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04/06/1998 | CANADA | N°[1998]_1_R.C.S._1079

Canada | Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079 (4 juin 1998)


Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079

Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons,

section locale 454 et Kelly Hardy Appelants

c.

Canada Safeway Limited Intimée

Répertorié: Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454

No du greffe: 25356.

1998: 27 janvier; 1998: 4 juin.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en appel de la cour d’appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la S

askatchewan (1996), 141 Sask. R. 213, 114 W.A.C. 213, [1996] S.J. no 195 (QL), qui a accueilli l’appel formé contre un juge...

Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079

Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons,

section locale 454 et Kelly Hardy Appelants

c.

Canada Safeway Limited Intimée

Répertorié: Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454

No du greffe: 25356.

1998: 27 janvier; 1998: 4 juin.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en appel de la cour d’appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (1996), 141 Sask. R. 213, 114 W.A.C. 213, [1996] S.J. no 195 (QL), qui a accueilli l’appel formé contre un jugement du juge Scheibel (1995), 132 Sask. R. 318, [1995] S.J. no 246 (QL), rejetant une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un conseil d’arbitrage (1994), 44 L.A.C. (4th) 325. Pourvoi rejeté, le juge L’Heureux‑Dubé est dissidente.

Leila J. Gosselin et Larry W. Kowalchuk, pour les appelants.

Larry B. LeBlanc, c.r., pour l’intimée.

//Le juge L’Heureux-Dubé//

Version française des motifs rendus par

[1] Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente) -- Il s’agit en l’espèce d’examiner s’il y a lieu de confirmer la décision du conseil d’arbitrage (1994), 44 L.A.C. (4th) 325, faisant droit au grief déposé par le syndicat appelant pour le compte d’une employée de l’intimée. La même question est examinée dans le pourvoi connexe Battlefords and District Co‑operatives Ltd. c. SDGMR, section locale 544, [1998] 1 R.C.S. 000, entendu simultanément et dans lequel jugement a été rendu en même temps que le présent pourvoi.

[2] J’ai pris connaissance des motifs de mes collègues les juges Cory et McLachlin, qui concluent que l’interprétation que le conseil d’arbitrage a donnée à la convention collective en l’espèce était manifestement déraisonnable. Bien que j’adopte leur point de vue quant à la norme de contrôle applicable, je ne puis, en toute déférence, être d’accord avec leur application de cette norme aux faits de la présente affaire ni avec la conclusion à laquelle ils arrivent.

I. La décision du conseil

[3] L’employée, Mme Hardy, a déposé un grief au sujet de la réduction draconienne de ses heures normales de travail et de la modification radicale de la relation employeur-employé. Pour trancher le grief, le conseil a examiné les dispositions de la convention collective ayant trait à l’établissement des horaires de travail pour conclure que la conduite de l’employeur allait à l’encontre du par. A‑1.01(2), lequel prévoit:

[traduction]

A-1.01 . . .

2. Un tableau hebdomadaire des heures de travail quotidiennes des employés à temps partiel est affiché au plus tard le jeudi à 18 heures, pour la semaine suivante . . .

Cette disposition est complétée par l’art. A‑1.04, soit la clause relative à l’attribution du [traduction] «plus grand nombre d’heures», ainsi libellée:

[traduction]

A-1.04 . . .

2. À compter du 23 mars 1986, lors de l’établissement de l’horaire de travail des employés à temps partiel d’un magasin, le plus grand nombre d’heures de travail à temps partiel chaque semaine est attribué aux employés du magasin, selon l’ancienneté au sein de la catégorie d’emploi et du rayon, pourvu que l’intéressé ait les qualités et la capacité requises pour exécuter le travail de façon compétente. . . .

. . .

4. L’horaire de travail des employés réguliers à temps partiel est affiché pour la semaine suivante, en même temps que celui des autres employés du magasin . . .

L’obligation pour l’employeur d’attribuer aux employés à temps partiel d’un service le plus grand nombre d’heures de travail à effectuer sur la base de leur ancienneté est limitée au service et à la catégorie d’emploi en question. Cependant, en cas de «réduction» au statut d’employé à temps partiel ou de mise à pied, l’article 12.03 prévoit que l’ancienneté régit le droit d’un employé de se voir attribuer des heures de travail dans tous les services. Cet article prévoit:

[traduction]

12.03 L’ancienneté des employés à temps plein ou à temps partiel, définie à l’article 12.01 ci‑dessus, s’applique en cas de réduction au statut d’employé à temps partiel, de mise à pied et de reprise du travail, pourvu que l’employé concerné ait les qualités et la capacité requises pour exécuter le travail de façon compétente.

Le conseil a souligné que, selon ces dispositions, rien ne justifiait d’établir une distinction entre le droit des employés à temps plein et celui des employés à temps partiel de se prévaloir de cette disposition permettant de «supplanter» d’autres employés.

[4] Puisque la réduction spectaculaire des heures normales de travail n’était justifiée par aucune raison légitime, telle l’attribution des heures à effectuer à un employé ayant plus d’ancienneté ou le manque de travail pour l’intéressée, le conseil a conclu que Mme Hardy s’était vu attribuer bien moins d’heures normales de travail qu’elle serait probablement tenue d’effectuer. En outre, il a conclu que le fait que l’employeur ait prévu pour Mme Hardy aussi peu qu’un quart hebdomadaire de 4 heures de travail, bien que le nombre d’heures travaillées par Mme Hardy soit toujours demeuré le même, faisait perdre tout sens à l’obligation d’établir des horaires de travail et constituait une violation du par. A‑1.01(2).

[5] À la lumière de ces conclusions de fait et de son interprétation de la convention collective, le conseil a conclu, à la p. 336:

[traduction] . . . puisque l’employeur a dérogé aux dispositions de la convention collective ayant trait à l’établissement des horaires de telle sorte qu’une employée ayant de l’ancienneté, l’auteur du grief, s’est vu attribuer beaucoup moins d’heures normales de travail, alors que d’autres employés ayant moins d’ancienneté se voyaient attribuer des heures de travail pour des tâches pour lesquelles l’auteur du grief avait les qualités et la capacité requises, il y a eu mise à pied déguisée.

II. La norme de contrôle

[6] Quant à la norme de contrôle applicable, la décision d’un conseil d’arbitrage est protégée par une clause privative qui prévoit que cette décision est «définitive et péremptoire», et la question en litige relève directement de l’expertise du conseil. La retenue est nettement justifiée et je conviens avec mes collègues que, puisque le conseil agissait dans les limites de sa compétence, le critère applicable est celui du caractère manifestement déraisonnable. Il s’agit donc pour notre Cour de décider si l’interprétation que le conseil a donnée à la convention collective et à la preuve dont il était saisi est manifestement déraisonnable.

III. Analyse

[7] Pour déterminer si la décision du conseil est raisonnable ou non, il est important d’examiner attentivement ses conclusions de fait, la mise à pied déguisée et la convention collective. J’analyse ces conclusions du conseil à tour de rôle.

a) Les conclusions de fait

[8] Étant donné que mes collègues ont exposé les faits, je me contente de souligner les conclusions de fait du conseil qui sont pertinentes pour l’analyse qui suit. Le conseil a conclu que l’auteur du grief, Mme Hardy, qui était une employée modèle de Safeway a vu ses heures normales de travail initiales, soit 37 heures par semaine, être ramenées à un seul quart hebdomadaire de quatre heures. Si après la mise en {oe}uvre de la nouvelle politique de la compagnie, fortement axée sur les rappels au travail, le total des heures travaillées par Mme Hardy n’a guère changé, c’est uniquement parce qu’elle se tenait à la disposition de l’employeur, prête à rentrer au travail s’il la rappelait. Selon cette politique, en dehors de ses heures normales de travail, l’employé est censé attendre chez lui un appel pouvant survenir 15 minutes à l’avance seulement ou ne pas venir du tout. Le conseil note que le refus de rentrer au travail entraînait une [traduction] «mauvaise note» au dossier de l’employé.

[9] Le conseil était donc appelé à juger si la réduction draconienne des heures normales de travail de Mme Hardy et le bouleversement de la relation employeur-employé qui s’ensuivait permettaient à celle-ci d’exercer ses droits d’ancienneté à titre d’employée à temps partiel en application de la convention collective. Étant donné que les conclusions de fait du conseil sont étroitement liées à sa conclusion à l’existence d’une mise à pied déguisée dans les circonstances de l’espèce, j’examinerai maintenant la façon dont il traite cette dernière question.

b) La mise à pied déguisée

[10] Le conseil emploie l’expression «mise à pied déguisée» pour montrer que, dans certains cas, parce que la relation employeur‑employé repose sur la mutualité et le consentement, l’action unilatérale de l’employeur qui entraîne une perturbation de la relation employeur-employé peut donner lieu à une mise à pied implicite. En d’autres termes, le conseil d’arbitrage a jugé que le concept de mise à pied déguisée fait référence au cas où il n’y a pas mise à pied formelle mais où l’action unilatérale de l’employeur a entraîné une perturbation grave de la relation d’emploi.

[11] Le conseil se fonde sur l’arrêt University Hospital c. Service Employees International Union, Local 333 U.H. (1986), 46 Sask. R. 19 (C.A.) (autorisation de pourvoi refusée [1986] 1 R.C.S. xiii) pour conclure qu’il y a mise à pied lorsque la relation employeur-employé est gravement perturbée. Il est admis, vu la décision Canada Safeway Ltd. c. Carey (1987), 65 Sask. R. 238 (B.R.), qu’une telle perturbation ne peut s’inférer du seul manquement à l’obligation d’établir des horaires.

