte tenu de tous les facteurs pertinents, et il n’y a donc aucune raison d’intervenir.

Il n’y a aucune raison de modifier la conclusion des tribunaux d’instance inférieure selon laquelle il n’y avait pas assez d’éléments de preuve à l’appui de la prétention de W qu’il avait conclu un contrat de travail à durée déterminée jusqu’à sa retraite.

Quant aux dommages‑intérêts pour souffrances morales, la Cour d’appel a eu raison de statuer qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour conclure que les actes de l’intimée constituaient une faute donnant elle‑même ouverture à un droit d’action fondé sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle. Dans les cas où le mode de congédiement a causé des souffrances morales, sans constituer une faute donnant elle‑même ouverture à un droit d’action, l’employé n’est cependant pas dépourvu de tout recours. Dans ces circonstances, le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire de prolonger la période de préavis raisonnable auquel un employé a droit.

W ne peut pas intenter des poursuites fondées sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle pour «renvoi de mauvaise foi». La Cour ne devrait pas considérer que le contrat de travail comporte une condition implicite voulant que l’employé ne puisse être congédié que de façon justifiée ou pour des raisons commerciales légitimes. La loi reconnaît depuis longtemps le droit réciproque de l’employeur et de l’employé de mettre fin au contrat de travail en tout temps pourvu qu’il n’y ait pas de dispositions expresses contraires. L’obligation d’avoir des motifs de «bonne foi» de congédier serait trop envahissante et incompatible avec les principes reconnus du droit régissant la relation employeur-employé. De même, les tribunaux canadiens n’ont pas encore reconnu l’existence d’un délit civil du manquement à une obligation de bonne foi et de traitement équitable en matière de congédiement. Il est préférable de laisser au législateur le soin de procéder à une modification aussi radicale du droit.

Les tribunaux d’instance inférieure ont eu raison de conclure que rien ne justifie l’attribution de dommages‑intérêts punitifs.

Les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé et McLachlin (dissidents en partie quant au pourvoi principal): La faillite de W ne fait pas obstacle à l’action qu’il a intentée. Les dommages‑intérêts tenant lieu de préavis raisonnable constituent un «traitement, [un] salaire ou [une] autre rémunération» aux fins de la loi en matière de faillite et peuvent donc être réclamés. De plus, les dommages‑intérêts accordés pour manquement à l’obligation implicite d’agir de bonne foi peuvent être réclamés en raison de la nature personnelle de la cause d’action.

Pour déterminer la période de préavis raisonnable dans une action pour congédiement injustifié, la cour examine les caractéristiques de la relation particulière entre l’employeur et l’employé, qui sont pertinentes quant aux chances de l’employé de trouver un emploi similaire. Le mode de congédiement ne devrait être pris en considération que s’il a une incidence sur la difficulté de trouver un autre emploi, et en l’absence d’un tel lien, les dommages‑intérêts relatifs au mode de cessation d’emploi doivent reposer sur une autre cause d’action. Le droit est devenu incertain et imprévisible du fait que certains tribunaux ont, dans le passé, tenu compte de facteurs qui n’avaient rien à voir avec les perspectives de réemploi pour déterminer la période de préavis. Persister dans cette voie ne ferait qu’accroître cette incertitude et cette imprévisibilité. Le droit offre d’autres recours relativement au comportement répréhensible qui n’a aucune incidence sur les perspectives de réemploi et que l’employeur a adopté en procédant au congédiement, et il a évolué au point qu’il est maintenant possible d’ajouter à ces actions traditionnelles l’action pour manquement à une obligation contractuelle implicite d’agir de bonne foi en congédiant un employé. La reconnaissance de l’existence, dans le contrat de travail, d’une condition implicite de bonne foi en matière de congédiement d’employés trouve appui dans la jurisprudence, dans la doctrine et dans l’évolution connexe d’autres domaines du droit des contrats. Dans la mesure où la reconnaissance d’une telle condition peut être perçue comme une nouveauté, elle est visée par la refonte progressive du droit approuvée dans les arrêts Watkins et Salituro.

