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28/01/1999 | CANADA | N°[1999]_1_R.C.S._142

Canada | Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142 (28 janvier 1999)


Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142

FBI Foods Ltd. — Les aliments FBI Ltée,

FBI Brands Ltd. — Les marques FBI Ltée

et Lawrence Kurlender Appelants

c.

Cadbury Schweppes Inc. et Cadbury Beverages

Canada Inc./Breuvages Cadbury Canada Inc. Intimées

Répertorié: Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée

No du greffe: 25778.

1998: 30 avril; 1999: 28 janvier.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’

appel de la colombie‑britannique

POURVOI PRINCIPAL et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britanniqu...

Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142

FBI Foods Ltd. — Les aliments FBI Ltée,

FBI Brands Ltd. — Les marques FBI Ltée

et Lawrence Kurlender Appelants

c.

Cadbury Schweppes Inc. et Cadbury Beverages

Canada Inc./Breuvages Cadbury Canada Inc. Intimées

Répertorié: Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée

No du greffe: 25778.

1998: 30 avril; 1999: 28 janvier.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI PRINCIPAL et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1996), 23 B.C.L.R. (3d) 325, 138 D.L.R. (4th) 682, [1996] 9 W.W.R. 609, 79 B.C.A.C. 56, 129 W.A.C. 56, 29 B.L.R. (2d) 14, 69 C.P.R. (3d) 22, [1996] B.C.J. No. 1813 (QL), qui a accueilli l’appel des intimées contre une décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1994), 93 B.C.L.R. (2d) 318, [1994] 8 W.W.R. 727, [1994] B.C.J. No. 1191 (QL). Pourvoi principal accueilli et pourvoi incident rejeté.

Michael P. Carroll, c.r., Peter G. Voith et Monika B. Gehlen, pour les appelants.

Jack Giles, c.r., et David T. Woodfield, pour les intimées.

Version française du jugement de la Cour rendu par

//Le juge Binnie//

1 Le juge Binnie — Le jus Clamato est un mélange de jus de tomate et de bouillon de palourdes. Au début des années 80, le volume des ventes de ce produit au Canada était 10 fois supérieur à celui qu’il connaissait aux États‑Unis où il a été lancé. Le succès de ce produit au Canada est attribuable, dans une large mesure, aux efforts des appelants et de leurs prédécesseurs qui fabriquaient le jus Clamato dans des usines situées à Vancouver et dans l’Est ontarien, en vertu d’une licence consentie par les intimées. Ces dernières ont résilié la licence le 15 avril 1983. Les tribunaux d’instance inférieure ont conclu que les appelants avaient par la suite utilisé abusivement des renseignements confidentiels concernant la recette de Clamato, qu’ils avaient obtenus pendant que la licence était en vigueur, pour continuer de fabriquer une boisson rivale à base de tomates qu’ils ont appelée Caesar Cocktail. La responsabilité pour abus de confiance n’est plus contestée. Il s’agit, dans le présent pourvoi, d’examiner les réparations qu’il convient d’accorder pour un abus de confiance dans un contexte commercial.

2 Les intimées ont obtenu de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique une injonction permanente ordonnant de cesser l’utilisation des renseignements confidentiels, ou des produits qui en sont tirés, ainsi qu’une indemnité représentant les profits qu’elles auraient réalisés si elles avaient vendu une quantité additionnelle de Clamato équivalant au volume des ventes de Caesar Cocktail effectuées au cours de la période de 12 mois ayant suivi la résiliation de la licence. Devant notre Cour, les appelants se plaignent que l’ordonnance de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique les rend, en fait, garants des profits des intimées relativement à l’année qui a suivi la résiliation, même si ce sont ces dernières qui sont à l’origine de cette résiliation et, partant, du bouleversement du marché du Clamato. Les appelants demandent que l’indemnité soit réduite à zéro. Tout aussi indignées, les intimées assimilent les renseignements confidentiels utilisés abusivement à une sorte de bien que les appelants se sont appropriés à leurs propres fins. Elles contestent donc, dans leur pourvoi incident, la décision de limiter leur indemnité aux seuls profits qu’elles auraient par ailleurs réalisés au cours d’une période de 12 mois. Les intimées réclament la valeur marchande des renseignements «piratés».

Les faits

3 Duffy‑Mott a enregistré la marque de commerce CLAMATO au Canada le 17 octobre 1969. À la fin des années 70, elle a décidé d’approvisionner le marché canadien en accordant des licences relatives à sa marque de commerce et à sa formule à des fabricants de jus locaux, qui ont commencé à [traduction] «fabriquer, distribuer, vendre et commercialiser» le Clamato dans un territoire exclusif. Caesar Canning Ltd. de la Colombie‑Britannique, qui est maintenant en faillite, a obtenu le territoire constitué de l’Ontario et de l’Ouest canadien pour une série de périodes de 12 mois renouvelables indéfiniment à la condition que le volume des ventes du titulaire de la licence atteigne un certain seuil au cours de chaque période de 12 mois. Caesar Canning a facilement dépassé ce seuil au cours de chacune des périodes de 12 mois.

4 Au printemps de 1979, Caesar Canning avait mis sur pied un système de distribution et avait si bien fait la promotion du produit que son territoire a été élargi au reste du Canada. Les ingrédients étaient obtenus de fournisseurs locaux à l’exception de la partie prémélangée des condiments secs qui était fournie par le donneur de licence, Duffy‑Mott. La Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27 et son règlement d’application, ainsi que les dispositions américaines équivalentes, exigeaient l’inscription sur l’étiquette du produit de tous les ingrédients par ordre décroissant de quantité. Toutefois, ni Caesar Canning ni les autres appelants n’ont réussi à découvrir la formule précise du «mélange sec» secret des intimées. Néanmoins, pour permettre à Caesar Canning de produire le Clamato, Duffy‑Mott a transmis des renseignements connexes sur sa recette et ses procédés de fabrication que le juge de première instance a considérés comme confidentiels. Cette conclusion n’est plus contestée.

5 Le 11 mai 1981, Caesar Canning a conclu avec l’appelante Les aliments FBI Ltée un contrat de fabrication du Clamato et de produits connexes à son usine de Trenton, en Ontario. En vertu de cette entente que les parties ont qualifiée de «contrat d’achat ferme», un prix fixe était versé à la société Les aliments FBI pour chaque caisse de jus fabriqué. Le contrat était d’une durée de cinq ans, à moins de résiliation pour divers motifs, dont la résiliation prématurée du contrat de licence sous‑jacent liant Duffy‑Mott et Caesar Canning. Duffy‑Mott a consenti à la conclusion du contrat d’achat ferme sans toutefois y être partie. Pour permettre à la société Les aliments FBI de fabriquer le Clamato, Duffy‑Mott lui a transmis, au sujet de la recette de Clamato et de son procédé de fabrication, des renseignements qu’elle considérait comme confidentiels et que la société Les aliments FBI reconnaît maintenant comme tels.

La résiliation de la licence

6 En 1982, l’intimée Cadbury Schweppes a acheté les actions de Duffy‑Mott et a décidé, dans le cadre d’un changement de stratégie commerciale, que Duffy‑Mott reprendrait la production et la commercialisation du Clamato au Canada. À cette fin, elle a avisé Caesar Canning, le 15 avril 1982, que le contrat de licence (et, par voie de conséquence, le contrat que celle-ci avait conclu avec Les aliments FBI) prendrait fin 12 mois plus tard. Elle a offert à Caesar Canning un contrat permanent pour la production de Clamato à un prix fixe par caisse, que Caesar Canning a refusé de signer.

7 Il importe de souligner que le contrat de licence laissait à Caesar Canning (et donc à la société Les aliments FBI) la liberté de faire concurrence à l’intimée dans le marché du jus après la résiliation. Le contrat de licence prévoyait seulement que Caesar Canning n’aurait plus le droit d’utiliser la marque de commerce CLAMATO et qu’il lui serait interdit, pendant une période de cinq ans, de fabriquer ou de distribuer tout produit [traduction] «qui compte parmi ses ingrédients du bouillon de palourdes et du jus de tomate» (je souligne).

8 Munie du préavis de 12 mois de résiliation de sa licence, Caesar Canning s’est immédiatement attaquée à la mise au point d’un produit concurrent. En quelques mois à la fin de 1982, son directeur du contrôle et de l’assurance de la qualité, Lorne Nicklason, a mis au point un jus «reformulé» à base de tomates en se servant de la liste des ingrédients et du procédé de fabrication du Clamato, mais en omettant d’y inclure des palourdes ou d’autres fruits de mer. Il s’est assuré que le nouveau produit aurait une composition chimique distincte de celle du Clamato, grâce à une salinité, à un pH et à des solides solubles différents. Le juge de première instance a toutefois tiré la conclusion suivante, qui n’est plus contestée (93 B.C.L.R. (2d) 318, à la p. 325):

[traduction] Il ne fait aucun doute que, sans la formule et le procédé de fabrication du jus Clamato, M. Nicklason n’aurait pas pu mettre lui‑même au point le Caesar Cocktail. Il n’avait pas les compétences nécessaires. La preuve indique aussi qu’en embauchant les personnes compétentes Caesar Canning aurait pu créer un produit tout aussi semblable au Clamato que le Caesar Cocktail sans utiliser la recette du Clamato. Elle aurait pu le faire à peu de frais au cours de la période de préavis de 12 mois.

. . . Quiconque a vu la recette du Caesar Cocktail aurait su qu’elle s’inspirait de la formule du Clamato au point d’en être pratiquement une copie, sans palourdes. Les autres différences étaient très mineures.

9 Duffy‑Mott a dû être désagréablement surprise lorsque le Caesar Cocktail a pu reproduire pour l’essentiel l’apparence, l’odeur, la texture et le goût du jus Clamato, et arracher une part importante du marché sans utiliser de bouillon de palourdes ni d’autres extraits de fruits de mer.

10 Le Caesar Cocktail a été lancé sur le marché immédiatement après la résiliation du contrat de licence le 15 avril 1983. Après s’être assurée que Caesar Canning ne contrevenait à aucune des clauses contractuelles la liant aux intimées, la société Les aliments FBI a accepté de mettre en bouteille à forfait le nouveau produit pour l’Est du Canada. Le Caesar Cocktail s’est révélé un succès, même si sa part de marché était de beaucoup inférieure à celle du Clamato.

11 À l’insu des appelants, les intimées avaient subrepticement découvert la formule exacte du Caesar Cocktail à la fin de mars 1983 après avoir permis à un expert technique de se glisser au sein de l’équipe chargée de la dernière vérification comptable de Caesar Canning en vertu du contrat de licence. Malgré cela, les intimées n’ont pris aucune mesure pour faire interdire la fabrication et la vente du Caesar Cocktail, et n’ont protesté d’aucune autre manière. Elles ont cru à tort (comme Caesar Canning) que l’absence de bouillon de palourdes dans la recette reformulée serait fatale à leur recours.

12 Caesar Canning n’a pas existé assez longtemps pour jouir de son nouveau succès. Aux prises avec de graves problèmes financiers, elle a cessé sa production le 23 octobre 1985 et, peu après, elle a déclaré faillite. L’appelante, Les aliments FBI, dont une partie importante des activités était la production du Caesar Cocktail, a acheté les actifs de Caesar Canning, y compris la marque Caesar Cocktail, pour la somme de 955 000 $. Elle a décidé de confier cette partie de ses activités commerciales à une filiale en propriété exclusive, la coappelante Les marques FBI Ltée. La vente des actifs a été complétée le 10 janvier 1986. Depuis cette date, la société Les marques FBI Ltée produit et vend le Caesar Cocktail sous divers noms commerciaux (autres que Clamato) partout au Canada.

13 En 1986, trois ans après le lancement du Caesar Cocktail sur le marché canadien, les intimées ont obtenu un nouvel avis juridique plus optimiste au sujet de leurs droits, et ont envoyé une mise en demeure à la société Les marques FBI Ltée. Comme nous l’avons vu, Caesar Canning, la seule entité contre laquelle elles avaient un recours contractuel, avait fait faillite. La présente action a finalement été intentée en 1988 contre les sociétés FBI et le chef des opérations de la société Les aliments FBI, Lawrence Kurlender. Aucune demande d’injonction interlocutoire n’a été présentée.

Les décisions des tribunaux d’instance inférieure

Cour suprême de la Colombie‑Britannique

14 Même si les plaidoiries ont fait ressortir plusieurs causes d’action, le juge Huddart a conclu que seule l’allégation d’abus de confiance devait être examinée. Elle a statué que les renseignements que Duffy‑Mott avait partagés avec Caesar Canning et Les aliments FBI étaient des connaissances techniques confidentielles qui avaient été communiquées à titre confidentiel à Caesar Canning. Elle a conclu qu’il existe, bien en dehors de toute entente contractuelle expresse ou implicite, une obligation de confidentialité bien établie dans l’industrie alimentaire en ce qui concerne la communication de ce genre de renseignements. Elle a jugé que toutes les parties avaient reconnu l’usage voulant que les renseignements confidentiels ne doivent être utilisés qu’à la fin prévue. Appliquant l’analyse faite dans Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge de première instance a statué que Caesar Canning avait utilisé abusivement les renseignements confidentiels dans sa «reformulation» du Clamato en Caesar Cocktail. Le juge Huddart a néanmoins estimé que la valeur des «renseignements confidentiels» était à la fois éphémère et de peu d’importance. La formulation des produits de jus de tomate est bien connue dans l’industrie. L’absence de bouillon de palourdes dans le mélange de jus ne semblait pas inquiéter les consommateurs. Le véritable avantage commercial du «Clamato» était sa marque de commerce que les défenderesses n’ont pas contrefaite. Malgré la présence d’éléments de preuve contradictoires sur ce point, le juge a retenu la preuve des tests effectués par le National Food Laboratory auprès de consommateurs qui, au cours d’une dégustation aveugle, ont pu (quoique avec une certaine hésitation) faire la différence entre le Caesar Cocktail et le Clamato.