[12] Étant donné que la convention collective ne définit pas la mise à pied et réfère uniquement au fait que l’ancienneté joue en cas de «réduction au statut d’employé à temps partiel, de mise à pied et de reprise du travail», le conseil a analysé cette notion pour voir si les circonstances de l’espèce équivalaient à une mise à pied. Il faut noter qu’il n’existe aucune définition uniforme de l’expression mise à pied. Ainsi que l’ont fait observer les auteurs Brown et Beatty dans Canadian Labour Arbitration (3e éd. 1997) (feuilles mobiles), au par. 6:2200, [traduction] «l’expression “mise à pied” est flexible et pourrait raisonnablement revêtir des sens différents selon les circonstances».

[13] Dans son analyse, le conseil a rejeté l’idée qu’il n’y a mise à pied qu’en cas de cessation d’emploi, de refus de fournir du travail à l’employé. Bien qu’il puisse s’agir du cas type de mise à pied, le conseil a jugé que d’autres circonstances spéciales pouvaient justifier de conclure à l’existence d’une mise à pied. En l’espèce, il considère que les circonstances qui lui sont soumises constituent ce qui est, à son avis, l’essence même de la mise à pied, soit une perturbation grave de la relation employeur-employé qui a une incidence sur les droits d’ancienneté. Je rappelle qu’il cite précisément à l’appui de cette proposition les motifs du juge Vancise de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt University Hospital, précité. Par conséquent, le conseil retient une conception de la mise à pied centrée sur la perturbation grave de la relation employeur-employé plutôt que sur la situation type qui suppose une réduction des heures de travail. L’idée sous‑jacente à cette approche est qu’exiger, vu les faits en l’espèce, une réduction substantielle du nombre d’heures pour conclure à la mise à pied déguisée, encouragerait une analyse formaliste des diverses circonstances dans lesquelles la mise à pied pourrait se produire. Cette façon d’aborder la mise à pied lui a permis de tenir compte de la situation réelle et d’aller au‑delà du nombre des heures travaillées pour conclure que, si le nombre total des heures travaillées par Mme Hardy est resté le même, c’est uniquement parce qu’elle a composé avec la situation. Cette conception large de la mise à pied, qualifiée de mise à pied déguisée, reflète, selon le conseil, ce qui est vraiment arrivé à l’employée en l’espèce.

[14] En adoptant cette conception de la mise à pied, le conseil a fait référence au concept du licenciement déguisé bien connu en droit du travail, sans pour autant y assimiler l’affaire dont il était saisi. Il n’a pas essayé de conclure à l’existence d’une forme atténuée de licenciement déguisé pour y raccrocher la mise à pied déguisée. Il a plutôt employé le qualificatif «déguisée» pour désigner une situation où, malgré l’absence d’une réduction des heures travaillées, il y a quand même eu mise à pied. En d’autres termes, ce n’est pas la notion du licenciement déguisé qu’il a retenue dans son interprétation de la mise à pied au regard de la convention collective, mais plutôt la dynamique d’une action unilatérale qui peut équivaloir à une violation anticipée du contrat, peu importe que l’employeur ait voulu maintenir la relation employeur-employé ou non. Tout comme l’élaboration du concept du «licenciement déguisé» a marqué la reconnaissance judiciaire du fait que le comportement de l’employeur pouvait être la cause d’une cessation d’emploi, le conseil, en qualifiant de «déguisée» la mise à pied survenue en l’espèce, a reconnu que les changements apportés unilatéralement à la relation employeur-employé qui entraînent une perturbation grave peuvent constituer une mise à pied, bien qu’il n’y ait pas eu modification ni réduction formelle des heures travaillées. Le qualificatif «déguisée» traduit en dernière analyse l’approche du conseil en matière de mise à pied qui reconnaît que, abstraction faite des apparences formelles, le contexte factuel est de première importance pour saisir la réalité des relations du travail. Il s’ensuit que, selon les circonstances, il peut être indiqué d’aller au‑delà du nombre formel des heures travaillées pour voir comment ces heures sont attribuées dans les faits et ce qu’elles représentent au regard de la convention collective.

[15] En concluant à l’existence d’une perturbation grave de la relation employeur-employé équivalant à une mise à pied déguisée, malgré le fait qu’il n’y ait pas eu nécessairement diminution du nombre d’heures travaillées, le conseil reconnaît que les heures de Mme Hardy ne sont restées les mêmes que parce qu’elle a réussi à composer avec la situation en se tenant prête à rentrer au travail à la demande de l’employeur. La conclusion qu’il y a eu mise à pied déguisée visait à décrire la situation réelle de Mme Hardy et était fondée sur ce que le conseil estimait être l’idée dominante de la mise à pied, savoir une perturbation grave de la relation employeur-employé.

[16] Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, qualifier la mise à pied de mise à pied «déguisée», n’implique pas la création de droits supplémentaires, mais plutôt la reconnaissance de droits existants. En employant ce qualificatif pour dépeindre ce qui est vraiment arrivé à Mme Hardy au regard de la convention collective, le conseil tient compte de la réalité du milieu de travail en l’espèce et donne effet aux droits et responsabilités des parties que prévoit la convention collective. La conclusion du conseil à l’existence d’une mise à pied déguisée est également étroitement liée à son interprétation de la convention collective, que j’examinerai maintenant.

c) La convention collective

[17] Ayant retenu la notion de mise à pied déguisée exposée ci‑dessus, le conseil s’est ensuite demandé de quelle façon l’action unilatérale de l’employeur avait gravement perturbé la relation employeur-employé, au sens de la convention collective, au point que Mme Hardy avait le droit d’exercer ses droits d’ancienneté. L’élément central de cette analyse est la conclusion que l’employeur a violé les dispositions de la convention collective concernant l’établissement des horaires.

[18] Le conseil d’arbitrage a conclu que l’horaire arrêté par l’employeur comportait si peu d’heures que l’obligation d’établir des horaires se trouvait dénuée de tout sens, ce qui équivalait à une violation de la convention collective. C’est ce qui ressort clairement du passage suivant de sa décision, à la p. 336:

[traduction] Le conseil estime que l’employeur ne peut inscrire à l’horaire si peu d’heures qu’il fait perdre tout sens à l’obligation d’établir des horaires prévue par le par. A‑1.01(2) de la convention collective. La réduction des heures normales de travail à quatre heures par semaine, alors que l’auteur du grief travaillait régulièrement 20 à 24 heures en moyenne par semaine — soit le même nombre d’heures qu’avant la réduction — constitue une violation du par. A‑1.01(2).

L’interprétation faite par le conseil du par. A‑1.01(2) de la convention collective met l’accent non pas sur l’obligation de l’employeur d’afficher un horaire de travail dans un délai donné, mais plutôt sur la nature de l’horaire à afficher. Après avoir examiné les dispositions relatives à l’établissement des horaires, il a conclu que l’employeur était tenu de déterminer les heures de travail à temps partiel nécessaires à l’exploitation de son entreprise et de les inscrire à l’horaire. En fait, le conseil a jugé que l’employeur n’affichait pas vraiment un horaire mais s’en remettait simplement aux rappels au travail, lancés de façon régulière. Comme il n’a rien affiché qu’on puisse qualifier d’horaire, l’employeur a manqué à son obligation. Selon le conseil, l’obligation contractée sous le régime du par. A‑1.01(2) de la convention collective porte donc à la fois sur l’affichage de l’horaire et sur son établissement.

[19] Par cette façon de concevoir l’obligation d’établir des horaires, le conseil cherchait à donner un effet réel aux droits et obligations issus de la relation employeur-employé et à en arriver à une interprétation conforme à la volonté de l’une et l’autre parties. En refusant d’interpréter restrictivement la disposition relative à l’établissement des horaires, de la réduire à une simple obligation d’affichage, le conseil a voulu refléter l’attente de l’employée, en application de la convention collective, à ce que soit affiché un véritable horaire assurant la notification des heures de travail à effectuer.

[20] Outre la violation des dispositions relatives à l’établissement des horaires, le conseil, pour conclure à l’existence d’une mise à pied déguisée, se fonde sur la nature de la conduite de l’employeur, qu’il analyse aux pp. 332 et 333, 335, 336 et 337:

[traduction] Il est entendu que la non‑attribution d’heures normales de travail ou la réduction des heures normales de travail d’un employé à temps partiel ne permettent pas à elles seules de conclure qu’il y a eu mise à pied, mais en l’espèce, l’employeur a réduit de façon draconienne les heures normales de travail de l’auteur du grief, tout en la rappelant au travail à peu près pour le même nombre d’heures qu’elle faisait avant cette réduction.

. . .

. . . le fait que les heures normales de l’auteur du grief aient été réduites de façon draconienne, alors que le total des heures qu’elle travaillait est resté le même dans les faits, conduit inexorablement à conclure que le nombre des heures normales de travail qui lui était attribué était bien inférieur au nombre des heures devant raisonnablement être effectuées.

. . .

Le conseil conclut donc que, puisque l’employeur a dérogé aux dispositions de la convention collective ayant trait à l’établissement des horaires de telle sorte qu’une employée ayant de l’ancienneté, l’auteur du grief, s’est vu attribuer beaucoup moins d’heures normales de travail, alors que d’autres employés ayant moins d’ancienneté se voyaient attribuer des heures de travail pour des tâches pour lesquelles l’auteur du grief avait les qualités et la capacité requises, il y a eu mise à pied déguisée.

En conséquence l’auteur du grief a droit aux avantages prévus par la convention collective en raison de son ancienneté dans les cas de mise à pied. Selon le conseil, cela signifie que l’auteur du grief doit obtenir des heures normales de travail pour effectuer les tâches pour lesquelles elle a les qualités et la capacité requises de préférence aux employés moins anciens. [Je souligne.]

En d’autres termes, le conseil est d’avis que Mme Hardy était en droit de faire valoir ses droits d’ancienneté à cause de la façon dont l’employeur avait violé les dispositions relatives à l’établissement des horaires, et parce qu’il y avait des employés ayant moins d’ancienneté qu’elle pouvait évincer.