Le juge de première instance a fixé à 24 mois la période de préavis raisonnable en examinant soigneusement les perspectives de réemploi de W et il n’y a aucune raison de modifier son évaluation. Il y a aussi lieu de confirmer l’attribution par le juge de première instance des dommages-intérêts pour souffrances morales et perte de réputation, réclamés par W. Ce sont des dommages‑intérêts généraux qui découlent directement de la violation par l’employeur de son obligation implicite de bonne foi et de traitement équitable, et ils peuvent donc être réclamés.

Il n’y a aucune raison de modifier la conclusion du juge de première instance que l’intimée n’a pas adopté un comportement suffisamment dur, vengeur, répréhensible et malicieux pour justifier l’attribution de dommages‑intérêts punitifs.


Parties
Demandeurs : Wallace
Défendeurs : United Grain Growers Ltd.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Iacobucci
Distinction d’avec les arrêts: Cohen c. Mitchell (1890), 25 Q.B.D. 262
Neilson c. Vancouver Hockey Club Ltd., [1988] 4 W.W.R. 410, autorisation de pourvoi refusée, [1988] 2 R.C.S. viii
arrêts non suivis: Addis c. Gramophone Co., [1909] A.C. 488
Peso Silver Mines Ltd. (N.P.L.) c. Cropper, [1966] R.C.S. 673
Ansari c. British Columbia Hydro and Power Authority (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 33
Wadden c. Guaranty Trust Co. of Canada, [1987] 2 W.W.R. 739
arrêts mentionnés: Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, conf. (1984), 9 D.L.R. (4th) 40
Pilon c. Peugeot Canada Ltd. (1980), 114 D.L.R. (3d) 378
Re Holley (1986), 59 C.B.R. (N.S.) 17
Ranch des Prairies Ltée c. Bank of Montreal (1988), 53 Man. R. (2d) 308
Re Pascoe, [1944] 1 Ch. 219
Wyssling (Trustee of) c. Latreille Estate (1990), 78 C.B.R. (N.S.) 114
McNamara c. Pagecorp Inc. (1989), 76 C.B.R. (N.S.) 97
Long c. Brisson, [1992] 5 W.W.R. 185
Bailey c. Thurston & Co., [1903] 1 K.B. 137
Lough c. Digital Equipment of Canada Ltd. (1986), 57 O.R. (2d) 456
Sylvester c. Colombie‑Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315
Re Ali (1987), 62 C.B.R. (N.S.) 64
Re Giroux (1983), 45 C.B.R. (N.S.) 245
Re Greening (1989), 73 C.B.R. (N.S.) 24
Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765
Jarvis c. Swans Tours Ltd., [1973] 1 Q.B. 233
Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846
Bardal c. Globe & Mail Ltd. (1960), 24 D.L.R. (2d) 140
Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986
Gillespie c. Bulkley Valley Forest Industries Ltd., [1975] 1 W.W.R. 607
Corbin c. Standard Life Assurance Co. (1995), 15 C.C.E.L. (2d) 71
Bishop c. Carleton Co‑operative Ltd. (1996), 21 C.C.E.L. (2d) 1
Jackson c. Makeup Lab Inc. (1989), 27 C.C.E.L. 317
Murphy c. Rolland Inc. (1991), 39 C.C.E.L. 86
Craig c. Interland Window Mfg. Ltd. (1993), 47 C.C.E.L. 57
Makhija c. Lakefield Research (1983), 14 C.C.E.L. 131, conf. par (1986), 14 C.C.E.L. xxxi
Mutch c. Norman Wade Co. (1987), 17 B.C.L.R. (2d) 185
Robertson c. Weavexx Corp. (1997), 25 C.C.E.L. (2d) 264
Lojstrup c. British Columbia Buildings Corp. (1989), 34 B.C.L.R. (2d) 357
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313
Eyers c. City Buick Cadillac Ltd. (1984), 6 C.C.E.L. 234, inf. en partie par (1986), 13 O.A.C. 66