15 En ce qui concerne la question de la réparation, le juge Huddart devait tenir compte du fait que les demanderesses avaient renoncé, à l’audience, à réclamer la restitution des profits (ou reddition de comptes). Après avoir pris connaissance du jugement de première instance, les demanderesses, représentées par de nouveaux avocats, ont cherché à revenir sur leur renonciation à une reddition de comptes, mais leur demande a été rejetée.

16 Le juge de première instance a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi l’existence d’une perte pécuniaire. Le Clamato original continuait d’occuper la première place dans son créneau de marché. Le juge de première instance n’a toutefois pas renvoyé les demanderesses les mains vides. Elle a conclu qu’en s’appropriant illicitement les renseignements confidentiels, les défendeurs avaient bénéficié injustement, dans le marché très concurrentiel des jus, d’un «tremplin» de 12 mois qui n’aurait pas existé sans le manquement commis. En conséquence, le juge a décidé ce qui suit (1 B.C.L.R. (3d) 258, aux pp. 260 et 261):

[traduction] Comme [les demanderesses] n’ont pas démontré que l’emploi abusif de la recette de Clamato leur a fait subir une perte, j’ai accordé, pour des raisons d’équité, ce qu’on en est venu à appeler des «dommages‑intérêts pour la longueur d’avance conférée».

Elle a considéré que les «dommages‑intérêts pour la longueur d’avance conférée» équivalaient à la somme qu’aurait dû débourser Caesar Canning pour embaucher un consultant chargé de l’aider à mettre au point sur place un nouveau produit à base de tomates au cours de la période de préavis de 12 mois. Le greffier a par la suite fixé cette somme à 29 761,20 $.

17 Quant à la demande d’injonction permanente des intimées, le juge Huddart a conclu que leur inaction depuis qu’elles avaient pris connaissance de tous les faits pertinents, en 1983, était fatale. De plus, s’appuyant sur la décision de lord Denning dans Seager c. Copydex Ltd., [1967] 2 All E.R. 415 (C.A.) («Seager v. Copydex Ltd. (No. 1)»), et sur celle du juge Megarry dans Coco c. A. N. Clark (Engineers) Ltd., [1969] R.P.C. 41 (Ch. D.), elle s’est interrogée sur la pertinence d’une injonction dans un cas où une bonne partie des renseignements «confidentiels» était de notoriété publique ou de peu d’importance, et où tout préjudice subi pouvait être réparé de façon satisfaisante au moyen d’une indemnité pécuniaire.

Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1996), 23 B.C.L.R. (3d) 325

18 Cadbury Schweppes a obtenu de meilleurs résultats devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Le juge Newbury a accepté, au nom de la cour, les conclusions du juge de première instance qu’il y avait eu abus de confiance et qu’un produit similaire aurait pu être mis au point (mais ne l’avait pas été) dans un délai de 12 mois, indépendamment des renseignements confidentiels. Elle a conclu ce qui suit (à la p. 345):

[traduction] . . . le demandeur ne peut pas demander à la cour de la rétablir dans sa position de monopole sur le marché si, en fait, cette position était vulnérable à la concurrence légitime du défendeur.

Le juge Newbury a cependant rejeté l’évaluation des [traduction] «honoraires d’expertise» adoptée par le juge de première instance. Soulignant que les parties s’étaient entendues pour que la preuve au procès soit limitée aux questions de responsabilité, l’évaluation des dommages‑intérêts devant faire l’objet d’une procédure ultérieure (si nécessaire), le juge Newbury a ordonné un renvoi pour déterminer la somme que les demanderesses auraient obtenue si c’était elles (et non les défendeurs) qui avaient vendu la quantité de Caesar Cocktail commercialisée par les défendeurs au cours de la période de 12 mois ayant suivi la résiliation. De plus, le juge Newbury a conclu (aux pp. 351 et 352) qu’il convenait d’accorder une injonction permanente parce que:

[traduction] . . . il [était] dans l’intérêt de la justice que [la] cour interdise aux défenderesses de poursuivre leur abus de confiance, c’est‑à‑dire qu’elle leur interdise de se servir, pour fabriquer un cocktail de tomate et des produits dérivés, des spécifications, des données techniques, des conseils qui ont été communiqués à Caesar Canning Ltd. et aux défenderesses, ou à l’une d’entre elles, à titre confidentiel aux termes des contrats de licence et d’achat ferme, et qui ne sont pas par ailleurs généralement connus.

Analyse

19 L’equity, qui fait appel à la conscience, s’intéresse au comportement de la personne entrée en possession de renseignements qui sont en réalité confidentiels, et qu’elle a acceptés comme tels, expressément ou par déduction. L’equity continue de s’appliquer aux renseignements qui sont entre les mains d’un tiers qui les reçoit en sachant qu’ils ont été communiqués par suite d’un abus de confiance (ou qui prend connaissance de ce fait ultérieurement) et prescrit certaines mesures de redressement. Il vaut le peine de souligner qu’il s’agit d’un cas de responsabilité d’un tiers. Les appelants ont reçu les renseignements confidentiels non pas des intimées, mais de Caesar Canning qui n’existe plus. Ils savaient toutefois en recevant ces renseignements qu’ils ne devraient s’en servir que pour les fins auxquelles ils étaient communiqués, à savoir la fabrication de Clamato en vertu d’une licence.

20 La règle d’equity, sur laquelle se sont appuyés les tribunaux d’instance inférieure pour accorder une réparation, peut coexister avec de nombreux autres droits d’action pour utilisation ou communication non autorisées de renseignements confidentiels, notamment les actions fondées sur le droit des contrats, la responsabilité délictuelle et le droit des biens. Dans Lac Minerals, précité, le juge Sopinka, dissident, a indiqué, à la p. 615, que l’action pour abus de confiance devait être considérée comme une action hybride sui generis dont les sources multiples émanent de l’equity et de la common law:

L’action pour abus de confiance ne repose pas uniquement sur l’un des fondements traditionnels d’une action, savoir le contrat, l’equity ou le droit de propriété. L’action puise sui generis dans chacun de ces domaines pour assurer l’application du principe juridique exigeant le respect de la confidentialité.

21 Même si les seuls sujets de controverse qui persistent devant notre Cour sont les principes devant régir le calcul de l’indemnité pécuniaire et la question de savoir s’il convient d’accorder une injonction permanente, le désaccord entre les parties sur la réparation à accorder dénote leurs divergences d’opinions quant à la nature et à la portée véritables de l’action pour abus de confiance. Il nous faut donc, dans le cadre du présent pourvoi, examiner plus attentivement la nature de l’intérêt protégé et, à partir de là, apprécier le bien‑fondé de la réparation accordée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.

22 Après avoir fait l’observation reproduite ci‑dessus, le juge Sopinka a ajouté, à la p. 615:

Ce fondement multidimensionnel de l’action en question confère à la Cour une latitude considérable quant à la réparation à accorder. Le fondement d’une réclamation donnée est pertinent aux fins de la détermination de la réparation appropriée. [Je souligne.]

23 Cette observation doit être interprétée en fonction de l’issue de cette affaire. On se souviendra qu’il y a été jugé que la défenderesse Lac Minerals avait obtenu à titre confidentiel de la demanderesse Corona Resources, au cours de négociations relatives à une entreprise conjointe, des renseignements au sujet de l’existence possible de gisements d’or dans le nord de l’Ontario. Lac Minerals était entrée en scène parce que Corona considérait que son influence financière à titre de «grande compagnie minière» était essentielle pour obtenir le financement nécessaire à l’exploitation de la mine d’or. Lac Minerals a discrètement utilisé les renseignements obtenus de Corona pour faire, à l’insu de celle‑ci, une offre sur un bien‑fonds riche en or, appartenant à un tiers et adjacent au terrain de Corona, et a ensuite laissé les négociations avec elle prendre fin. Il a, de ce fait, été jugé qu’elle avait utilisé abusivement des renseignements confidentiels pour s’emparer d’une occasion d’affaires dont elle n’aurait par ailleurs rien su. Tous les juges de notre Cour ont conclu à l’existence d’un abus de confiance donnant ouverture à des poursuites, mais ils ne se sont pas entendus sur la question de savoir s’il existait une obligation fiduciaire et, dans l’affirmative, quelle était la réparation appropriée. Des cinq juges de notre Cour qui ont entendu le pourvoi, seulement deux (les juges La Forest et Wilson) ont statué que Lac Minerals avait manqué à une obligation fiduciaire envers Corona. Appliquant des principes en matière de fiducie et visant à la restitution, ils ont statué qu’il convenait d’assujettir la mine d’or à une fiducie par interprétation en faveur de Corona. Le juge La Forest a estimé qu’une fiducie par interprétation pouvait être imposée «peu importe le fondement de l’obligation» (p. 643). Les trois autres juges de la Cour (les juges McIntyre, Lamer et Sopinka) ont statué qu’il ne convenait pas d’imposer une obligation fiduciaire en raison de la nature commerciale des rapports en cause, mais ils ne se sont pas entendus sur la nature de la réparation appropriée. Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a convenu avec les juges Wilson et La Forest qu’il fallait imposer une fiducie par interprétation. Les autres juges ont estimé qu’il ne convenait pas d’imposer une réparation fondée sur le droit de propriété, c’est‑à‑dire une fiducie par interprétation relativement au bien lui‑même (la mine d’or), et ils auraient accordé une indemnité pécuniaire seulement. Les juges majoritaires sur la question de la réparation appropriée (les juges Lamer, Wilson et La Forest) ont donc imposé une fiducie par interprétation même si les juges majoritaires sur la question de la responsabilité (les juges McIntyre, Lamer et Sopinka) étaient d’avis qu’il n’existait pas de rapports fiduciaires entre les parties.

24 L’arrêt Lac Minerals confirme que, dans une action pour abus de confiance, les tribunaux ont compétence pour accorder une réparation dictée par les faits de l’affaire plutôt que par des considérations purement juridictionnelles ou doctrinales. Voir J. D. Davies, «Duties of Confidence and Loyalty», [1990] Lloyd’s Mar. & Com. L.Q. 4, à la p. 5:

[traduction] Il y a beaucoup à dire au sujet du point de vue majoritaire [dans Lac Minerals] suivant lequel, si l’existence d’un motif de responsabilité est établi, la réparation à accorder devrait donc être celle qui est la plus appropriée compte tenu des faits de l’affaire plutôt qu’une réparation résultant du passé ou d’une multiplication des catégories.

25 L’arrêt Lac Minerals a donc été interprété avec approbation par la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande dans Aquaculture Corp. c. New Zealand Green Mussel Co., [1990] 3 N.Z.L.R. 299, et c’est en fonction de cette interprétation qu’il a été critiqué par P. Birks, dans «The Remedies for Abuse of Confidential Information», [1990] Lloyd’s Mar. & Com. L.Q. 460, aux pp. 464 et 465. Dans Aquaculture, le président Cooke de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande a dit ceci, à la p. 301:

[traduction] La question de savoir si, dans un cas comme la présente affaire, il y a lieu de considérer que l’obligation de confidentialité relève purement de l’equity est discutable, mais nous ne croyons pas que cette question ait quelque pertinence que ce soit relativement au présent appel. Pour toutes les fins qui sont maintenant pertinentes, l’equity et la common law se confondent ou se fusionnent. Il en résulte sur le plan pratique que, dans les rapports entre les parties, le droit impose une obligation de confidentialité. En cas de manquement, un large éventail de réparations devraient être jugées appropriées, peu importe qu’elles émanent de la common law, de l’equity ou d’une loi. [Je souligne.]

26 Même si aucun des juges qui ont rendu la décision dans Lac Minerals ne préconisait une réparation de common law ou d’origine législative dans le cas d’une action pour abus de confiance, ils ont néanmoins examiné les objectifs de principe qui sous‑tendent les diverses causes d’action possibles. Ils ont considéré que les circonstances particulières à l’origine de la responsabilité dans l’affaire dont ils étaient saisis régissaient le choix de la réparation à accorder. Cela dit, le juge La Forest, à la p. 677, a pris soin de ne pas adopter une méthode «donnant ouverture aux principes d’equity» pour choisir la réparation:

Je ne suis pas d’avis que l’on puisse imposer une réparation fondée sur le droit de propriété chaque fois qu’il est «juste» de le faire, à moins de pouvoir expliciter davantage ce que seraient ces situations. Permettre un tel résultat, ce serait laisser la détermination des droits de propriété à [traduction] «un mélange de pouvoir discrétionnaire judiciaire [. . .] d’opinions subjectives quant à celle des parties qui devrait avoir “gain de cause” [. . .] et “le vide sans forme du jugement moral individuel”» . . .

L’importance de faire correspondre la réparation aux objectifs de principe sous‑jacents a été réitérée dans M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6, le juge La Forest, à la p. 81, et le juge McLachlin, à la p. 86. C’est ce sens, à mon avis, qu’il faut donner aux propos du juge Sopinka dans Lac Minerals (à la p. 615), selon lesquels «[l]e fondement d’une réclamation donnée est pertinent aux fins de la détermination de la réparation appropriée». En résumé, la question de savoir si, dans un cas donné, un abus de confiance relève du droit contractuel, du droit délictuel, du droit des biens ou du droit des fiducies a trait au caractère approprié d’une réparation particulière en equity, mais ne limite pas la compétence du tribunal pour accorder cette réparation. Un tel point de vue est compatible avec la jurisprudence antérieure de notre Cour, dont Pre‑Cam Exploration & Development Ltd. c. McTavish, [1966] R.C.S. 551.