[21] En effet, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, pour conclure à la mise à pied déguisée, le conseil a pris en compte la mauvaise foi implicite dont a fait preuve l’employeur dans l’établissement et l’affichage de l’horaire de travail. Il a noté tout particulièrement que le nombre d’heures normales de travail attribuées à Mme Hardy était bien inférieur au nombre d’heures qu’elle aurait à effectuer et qu’aucun motif légitime n’explique cette lacune sous le régime de la convention collective. La pertinence de ce facteur est évidente dans l’arrêt University Hospital, précité, où le juge Vancise de la Cour d’appel de la Saskatchewan a invoqué, à l’appui sa conclusion qu’il n’y avait pas mise à pied (l’employeur avait unilatéralement réduit de 15 minutes la journée de travail de tous les employés à temps partiel), le fait que la demande de l’employeur pour le travail à temps partiel était jugée «de bonne foi» et conforme à la convention collective. En l’espèce, selon le conseil, c’est justement cet élément de bonne foi qui fait défaut dans la détermination des heures à effectuer et l’établissement des horaires en conformité avec les dispositions de la convention collective, et c’est cette lacune qui lui permet d’envisager le grief sous l’angle de la mise à pied. Tout en reconnaissant qu’un simple grief portant sur l’établissement des horaires n’a généralement rien à voir avec la mise à pied, le conseil a conclu, compte tenu des faits de l’espèce, que l’employeur avait réduit de façon draconienne les heures normales de travail de Mme Hardy, mais avait continué de la rappeler au travail pour effectuer à peu près le même nombre d’heures qu’avant la réduction. Implicitement, pour le conseil, il y avait mauvaise foi de la part de l’employeur. Par conséquent, celui‑ci n’avait pas seulement négligé d’afficher un horaire, il avait effectué une modification unilatérale de la relation employeur-employé qui entraînait une perturbation grave et équivalait, essentiellement, à une mise à pied. Selon le conseil, cette situation permettait à Mme Hardy d’exercer les droits d’ancienneté prévus à la convention collective.

[22] Le conseil d’arbitrage a également jugé pertinent le fait que des employés ayant moins d’ancienneté obtenaient des heures normales de travail pour effectuer des tâches que Mme Hardy aurait pu elle-même faire. Autrement dit, il a reconnu que celle‑ci avait le droit d’évincer d’autres employés et qu’elle pouvait exercer ce droit en cas de mise à pied.

[23] En conclusion, la démarche suivie par le conseil s’accorde avec son interprétation de la convention collective, soit que chaque fois qu’il y a «réduction» du personnel par l’employeur, celui-ci doit respecter les droits d’ancienneté. Le conseil a conclu que, par son action unilatérale, l’employeur a violé les dispositions relatives à l’établissement des horaires de la convention collective, ce qui a donné lieu à une mise à pied faisant jouer les droits d’ancienneté. À son avis, en raison de la perturbation grave de la relation employeur-employé causée par l’action de l’employeur, il ne s’agit pas simplement d’un grief en matière d’horaire de travail. Il a donc jugé que si l’employeur cherchait à réduire son personnel en vue de maximiser sa souplesse en matière de gestion du personnel, il ne pouvait le faire en violation de la convention collective qui, du fait de la conclusion du conseil à l’existence d’une mise à pied, garantissait à Mme Hardy le droit d’évincer d’autres employés. Bref, ayant fait l’objet d’une mise à pied déguisée, Mme Hardy pouvait faire valoir son droit d’évincer d’autres employés.

IV. Le caractère raisonnable des conclusions du conseil

[24] Compte tenu de l’analyse qui précède des conclusions de fait du conseil, de la conclusion du conseil à l’existence d’une mise à pied déguisée et de son interprétation des dispositions de la convention collective, reste la question de savoir si, dans les circonstances du litige, sa décision est manifestement déraisonnable.

[25] La conclusion de mes collègues que cette décision est manifestement déraisonnable repose sur l’argument selon lequel il ne peut y avoir mise à pied, déguisée ou non, sans réduction substantielle des heures travaillées. Pour l’essentiel, ils soutiennent en premier lieu que le conseil a adopté à tort une conception libérale de la mise à pied au regard des faits de l’espèce, lesquels ne permettent pas de conclure à la mise à pied déguisée et, en second lieu, que le conseil a accordé une réparation n’ayant aucun lien rationnel avec le manquement reproché. Ces erreurs, disent‑ils, ont abouti à une conclusion manifestement déraisonnable. Avec égards, et pour les motifs qui suivent, je ne puis convenir que le conseil a commis une erreur dans son analyse du grief de Mme Hardy, ni qu’il a tiré une conclusion déraisonnable.

[26] En premier lieu, en ce qui a trait aux conclusions de fait du conseil, elles ne sont pas contestées et notre Cour a réitéré à maintes reprises qu’il s’agit là du domaine par excellence où le conseil jouit d’un avantage significatif de sorte que ses conclusions ne devraient pas être modifiées (Stein c. Le navire «Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802; Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103, à la p. 1148). Plus récemment, concernant une affaire où une commission d’enquête avait conclu à la discrimination, le juge La Forest a souligné dans l’arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, l’importance qu’il y avait à faire preuve de retenue à l’égard de l’expertise supérieure des tribunaux administratifs en ce qui concerne l’appréciation des faits et les inférences complexes qu’ils en tiraient, à la p. 849:

Une conclusion à l’existence de discrimination repose essentiellement sur des faits que la commission d’enquête est la mieux placée pour évaluer. La commission a entendu un nombre considérable de témoignages sur l’allégation de discrimination et a dû apprécier la crédibilité des témoins et faire des déductions, à partir de la preuve factuelle qui lui était soumise, pour statuer sur l’existence de discrimination. Étant donné la complexité des déductions probatoires découlant des faits présentés à la commission d’enquête, il convient de faire preuve d’une certaine retenue envers la conclusion à l’existence de discrimination, vu l’expertise supérieure de la commission d’enquête en matière d’appréciation des faits.

Comme pour la discrimination, la conclusion du conseil à l’existence d’une mise à pied déguisée repose sur des déductions complexes tirées de la preuve dont le conseil était saisi et qu’il était le mieux placé pour apprécier.

[27] Selon un principe bien établi et particulièrement pertinent en l’espèce, l’interprétation des conventions collectives et leur application à une situation factuelle particulière sont au c{oe}ur de l’expertise des tribunaux du travail et des conseils d’arbitrage, et il convient de ne pas modifier à la légère leurs conclusions à ce sujet (Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941). Ainsi que l’a fait observer le juge Sopinka dans l’arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579, c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, à la p. 339, au sujet des conclusions tirées par un arbitre du travail:

Les questions à résoudre pour arriver à ces conclusions comportaient l’interprétation de la convention collective et son application à une situation factuelle particulière -- des sujets qui constituent le domaine d’expertise fondamental d’un arbitre. Si on la conjugue à l’objet et au texte de l’art. 88 qui confère à l’arbitre une compétence exclusive pour régler définitivement les différends qui découlent de l’interprétation ou de l’application de la convention collective, l’expertise relative de l’arbitre exige qu’une cour de justice fasse preuve de retenue à l’égard de la décision de l’arbitre en l’espèce, à moins que celle‑ci ne soit jugée manifestement déraisonnable.

Par conséquent, la conclusion du conseil, fondée sur des inférences tirées des éléments de preuve dont il était saisi et sur son interprétation de la convention collective, doit faire l’objet de la plus grande retenue.

[28] Les conclusions de fait particulièrement pertinentes en ce qui concerne la sentence arbitrale en l’espèce incluent celles qui suivent. En premier lieu, l’action de l’employeur a causé une grave perturbation de la relation employeur-employé. En deuxième lieu, il n’a pas affiché un véritable horaire de travail qui aurait utilement informé les employés des heures qu’ils auraient à travailler pendant la semaine. En troisième lieu, Mme Hardy a été régulièrement rappelée au travail malgré une diminution draconienne des heures normales de travail qui lui étaient attribuées, et ses heures de travail auraient été considérablement réduites si, en dépit des inconvénients, elle ne s’était pas tenue à la disposition de l’employeur pour rentrer au travail à sa demande. Enfin, des employés ayant moins d’ancienneté qui ont obtenu avant Mme Hardy des heures normales de travail dans d’autres services auraient pu être supplantés par l’exercice des droits d’ancienneté qu’elle pouvait invoquer dans ces circonstances. Ces conclusions du conseil sont fondées sur les faits dont il était saisi et qui n’ont pas été contestés.

[29] Quant aux inférences tirées par le conseil de ces conclusions de fait, celui‑ci avait compétence pour apprécier les faits et en tirer des conclusions. Les motifs qu’il a exposés pour les expliquer ne sont ni arbitraires ni frivoles, et sont fondés sur la preuve. Ils sont également convaincants. La Cour doit donc respecter la rationalité inhérente et autonome des motifs du conseil (David Dyzenhaus, «The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy», dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, à la p. 289). Les motifs du conseil doivent faire l’objet du plus grand respect et de la plus grande retenue (Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, aux pp. 507 à 509). Je ne peux pas voir comment on peut remettre en question le caractère raisonnable de ces conclusions, et encore moins comment on peut les juger manifestement déraisonnables.