Jivrag c. City of Calgary (1986), 13 C.C.E.L. 120, inf. en partie par (1987), 18 C.C.E.L. xxx
Hudson c. Giant Yellowknife Mines Ltd. (1992), 44 C.C.E.L. 109
Hall c. Giant Yellowknife Mines Ltd. (1992), 44 C.C.E.L. 101
Trask c. Terra Nova Motors Ltd. (1995), 9 C.C.E.L. (2d) 157
MacDonald c. Royal Canadian Legion (1995), 12 C.C.E.L. (2d) 211
Dunning c. Royal Bank (1996), 23 C.C.E.L. (2d) 71
Deildal c. Tod Mountain Development Ltd. (1997), 91 B.C.A.C. 214
Gillman c. Saan Stores Ltd. (1992), 45 C.C.E.L. 9
McCarey c. Associated Newspapers Ltd. (No. 2), [1965] 2 Q.B. 86
Barltrop c. Canadian Broadcasting Corp. (1978), 25 N.S.R. (2d) 637, autorisation de pourvoi refusée, [1978] 1 R.C.S. vi
Stumpf c. Globe Holdings Ltd. (1982), 22 Alta. L.R. (2d) 55.
Citée par le juge McLachlin (dissidente en partie quant au pourvoi principal)
Bardal c. Globe & Mail Ltd. (1960), 24 D.L.R. (2d) 140
Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986
Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085
Brown c. Waterloo Regional Board of Commissioners of Police (1983), 43 O.R. (2d) 113, conf. en partie (1982), 37 O.R. (2d) 277
Addis c. Gramophone Co., [1909] A.C. 488
Peso Silver Mines Ltd. (N.P.L.) c. Cropper, [1966] R.C.S. 673, conf. (1965), 56 D.L.R. (2d) 117
Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711
Deildal c. Tod Mountain Development Ltd. (1997), 91 B.C.A.C. 214
Whelan c. Waitaki Meats Ltd., [1991] 2 N.Z.L.R. 74
Ogilvy & Mather (New Zealand) Ltd. c. Turner, [1994] 1 N.Z.L.R. 641
Carrick c. Cooper Canada Ltd. (1983), 2 C.C.E.L. 87
Bernardin c. Alitalia Air Lines (1993), 50 C.C.E.L. 156
Cohnstaedt c. Université de Regina, [1989] 1 R.C.S. 1011
Greenberg c. Meffert (1985), 50 O.R. (2d) 755, autorisation de pourvoi refusée, [1985] 2 R.C.S. ix
Truckers Garage Inc. c. Krell (1993), 3 C.C.E.L. (2d) 157
Doyle c. London Life Insurance Co. (1985), 23 D.L.R. (4th) 443, autorisation de pourvoi refusée, [1986] 1 R.C.S. x
Shiloff c. R. (1994), 6 C.C.E.L. (2d) 177
Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122
Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750
R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654
Re Holley (1986), 59 C.B.R. (N.S.) 17.
Lois et règlements cités
Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B‑3, art. 2 «biens», 67(1) [mod. 1992, ch. 27, art. 33], 68(1) [abr. & rempl. idem., art. 34], 71(2), 99(1).
Doctrine citée
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O’Byrne, Shannon Kathleen. «Good Faith in Contractual Performance: Recent Developments» (1995), 74 R. du B. can. 70.
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Swinton, Katherine. «Contract Law and the Employment Relationship: The Proper Forum for Reform». In Barry J. Reiter and John Swan, eds., Studies in Contract Law. Toronto: Butterworths, 1980, 357.
Waddams, S. M. The Law of Damages, 3rd ed. Toronto: Canada Law Book, 1997.

Proposition de citation de la décision: Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701 (30 octobre 1997)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-10-30;.1997..3.r.c.s..701 ?
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