A. L’importance de la qualification «sui generis»

27 La qualification sui generis que le juge Sopinka a attribuée à l’action pour abus de confiance (Lac Minerals, à la p. 615) a été reprise par la Cour d’appel du Manitoba dans Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd. (1998), 80 C.P.R. (3d) 449, à la p. 482, par. 113. Par contre, le juge La Forest, à la p. 672 de Lac Minerals, a exprimé le point de vue plus traditionnel suivant lequel il s’agit de l’exercice d’une compétence d’equity (voir aussi Ben‑Israel c. Vitacare Medical Products Inc. (1997), 78 C.P.R. (3d) 94 (C. Ont. (Div. gén.)), le juge Beaulieu, à la p. 104). Dans Attorney‑General c. Guardian Newspapers Ltd. (No. 2), [1990] A.C. 109 (l’affaire Spycatcher), la Chambre des lords a considéré qu’il s’agissait d’une cause d’action en equity.

28 La qualification de quelque chose comme étant «sui generis» tend à susciter chez les avocats un frisson d’appréhension ou d’incertitude jusqu’à ce que la jurisprudence sur une question donnée ait évolué. Je ne pense pas qu’une telle appréhension serait justifiée en l’espèce. Le concept de sui generis a été adopté afin de reconnaître la souplesse dont ont fait preuve les tribunaux dans le passé pour maintenir la confidentialité et concevoir des réparations visant à la préserver. Comme l’a dit la Law Commission du Royaume‑Uni, à la p. 11 du document du travail no 58, intitulé Breach of Confidence (1974):

[traduction] . . . les tribunaux ne s’en tiennent pas à des principes relevant purement de l’equity pour régler les problèmes qui se posent dans les cas d’abus de confiance, et il semblerait plus réaliste de considérer que l’action contemporaine est simplement sui generis.

On trouve un exemple de cette souplesse, qui a causé certaines difficultés théoriques sur le plan des principes relevant purement de l’equity, dans les arrêts charnières du maître des rôles lord Denning Seager c. Copydex Ltd. (No. 1), précité, et Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), [1969] 2 All E.R. 718, cités dans Lac Minerals aux pp. 610 et 671, et analysés en détail plus loin. Il semble toutefois évident que les principes d’equity doivent servir de point de départ à l’analyse.

B. Les rapports entre l’abus de confiance et l’obligation fiduciaire

29 En première instance, les intimées ont plaidé le manquement à une obligation fiduciaire. La loi est dure envers les fiduciaires déloyaux. Une telle conclusion, si elle avait été tirée, aurait aidé les intimées dans leur réclamation de ce qui constitue une réparation «fondée sur le droit de propriété» (c’est-à-dire que les intimées prétendent, dans leur pourvoi incident, que les ventes des appelants devraient être considérées comme un bien leur appartenant, par analogie avec les principes applicables aux fiduciaires en défaut ou aux contrefacteurs de brevets aux fins du calcul d’une indemnité pécuniaire). Ainsi, alors que les tribunaux d’instance inférieure ont conclu que les faits de la présente affaire ne relèvent d’aucune des catégories reconnues de rapports fiduciaires (par exemple, avocat et client, mandant et mandataire) et ne satisfont pas non plus aux critères exceptionnels applicables à la création d’une obligation fiduciaire en dehors de ces catégories, les intimées semblent penser que la réparation peut non seulement mais devrait être abordée comme si leur argument fondé sur les rapports fiduciaires avait été retenu.

(1) L’absence de rapports fiduciaires

30 Même avant Lac Minerals, la Cour avait exprimé l’avis que les objectifs de principe qui sous‑tendent les rapports fiduciaires ne s’appliquent pas généralement aux entités commerciales qui agissent sans lien de dépendance. Dans Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, le juge Wilson affirme, aux pp. 137 et 138:

Étant donné l’exigence de vulnérabilité du bénéficiaire devant le fiduciaire, les obligations fiduciaires sont rarement présentes dans les opérations entre hommes d’affaires d’expérience ayant des pouvoirs de négociation semblables et agissant sans lien de dépendance: voir, par exemple, Jirna Ltd. v. Mister Donut of Canada Ltd. (1971), 22 D.L.R. (3d) 639 (C.A. Ont.), conf. [1975] 1 R.C.S. 2. Le droit a adopté la position que ces personnes sont parfaitement capables de venir à un accord sur la portée du pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé, c’est‑à‑dire que toute «vulnérabilité» aurait pu être empêchée par l’exercice plus prudent de leur pouvoir de négociation et les recours contre l’exercice injustifié ou l’abus de ce pouvoir discrétionnaire, savoir les dommages‑intérêts, sont adéquats dans un tel cas.

Dans la même veine, voir Lac Minerals, le juge Sopinka à la p. 595, et Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, à la p. 414, le juge La Forest, ainsi que l’observation du professeur Davies suivant laquelle [traduction] «[u]ne preuve solide devrait être requise pour qu’une utilisation abusive de renseignements confidentiels se métamorphose en un manquement à une obligation fiduciaire» (Davies, loc. cit., à la p. 7). Malgré ces mises en garde, notre Cour a statué à la majorité, dans l’arrêt Hodgkinson c. Simms, précité, que lorsque les éléments qui donnent naissance à une obligation fiduciaire sont par ailleurs présents, l’existence de cette obligation ne sera pas niée simplement en raison du contexte commercial. La vulnérabilité des clients face à leurs conseillers professionnels faisait intervenir des principes traditionnels en matière de fiducie. En l’espèce, rien dans les rapports entre un fabricant de jus et son titulaire de licence ne porte à croire que le premier a renoncé à son intérêt personnel ou s’est rendu «vulnérable» à un pouvoir discrétionnaire conféré à l’autre. L’objectif primordial de dissuasion applicable au cas de vulnérabilité particulière à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (M. (K.) c. M. (H.), précité, le juge McLachlin, à la p. 86) ne s’applique pas en l’espèce. Si des objectifs de principe différents s’appliquent, on ne devrait pas s’attendre à ce que la réparation soit nécessairement la même.

(2) Les obligations fiduciaires qui prennent naissance en dehors des rapports fiduciaires

31 Dans Lac Minerals, le juge Wilson a exprimé l’avis que même si aucun rapport fiduciaire n’existait, une obligation fiduciaire avait néanmoins pris naissance à partir du moment où, en communiquant les renseignements confidentiels, Corona s’était rendue «vulnérable à l’utilisation abusive de ces renseignements par Lac» (p. 630). Cette interprétation n’a pas été acceptée par les autres juges de la Cour (voir le juge Sopinka, à la p. 600), et le juge La Forest, à la p. 657 du même arrêt, a cité une opinion contraire exprimée par le professeur F. Gurry dans Breach of Confidence (1984), aux pp. 161 et 162:

[traduction] Dans une action pour abus de confiance, le tribunal se soucie de protéger une situation de confiance qui a été créée lorsque des renseignements confidentiels ont été communiqués par une personne à une autre. L’attention du tribunal porte donc sur la protection des renseignements confidentiels parce qu’ils ont donné naissance à des rapports de confiance; le tribunal ne s’attache pas aux renseignements en tant que moyen par lequel une obligation [fiduciaire] préexistante a été violée. [En italique dans l’original.]

32 Dans un certain sens, la communication d’un renseignement confidentiel rend, dans presque tous les cas, son auteur vulnérable à une utilisation abusive de ce renseignement. Si cette vulnérabilité est exploitée dans un contexte commercial par la personne qui reçoit le renseignement, il peut généralement y être remédié au moyen d’une action pour abus de confiance ou pour violation d’une clause contractuelle expresse ou implicite (Pre‑Cam Exploration & Development Ltd. c. McTavish, précité, le juge Judson, à la p. 555). En l’espèce, le contrat de licence envisageait expressément un régime de concurrence à la suite d’une résiliation, sous réserve de la restriction, qui s’est avérée inutile, selon laquelle il serait interdit pendant cinq ans d’utiliser le mélange de bouillon de palourdes et de jus de tomate. Même si le droit vient compléter les rapports contractuels en imposant une obligation de ne pas utiliser abusivement des renseignements confidentiels, il n’y a en l’espèce rien de particulier qui permette d’élever au rang d’obligation fiduciaire l’obligation qui n’a pas été respectée. Les intimées vont trop loin en exigeant que, par analogie avec un patrimoine de fiducie, les ventes effectuées par les appelants soient traitées comme un bien leur appartenant qui a été «piraté».

C. La pertinence des contrats de licence et d’achat ferme

33 Contrairement à ce qui s’est passé dans Lac Minerals, précité, les parties en l’espèce ont défini leurs rapports commerciaux dans une série de contrats. Les appelants estiment que ce contexte contractuel est important relativement à la question de la réparation parce que les renseignements confidentiels ont été communiqués après la conclusion du contrat de licence (et, par la suite, du contrat d’achat ferme). Les appelants affirment que les intimées se sont retrouvées dans l’environnement concurrentiel qu’elles avaient négocié. En fait, les appelants soutiennent que les objectifs de principe qui sous‑tendent les réparations habituellement accordées dans une action pour abus de confiance ne s’appliquent pas lorsque les parties à une opération commerciale ont réglé leurs propres rapports par contrat.

34 Les clauses contractuelles invoquées par les appelants en ce qui a trait à la réparation sont celles de la résiliation et de «l’intégralité du contrat» contenues dans le contrat de licence:

[traduction] 7. LE TITULAIRE DE LA LICENCE s’engage, pendant la durée du présent contrat et pendant une période de 5 ans par la suite, à ne pas fabriquer, produire, commercialiser, annoncer, distribuer ou vendre dans le territoire un autre produit qui compte parmi ses ingrédients du bouillon de palourdes et du jus de tomate.

. . .

14. . . .

c) La présente constitue l’intégralité du contrat et de l’entente intervenus entre les parties relativement au sujet traité et remplace tous les contrats et ententes antérieurs (écrits ou verbaux) concernant le présent sujet.

35 Ni le contrat de licence ni le contrat d’achat ferme ne traitent expressément de la question de la confidentialité. Il a déjà été mentionné qu’il n’existe aucun lien contractuel entre les appelants et les intimées. La seule partie qui était liée par contrat avec Duffy‑Mott était Caesar Canning, aujourd’hui en faillite, qui n’a jamais été partie à la présente instance. L’appelante Les aliments FBI était partie au contrat d’achat ferme conclu avec Caesar Canning, mais même si elle a consenti à ce contrat, Duffy‑Mott n’y était pas partie. Les appelants soutiennent toutefois que les clauses contractuelles limitent ou circonscrivent l’obligation de confidentialité qui existerait par ailleurs en equity, et qu’elles restreignent donc la réparation à accorder. Selon eux, les intimées n’ont droit à aucune indemnité de quelque nature que ce soit.

36 Tout comme une clause contractuelle peut limiter ou annihiler une obligation plus générale imposée implicitement par le droit de la responsabilité délictuelle, une clause contractuelle qui traite de la confidentialité, expressément ou par déduction nécessaire, peut aussi annihiler l’obligation générale par ailleurs imposée par l’equity: 337965 B.C. Ltd. c. Tackama Forest Products Ltd. (1992), 91 D.L.R. (4th) 129 (C.A.C.‑B.), le juge Southin, à la p. 176, autorisation de pourvoi devant notre Cour refusée, [1993] 1 R.C.S. v. La capacité des parties d’écarter ou de limiter par contrat les obligations générales par ailleurs imposées par le droit relève de ce que l’on appelle le «choix personnel», et les principes généraux applicables en l’espèce seraient analogues à ceux examinés par notre Cour dans le contexte de la concomitance des recours contractuels et délictuels, dans BG Checo International Ltd. c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1993] 1 R.C.S. 12, à la p. 27:

. . . [une obligation en responsabilité délictuelle], une obligation générale qui découle de la loi dans toutes les circonstances pertinentes, doit céder devant le droit supérieur des parties d’organiser leurs droits et leurs obligations d’une manière différente. Dans la mesure où le contrat ne déroge pas à l’obligation en responsabilité délictuelle, celle‑ci demeure intacte et elle ouvre droit à un recours.

37 Les appelants font valoir que si des dispositions contractuelles peuvent annihiler complètement l’obligation de confidentialité par ailleurs existante, elles devraient aussi pouvoir restreindre, expressément ou par déduction, l’indemnité payable. Ils affirment que les intimées ont obtenu exactement ce qu’elles avaient négocié, à savoir, dans le cas où il y aurait résiliation du contrat, un environnement concurrentiel dans lequel Clamato pourrait perdre une part du marché au profit d’un produit de remplacement de Caesar Canning qui respecterait l’exigence contractuelle de ne pas comporter de bouillon de palourdes.

38 Cette analyse est correcte en soi, mais elle ne tient pas compte du fait que les intimées n’ont pas négocié pour faire face à la concurrence injuste qui résulterait de l’utilisation contre elles de leurs propres connaissances techniques transmises à titre confidentiel. Le contrat ne saurait raisonnablement être interprété comme annihilant l’obligation de confidentialité imposée par le droit. Même s’il peut imposer des paramètres importants quant à l’indemnisation appropriée, le contexte contractuel ne peut aider les appelants à éliminer complètement l’indemnisation.