[30] En ce qui concerne l’interprétation de la convention collective, le conseil a tiré les conclusions suivantes. En premier lieu, la convention collective ne définit pas l’expression mise à pied. En deuxième lieu, la mise à pied est un concept flexible qui se prête à différentes interprétations selon les circonstances. Le conseil a retenu une définition fondée sur la jurisprudence et adaptée à la situation réelle dont il était saisi. Enfin, en troisième lieu, il a interprété la convention collective de façon à donner effet à la volonté de l’une et l’autre parties. Il a adopté le concept de la mise à pied déguisée, non pour ajouter aux droits et obligations prévus par la convention collective, mais simplement pour dépeindre la réalité d’une situation qui, en l’espèce, permet à Mme Hardy d’exercer ses droits d’ancienneté. De même, l’interprétation des conventions collectives relève fondamentalement de son expertise et ses conclusions à ce sujet ne doivent pas être modifiées à la légère. Encore une fois, les motifs du conseil sont explicites, rationnels et fondés sur les faits. Ils ne sont ni frivoles, ni arbitraires, ni irrationnels.

[31] Le principal argument avancé par l’intimée, et auquel mes collègues font droit, est que le conseil a commis une erreur dans sa façon d’aborder la mise à pied et dans son appréciation des faits à cet égard. Selon mes collègues, il n’y a mise à pied que s’il y a réduction substantielle des heures travaillées. Ils concluent qu’il n’y a pas eu mise à pied dans les circonstances de l’espèce et que, par conséquent, la réparation accordée par le conseil était manifestement déraisonnable. Avec égards, pareille conclusion revient à substituer leur avis à celui du conseil.

[32] Puisqu’il n’y a aucune définition de l’expression mise à pied dans la convention collective et que le conseil a compétence pour apprécier la réalité de ce qui s’est passé en l’espèce -- en fait, il est tenu de le faire -- et qu’il lui incombe d’interpréter les dispositions de la convention collective, il était parfaitement légitime de sa part de conclure, au regard des faits de l’espèce, qu’il y a eu mise à pied sous le couvert de l’établissement des horaires. Je ne puis conclure que le conseil a excédé sa compétence ni qu’il a commis une erreur en interprétant de cette façon la convention collective et le grief dont il était saisi. Même si j’avais conclu à pareille erreur, ce ne serait certainement pas une erreur manifestement déraisonnable. Comme il ressort de mon examen de l’analyse faite par le conseil, cette analyse n’est ni arbitraire ni irrationnelle puisqu’elle est étayée par les faits de même que par la convention collective. Au contraire, le raisonnement suivi par le conseil est clair et ses motifs sont explicites et rationnels.

[33] Il se peut que l’approche adoptée par le conseil à l’égard de la mise à pied déguisée soit inédite, mais l’élaboration des principes en droit du travail et l’interprétation des conventions collectives à la lumière des réalités du milieu du travail, relèvent de sa compétence spécialisée. La question n’est pas, comme le pensent mes collègues, que le conseil a appliqué à tort le concept du licenciement déguisé de la common law dans le contexte d’une convention collective. La question est plutôt de savoir s’il était raisonnable de sa part de recourir au concept de mise à pied «déguisée» pour caractériser la réalité de la situation devant lui. À mon avis, il ne cherchait pas, comme on l’a dit, à changer le sens communément compris et accepté de la mise à pied. Au contraire, il a exercé son expertise pour se prononcer sur ce qui s’est réellement passé, à la lumière des disposions de la convention collective applicable. Peu importe la nomenclature qui a servi à la formulation de sa décision, ce qui compte, c’est sa conclusion que l’action unilatérale de l’employeur a causé une perturbation grave de la relation employeur-employé, ce qui n’était pas admissible à la lumière de son interprétation de la convention collective et donnait à Mme Hardy le droit d’évincer d’autres employés.

[34] De même, je ne peux accepter l’argument de mes collègues voulant que le conseil ait commis une erreur en transformant une plainte concernant l’établissement des horaires en une question de mise à pied. Comme je l’ai déjà noté, la portée donnée au grief et la conclusion à l’existence d’une mise à pied à laquelle le conseil est parvenu n’étaient pas fondées uniquement sur un simple manquement aux dispositions relatives à l’établissement des horaires. Restreindre l’affaire à une simple question d’établissement d’horaire reviendrait à ignorer que le conseil a conclu à une perturbation grave de la relation employeur-employé en violation des dispositions de la convention collective, telles qu’il les interprète. En l’espèce, mes collègues substituent simplement leur avis à celui du conseil, ce qui n’est pas permis selon les normes de contrôle judiciaire.

[35] Enfin, je note que pour conclure au caractère manifestement déraisonnable, mes collègues se fondent en grande partie sur le fait que le conseil aurait accordé une réparation n’ayant aucun lien rationnel avec le grief. Ils citent l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, à l’appui du principe juridique voulant que le tribunal administratif qui accorde une réparation n’ayant aucun lien rationnel avec le manquement reproché excède sa compétence et rend une décision manifestement déraisonnable. C’est cet arrêt qui, à leur avis, «peut servir de fondement au contrôle de la décision du conseil dans le présent pourvoi» (par. 67). Avec égards, j’estime que ce principe n’a pas d’application dans les circonstances présentes. La question de la rationalité de la réparation découle nécessairement de la conclusion à l’existence d’un manquement à la convention collective qu’a tirée le conseil. L’appréciation de ce qui représente un lien rationnel est subordonnée à la définition du manquement par le conseil et non à l’opinion de la Cour quant à la façon dont il aurait dû l’interpréter. Étant donné le caractère raisonnable des conclusions du conseil, la réparation qu’il a accordée était tout à fait logique et prévue par la convention collective. Il s’ensuit que la rationalité de la réparation ne peut être invoquée pour justifier le contrôle de la décision du conseil.

[36] En dernière analyse, toute appréciation du caractère raisonnable de la conclusion du conseil doit tenir compte de son processus de raisonnement. Ainsi que l’a noté le professeur Dyzenhaus, op. cit., doivent être respectés l’autonomie et la rationalité inhérente potentielle du processus administratif ainsi que les critères propres au tribunal administratif en matière de rationalité, lesquels peuvent fort bien être différents des critères du processus judiciaire.

[37] En l’espèce, on est frappé par l’analyse attentive et pondérée des faits et de la notion de mise à pied déguisée qu’a faite le conseil ainsi que par son interprétation de la convention collective et de l’ensemble des faits qui lui étaient soumis, lesquelles lui ont permis de conclure comme il l’a fait et d’accorder la réparation qui s’imposait. Les conclusions tirées ainsi que la réparation accordée avaient un fondement rationnel et étaient étayées par les circonstances devant le conseil. Dans le cadre de sa compétence et de son expertise, celui‑ci a adopté une démarche pour caractériser et corriger les circonstances très particulières dont il était saisi. La notion de mise à pied déguisée lui a permis de prendre acte du fait qu’un employé pouvait être mis à pied tout en continuant à travailler, et de corriger une situation où, s’il n’y avait pas changement formel dans le nombre d’heures travaillées, il y avait une perturbation grave de la relation employeur-employé. Cette façon de procéder n’a pas créé de nouvelles obligations sous le régime de la convention collective. Elle a plutôt permis au conseil d’apprécier la réalité moderne du milieu du travail et de donner effet aux droits et obligations des parties prévus par la convention collective. À mon avis, le conseil n’a pas tiré de ce fait une conclusion manifestement déraisonnable. Toute la démarche suivie par le conseil relève de sa compétence exclusive en matière d’interprétation et d’application de la convention collective au conflit du travail dont il était saisi. Bien que je ne constate la présence d’aucune erreur dans la démarche du conseil, le fait que celle-ci soit en dernière analyse correcte ou non importe peu, et je ne puis conclure qu’elle était manifestement déraisonnable.

V. Conclusion

[38] Pour ces motifs, je suis d’avis que la conclusion tirée par le conseil, soit que Mme Hardy a fait l’objet d’une mise à pied déguisée l’autorisant à exercer son droit d’évincer d’autres employés, de même que son interprétation de la convention collective et sa conclusion à l’existence d’une perturbation grave de la relation employeur-employé, sont rationnellement étayées par les faits de la présente affaire. Cette conclusion permet d’éviter d’en arriver à un résultat anormal par rapport au pourvoi connexe Battlefords, précité, en ce qu’elle n’exige pas de pénaliser un employé qui a su composer avec la situation. S’il n’y a pas eu réduction formelle des heures travaillées par Mme Hardy, c’est uniquement parce qu’elle se tenait à la disposition de l’employeur et acceptait de rentrer au travail. En définitive, conclure comme le conseil l’a fait à l’existence d’une perturbation de la relation employeur-employé suffisante pour constituer une mise à pied, malgré l’absence d’un changement formel des heures travaillées, était non seulement une décision qui n’était pas manifestement déraisonnable mais, à mon avis, c’était une décision raisonnable.

[39] Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer la décision de la Cour d’appel, et de rétablir la sentence arbitrale, le tout avec dépens dans toutes les cours.

//Les juges Cory et McLachlin//

Version française du jugement des juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache rendu par

[40] Les juges Cory et McLachlin — Est‑il manifestement déraisonnable de conclure qu’un employé dont les heures réelles de travail restent constantes, mais dont les heures normales de travail sont réduites, a été mis à pied de façon déguisée? C’est la question qu’il faut trancher en l’espèce.

Les faits

[41] Kelly Hardy a commencé à travailler chez Safeway en tant que commis à temps partiel dans le rayon de la charcuterie en 1986. Elle a aussi reçu une formation lui permettant de travailler dans le rayon des viandes, dans une catégorie d’emploi différente. Ses heures normales de travail, soit en moyenne 37 heures par semaine, étaient réparties dans les deux rayons. Madame Hardy travaillait un certain nombre d’heures variable selon un horaire et le reste sur appel. L’horaire de travail des employés était affiché le jeudi pour la semaine suivante et, si des heures de travail sur appel devaient être attribuées, on rappelait au travail les employés à temps partiel.