D. La pertinence de l’argument des intimées fondé sur l’allégation d’un droit «de propriété» sur les renseignements donnés

39 Une bonne partie de l’argumentation des intimées dans le pourvoi principal et le pourvoi incident repose sur une analogie qui, selon elles, existe entre le manquement à une obligation de confidentialité et la protection de la propriété intellectuelle. Elles soutiennent, en effet, que les objectifs de principe qui sous‑tendent la protection conférée par les brevets s’appliquent aux abus de confiance dans une affaire commerciale où des secrets industriels sont l’objet de l’utilisation ou de la communication abusives.

40 L’argument selon lequel des renseignements confidentiels constituent un bien à certaines fins est avancé par le professeur A. S. Weinrib dans «Information and Property» (1988), 38 U.T.L.J. 117. Dans R. c. Stewart, [1988] 1 R.C.S. 963, notre Cour a conclu que, peu importe leur statut dans d’autres contextes, les renseignements ne sont pas des biens aux fins des dispositions du Code criminel en matière de vol. Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a commenté, en passant, la possibilité que des secrets industriels puissent être considérés comme des biens, aux pp. 974 et 975:

En effet, [les renseignements confidentiels] possèdent plusieurs des caractéristiques des autres types de biens: par exemple, un secret industriel, qui est un genre particulier de renseignements confidentiels, peut être vendu; il peut faire l’objet d’une licence ou être légué; il peut aussi faire l’objet d’une fiducie ou être transmis à un syndic de faillite. Dans le domaine commercial, il existe des raisons d’accorder une certaine protection au détenteur de renseignements confidentiels: ceux‑ci sont le fruit de travail, d’habileté et de dépenses et leur utilisation non autorisée minerait des efforts productifs qui doivent plutôt être encouragés. Comme le terme «propriété» désigne simplement l’ensemble des droits dont jouit le propriétaire, cette protection pourrait être accordée sous la forme de droits de propriété.

41 La qualité de biens que les intimées attribuent aux renseignements confidentiels est controversée. Traditionnellement, les tribunaux de notre pays et d’autres ressorts de common law se sont donné beaucoup de mal pour souligner que l’action trouve son fondement dans les rapports de confiance plutôt que dans les caractéristiques juridiques des renseignements confiés. Voir, par exemple, le juge Holmes dans l’arrêt de la Cour suprême des États‑Unis E. I. Du Pont de Nemours Powder Co. c. Masland, 244 U.S. 100 (1917), à la p. 102:

[traduction] Le terme «bien» appliqué aux [. . .] secrets industriels est une expression générale de certaines conséquences secondaires du fait essentiel que le droit comporte des exigences élémentaires de bonne foi. Que les demandeurs aient ou non un secret de valeur, le défendeur connaît la situation, quelle qu’elle soit, grâce à une confidence particulière qui lui a été faite. On peut nier qu’il s’agit d’un bien, mais non qu’une confidence a été faite. Par conséquent, le point de départ de la présente affaire n’est pas le bien [. . .] mais plutôt le fait que le défendeur avait des rapports confidentiels avec les demandeurs, ou l’un d’eux.

42 Le juge Deane de la Haute Cour d’Australie a fait la même remarque dans Moorgate Tobacco Co. c. Philip Morris Ltd. (1984), 156 C.L.R. 414, à la p. 438:

[traduction] À l’instar de la plupart des chefs de compétence exclusive en equity, son fondement logique ne tient pas à un droit de propriété. Il réside dans le concept d’obligation morale découlant des circonstances dans lesquelles les renseignements ont été communiqués ou obtenus.

Voir aussi Federal Commissioner of Taxation c. United Aircraft Corp. (1943), 68 C.L.R. 525 (H.C. Austr.), le juge en chef Latham, aux pp. 534 et 535; Macri c. Miskiewicz (1991), 39 C.P.R. (3d) 207 (C.S.C.‑B.), modifié à (1993), 50 C.P.R. (3d) 76, le juge Southin, à la p. 83.

43 Que la cause d’action soit décrite comme étant sui generis ou comme relevant de l’equity, cela ne change rien au fait qu’elle concerne l’utilisation abusive d’un renseignement confidentiel. Il est néanmoins vrai que la nature des renseignements peut influer sur la réparation appropriée. Les intimées s’appuient sur l’analogie abondamment citée (et souvent critiquée) que le maître des rôles lord Denning fait dans Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), précité, à la p. 719, entre l’indemnisation pour abus de confiance et les dommages‑intérêts pour détournement de biens:

[traduction] La question qui se pose maintenant concerne les principes qui doivent régir l’évaluation des dommages‑intérêts. Comme nous l’avons dit, ils doivent être fixés en fonction de la valeur des renseignements obtenus par la société défenderesse. Si je peux me permettre une analogie, cela s’apparente aux dommages‑intérêts pour détournement de biens. Leur montant se fonde sur la valeur des biens. Une fois les dommages‑intérêts versés, les biens deviennent la propriété du défendeur. L’exécution d’un jugement en matière d’appropriation illicite a pour effet de transférer la propriété des biens. Ainsi, en l’espèce, une fois les dommages‑intérêts évalués et versés, les renseignements confidentiels appartiennent à la société défenderesse.

44 L’arrêt Seager c. Copydex Ltd. (No. 2) a été mentionné par le juge La Forest à la p. 671 de l’arrêt Lac Minerals. Dans cette affaire, lord Denning avait abordé des questions de réparation qui découlaient de la décision sur la responsabilité rendue dans Seager c. Copydex Ltd. (No. 1), précité. Les faits concernant la responsabilité dans cette affaire étaient les suivants. Le demandeur avait inventé une latte de fixation pour tapis. Celle‑ci n’était pas brevetée. Au cours de négociations visant la signature éventuelle d’un contrat de production et de commercialisation avec Copydex, le demandeur avait décrit son invention en détail. Aucun contrat n’a été conclu. La défenderesse a par la suite commercialisé une latte de fixation pour tapis qui, selon la cour, constituait une copie de l’invention du demandeur, quoique réalisée innocemment selon ce qui a été qualifié de [traduction] «plagiat inconscient». Aucune injonction n’a été accordée, mais la défenderesse a dû payer au demandeur la «valeur marchande» des renseignements qu’elle s’était appropriée illicitement quoique innocemment. L’indemnité ayant été versée, lord Denning a estimé que [traduction] «les renseignements confidentiels appartiennent à la société défenderesse» (p. 719).

45 L’arrêt Seager c. Copydex Ltd. (No. 2) présente quelques difficultés théoriques sur le plan de l’equity. L’equity ne pouvait pas s’appliquer en fonction de la «conscience coupable» de la défenderesse dans cette affaire parce que celle‑ci n’avait apparemment rien à se reprocher. Malgré la conclusion, à la p. 417 de Seager c. Copydex Ltd. (No. 1), que [traduction] «[l]es coïncidences sont trop fortes pour permettre toute autre explication» que le plagiat, la cour a statué que la défenderesse était moralement sans reproche. Même si lord Denning a considéré qu’il s’agissait d’une cause d’action en «equity» (à la p. 417), l’absence de comportement répréhensible peut avoir amené la cour à insister sur la valeur des renseignements appropriés illicitement plutôt que sur l’appropriation illicite elle‑même. Il y a lieu également de signaler que dans l’arrêt Phipps c. Boardman, [1967] 2 A.C. 46, rendu deux ans avant Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), précité, la Chambre des lords avait jugé, dans un arrêt partagé, que des renseignements confidentiels pouvaient être qualifiés à juste titre de bien aux fins du droit des fiducies. Dans cette affaire, le fiduciaire avait utilisé des renseignements confidentiels au profit de la fiducie et à son propre profit. La question était de savoir si les renseignements ainsi appropriés illicitement constituaient un bien de la fiducie, ce qui obligerait le fiduciaire à restituer sa part des profits. La Chambre des lords a conclu que c’était le cas et a ordonné la restitution. La décision reposait sur le droit des fiducies plutôt que sur le droit des biens. Dans Re Keene, [1922] 2 Ch. 475 (C.A.), il a été jugé qu’une formule secrète était un bien qui passait au syndic de faillite.

46 Je ne crois pas qu’il soit bien utile pour les intimées en l’espèce d’invoquer le droit de la propriété intellectuelle. Cela ne tient pas compte du «marché» qui est au cœur même de la protection conférée par les brevets. Un brevet est un monopole légal accordé en contrepartie de la divulgation totale et complète de son invention par le breveté. La divulgation est la condition essentielle du marché intervenu entre le breveté, qui obtenait, à l’époque, un monopole de 17 ans sur l’exploitation de l’invention, et le public, qui obtient le libre accès à tous les renseignements nécessaires pour mettre en œuvre l’invention. Par conséquent, au moins un des objectifs de principe qui sous‑tendent les réparations que le titulaire d’un brevet peut demander en vertu de la loi est de rendre la divulgation plus attrayante, et à ainsi faire en sorte que des connaissances utiles soient rendues publiques le plus rapidement possible conformément à l’intérêt public. Comme l’a fait remarquer le juge Hugessen dans Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.), à la p. 366, les entrepreneurs de l’industrie alimentaire renoncent fréquemment à la protection conférée par les brevets afin d’éviter la divulgation et de peut‑être ainsi prolonger leur avantage concurrentiel au‑delà de la durée de 17 ans d’un brevet. On nous affirme que le secret de la recette du Coca‑Cola aurait été préservé ainsi pendant des dizaines d’années. Si un tribunal devait accorder une indemnité aux intimées en se fondant sur des principes analogues à ceux applicables en matière de contrefaçon de brevet, celles‑ci se trouveraient à bénéficier de réparations attachées au brevet sans avoir à établir que leur invention satisfait aux critères légaux de délivrance d’un brevet, ou sans avoir à payer le prix de la divulgation publique de leur secret.

47 La réticence des tribunaux de common law à l’extérieur des États‑Unis à traiter les secrets industriels comme une sorte de bien ou de quasi‑bien a été critiquée: voir, par exemple, M. Chromecek et S. C. McCormack, World Intellectual Property Guidebook: Canada (1991), où l’on fait remarquer, à la p. 3‑27:

[traduction] Ce ne sont pas tous les renseignements qui peuvent être des biens; seuls les renseignements confidentiels le peuvent. La confidentialité est une condition sine qua non pour que des renseignements soient des biens. Cette interprétation est tout à fait compatible avec l’essence d’autres droits de propriété intellectuelle, brevets, droits d’auteur, dessins industriels, marques de commerce ou même droits de la personnalité, dont la valeur réside non pas dans leur possession, mais dans la capacité de leur titulaire d’empêcher d’autres personnes de les exploiter.

48 Je suis évidemment d’accord avec l’insistance de l’auteur sur la confidentialité. Le manquement à l’obligation de confidentialité est l’élément essentiel de la plainte. Toutefois, pour ce qui est de la réparation, je ne pense pas qu’une réparation fondée sur le droit de propriété devrait automatiquement être accordée. Une telle réparation est appropriée dans certains cas (comme dans Lac Minerals). Cependant, l’equity, qui met l’accent sur la souplesse, n’écarte d’emblée aucune solution. Il serait contraire à la jurisprudence déjà mentionnée de notre Cour de permettre que le choix de la réparation soit guidé par une étiquette («bien») plutôt que par une évaluation cas par cas de ce qu’exige l’equity entre les parties. Dans certains cas, comme l’a indiqué lord Denning dans Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), précité, c’est la valeur commerciale des renseignements plutôt que leur qualité de «bien» qui sera pertinente pour déterminer la réparation. Dans d’autres cas comme Lac Minerals, l’élément clé de la réparation à accorder ne sera pas la qualité de «bien» du secret confié, mais plutôt les événements qui se seraient vraisemblablement produits «n’eût été» le manquement. L’application de l’étiquette «bien» dans ce contexte ne ferait que semer la confusion en matière d’appréciation des objectifs de principe visés par une réparation donnée et des faits particuliers de chaque cas. En l’espèce, le juge de première instance a considéré que les renseignements confidentiels n’avaient rien de très particulier et que, «n’eût été» le manquement, les intimées auraient de toute façon dû affronter sur le marché, dans les 12 mois, une version commercialisable du Caesar Cocktail. Compte tenu de ces faits, il n’y a pas lieu d’accorder une réparation «fondée sur le droit de propriété».

E. La pertinence de la responsabilité délictuelle

49 Au moins un commentateur (le professeur P. M. North dans «Breach of Confidence: Is There a New Tort?» (1972), 12 J.S.P.T.L. 149, aux pp. 163 à 165) a laissé entendre que lord Denning s’orientait vers la création d’un nouveau délit qui fournirait, [traduction] «par l’attribution de dommages‑intérêts, une forme de protection de common law des droits en matière de renseignements confidentiels, analogue à celle prévue par la loi dans le domaine des brevets, du droit d’auteur et de la conception» (p. 170). Dans Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), précité, le lord juge Winn affirme, à la p. 721, que [traduction] «en l’espèce, des dommages‑intérêts peuvent être recouvrés sur une base délictuelle». La Law Commission du Royaume‑Uni a recommandé la création d’un délit par voie législative dans son rapport Breach of Confidence (Law Com. No. 110, Cmnd. 8388 1981), à la p. 151, par. 6.105 et suiv. Cette recommandation est restée lettre morte en Angleterre. La Chambre des lords a ultérieurement affirmé que les actions pour abus de confiance relèvent de l’equity: voir l’affaire Spycatcher, précitée.