[42] En 1989, le nombre d’heures normales de travail de Mme Hardy est réduit et varie de 30 à 37 heures. On l’a avisée qu’elle ne pouvait plus être commis à la fois dans le rayon de la charcuterie et dans celui des viandes. Elle a choisi de continuer à travailler dans le rayon des viandes parce qu’elle s’attendait à ce qu’il y ait plus d’heures de travail à effectuer dans ce rayon. Cependant, après la mutation, ses heures normales de travail sont encore abaissées pour se situer entre 24 et 26 heures. Elles sont ensuite ramenées à un quart de quatre heures par semaine. En raison des «rappels au travail», cependant, le nombre des heures réelles de travail n’a pas beaucoup changé.

[43] À cette époque, des employés débutants du rayon de la charcuterie, où Mme Hardy avait été formée initialement, se voyaient attribuer plus d’heures normales de travail qu’elle‑même dans le rayon des viandes.

[44] Madame Hardy a formulé un grief au sujet de la réduction de ses heures normales de travail, alléguant une violation de la clause relative à l’attribution du [traduction] «plus grand nombre d’heures» de la convention collective et elle a réclamé des heures normales de travail dans le rayon de la charcuterie. Aux termes de cette clause, l’attribution des heures de travail à temps partiel se fait selon l’ancienneté [traduction] «au sein de la catégorie d’emploi et du rayon» pourvu que l’employé ait les qualités et la capacité requises.

Les décisions des tribunaux d’instance inférieure

Le conseil d’arbitrage (1994), 44 L.A.C. (4th) 325

[45] Le conseil d’arbitrage a accueilli le grief de Mme Hardy à la majorité. Il a conclu que la réduction substantielle de ses heures de travail, conjuguée à l’attribution d’heures normales de travail à des employés ayant moins d’ancienneté pour exécuter des tâches pour lesquelles elle était qualifiée, constituait une [traduction] «mise à pied déguisée» lui donnant le droit de [traduction] «supplanter» les employés ayant moins d’ancienneté qu’elle et d’obtenir des heures normales de travail dans toutes les catégories d’emploi au sein des rayons.

[46] Bien que la question de la mise à pied n’ait pas été soulevée expressément dans le grief de Mme Hardy, le conseil a conclu qu’elle était liée à sa plainte au sujet de la réduction de ses heures de travail.

[47] Le conseil a fait remarquer que la convention collective exigeait que l’employeur affiche avant 18 h le jeudi l’horaire de travail des employés à temps partiel pour la semaine suivante et que l’ancienneté régissait l’attribution des heures de travail à temps partiel.

[48] Le conseil a conclu que la perte d’heures normales de travail subie par Mme Hardy ne résultait pas de l’attribution de ses heures de travail à des employés ayant plus d’ancienneté qu’elle ni d’une pénurie de travail. Elle était plutôt attribuable à la recherche par l’employeur d’une souplesse dans l’établissement des horaires pour réduire les coûts. Selon le conseil, le fait que les heures normales de travail de Mme Hardy aient été ramenées à un quart hebdomadaire de quatre heures alors que ses services continuaient d’être requis pendant un nombre d’heures beaucoup plus élevé indiquait que Safeway n’appliquait pas adéquatement la disposition de la convention collective relative à l’établissement des horaires. Même si la convention collective n’interdisait pas à Safeway de rappeler des employés au travail au fur et à mesure que leurs services étaient requis, le conseil a conclu que l’employeur ne pouvait pas réduire les heures normales de travail au point d’enlever tout sens à l’obligation d’établir des horaires de travail.

[49] Le conseil a jugé, à la p. 336, que l’employeur [traduction] «a dérogé aux dispositions de la convention collective ayant trait à l’établissement des horaires de telle sorte [que . . .] l’auteur du grief [. . .] s’est vu attribuer beaucoup moins d’heures normales de travail [. . . et qu’]il y a eu mise à pied déguisée». Il a conclu que Mme Hardy devait jouir des avantages accordés à l’employé mis à pied et que les dispositions relatives à l’ancienneté devaient s’appliquer, lui accordant préséance sur les employés ayant moins d’ancienneté en ce qui concerne les tâches pour lesquelles elle était qualifiée.

[50] Un des trois arbitres était dissident. Il trouvait illogique qu’une employée à temps partiel qui travaillait le même nombre d’heures, dans le même magasin, au même rayon et dans la même catégorie d’emploi puisse être réputée mise à pied. Il n’était pas d’accord non plus pour accorder à l’auteur du grief des mesures correctives applicables à la mise à pied dans le cas d’une dérogation à la disposition relative à l’établissement des horaires. Selon lui, la réparation qu’il convenait plutôt d’accorder était une ordonnance pour corriger les lacunes relatives à l’établissement des horaires.

La Cour du Banc de la Reine (1995), 132 Sask. R. 318

[51] Le juge Scheibel a statué que, bien que lui‑même eût pu arriver à une conclusion différente, la sentence du conseil d’arbitrage n’était pas manifestement déraisonnable. La sentence a donc été confirmée.

La Cour d’appel (1996), 141 Sask. R. 213

[52] Le juge Wakeling a amorcé son examen de la décision du conseil en faisant remarquer que l’expression «mise à pied déguisée» n’avait pas été reconnue ou appliquée par les tribunaux ni les conseils d’arbitrage. Il a dit douter que la notion de licenciement déguisé qui vient du droit de l’emploi puisse s’appliquer à une mise à pied généralement définie comme une période durant laquelle le travailleur est congédié temporairement. Il s’est dit d’avis que l’expression mise à pied «déguisée» donne à penser que l’employé n’a pas été réellement mis à pied et qu’en ajoutant le qualificatif «déguisée», le conseil a créé en faveur de l’employée des droits supplémentaires qui n’étaient pas envisagés par l’emploi des mots «mise à pied» dans la convention collective. De plus, le juge Wakeling n’était pas convaincu que l’employé qui travaille pour le même employeur, dans le même rayon, pendant le même nombre d’heures pouvait être considéré comme ayant fait l’objet d’une mise à pied quel que soit le sens attribué à cette expression. Il a conclu que l’ajout du mot «déguisée» ne permettait pas de modifier légitimement les éléments fondamentaux de la mise à pied.

[53] Le juge Wakeling a analysé la jurisprudence portant sur le sens de l’expression «mise à pied». Il a conclu que la mise à pied devait comporter, à tout le moins, une réduction substantielle des heures de travail. Il a noté que ce n’était pas le cas dans la présente affaire où il n’y a eu aucune réduction des heures réelles de travail.

[54] Le juge Wakeling a statué qu’en qualifiant de «mise à pied déguisée» le sort réservé à Mme Hardy, le conseil lui a donné accès comme par magie à des dispositions de la convention collective qui normalement n’auraient pas pu être invoquées. Il a conclu qu’une telle interprétation de la convention était manifestement déraisonnable car elle lui donnait un sens qu’elle ne pouvait pas raisonnablement avoir.

[55] Selon le juge Wakeling, les parties à la convention collective voulaient manifestement qu’il y ait une différence entre le traitement des employés mis à pied et celui des autres employés. En outre, en l’absence d’une définition de l’expression «mise à pied», il était raisonnable de supposer que les parties s’estimaient en mesure de reconnaître les cas où un employé faisait l’objet d’une mise à pied. Enfin, il a fait observer que rien dans la disposition relative aux mises à pied ne portait à croire qu’elle s’appliquerait à une personne qui continue d’être employée mais dont le nombre d’heures normales de travail a été réduit.

[56] Le juge Wakeling a accueilli l’appel et a annulé la sentence du conseil.

Les dispositions législatives pertinentes

[57] The Trade Union Act, R.S.S. 1978, ch. T‑17, art. 25:

[traduction]

25. -- (1) Lorsqu’une convention collective contient une clause prévoyant le règlement définitif par arbitrage, sans recours à l’arrêt de travail, des différends relatifs à son interprétation, son application ou sa violation pouvant survenir entre les parties, les personnes qu’elle régit ou au nom desquelles elle a été conclue, la conclusion de l’arbitre ou du conseil d’arbitrage:

a) est définitive et péremptoire;

b) lie les parties en ce qui concerne toutes les questions relevant de la compétence législative de la législature de la Saskatchewan;

c) est exécutoire de la même manière qu’une ordonnance rendue par le conseil en vertu de la présente loi.

Quelle est la norme appropriée de contrôle judiciaire?

[58] La cour de justice qui contrôle une décision bénéficiant de la protection d’une clause privative qu’a rendue un tribunal des relations de travail appelé à interpréter ou à appliquer une convention collective ne peut intervenir que s’il y a eu erreur manifestement déraisonnable. (Voir Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 et Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487). Ce degré élevé de retenue est essentiel au maintien de l’intégrité d’un système devenu aussi efficace et efficient dans le règlement des conflits qui surviennent dans le domaine délicat des relations du travail. La nature des conflits de travail exige qu’ils soient résolus rapidement par des tribunaux spécialisés. Par la clause de protection insérée dans la Trade Union Act, le législateur a reconnu la nécessité fondamentale de la retenue dont doivent faire preuve les tribunaux à l’égard des décisions des conseils d’arbitrage.

[59] Le paragraphe 25(1) de la Loi énonce que la conclusion de l’arbitre ou du conseil d’arbitrage est «définitive et péremptoire» et «lie les parties». Bien qu’il ne s’agisse pas d’une véritable clause privative, cette disposition s’en rapproche beaucoup. Dans l’arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, le juge Sopinka a examiné une loi relative à un conseil d’arbitrage qui contenait une disposition législative similaire. Elle prévoyait que les questions soulevées par l’interprétation d’une convention collective devaient être soumises à l’arbitrage «pour règlement final». Il a été jugé que la retenue judiciaire était justifiée à l’égard de la décision du conseil d’arbitrage. On a fait observer, à juste titre, qu’un contrôle judiciaire à portée illimitée aurait pour effet de déjouer l’objectif de l’arbitrage obligatoire qui est de fournir un moyen efficace et efficient de résoudre les conflits dans ce domaine. Ces remarques sont pertinentes en l’espèce.