50 Néanmoins, dans une affaire d’abus de confiance, les principes de la responsabilité délictuelle pourraient avoir éventuellement une incidence sur les règles de calcul d’une indemnité fondée sur l’equity. Il est bien établi que les règles d’equity peuvent donner lieu à une indemnité plus généreuse que les règles de la responsabilité délictuelle. Par exemple, dans Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, après avoir été privée à tort de l’usage des terres de sa réserve, la bande indienne demanderesse a réussi à obtenir une indemnité qui tenait compte d’un boum inattendu dans le marché immobilier de Vancouver. Ce boum n’était pas prévisible à l’époque où l’État avait loué abusivement les terres des demandeurs indiens au club de golf Shaugnessy. Dans Hodgkinson c. Simms, précité, l’effondrement ultérieur du marché immobilier de Vancouver était également imprévisible, et pourtant la Cour a fait supporter la perte imprévisible par le défendeur. Dans Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, le juge La Forest était disposé à appliquer les principes de la responsabilité délictuelle pour réduire l’indemnité par ailleurs payable en equity (aux pp. 584 à 589), tout en reconnaissant qu’il aurait été possible d’obtenir la même réduction en appliquant des principes d’equity seulement (à la p. 585), alors que le juge McLachlin a fondé toute son analyse sur des principes d’equity (p. 542). Cet argument a été repris dans M. (K.) c. M. (H.), précité, où il a toutefois été convenu que «des mesures d’indemnisation similaires peuvent être appropriées lorsque les mêmes objectifs de principe sous‑tendent deux causes d’action différentes» (le juge La Forest, aux pp. 80 et 81; le juge McLachlin, à la p. 86). Voir aussi le président Cooke dans Mouat c. Clark Boyce, [1992] 2 N.Z.L.R. 559 (infirmé pour d’autres motifs par le Conseil privé, [1993] 4 All E.R. 268), à la p. 569:

[traduction] Il serait anachronique d’établir des distinctions à cet égard entre les diverses sources de responsabilité, qui sont dictées par les mêmes considérations de principe.

51 En l’espèce, les objectifs de principe qui existent tant en equity qu’en matière de responsabilité délictuelle justifieraient le rétablissement de la demanderesse dans la position qu’elle aurait occupée «n’eût été» le manquement (Elsley c. J. G. Collins Insurance Agencies Ltd., [1978] 2 R.C.S. 916, le juge Dickson, à la p. 935). Il semble, d’après ce que nous a permis de découvrir la preuve soumise par les intimées relativement à l’indemnité, que les différences éventuelles sur le plan des principes applicables, tels le caractère éloigné du dommage, la cause intermédiaire et la négligence contributive, ne sont pas pertinentes en l’espèce. Contrairement à des affaires comme Guerin, si la perte subie en l’espèce était évaluée en fonction des principes de common law, on obtiendrait le même résultat que si elle était évaluée selon l’equity, comme nous le verrons plus loin. Compte tenu des circonstances, les principes de la responsabilité délictuelle ne nous rapprochent pas de la solution.

F. La pertinence du préjudice subi

52 Le juge La Forest a affirmé, dans Lac Minerals, que si le demandeur est en mesure d’établir que le défendeur a fait un emploi non autorisé des renseignements au détriment de la partie qui les a communiqués, la cause d’action est complète (aux pp. 635, 636 et 657; voir aussi ICAM Technologies Corp. c. EBCO Industries Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 504 (C.S.C.‑B.), confirmé par (1993), 52 C.P.R. (3d) 61 (C.A.C.‑B.), le juge Toy, aux pp. 63 et 64; Ontex Resources Ltd. c. Metalore Resources Ltd. (1993), 13 O.R. (3d) 229 (C.A.); 655 Developments Ltd. c. Chester Dawe Ltd. (1992), 42 C.P.R. (3d) 500 (C.S.T.‑N.).

53 La question du préjudice se pose en l’espèce parce que le juge de première instance a conclu expressément que les intimées n’avaient subi aucune perte pécuniaire, mais a néanmoins conclu à la responsabilité et accordé des dommages‑intérêts «par souci d’équité». Même si le juge La Forest a considéré, dans Lac Minerals, que le préjudice constitue un élément essentiel de l’action pour abus de confiance (le juge Sopinka ne s’étant pas exprimé sur ce point dans son analyse des principes applicables), il est clair qu’il estimait qu’il s’agit d’un concept général assez large pour englober, par exemple, l’angoisse morale ou psychologique résultant de la divulgation de renseignements intimes (voir, par exemple, Argyll (Duchess) c. Argyll (Duke), [1967] Ch. 302. Dans l’affaire Spycatcher, précitée, lord Keith of Kinkel a fait remarquer, à la p. 256, que, dans certaines circonstances, la divulgation même pourrait suffire pour qu’il y ait préjudice:

[traduction] Je pense donc qu’il suffit pour qu’une communication soit faite au détriment d’une personne que les renseignements qu’elle a communiqués à titre confidentiel soient divulgués à des personnes auxquelles elle aurait préféré qu’ils ne soient pas transmis, même si la divulgation ne lui était aucunement préjudiciable sur le plan concret.

54 Il n’est pas nécessaire d’examiner pour le moment le concept de préjudice car, comme l’a correctement souligné la Cour d’appel, les parties avaient convenu, avant le procès, que toute preuve relative aux pertes qu’auraient subies la demanderesse ferait l’objet d’un renvoi postérieur au procès. Cette entente parait à la nécessité pour les intimées de produire une preuve de préjudice lors du procès portant sur la responsabilité. Cependant, vu qu’elles ont choisi en fin de compte de demander une indemnité pécuniaire, les intimées devront manifestement démontrer, lors du renvoi, la nature et l’étendue de tout préjudice subi pour justifier une telle indemnité.

G. La pertinence de la Lord Cairns’ Act 1858 quant à la compétence pour accorder une indemnité pécuniaire

55 La controverse semble persister quant à la mesure, s’il en est, dans laquelle les complexités historiques de la Chancery Amendment Act, 1858 (Lord Cairns’ Act) et des lois modernes qui lui ont succédé influent sur l’attribution d’une indemnité pécuniaire.

56 Les origines de cette controverse particulière précèdent la fusion de la common law et de l’equity. Le concept de dommages‑intérêts est une création de la common law. La Lord Cairns’ Act, adoptée en 1858, a conféré aux tribunaux d’equity une compétence pour accorder des dommages‑intérêts en sus ou au lieu d’une injonction ou d’une autre réparation particulière d’equity. Les lois provinciales régissant la compétence des cours supérieures des provinces comportent des dispositions semblables; voir, par exemple, les lois suivantes: Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 99; Loi sur la Cour du Banc de la Reine, L.M. 1988‑89, ch. 4, art. 36; Supreme Court Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. S‑10, art. 32; Judicature Act, R.S.A. 1980, ch. J‑1, art. 20; The Queen’s Bench Act, R.S.S. 1978, ch. Q‑1, par. 45(9); Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.Y. 1986, ch. 96, art. 27; Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.T.N.‑O. 1988, ch. J‑1, art. 42.

57 Du point de vue pratique, fonder l’indemnisation sur la Lord Cairns’ Act reviendrait à substituer une indemnité pécuniaire à une injonction, mais non pas nécessairement à permettre de demander une indemnité pour des pertes subies avant la demande d’injonction. De plus, lorsque le juge de première instance a décidé, comme c’est le cas en l’espèce, que les demanderesses n’avaient pas droit à une injonction, il serait possible de contester la compétence pour accorder des dommages‑intérêts. Un problème de compétence pourrait en fait exister dans les cas où [traduction] «il n’y a rien à interdire au défendeur» (D. Capper, «Damages for Breach of the Equitable Duty of Confidence» (1994), 14 Legal Stud. 313, à la p. 314).

58 Dans Nichrotherm Electrical Co. c. Percy, [1957] R.P.C. 207, la Cour d’appel d’Angleterre a exprimé des doutes quant à la possibilité d’obtenir une indemnité pécuniaire en equity sans application de la Lord Cairns’ Act. Dans English c. Dedham Vale Properties Ltd., [1978] 1 W.L.R. 93 (Ch. D.), à la p. 111, le juge Slade a attribué à l’application de la Lord Cairns’ Act l’indemnisation accordée dans Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), même si lord Denning n’en faisait nullement mention. Dès 1979, le vice‑chancelier Megarry a laissé entendre dans Malone c. Commissioner of Police of the Metropolis (No. 2), [1979] 2 All E.R. 620 (Ch. D.), à la p. 633, que:

[traduction] . . . lorsqu’il n’y a rien qui permette d’accorder une injonction, comme c’est le cas lorsqu’il y a déjà eu divulgation, il semble, ce qui laisse à désirer, qu’il ne soit pas possible d’accorder de dommages‑intérêts à cet égard. . .

Voir aussi l’affaire Spycatcher, précitée, lord Goff of Chieveley, à la p. 286; Ben‑Israel c. Vitacare Medical Products Inc., précité, le juge Beaulieu, à la p. 109; Pharand Ski Corp. c. Alberta (1991), 80 Alta. L.R. (2d) 216 (B.R.) le juge Mason, à la p. 257, par. 180 et suiv.; J. D. McCamus, «Equitable Compensation and Restitutionary Remedies: Recent Developments», Special Lectures of the Law Society of Upper Canada 1995: Law of Remedies: Principles and Proofs, 295, à la p. 330.

59 Dans certaines décisions anglaises, une indemnité pécuniaire a été accordée pour le manquement à une obligation fiduciaire sans qu’une demande d’injonction ou d’une autre réparation d’equity n’ait été présentée. Voir, par exemple, Nocton c. Lord Ashburton, [1914] A.C. 932 (H.L.), où le lord chancelier le vicomte Haldane a fait remarquer (à la p. 952) que la Cour de chancellerie, se fondant sur la «conscience» de l’avocat fautif,

[traduction] pourrait ordonner que le défendeur ne verse pas [. . .] des dommages‑intérêts comme tels, mais procède à une restitution, ou indemnise le demandeur en le plaçant dans une situation financière aussi avantageuse que celle dans laquelle il se trouvait avant le préjudice.

60 Même si l’affaire Nocton c. Lord Ashburton concernait un fiduciaire déloyal, l’arrêt Lac Minerals, comme nous l’avons vu, permet d’affirmer que la possibilité de demander une réparation en equity dans une action pour abus de confiance ne dépend plus désormais de l’existence ou de l’inexistence d’une obligation fiduciaire. Parmi les autres décisions rendues au Canada dans lesquelles une indemnité pécuniaire pour abus de confiance a été accordée dans l’exercice d’une compétence générale d’equity, sans que l’on tente de conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire ou qu’on s’inquiète des restrictions cachées dans les lois modernes ayant succédé à la Lord Cairns’ Act, on compte les suivantes: Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd., précité; Recovery Production Equipment Ltd. c. McKinney Machine Co., [1998] A.J. No. 801 (QL) (C.A.); Treadwell c. Martin (1976), 67 D.L.R. (3d) 493; Planon Systems Inc. c. Norman Wade Co., [1998] O.J. No. 3547 (QL) (C. Ont. (Div. gén.)); Z Mark International Inc. c. Leng Novak Blais Inc. (1996), 12 O.T.C. 33 (C. Ont. (Div. gén.)). Voir aussi L. Tsaknis, «The Jurisdictional Basis, Elements, and Remedies in the Action for Breach of Confidence — Uncertainty Abounds» (1993), 5 Bond L. Rev. 18, aux pp. 46 et 47.

61 À l’instar de la common law, l’equity peut continuer à évoluer: Canson Enterprises, précité, le juge La Forest, à la p. 580; United Scientific Holdings Ltd. c. Burnley Borough Council, [1978] A.C. 904, lord Diplock, à la p. 926. Par conséquent, je suis d’avis que, compte tenu de l’évolution des principes d’equity qui ressort de la jurisprudence, nous devrions clairement confirmer que, dans notre pays, le pouvoir d’accorder une indemnité pécuniaire dans un cas d’abus de confiance est inhérent à l’exercice de la compétence générale d’equity et n’est pas tributaire des subtilités de la Lord Cairns’ Act ou des lois qui lui ont succédé. Cette conclusion découle également de la nature sui generis de l’action. L’objectif visé dans une affaire d’abus de confiance est de placer la personne qui a communiqué des renseignements à titre confidentiel dans une situation aussi avantageuse que celle dans laquelle elle se serait trouvée n’eût été le manquement. À cette fin, la Cour a largement compétence pour établir la réparation appropriée à partir de la gamme complète des réparations disponibles, dont une indemnité pécuniaire adéquate.

H. L’objet de l’indemnité

62 En l’espèce, le juge de première instance en est arrivé à la conclusion, à laquelle a souscrit la Cour d’appel, que la formule du Clamato et ses procédés connexes, dans la mesure où ils avaient été communiqués aux appelants, constituaient une combinaison unique d’éléments, même si certains de ces éléments, voire tous, étaient eux‑mêmes bien connus dans l’industrie du jus. Il faut souligner qu’il est question en l’espèce d’emploi non autorisé et non pas de divulgation non autorisée. Il a été jugé que les renseignements transmis à Caesar Canning satisfont aux conditions qu’ils soient inaccessibles aux non‑initiés et qu’ils constituent une source identifiable et distincte d’information dont Caesar Canning s’est servie abusivement pour tirer un avantage commercial. Par conséquent, ces renseignements méritaient d’être protégés, mais quel a été pour les intimées le coût en argent de leur utilisation abusive?