[60] De plus, dans la présente affaire, le conseil a agi dans les limites de sa compétence exclusive pour interpréter et appliquer la convention collective lorsqu’il s’est demandé si les dispositions relatives à la mise à pied s’appliquaient au cas de Mme Hardy. Il s’ensuit qu’il ne fait aucun doute que la norme appropriée de contrôle dans la présente affaire est celle du caractère manifestement déraisonnable.

[61] Cette norme de contrôle est maintenant bien établie et acceptée. Elle exige que le contrôle judiciaire soit exercé avec retenue. C’est une norme très sévère à laquelle il ne sera pas facile de satisfaire. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, précité, il est dit, aux pp. 963 et 964:

Ce qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre. Pourtant, pour définir un critère nous ne disposons que de mots, qui forment, eux, les éléments de base de tous les motifs. Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. Dans le Grand Larousse de la langue française, l’adjectif manifeste est ainsi défini: «Se dit d’une chose que l’on ne peut contester, qui est tout à fait évidente». On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante: «Qui n’est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens». Eu égard donc à ces définitions des mots «manifeste» et «déraisonnable», il appert que si la décision qu’a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n’est pas clairement irrationnelle, c’est‑à‑dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu’il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s’agit là d’un critère très strict.

[62] Pour justifier l’intervention des tribunaux, la décision de l’arbitre ne doit pas être simplement déraisonnable. Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 57, le juge Iacobucci a exposé la différence entre la décision déraisonnable et la décision manifestement déraisonnable:

La différence [ . . .] réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui‑ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s’il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable.

[63] La cour de justice qui contrôle la décision ne peut pas intervenir simplement parce qu’elle n’est pas d’accord avec le raisonnement suivi par le conseil d’arbitrage ou qu’elle serait arrivée à une conclusion différente. Ce serait usurper le pouvoir du tribunal administratif et lui interdire d’arriver à des conclusions erronées dans son domaine de connaissances spécialisées.

[64] Si un conseil d’arbitrage prétend agir d’une manière qui excède manifestement la compétence qui lui est conférée dans sa loi habilitante, sa décision est incorrecte, et donc invalide, mais elle serait aussi manifestement déraisonnable. De même, certaines erreurs marquées particulières sont si manifestement déraisonnables que la décision du conseil devrait être annulée. Il peut être utile d’examiner brièvement les cas où notre Cour a conclu que la décision d’un conseil pouvait être jugée manifestement déraisonnable.

[65] Dans l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, la situation était devenue dangereuse dans la collectivité en raison de l’impasse dans laquelle se trouvaient les mineurs et l’employeur. Dans les circonstances, la Cour a approuvé à la majorité la solution exceptionnelle retenue par le Conseil canadien des relations du travail pour mettre fin au conflit. Toutefois, on a fait remarquer, à la p. 403:

si le Conseil accorde une réparation qui n’a pas de lien rationnel avec la violation et ses conséquences, ou qui est incompatible avec les objectifs visés par la loi, il excède sa compétence. Sa décision est alors manifestement déraisonnable.

[66] Dans l’arrêt Conseil de l’éducation de Toronto (Cité), précité, notre Cour a annulé la sentence du conseil d’arbitrage ordonnant la réintégration d’un enseignant. Elle a jugé que la décision du conseil était contredite de façon accablante par la preuve établissant que le congédiement était fondé sur une cause juste. En concluant que la sentence était manifestement déraisonnable, notre Cour a dit, à la p. 509:

dans les cas où les conclusions arbitrales en litige reposent sur des inférences tirées de la preuve, il est nécessaire que la cour de justice qui contrôle la décision examine cette preuve. [. . .] c’est uniquement dans le cas où la preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d’étayer les conclusions du tribunal que la cour peut substituer son opinion à celle du tribunal. [Souligné dans l’original.]

[67] C’est la décision rendue dans Royal Oak Mines, précité, qui peut servir de fondement au contrôle de la décision du conseil dans le présent pourvoi.

[68] Nous devons maintenant nous demander si la sentence rendue par le conseil d’arbitrage en l’espèce était manifestement déraisonnable.

La sentence du conseil d’arbitrage était‑elle manifestement déraisonnable?

[69] Rien ne donne à penser que la procédure suivie n’a pas été équitable ni qu’il y a eu partialité. L’examen porte donc principalement sur la question de savoir si le conseil a appliqué les mauvais principes ou s’il a mal appliqué les bons principes, par exemple, en rendant une sentence non étayée par la preuve ou non conforme à la raison.

[70] Nous avons conclu que le conseil a commis une erreur de droit manifestement déraisonnable en qualifiant la modification des conditions de travail de Mme Hardy de mise à pied déguisée. Les heures normales de travail de Mme Hardy sont passées de 37 heures par semaine ou plus à un quart de quatre heures par semaine. Le total des heures travaillées, cependant, est resté relativement constant parce qu’elle était régulièrement rappelée au travail par l’employeur. À notre avis, l’expression «mise à pied» utilisée en droit du travail renvoie au refus de fournir du travail à l’employé. En droit, on ne peut pas parler de mise à pied lorsque l’employé continue de travailler le nombre d’heures habituel, comme ici. Nous concluons également que le conseil a commis une erreur en ne caractérisant pas le grief de Mme Hardy dans le contexte de la convention collective de travail et en accordant une réparation n’ayant aucun lien rationnel avec la violation alléguée. Il s’ensuit que la décision du conseil selon laquelle il y a eu mise à pied déguisée est manifestement déraisonnable.

[71] En l’espèce, la convention collective de travail ne définit pas l’expression «mise à pied». Nous devons donc nous tourner vers la jurisprudence pour voir comment les tribunaux et les arbitres du travail l’ont définie. Il semble que l’expression «mise à pied» soit utilisée en droit des relations du travail pour désigner l’interruption du travail qui n’est pas une cessation d’emploi. La «mise à pied», selon l’utilisation qui en est faite dans la jurisprudence, ne met pas fin à la relation employeur‑employé. L’employé est plutôt congédié temporairement. Il y a encore espoir ou expectative d’un retour au travail. Mais pour le moment, il n’y a pas de travail pour l’employé. On dit que cet employé est mis à pied.

[72] Quelques décisions permettront d’illustrer cette utilisation de l’expression. Dans l’arrêt Air‑Care Ltd. c. United Steel Workers of America, [1976] 1 R.C.S. 2, à la p. 6, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a adopté la définition suivante des mots «mise à pied»:

«Mise à pied» n’est pas défini au Code du travail du Québec, S.R.Q. 1964, c. 141. Cependant, le Nouveau Larousse Universel, tome 2, définit «mise à pied» comme étant un «retrait temporaire d’emploi», et le Shorter Oxford English Dictionary définit «lay‑off» comme étant [traduction] «une période durant laquelle un salarié est temporairement licencié».

L’idée dominante de la mise à pied, soit la perturbation (par opposition à la rupture) de la relation employeur-employé est reprise par le juge Vancise dans l’arrêt University Hospital c. Service Employees International Union, Local 333 U.H. (1986), 46 Sask. R. 19. Ayant dit qu’il y a mise à pied lorsque la relation employeur‑employé est [traduction] «gravement perturbée», le juge Vancise fait remarquer, à la p. 28, que le Black’s Law Dictionary, 5e éd., définit la mise à pied comme [traduction] «une cessation d’emploi au gré de l’employeur. Elle peut être temporaire (par exemple, être due à des conditions saisonnières ou économiques défavorables) ou permanente».

[73] Bien qu’en langage ordinaire, l’expression «mise à pied» soit parfois utilisée comme synonyme de rupture de la relation employeur-employé, elle sert en terminologie juridique à définir une cessation d’emploi lorsqu’il y a possibilité ou expectative de retour au travail. L’expectative peut se concrétiser ou non. Mais en raison de cette expectative, on dit que la relation employeur‑employé est suspendue plutôt que rompue.

[74] La suspension de la relation employeur‑employé envisagée par l’expression «mise à pied» survient lorsque l’employeur retire son travail à l’employé. Comme il est dit dans Re Benson & Hedges (Canada) Ltd. and Bakery, Confectionery and Tobacco Workers International Union, Local 325 (1979), 22 L.A.C. (2d) 361, à la p. 366:

[traduction] En général, les arbitres ont compris l’expression «mise à pied» comme décrivant le cas où les services d’un employé sont suspendus, temporairement ou indéfiniment, en raison d’un manque de travail à l’usine . . .

[75] Il s’ensuit que, pour qu’il y ait «mise à pied», il doit y avoir cessation d’emploi. Si l’employé continue de travailler essentiellement le même nombre d’heures, il ne peut se plaindre d’une mise à pied, quoi qu’il puisse se plaindre d’autre. Comme le conseil d’arbitrage l’a déclaré dans Re Benson & Hedges, précité, à la p. 370, [traduction] «il existe . . . un consensus au sein des arbitres selon lequel la mise à pied renvoie à la cessation d’emploi de l’employé et si elle devait avoir un autre sens, celui‑ci devrait être énoncé clairement par l’emploi des adjectifs ou des locutions adjectivales appropriés [dans la convention collective]».

[76] Cela soulève la question de savoir si une réduction du temps de travail sans cessation d’emploi peut être considérée comme une «mise à pied déguisée». Nous n’avons pas à trancher cette question en l’espèce, puisque le nombre d’heures de travail de Mme Hardy n’a pas été réduit. Cependant, la question se pose dans l’affaire connexe Battlefords and District Co‑operatives c. SDGMR, section locale 544, [1998] 1 R.C.S. 000, et il peut être utile de l’examiner ici. Nous ne sommes pas d’avis d’écarter la possibilité que, dans certaines circonstances, une réduction appréciable des heures de travail puisse donner lieu à une mise à pied déguisée. On pourrait soutenir qu’il n’est pas juste de refuser à un employé la possibilité de demander réparation en invoquant une mise à pied, pour la seule raison que l’employeur accorde parfois à l’employé un nombre symbolique d’heures de travail. Naturellement, lorsque la mise à pied alléguée survient dans le contexte d’une convention collective, la question fondamentale est de savoir si la réduction des heures de travail équivaut à une mise à pied sous le régime de la convention. Cela devient une question d’interprétation de la convention. Nous faisons remarquer que les arbitres ont parfois conclu au licenciement déguisé lorsque la réduction des heures de travail est appréciable et touche seulement un employé, par opposition à l’ensemble des employés: voir Re City of Edmonton and Energy and Chemical Workers Union, Local 829 (1984), 15 L.A.C. (3d) 137, à la p. 140; Re Cove Guest Home and Canadian Brotherhood of Railway, Transport & General Workers (1988), 1 L.A.C. (4th) 42, à la p. 46; Re Colonial Cookies (Division of Beatrice Foods Inc.) and United Food & Commercial Workers, Local 617P (1990), 13 L.A.C. (4th) 405, à la p. 411.

[77] Vu la conclusion que le conseil a commis une erreur manifestement déraisonnable en décidant que Mme Hardy avait été mise à pied alors qu’elle n’avait subi aucune réduction de ses heures de travail, il peut être utile d’examiner les motifs sur lesquels repose le raisonnement du conseil. À notre avis, le conseil a commis trois erreurs. Premièrement, il a défini la mise à pied de façon trop large. Deuxièmement, il a établi à tort une analogie entre la situation dont il était saisi et la notion juridique de licenciement déguisé. Enfin, il n’a pas accordé suffisamment d’importance aux modalités de la convention collective qui régissent les recours prévus dans les cas de changements en milieu de travail tels ceux dont Mme Hardy a fait l’objet. Nous examinerons chacune de ces erreurs à tour de rôle.

[78] Le conseil a défini la mise à pied de manière générale comme une perturbation de la relation employeur‑employé. Ayant conclu que la réduction des heures normales de travail de Mme Hardy et leur remplacement par des heures non fixées d’avance violaient l’obligation d’établir des horaires prévue au par. A‑1.01(2) de la convention collective et entraînaient une perturbation de la relation employeur‑employé, il semble avoir présumé qu’il devait également y avoir eu mise à pied. L’erreur est de considérer la mise à pied et la perturbation du travail comme des synonymes. Beaucoup d’événements peuvent perturber la relation employeur‑employé. La mise à pied en est un. On ne peut pas conclure qu’il y a eu mise à pied parce qu’il y a eu perturbation de la relation employeur‑employé. La mise à pied, comme il ressort de la jurisprudence citée précédemment, est un genre particulier de perturbation qui survient à la suite de la cessation d’emploi.

[79] La deuxième erreur relevée dans le raisonnement du conseil consiste à considérer la mise à pied déguisée comme étant analogue au licenciement déguisé. L’avocat de l’appelante a repris cette idée, en soutenant que, puisque la loi reconnaît le licenciement déguisé, elle doit reconnaître la mise à pied déguisée dans le comportement qui ne va pas jusqu’au licenciement. Selon la doctrine du licenciement déguisé, l’employeur qui modifie radicalement la nature du travail d’un employé peut, dans les circonstances appropriées, être considéré comme ayant licencié l’employé «de façon déguisée»: voir Rubel Bronze and Metal Co. and Vos., In re, [1918] 1 K.B. 315; Dauphinee c. Major Foods Ltd. (1983), 56 N.S.R. (2d) 517 (C.S.), confirmé par (1984), 62 N.S.R. (2d) 381 (C.A.); Farquhar c. Butler Bros. Supplies Ltd., [1988] 3 W.W.R. 347 (C.A.C.‑B.); Merilees c. Sears Can. Inc. (1986), 24 B.C.L.R. (2d) 165 (C.S.), confirmé par (1988), 24 B.C.L.R. (4th) 172 (C.A.). L’avocat de la l’appelante soutient que, si une modification radicale du travail ou des conditions de travail peut entraîner un licenciement déguisé, une modification moins radicale, comme la réduction des heures normales de travail en l’espèce, doit pouvoir équivaloir à une mise à pied déguisée.

[80] En fait, l’analogie entre le licenciement déguisé et la mise à pied déguisée est fausse. Le licenciement déguisé reconnaît le fait qu’une modification radicale des conditions d’emploi peut être l’équivalent d’une rupture de la relation employeur‑employé, donnant à l’employé le droit d’être informé par avis ou de recevoir des dommages‑intérêts tenant lieu d’avis. La mise à pied renvoie simplement à la cessation d’emploi temporaire qui n’ouvre pas droit à des dommages‑intérêts. Les deux notions sont tout à fait différentes, comme le sont également les conséquences qu’elles entraînent en droit. Il est concevable que le fait de refuser des heures normales de travail à un employé pour les accorder à d’autres employés ayant moins d’ancienneté, puisse, dans les circonstances appropriées, venir étayer l’idée qu’un licenciement déguisé existe en dehors du cadre de la négociation collective. Mais à moins que le nombre d’heures de travail ait été réduit au point qu’il y ait cessation d’emploi, il n’y a pas eu mise à pied.

[81] La dernière erreur du conseil est de ne pas avoir appliqué correctement la convention collective au grief de Mme Hardy. Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective. Si le litige était visé par cette convention, il ne convenait pas de recourir à des notions de common law comme le licenciement déguisé ou sa soit‑disant cousine, la mise à pied déguisée. Madame Hardy a prétendu qu’il y avait violation de la convention collective, notamment de la clause relative à l’attribution du «plus grand nombre d’heures» et du protocole d’entente no 5. De fait, cette clause prévoyait l’attribution des heures de travail en fonction de l’ancienneté seulement au sein de la catégorie d’emploi et du rayon de l’employé. Elle ne prévoyait pas le transfert des employés à temps partiel d’une catégorie à une autre en fonction de l’ancienneté, et le conseil a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de cette clause. En invoquant la prétendue doctrine de common law de la mise à pied déguisée, le conseil a plutôt transformé la plainte de Mme Hardy qui portait sur l’établissement des horaires en une plainte concernant une mise à pied et il lui a accordé une réparation prévue par la disposition relative à la mise à pied — le droit d’obtenir des heures normales de travail dans toutes les catégories d’emploi (l’art. 12.03 indique que l’ancienneté joue en cas de mise à pied d’employés à temps partiel). Il a jugé que l’employeur avait dérogé au par. A‑1.01(2) en cessant de fixer à l’avance les heures de travail de Mme Hardy et en s’en remettant à la pratique du rappel au travail. De l’avis du conseil, ce manquement aux dispositions relatives à l’établissement des horaires, qui a fait en sorte que Mme Hardy a obtenu considérablement moins d’heures normales de travail alors que des employés ayant moins d’ancienneté et faisant partie d’autres catégories d’emploi ont obtenu des heures normales de travail, constituait une mise à pied déguisée.

[82] Sauf pour ce qui est de la prétendue mise à pied, le conseil n’a pas conclu que Mme Hardy avait le droit d’obtenir des heures normales de travail dans toutes les catégories d’emploi. Au contraire, il a jugé qu’elle y avait droit parce qu’elle avait été mise à pied. Pourtant, pour étayer la conclusion voulant que Mme Hardy avait été mise à pied, il a invoqué le fait que des employés ayant moins d’ancienneté et faisant partie d’autres catégories d’emploi avaient obtenu des heures normales de travail. Dans les faits, en important une notion de mise à pied déguisée, non prévue dans la convention collective, le conseil a accordé pour un grief portant sur l’établissement des horaires une réparation qui n’était pas mentionnée dans la convention. En d’autres termes, la réparation accordée par le conseil n’a pas de lien rationnel avec la violation alléguée et va à l’encontre des dispositions de la convention collective. Elle crée une contradiction interne dans la convention collective qui est manifestement déraisonnable.

[83] Nous concluons que la décision du conseil était manifestement déraisonnable. Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge L’Heureux‑Dubé est dissidente.

Procureurs des appelants: Kowalchuk Law Office, Regina.

Procureurs de l’intimée: MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 1 R.C.S. 1079 ?
Date de la décision : 04/06/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Relations du travail - Mise à pied déguisée - Réduction des heures normales de travail - Les heures réelles de travail n’ont pas été réduites de façon substantielle en raison des rappels au travail - Y a‑t‑il eu mise à pied déguisée?.

Les heures normales de travail de l’employée appelante ont diminué constamment, mais le nombre des heures réelles de travail n’a pas beaucoup changé en raison des «rappels au travail». Elle a formulé un grief au sujet de la réduction de ses heures normales de travail lorsque des employés qui avaient moins d’ancienneté qu’elle et qui étaient affectés au premier rayon où elle avait travaillé se sont vu attribuer plus d’heures normales de travail qu’elle. Le grief alléguait que la réduction de ses heures normales de travail violait la clause relative à l’attribution du «plus grand nombre d’heures» de la convention collective qui exigeait que l’attribution des heures de travail à temps partiel se fasse selon l’ancienneté «au sein de la catégorie d’emploi et du rayon» pourvu que l’employé ait les qualités et la capacité requises. Dans son grief, l’appelante réclamait des heures normales de travail dans son ancien rayon. Un conseil d’arbitrage a accueilli le grief et a conclu qu’il y avait eu mise à pied déguisée. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Cour du Banc de la Reine, mais un appel interjeté auprès de la Cour d’appel a été accueilli. Il s’agit en l’espèce de savoir s’il est manifestement déraisonnable de conclure qu’un employé dont les heures réelles de travail restent constantes, mais dont les heures normales de travail sont réduites, a été mis à pied de façon déguisée.