63 Selon les intimées, leurs renseignements sur le Clamato n’ont littéralement pas de prix. Elles affirment que leur utilisation devrait faire l’objet d’une interdiction permanente. Ce n’est que leur utilisation abusive antérieure, qui ne peut désormais plus être corrigée, qui devra faire l’objet d’une indemnisation en argent. Les appelants estiment pour leur part que la Cour devrait se concentrer sur ce qui selon le juge de première instance, représente l’importance secondaire des renseignements qui ont été vraiment utilisés. Le Caesar Cocktail, quelle qu’en soit la formule, aurait été lancé sur le marché. Si confidentiels soient‑ils, les détails du procédé de fabrication notamment n’ont rien ajouté à son marché potentiel. En d’autres termes, les appelants sont d’avis que l’utilisation des renseignements confidentiels peut avoir été une faute donnant ouverture à une action, mais qu’elle n’a causé aucune perte pécuniaire aux intimées.

I. L’évaluation de la «possibilité perdue»

64 Le concept de restitution applicable est défini de la manière suivante dans les motifs du juge McLachlin dans Canson Enterprises, à la p. 556:

En résumé, l’indemnisation est une mesure de redressement pécuniaire fondée sur l’equity à laquelle on peut avoir recours lorsque les redressements d’equity que sont la restitution et la reddition de comptes ne conviennent pas. Par analogie avec la restitution, elle tente de rendre au demandeur ce qu’il a perdu par suite du manquement, c’est‑à‑dire la possibilité qu’il a perdue. La perte réelle du demandeur par suite du manquement doit être évaluée en bénéficiant pleinement de la rétrospective. La prévisibilité n’intervient pas dans le calcul de l’indemnité, mais il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement. [Je souligne.]

La notion de «possibilité perdue» est particulièrement appropriée en l’espèce. Les intimées ne se plaignent pas du fait que les appelants ont fabriqué du Caesar Cocktail à une température ou à une pression atmosphérique données. Les détails de production sont un moyen d’atteindre une fin. La «possibilité perdue» des intimées réside dans le fait qu’en employant ces techniques de production confidentielles les appelants ont pu lancer sur le marché le Caesar Cocktail un an plus tôt qu’ils l’auraient fait par ailleurs. Les intimées n’avaient pas le droit d’être à l’abri de toute concurrence de la part des appelants. En dehors de la restriction du bouillon de palourdes, elles n’avaient que le droit d’être à l’abri de la concurrence des appelants découlant de l’utilisation des renseignements confidentiels leur appartenant. Les intimées font valoir qu’aucun consultant ne pouvait reproduire «exactement» les détails de production du Clamato. C’est peut‑être vrai, mais le juge de première instance a estimé qu’il n’était pas nécessaire que les appelants ou leurs consultants découvrent indépendamment les détails mêmes du Clamato au cours de cette année. La formulation de jus n’a rien de sorcier. Un consultant qualifié aurait pu, à l’aide de diverses techniques mettre au point, dans les 12 mois, un produit semblable ne contenant pas de palourdes et mettre ainsi fin à la «possibilité» commerciale des intimées. L’indignation morale ne doit pas servir à gonfler l’indemnité calculée. Les intimées n’ont droit à rien de plus qu’à la restitution complète de cette possibilité perdue, mais limitée dans le temps.

J. Conclusion du juge de première instance que les renseignements confidentiels n’avaient «rien de très particulier»

65 Le juge de première instance a accordé aux intimées une somme équivalant aux honoraires d’expertise qu’aurait dû débourser Caesar Canning pour mettre au point le Caesar Cocktail sans utiliser abusivement les renseignements confidentiels des intimées. Une méthode semblable a été adoptée par la Cour d’appel du Manitoba dans Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd., précité, et par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans ICAM Technologies Corp. c. EBCO Industries Ltd., précité. Voir aussi Interfirm Comparison (Australia) Pty. Ltd. c. Law Society of New South Wales, [1977] R.P.C. 137. La méthode des «honoraires d’expertise» fait appel aux frais présumés de mise au point (du Caesar Cocktail, en l’espèce) pour remplacer la valeur marchande des renseignements confidentiels. En adoptant cette méthode, le juge de première instance s’est appuyée sur l’analyse de lord Denning, dans l’arrêt Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), précité, que nous avons déjà examiné, qui, pour calculer le montant de l’indemnité en equity, a classé les renseignements confidentiels dans trois catégories: [traduction] «rien de très particulier», «quelque chose de particulier» et «vraiment très particulier», aux pp. 719 et 720:

[traduction] Le problème est de calculer la valeur des renseignements que s’est appropriée la société défenderesse. [. . .] La valeur des renseignements confidentiels dépend de leur nature. [1] S’ils n’ont rien de très particulier, c’est‑à‑dire s’ils ne comportent aucune activité inventive particulière, mais qu’il s’agit du genre de renseignements qui pourraient être obtenus grâce aux services d’un consultant qualifié, leur valeur équivaut aux honoraires que le consultant demanderait pour ceux‑ci, parce qu’en l’espèce la société défenderesse, en s’appropriant des renseignements, aurait simplement gagné du temps en n’ayant pas à engager un consultant. Par contre, [2] si les renseignements ont quelque chose de particulier, par exemple, s’ils comportent une activité inventive si inhabituelle qu’il ne serait pas possible de les obtenir en s’adressant simplement à un consultant, leur valeur est alors beaucoup plus élevée. Elle ne correspond plus seulement aux honoraires du consultant, mais au prix qu’un acheteur sérieux -- désireux d’obtenir ces renseignements -- serait prêt à payer pour ceux-ci. C’est la valeur qu’ils auraient dans une vente de gré à gré. [3] . . . si le demandeur a raison d’affirmer que les renseignements confidentiels étaient vraiment très particuliers, il pourrait bien alors convenir de calculer leur valeur suivant le principe qu’ils feraient normalement l’objet d’une redevance. Le tribunal ne peut évidemment pas accorder de redevance au moyen de dommages-intérêts, mais il pourrait accorder une somme équivalente calculée en fonction de la capitalisation d’une redevance. Il pourrait ainsi en arriver à un montant forfaitaire. Une fois le montant forfaitaire calculé et versé, les renseignements confidentiels appartiendraient alors à la société défenderesse de la même façon que si cette dernière les avaient acquis au moyen d’un contrat de vente. [Je souligne.]

66 Le juge de première instance a nettement classé les secrets industriels que les intimées avaient confiés aux appelants dans la catégorie «rien de très particulier», puisqu’elle a accordé l’indemnité applicable, suivant lord Denning, aux renseignements les moins importants, à savoir de simples honoraires d’expertise représentant les coûts évités de mise au point sur place. Les intimées font valoir qu’aucun consultant ne pouvait reproduire exactement la magie du Clamato, et sûrement pas en 12 mois. Le juge de première instance était toutefois d’avis qu’il n’était pas nécessaire que les appelants découvrent et reproduisent exactement les techniques de production des intimées. Ils seraient concurrentiels en utilisant d’autres techniques permettant de mettre au point un produit à base de tomates assez semblable pour satisfaire le consommateur ordinaire. Si la valeur marchande des renseignements confidentiels représentait la bonne façon de calculer l’indemnité en l’espèce, j’accepterais l’évaluation du juge de première instance. Ce que je conteste est non pas le calcul qu’elle effectue, mais la prémisse sous‑jacente selon laquelle la valeur marchande est la méthode appropriée d’après les faits de la présente affaire.

K. La règle du tremplin

67 Le juge de première instance a reconnu que les renseignements confidentiels utilisés abusivement avaient servi de «tremplin» aux appelants en leur permettant de lancer le jus Caesar Cocktail sur le marché 12 mois plus tôt qu’ils auraient été par ailleurs en mesure de le faire. La notion de «tremplin» ou de «longueur d’avance» émane de la décision du juge Roxburgh Terrapin Ltd. c. Builders’ Supply Co. (Hayes) Ltd., [1967] R.P.C. 375 (Ch. D. 1959), conf. par [1960] R.P.C. 128 (C.A.), à la p. 391:

[traduction] Si je comprends bien, l’essence de cette branche du droit, peu importe son origine, est qu’une personne qui a reçu des renseignements à titre confidentiel n’est pas autorisée à s’en servir comme tremplin pour des activités préjudiciables à la personne qui a fait la communication confidentielle, et ces renseignements continuent de servir de tremplin même lorsque toutes les caractéristiques ont été rendues publiques ou peuvent être vérifiées par un membre du public.

La notion de «tremplin» ou d’«avantage» a été évoquée au Canada, notamment dans Lac Minerals, le juge Sopinka, à la p. 610; Santé Naturelle Ltée c. Produits de Nutrition Vitaform Inc. (1985), 5 C.P.R. (3d) 548 (C.S. Qué.), à la p. 553; Montour Ltée c. Jolicœur, [1988] R.J.Q. 1323 (C.S.), à la p. 1332; Matrox Electronic Systems Ltd. c. Gaudreau, [1993] R.J.Q. 2449 (C.S. Qué.), aux pp. 2463 et 2464, et Ben‑Israel c. Vitacare Medical Products Inc., précité, le juge Beaulieu, à la p. 106.

68 Les intimées prétendent que l’évaluation d’une indemnité fondée sur l’equity par le juge de première instance est erronée pour deux raisons. Premièrement et qui plus est, elles ne se livraient pas à la vente de leurs secrets industriels à des concurrents et, par conséquent, la «valeur marchande» des renseignements n’est pas pertinente. Cela est appuyé jusqu’à un certain point par les motifs de sir Edward Eveleigh dans Dowson & Mason Ltd. c. Potter, [1986] 2 All E.R. 418 (C.A.) où, à la p. 422, il explique la décision Seager c. Copydex Ltd. (No. 2) en indiquant que, dans cette affaire, le demandeur [traduction] «aurait vendu [les] renseignements; c’était son métier». Ce point de vue est aussi étayé par Coco c. A. N. Clark (Engineers) Ltd., précité, le juge Megarry, à la p. 50.

69 Deuxièmement, les intimées affirment que les affaires de «tremplin» sont inapplicables car, interprétées correctement, elles présupposent qu’à la fin de la période où ils avaient «une longueur d’avance», les défendeurs auraient effectivement découvert les secrets qu’ils s’étaient auparavant appropriés illicitement. En réalité, disent‑elles, le Clamato a souvent été imité, mais jamais reproduit exactement.

70 À mon avis, l’argumentation des intimées repose sur une interprétation trop étroite de la jurisprudence. Les caractéristiques uniques du procédé de fabrication des intimées et l’impossibilité qu’il y aurait de le reproduire n’établissent pas nécessairement un lien de causalité avec une perte pécuniaire. Les intimées ne se livraient pas à la vente de renseignements, et je conviens avec elles que la «valeur marchande» des renseignements confidentiels ne représente pas la bonne façon de calculer l’indemnité en l’espèce.

71 Cela dit, elles se livraient à l’exploitation de possibilités de faire du commerce et leur capacité de tirer un profit de la vente de Clamato était restreinte par le droit reconnu des appelants de commercialiser un produit semblable ne comportant pas de bouillon de palourdes. L’évaluation de l’indemnité doit donc porter sur la valeur de la possibilité perdue sur le plan du marché et, notamment, la perte de l’avantage d’être en mesure de commercialiser le Clamato en l’absence de toute concurrence de la part des appelants pendant 12 mois, et elle ne doit pas consister à apprécier la valeur des renseignements confidentiels eux-mêmes.

72 Le juge de première instance a conclu que les appelants ont été en mesure de reproduire approximativement le goût du Clamato sans jamais avoir eu accès au «mélange sec» secret, et que cette reproduction approximative était suffisante à des fins commerciales. Même si les détails du procédé particulier de fabrication des intimées auraient pu ne jamais être découverts, elle a jugé qu’il existe divers autres moyens d’obtenir le résultat souhaité. Comme l’a fait remarquer le juge de première instance, le Clamato a un goût et une texture qui lui sont propres et [traduction] «des changements importants peuvent être apportés aux ingrédients et au procédé de fabrication d’un produit alimentaire sans que l’identité même du produit ne change» (p. 329). C’est pour cette raison qu’il a été jugé que l’indication de quelques degrés de température ici ou de quelques livres de pression ailleurs ainsi que les autres détails communiqués à titre confidentiel aux appelants n’avaient «rien de très particulier». Ces conclusions sont importantes parce qu’elles montrent que même si le Clamato est unique, son caractère unique n’est pas une condition d’exploitation (ni une garantie de justification) de la possibilité de faire du commerce.

73 Les intimées soutiennent que l’analyse du juge de première instance est hypothétique puisque les appelants n’ont jamais en réalité reproduit le Clamato à l’aide de techniques non confidentielles. Cependant, la Cour est libre de se servir de la preuve pour déduire ce qui se serait vraisemblablement produit «n’eût été» le manquement: Lac Minerals, le juge Sopinka, aux pp. 619 et 620, et le juge La Forest, aux pp. 668 et 669; Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 R.C.S. 3, à la p. 15; Pharand Ski Corp. c. Alberta, précité, le juge Mason, à la p. 263, par. 202; Chaleur Silica Inc. c. Lockhart (1990), 108 R.N.‑B. (2e) 366 (B.R.), le juge Russell à la p. 405, par. 76. Dans l’arrêt Coco c. A. N. Clark (Engineers) Ltd., précité, sur lequel elles ont appuyées fortement, le juge Megarry, à la p. 49, a souligné qu’il était factice d’exiger que la personne qui a reçu des renseignements à titre confidentiel découvre «indépendamment» les renseignements déjà portés à sa connaissance.

74 À mon avis, la clé de l’évaluation d’une indemnité fondée sur l’equity en l’espèce est la durée escomptée de la «possibilité perdue» des intimées, c’est-à-dire l’avantage économique dont elles auraient bénéficié après la résiliation de la licence «n’eût été» le manquement. Il serait injuste de protéger le droit que les intimées n’ont jamais eu une possibilité de faire du commerce, en faisant preuve d’une sollicitude excessive à l’égard de leurs renseignements qui n’ont «rien de très particulier».

75 Il existe une autre objection plus générale à l’approche formaliste des intimées. L’equity a établi un seuil relativement bas en ce qui concerne les sortes de renseignements qui sont susceptibles de faire l’objet d’un abus de confiance. Dans Coco c. A. N. Clark (Engineers) Ltd., précité, le juge Megarry a considéré, à la p. 47, qu’un [traduction] «produit de l’intelligence humaine» appliqué à des connaissances existantes pourrait suffire. Le juge Sopinka a adopté un concept tout aussi large à la p. 610 de Lac Minerals, où il a cité le maître des rôles lord Greene dans Saltman Engineering Co. c. Campbell Engineering Co. (1948), 65 R.P.C. 203 (C.A.), à la p. 215. Dans Breach of Confidence, op. cit., Gurry donne des exemples de cas où des renseignements étaient à l’abri de la divulgation parce qu’ils étaient par ailleurs inaccessibles, même s’ils n’avaient que peu ou pas de valeur réelle, notamment le cas d’une invention pour l’élevage du porc qui s’est révélée désastreuse sur le plan commercial dans Nichrotherm Electrical Co. c. Percy, précité. Il conclut, à la p. 82:

[traduction] Il semblerait donc que l’absurdité de renseignements ne doit pas être considérée non pas comme un obstacle à la confidentialité, mais plutôt comme un facteur dont le tribunal tiendra compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une réparation en equity, ou comme un facteur influant sur le montant des dommages‑intérêts qui peut être en cause. [Je souligne.]

76 Bien qu’elle soit ainsi prompte à protéger les confidences, l’equity ne peut pas faire abstraction de la nature de la possibilité perdue par les intimées ou de la valeur de leurs renseignements lorsque vient le temps d’examiner la question de la réparation. L’equity évitera d’enrichir sans cause la personne qui a communiqué des renseignements à titre confidentiel en lui accordant une indemnité trop élevée pour des renseignements qui n’ont «rien de très particulier», tout comme elle évitera d’enrichir sans cause la personne qui reçoit des confidences en accordant une indemnité irréaliste pour les pertes pécuniaires réellement subies. Qualifier l’action de «sui generis» n’atténue en rien la pertinence de ce principe d’«equity».

77 Il me semble que les arguments des intimées en faveur de l’exclusivité concernent au fond leur demande d’injonction. Les renseignements n’ont peut‑être rien de très particulier, disent‑elles, mais ils leur appartiennent et les appelants n’ont aucun droit de les utiliser, en payant ou non. Le refus d’accorder une injonction reviendrait, selon elles, accorder une licence obligatoire. Je pense donc qu’il convient de passer maintenant à la demande d’injonction elle‑même, et à la lumière de la décision rendue sur ce point, je terminerai ensuite l’examen de l’indemnité pécuniaire.

L. La délivrance d’une injonction permanente

78 Qu’elle soit provisoire, interlocutoire ou permanente, l’injonction peut être accordée dans des circonstances appropriées pour empêcher l’utilisation abusive ou la communication appréhendées de renseignements confidentiels, ou la continuation de cette utilisation ou communication. Les problèmes en l’espèce étaient, d’abord, le retard mis par les intimées à faire valoir leurs droits conjugué au changement de situation des appelants dans l’intervalle, résultant, du moins en partie, de l’inaction des intimées; deuxièmement, la conclusion du juge de première instance que les renseignements protégés n’avaient «rien de très particulier»; troisièmement, la conclusion du juge de première instance que toute perte pourrait être corrigée de manière adéquate au moyen d’une indemnité pécuniaire.

(1) Le retard conjugué au changement de situation

79 Le juge de première instance a considéré que cette objection était presque concluante. [traduction] «Ce n’est pas un cas où il y a lieu d’accorder une injonction», a‑t‑elle écrit (à la p. 347), «et il en est ainsi depuis le milieu de 1983, si tel a même été le cas». Les intimées ont tardé à faire valoir leurs droits contre les appelants et, une fois qu’elles l’ont fait, elles ont tardé à faire progresser l’action. Le Caesar Cocktail a été lancé sur le marché le 15 avril 1983. Les intimées savaient alors que les appelants vendaient une imitation du Clamato, qui ne comportait pas de bouillon de palourdes. Le fait que les intimées puissent avoir tardé à agir en raison d’une méprise quant aux droits que leur conférait la loi était sûrement une considération pertinente quant à la défense d’acquiescement invoquée contre elles, mais le retard ainsi expliqué peut néanmoins entrer en ligne de compte dans l’évaluation des droits en equity à une injonction permanente. Influencés en partie du moins par l’inaction persistante des intimées, les appelants ont, le 10 janvier 1985, acheté l’actif de la faillie Caesar Canning pour la somme de 955 000 $.

80 Ce n’est que le 19 juin 1987 que les intimées ont envoyé une mise en demeure aux sociétés FBI, les menaçant d’intenter des poursuites. Une action a été intentée environ un an plus tard. Les appelants ont demandé d’autres détails sur la déclaration et, une autre année s’est écoulée avant que les demanderesses ne déposent leur avis d’intention de procéder. Les tribunaux d’instance inférieure ont conclu que les demanderesses avaient laissé s’écouler environ six ans après la résiliation du contrat de licence avant d’agir sérieusement dans leur action contre les appelants.

81 Dans Injunctions and Specific Performance (feuilles mobiles), de R. J. Sharpe, on cite au par. 1.840 de nombreux cas à l’appui du principe que [traduction] «une combinaison de retard et de préjudice causé au défendeur est nécessaire pour priver le demandeur d’une réparation particulière à laquelle il a par ailleurs droit». Cette combinaison, souvent considérée comme le deuxième élément de la règle du manque de diligence, peut provoquer le rejet d’une demande d’injonction même si la conduite du demandeur n’équivaut pas à une reconnaissance de la justesse de la position du défendeur selon le premier élément de cette règle. Le juge La Forest a souligné cette distinction aux pp. 76 à 78 de M. (K.) c. M. (H.), précité. Un bon exemple d’application de ce principe est l’arrêt Institut national des appellations d’origine des vins et eaux‑de‑vie c. Andres Wines Ltd. (1987), 40 D.L.R. (4th) 239 (H.C. Ont.), le juge Dupont, à la p. 297, confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario (1990), 71 D.L.R. (4th) 575n, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême de Canada refusée, [1991] 1 R.C.S. x. Dans cette affaire, l’institut français des vins et les producteurs français de champagne ont tenté d’empêcher les producteurs de vin canadiens d’utiliser le nom «champagne» pour leurs produits. Rien n’indiquait que les demandeurs français avaient reconnu la justesse de la thèse juridique avancée par les défendeurs canadiens. Néanmoins, indépendamment de toute autre considération, la cour a statué que, pendant le délai lui‑même (qui était beaucoup plus long qu’en l’espèce), les producteurs de vin canadiens avaient investi des sommes considérables dans la recherche et la mise au point d’un «champagne canadien» et s’étaient taillés une place sur le marché intérieur. L’injonction a été refusée et l’action a été rejetée intégralement pour ces raisons notamment.

82 Toutefois, comme les auteurs le font également remarquer au par. 1.870 de l’ouvrage de Sharpe intitulé Injunctions and Specific Performance, op. cit., le retard et le préjudice n’empêchent pas nécessairement d’intenter l’action. Il peut y avoir un retard conjugué à un préjudice qui [traduction] «a un effet moins draconien et qui est pertinent quant à la question du choix de la réparation, à savoir un retard suffisant pour priver le demandeur d’une réparation particulière, mais non pour empêcher toute action». Dans Stephenson Jordan & Harrison Ltd. c. MacDonald & Evans (1951), 69 R.P.C. 10 (C.A.), à la p. 16, le tribunal a jugé pertinent pour la délivrance d’une injonction le fait que le tiers qui devait être visé par cette injonction (comme c’est le cas des appelants en l’espèce) n’avait pris connaissance de l’abus de confiance allégué qu’[traduction] «après avoir [. . .] dépensé des sommes considérables». Il restait la possibilité pour la demanderesse de réclamer une indemnité pécuniaire. Dans la présente affaire, le retard des intimées, conjugué à l’investissement et à l’activité commerciale relatifs au Caesar Cocktail auxquels s’étaient livrés les appelants dans l’intervalle, militaient fortement contre la délivrance d’une injonction.

(2) Le fait que les renseignements n’ont «rien de très particulier»

83 L’opinion du juge de première instance, suivant laquelle le fait que les renseignements n’avaient «rien de très particulier» militait contre la délivrance d’une injonction permanente, est étayée par l’analyse du juge La Forest dans Lac Minerals, à la p. 643:

Imposer à celui qui a reçu des renseignements confidentiels une incapacité de participer à un marché offrant de la place à plus d’un participant pourrait être déraisonnable, comme dans le cas où les renseignements portent sur un procédé de fabrication ou un détail de dessin. Dans de tels cas, il se peut que l’obligation imposée à celui qui a reçu les renseignements consiste à ne pas s’en servir sans verser d’indemnité à cet égard ou à partager les bénéfices qu’il en a tirés. [Je souligne.]

84 En l’espèce, la Cour d’appel a néanmoins infirmé la décision du juge de première instance et a accordé une injonction permanente. En fait, le juge Newbury a estimé qu’il serait injuste d’imposer à la partie défenderesse une vente forcée de ses renseignements confidentiels. Elle a préféré le point de vue exprimé par le maître des rôles lord Evershed, adopté dans Terrapin, précité, à la p. 135, où celui‑ci doutait que l’appropriation illicite de renseignements confidentiels par un concurrent devait être considérée comme étant [traduction] «simplement une question d’indemnité en argent». Le juge Newbury a également cité, à la p. 349, les propos tenus par le lord juge Smith dans Shelfer c. City of London Electric Lighting Co., [1895] 1 Ch. 287 (C.A.), à la p. 322, où il affirme que

[traduction] la personne qui commet un acte fautif (qu’il s’agisse d’une société publique à des fins publiques ou d’un simple particulier) n’a pas, de ce fait, le droit de demander à la cour de sanctionner son geste en lui permettant d’acheter les droits de son voisin, en déterminant des dommages‑intérêts à cet égard . . .

85 La loi perdrait son effet dissuasif si les défendeurs pouvaient s’approprier illicitement des renseignements confidentiels et conserver les profits qu’ils en tirent, en versant simplement une indemnité si jamais ils se faisaient prendre et étaient poursuivis avec succès.

86 Je pense toutefois qu’il faut tempérer son indignation en l’espèce en examinant les droits en equity des parties à la date du procès. Onze années s’étaient écoulées depuis que l’on avait commencé à produire le Caesar Cocktail à l’aide de renseignements n’ayant «rien de très particulier» qui auraient pu être remplacés promptement (si les intimées avaient réagi à temps) par d’autres techniques accessibles à toute personne spécialisée dans la formulation de jus. À la date du procès, il aurait été manifestement injuste de permettre que la délivrance d’une injonction dépende de renseignements d’importance secondaire. Les droits en equity favorisant la demande d’injonction des intimées visant à retirer le Caesar Cocktail du marché cédaient le pas à juste titre aux droits en equity des appelants de poursuivre des activités dont le succès tenait si peu aux renseignements confidentiels qui leur avaient été communiqués.

(3) L’à‑propos d’une réparation pécuniaire

87 La présente affaire concerne essentiellement le règlement de comptes financiers entre des entités commerciales. Si elle avait été accordée, l’injonction aurait causé aux appelants un préjudice disproportionné au droit légitime des intimées: voir, par exemple, l’affaire Spycatcher, précitée, lord Goff, à la p. 290:

[traduction] Mais les [révélations du journal concernant l’affaire Spycatcher] étaient très brèves: elles donnaient peu de détails sur les allégations; certaines allégations avaient déjà été faites auparavant; de plus, dans la mesure où les articles allaient au‑delà de ce qui avait déjà été publié, je ne considère pas que le juge a commis une erreur en statuant que, dans les circonstances, la demande d’injonction était disproportionnée à l’objectif légitime poursuivi. [Je souligne.]

Si une injonction était accordée dans les circonstances de la présente affaire, elle causerait aux appelants en 1999 un préjudice sur le plan de la concurrence allant bien au‑delà de ce qui est nécessaire pour «rétablir» les intimées dans la position concurrentielle qu’elles auraient occupée «n’eût été» le manquement commis il y a 16 ans, le 15 avril 1983.

88 Comme dans Schauenburg Industries Ltd. c. Borowski (1979), 101 D.L.R. (3d) 701 (H.C. Ont.), le juge Craig, à la p. 712, il est possible de remédier suffisamment à tout coup subi par les intimées en leur accordant une indemnité pécuniaire.

89 Dans ces circonstances, le juge de première instance a eu raison de refuser d’accorder une injonction permanente, et l’injonction permanente prononcée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique devrait être annulée.

M. Le calcul de l’indemnité pécuniaire

90 Une injonction leur étant refusée, il ne reste plus aux intimées qu’à demander une indemnité en argent pour être rétablies dans la situation qui aurait été la leur n’eût été le manquement. Comme nous l’avons vu, je pense que la Cour d’appel a eu raison de rejeter la méthode des «honoraires d’expertise» adoptée en l’espèce par le juge de première instance. Cette indemnité ne remettrait pas les intimées dans la position qu’elles auraient occupée n’eût été le manquement. Les intimées n’ont pas perdu des honoraires d’expertise. Elles n’œuvraient pas dans ce domaine.