Arrêt (le juge L’Heureux‑Dubé est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache: La cour de justice qui contrôle une décision bénéficiant de la protection d’une clause privative qu’a rendue un tribunal des relations de travail appelé à interpréter ou à appliquer une convention collective ne peut intervenir que s’il y a eu erreur manifestement déraisonnable. Il s’agit d’une norme très sévère à laquelle il n’est pas facile de satisfaire. Si un conseil d’arbitrage prétend agir d’une manière qui excède manifestement la compétence qui lui est conférée dans la loi habilitante, sa décision est manifestement déraisonnable. De même, certaines erreurs marquées particulières sont si manifestement déraisonnables que la décision du conseil doit être annulée. Par exemple, si le conseil accorde une réparation qui n’a pas de lien rationnel avec la violation ou qui est incompatible avec les objectifs visés par la loi ou si la preuve produite est incapable d’étayer les conclusions.

La convention collective de travail ne définit pas l’expression «mise à pied». Utilisée en droit des relations du travail, l’expression «mise à pied» renvoie au refus de fournir du travail à l’employé et désigne l’interruption du travail qui n’est pas une cessation d’emploi. La relation employeur‑employé est suspendue mais non rompue. Si l’employé continue de travailler essentiellement le même nombre d’heures, il ne peut se plaindre d’une mise à pied. En effet, la question de savoir si une réduction du temps de travail sans cessation d’emploi peut être considérée comme une «mise à pied déguisée» n’a pas à être tranchée en l’espèce, puisque le nombre d’heures de travail de l’auteur du grief n’a pas été réduit.

Il ne convient pas d’établir une analogie entre cette situation et la notion juridique de licenciement déguisé qui est très différente de la notion de mise à pied. Le licenciement déguisé reconnaît le fait qu’une modification radicale des conditions d’emploi peut être l’équivalent d’une rupture de la relation employeur‑employé, donnant à l’employé le droit d’être informé par avis ou de recevoir des dommages‑intérêts tenant lieu d’avis. La mise à pied renvoie simplement à la cessation d’emploi temporaire qui n’ouvre pas droit à des dommages‑intérêts.

Le conseil n’a pas accordé suffisamment d’importance aux modalités de la convention collective. Sa conclusion selon laquelle l’auteur du grief avait le droit d’obtenir des heures normales de travail parce qu’elle avait été mise à pied de façon déguisée — notion non prévue dans la convention collective — l’a conduit à accorder, pour un grief portant sur l’établissement des horaires, une réparation qui n’était pas mentionnée dans la convention. Cette contradiction avec la convention collective était manifestement déraisonnable.

Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente): Le conseil a employé l’expression «mise à pied déguisée» pour montrer que, dans certains cas, parce que la relation employeur‑employé repose sur la mutualité et le consentement, l’action unilatérale de l’employeur qui entraîne une perturbation de la relation employeur‑employé peut donner lieu à une mise à pied implicite. Cela n’impliquait pas la création de droits supplémentaires, mais plutôt la reconnaissance de droits existants. En employant ce qualificatif pour dépeindre ce qui est vraiment arrivé au regard de la convention collective, le conseil a tenu compte de la réalité du milieu de travail en l’espèce et a donné effet aux droits et responsabilités des parties que prévoit la convention collective. La conclusion du conseil à l’existence d’une mise à pied déguisée était étroitement liée à son interprétation de la convention collective.

Le fait que le conseil ne puisse conclure que l’établissement des horaires en conformité avec les dispositions applicables de la convention collective se faisait de bonne foi lui a permis d’envisager le grief sous l’angle de la mise à pied. Un simple grief portant sur l’établissement des horaires n’a généralement rien à voir avec la mise à pied. Le fait que l’employeur a réduit de façon draconienne les heures normales de travail de l’auteur du grief tout en continuant de la rappeler au travail pour effectuer à peu près le même nombre d’heures qu’avant la réduction de ses heures de travail indiquait implicitement qu’il y avait mauvaise foi de la part de l’employeur. Par conséquent, celui‑ci n’avait pas seulement négligé d’afficher un horaire, il avait effectué une modification unilatérale de la relation employeur‑employé qui entraînait une perturbation grave et équivalait, essentiellement, à une mise à pied. L’auteur du grief pouvait donc faire valoir son droit d’évincer d’autres employés.

Le conseil n’a pas commis d’erreur dans son analyse du grief en question ni n’a tiré de conclusion déraisonnable. Ses conclusions de fait n’ont pas été contestées et elles ne devraient pas être modifiées, étant donné son expertise dans le domaine. Quant aux inférences et aux conclusions tirées par le conseil, celui‑ci avait compétence pour ce faire. Les motifs qu’il a exposés pour les expliquer n’étaient ni arbitraires ni frivoles, et étaient fondés sur la preuve. Ils étaient également convaincants. La Cour doit donc respecter la rationalité inhérente et autonome des motifs du conseil. Conclure qu’il n’y a pas eu mise à pied en l’espèce et que, par conséquent, la réparation accordée par le conseil était manifestement déraisonnable revient à substituer l’avis de la Cour à celui du conseil. Même si le conseil avait commis une erreur, ce ne serait pas une erreur manifestement déraisonnable.

Il était raisonnable de la part du conseil de recourir au concept de mise à pied «déguisée» pour caractériser la réalité de la situation devant lui. Il n’a pas cherché à changer le sens communément compris et accepté de la mise à pied ni à transformer une plainte concernant l’établissement des horaires en une question de mise à pied. Il s’est servi de ses connaissances spécialisées pour se prononcer sur ce qui s’est réellement passé, à la lumière des disposions de la convention collective applicable. Ce qui comptait, c’était la conclusion que l’action unilatérale de l’employeur avait causé une perturbation grave et inadmissible de la relation employeur‑employé, et cette conclusion donnait à l’auteur du grief le droit d’évincer d’autres employés. Cette conclusion n’était pas fondée uniquement sur un simple manquement aux dispositions relatives à l’établissement des horaires. Restreindre l’affaire à une simple question d’établissement d’horaire c’est méconnaître cette conclusion.

Le principe juridique établi dans l’arrêt Royal Oak Mines Inc. — selon lequel le tribunal administratif qui accorde une réparation n’ayant aucun lien rationnel avec le manquement reproché excède sa compétence et rend par conséquent une décision manifestement déraisonnable — ne s’applique pas en l’espèce. L’appréciation de ce qui représente un lien rationnel est subordonnée à la définition du manquement par le conseil et non à l’opinion de la Cour quant à la façon dont il aurait dû l’interpréter. Étant donné le caractère raisonnable des conclusions du conseil, la réparation qu’il a accordée était tout à fait logique et prévue par la convention collective. Il s’ensuit que la rationalité de la réparation ne pouvait être invoquée pour justifier le contrôle de la décision du conseil.


Parties
Demandeurs : Canada Safeway Ltd.
Défendeurs : SDGMR, section locale 454

Références :

Jurisprudence
Citée par les juges Cory et McLachlin
Arrêts examinés: Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316
Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369
arrêts mentionnés: Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
Air‑Care Ltd. c. United Steel Workers of America, [1976] 1 R.C.S. 2
University Hospital c. Service Employees International Union, Local 333 U.H. (1986), 46 Sask. R. 19
Re Benson & Hedges (Canada) Ltd. and Bakery, Confectionery and Tobacco Workers International Union, Local 325 (1979), 22 L.A.C. (2d) 361
Battlefords and District Co‑operatives c. SDGMR, section locale 544, [1998] 1 R.C.S. 000
Re City of Edmonton and Energy and Chemical Workers Union, Local 829 (1984), 15 L.A.C. (3d) 137
Re Cove Guest Home and Canadian Brotherhood of Railway, Transport & General Workers (1988), 1 L.A.C. (4th) 42
Re Colonial Cookies (Division of Beatrice Foods Inc.) and United Food & Commercial Workers, Local 617P (1990), 13 L.A.C. (4th) 405
Rubel Bronze and Metal Co. and Vos., In re, [1918] 1 K.B. 315
Dauphinee c. Major Foods Ltd. (1983), 56 N.S.R. (2d) 517, conf. (1984), 62 N.S.R. (2d) 381
Farquhar c. Butler Bros. Supplies Ltd., [1988] 3 W.W.R. 347
Merilees c. Sears Can. Inc. (1986), 24 B.C.L.R. (2d) 165, conf. (1988), 24 B.C.L.R. (2d) 172.
Citée par le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente)
Battlefords and District Co‑operatives c. SDGMR, section locale 544, [1998] 1 R.C.S. 000
University Hospital c. Service Employees International Union, Local 333 U.H. (1986), 46 Sask. R. 19, autorisation de pourvoi refusée, [1986] 1 R.C.S. xiii
Canada Safeway Ltd. c. Carey (1987), 65 Sask. R. 238
Stein c. Le navire «Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802
Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103
Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316
Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487
Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369.
Lois et règlements cités
Trade Union Act, R.S.S. 1978, ch. T‑17, art. 25.
Doctrine citée
Black’s Law Dictionary, 5th ed. By Henry Campbell Black. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1979, «Layoff».
Brown, Donald J. M. and David M. Beatty. Canadian Labour Arbitration, 3rd ed. Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1997 (loose‑leaf).
Dyzenhaus, David. «The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy», in Michael Taggart, ed., The Province of Administrative Law. Oxford: Hart Publishing, 1997, 279.

Proposition de citation de la décision: Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079 (4 juin 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-06-04;.1998..1.r.c.s..1079 ?
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