91 La présente affaire se rapproche davantage de l’arrêt Dowson & Mason Ltd. c. Potter, précité, où la demanderesse, comme en l’espèce, était un fabricant et non pas un vendeur d’information. Dans cette affaire, la cour a confirmé le point de vue du juge de première instance selon lequel (à la p. 424):

[traduction] . . . il convient de calculer les dommages‑intérêts en fonction de la perte subie par la demanderesse, qui doit être évaluée en fonction de la perte de profits qu’elle a subie à la suite des présumées communication et utilisation abusives des renseignements confidentiels . . . [Je souligne.]

92 J’estime toutefois que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a commis une erreur en étant disposée à supposer, pour en arriver à un résultat équitable, que si le Caesar Cocktail avait été gardé à l’écart du marché en raison de l’abus qui en est à l’origine, les intimées auraient comblé le vide ainsi créé par des ventes de jus Clamato. Suivant cette hypothèse, les dommages subis par les intimées seraient leurs profits perdus sur les ventes présumées de jus Clamato. Même si un tel point de vue met l’accent où il doit être, c’est‑à‑dire sur la situation financière des intimées, il repose sur un certain nombre d’hypothèses injustifiées. Il n’y a encore aucune preuve précise que la commercialisation du Caesar Cocktail a eu une influence sur les ventes du jus Clamato et, le cas échéant, dans quelle mesure. L’ordonnance d’indemnisation de la Cour d’appel soulève des questions de lien de causalité qui préoccupaient les tribunaux dès 1895 dans Robb c. Green, [1895] 2 Q.B. 1, le juge Hawkins, aux pp. 19 et 20:

[traduction] Il est impossible d’évaluer [la perte] avec une précision mathématique. Il serait injuste d’imputer au défendeur toute la perte d’achalandage subie par le demandeur puisqu’elle ne peut pas être raisonnablement attribuée entièrement à l’acte illicite du défendeur. Les cas précis que l’on peut relier à l’acte du défendeur sont, en vérité, peu nombreux; néanmoins les pertes subies ne constituent pas la limite du préjudice causé au demandeur puisque la sollicitation en bloc de ses clients était susceptible d’en influencer beaucoup et de diminuer de façon permanente ses recettes et profits. Par contre, la fluctuation des affaires, les périodes difficiles et de nombreuses autres circonstances peuvent avoir contribué à la perte. Je ne peux donc accorder au demandeur une indemnité pour toute la réduction des activités de son commerce.

93 Dans Canson Enterprises, précité, le juge McLachlin souligne, à la p. 556, que «[l]a perte réelle du demandeur par suite du manquement doit être évaluée en bénéficiant pleinement de la rétrospective [. . .] mais il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement».

94 Le renvoi ordonné par la Cour d’appel devrait donc se poursuivre, mais à des conditions quelque peu modifiées. Premièrement, il s’agit d’évaluer la perte attribuable à l’abus de confiance, s’il en est, que les intimées ont subie au cours de la période de 12 mois qui a suivi la résiliation. À cette fin, il peut être utile de consulter l’analyse qui a été faite de l’indemnisation en matière de divulgation de secrets industriels dans l’American Restatement (Third) of Unfair Competition, ch. 4, au § 45, p. 516:

[traduction] e. Réparation selon la perte subie par le demandeur. Font souvent partie de la perte découlant de l’appropriation d’un secret industriel les profits perdus que le demandeur aurait réalisés si le défendeur n’avait pas utilisé le secret industriel. Le demandeur peut établir la perte de profits en identifiant les clients qu’il a perdus au profit du défendeur. Il peut aussi l’établir en prouvant qu’il y a eu diminution générale de ses ventes ou ralentissement de la croissance de son entreprise après que le défendeur eut commencé à employer le secret, même si l’existence d’autres conditions du marché susceptibles d’avoir influencé les ventes du demandeur a une incidence sur le caractère suffisant de la preuve du demandeur. Si la preuve permet de conclure qu’en l’absence de l’appropriation, les ventes faites par le défendeur auraient plutôt été faites par le demandeur, ce dernier peut établir sa perte de profits en appliquant son propre pourcentage de marge bénéficiaire aux ventes réalisées par le défendeur.

95 Les intimées ont produit une preuve de nature générale que la part du marché national occupée par le Clamato a chuté de 83,1 pour 100 à 77,8 pour 100 au cours des 12 mois qui ont suivi la résiliation, et que le Caesar Cocktail a acquis 7,1 pour 100 du marché national au cours de sa première année de vente. Les intimées produiront sans doute une preuve que la perte de leur part du marché peut être reliée aux ventes qui ont été détournées au profit du Caesar Cocktail ou de ses produits dérivés au cours de cette période. La tâche de l’arbitre est de faire la meilleure évaluation possible à cette date tardive de l’ampleur de la perte des intimées. Ce faisant, l’arbitre ne doit pas exiger des intimées un degré de preuve plus élevé que ne le permet l’objet de l’enquête. Voir, par exemple, Planon Systems Inc. c. Norman Wade Co., précité, le juge Spence, aux par. 72 à 75.

96 Deuxièmement, la période à l’égard de laquelle il peut y avoir indemnisation est celle de 12 mois qui a suivi la résiliation, comme l’a ordonné la Cour d’appel. Les appelants soutiennent que cette période de 12 mois devrait commencer à la date du préavis, savoir le 15 avril 1982, et ils soulignent que le juge de première instance a affirmé qu’ils auraient pu mettre au point un jus de tomates semblable au Caesar Cocktail, sans les renseignements sur la fabrication du Clamato, [traduction] «au cours de la période de préavis de 12 mois». Il reste cependant que, le 15 avril 1983, date à laquelle la licence a pris fin, les appelants n’avaient pas une formule de Caesar Cocktail conforme à leurs obligations légales envers les intimées. Il n’avaient, en réalité, pris aucune mesure pour fabriquer un produit conforme. Je ne vois aucune raison de faire remonter la fiction de leur recherche hypothétique à la période de préavis. Ce n’est que le 15 avril 1983 que les appelants ont commencé à commettre un abus de confiance par la vente d’un produit. C’est ainsi qu’a débuté la période de concurrence déloyale qui a transformé la «possibilité» des intimées en une «possibilité perdue». Je crois donc que la Cour d’appel a eu raison de fixer au 15 avril 1983 le point de départ de la période à l’égard de laquelle il pouvait y avoir indemnisation. Le juge de première instance a conclu que la concurrence aurait cessé d’être déloyale dès qu’on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que les appelants produisent un jus de tomates indépendamment des renseignements confidentiels. Le juge de première instance a fixé cette période à 12 mois. Par conséquent, il y a lieu aussi de rejeter l’argument des intimées à l’appui d’une prolongation de la période d’indemnisation au‑delà du 14 avril 1984. Vu que l’avantage relatif au marché créé par les renseignements qui n’avaient «rien de très particulier» a cessé d’exister à la fin de la période de 12 mois, une décision de prolonger au-delà de cette date la période à laquelle il peut y avoir indemnisation bénéficierait aux intimées dans une mesure jugée injuste par les tribunaux d’instance inférieure.

97 Troisièmement, l’arbitre peut juger approprié de prendre en considération les «autres conditions du marché» mentionnées dans l’American Restatement. Il faut se rappeler qu’au moment de la résiliation Caesar Canning et Les aliments FBI avaient mis sur pied une infrastructure commerciale à laquelle les intimées ont renoncé par leur préavis de résiliation, et que les appelants avaient parfaitement le droit d’utiliser pour promouvoir leurs propres intérêts économiques par la suite. Comme l’avocat des intimées l’a reconnu dans sa plaidoirie, les appelants [traduction] «possédaient le système de distribution, ils avaient l’expérience, ils avaient développé le marché et ils avaient les contacts. Pourqui devaient-ils s’emparer de [ce secret industriel] également?». Il voulait par là souligner la vulnérabilité de ses clientes à un abus de confiance. Toutefois, si les ventes de Clamato ont effectivement chuté au cours des 12 mois qui ont suivi la résiliation, comme cela semble être le cas, il se peut que l’un des facteurs à l’origine de cette baisse ait été la renonciation à cette infrastructure commerciale, et n’ait aucun lien de causalité avec l’existence du Caesar Cocktail.

98 Quatrièmement, il est possible d’inclure dans le calcul de la perte de profits des intimées les redevances par ailleurs payables en vertu du contrat de licence pendant la période de 12 mois à l’égard de laquelle il peut y avoir indemnisation. S’il est vrai que les intimées avaient l’intention d’abandonner les activités d’attribution de licences et de se limiter, par la suite, à la fabrication et à la distribution, il est également vrai que les appelants ont déjoué cette intention en continuant d’utiliser au moins une partie de ce qui faisait l’objet de la licence. L’arbitre peut donc, dans le calcul de la perte de profits des intimées, examiner si la totalité ou une partie des droits de licence par ailleurs payables (qui représentaient l’évaluation faite par les parties du flux de revenu attribuable à l’objet en cause) devrait être à juste titre incluse dans le calcul.

99 Cinquièmement, l’arbitre devra se souvenir qu’il s’agit d’atteindre un résultat généralement équitable. L’exactitude mathématique n’est ni requise ni possible. Dans United Horse‑Shoe and Nail Co. c. Stewart (1888), 13 App. Cas. 401 (H.L.), certes une affaire de brevet, lord Watson a dit, à la p. 413, que l’évaluation de la perte subie par le commerce de la demanderesse [traduction] «doit toujours être plus ou moins une question d’estimation parce qu’il est impossible de déterminer, avec une précision arithmétique, à combien se seraient élevés, dans le cours ordinaire des affaires, les ventes et les profits [de la demanderesse]». L’arbitre devra procéder par analogie avec le principe formulé dans Wood c. Grand Valley Railway Co. (1915), 51 R.C.S. 283, le juge Davies, à la p. 289:

[traduction] Il était nettement impossible, d’après les faits de cette affaire [Chaplin c. Hicks], d’évaluer avec une précision mathématique les dommages subis par les demandeurs, mais il me semble que les juges ont clairement indiqué qu’une telle impossibilité ne peut «soustraire l’auteur de la faute à l’obligation de payer des dommages‑intérêts pour sa rupture de contrat» et que, par contre, dans de telles circonstances, le tribunal, qu’il s’agisse d’un juge seul ou d’un jury, doit faire «de son mieux» pour les évaluer, et sa conclusion ne sera pas annulée même si la somme accordée est le résultat de conjectures.

Ce principe a été cité et appliqué dans Penvidic Contracting Co. c. International Nickel Co. of Canada, [1976] 1 R.C.S. 267, le juge Spence, aux pp. 279 et 280. Voir aussi Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd., précité, où la Cour d’appel du Manitoba affirme, à la p. 512:

[traduction] Lorsqu’un préjudice est subi dans un contexte commercial compliqué, il peut être nécessaire de recourir à une «méthode souple et imaginative» pour évaluer les dommages‑intérêts.

100 Ces considérations ne sont évidemment pas exhaustives. Je les mentionne parce qu’elles sont ressorties de l’argumentation qui nous a été soumise, et il est à espérer sincèrement qu’elles permettront aux parties d’économiser du temps et de l’argent à la prochaine étape de leur querelle qui dure depuis 16 ans.

Dispositif concernant le pourvoi principal

101 Le pourvoi est donc accueilli, avec dépens, et il est ordonné à l’arbitre de calculer le montant de l’indemnité requise pour que les intimées puissent récupérer ce qu’elles ont perdu par suite de l’abus de confiance des appelants. Pour les motifs exposés, le calcul ne doit porter que sur la période de 12 mois commençant le 15 avril 1983. L’indemnité accordée comprendra l’intérêt avant jugement à partir de la date des pertes, et l’intérêt postérieur au jugement suivant le barème établi dans la Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 79, s’il y a lieu, ou par ailleurs à un taux de deux pour cent inférieur au taux préférentiel des banques. En Colombie‑Britannique, un intérêt simple est habituellement accordé dans le cas des réparations en equity lorsqu’il n’existe pas de circonstances particulières: Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co. (1992), 72 B.C.L.R. (2d) 207 (C.S.), à la p. 229, conf. par (1995), 11 B.C.L.R. (3d) 262 (C.A.). Les appelants ont droit à leurs dépens devant notre Cour. Toutefois, étant donné que les parties ont eu tour à tour gain de cause au cours du présent litige, les intimées ont encore droit à leurs dépens devant la Cour d’appel au second niveau, comme l’a ordonné cette cour, et la question des dépens du procès doit être renvoyée au tribunal de première instance pour qu’il prenne une décision à ce sujet.

Dispositif concernant le pourvoi incident

102 Pour les motifs déjà exposés, je suis d’avis de rejeter le pourvoi incident formé par Cadbury Schweppes et autres contre la limitation de leur indemnité à la période de «longueur d’avance» de 12 mois. Le pourvoi incident ne peut pas être accueilli à moins que nous ne soyons convaincus que les tribunaux d’instance inférieure ont commis une erreur dans leurs conclusions concourantes que les renseignements utilisés abusivement n’avaient «rien de très particulier» et ne conféraient rien de plus qu’une «longueur d’avance» de 12 mois. Au contraire, la preuve étaye amplement ces conclusions et le pourvoi incident doit donc être rejeté avec dépens.

Pourvoi principal accueilli avec dépens. Pourvoi incident rejeté avec dépens.

Procureurs des appelants: Davis & Company, Vancouver.

Procureurs des intimées: Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1999] 1 R.C.S. 142 ?
Date de la décision : 28/01/1999
Sens de l'arrêt : Le pourvoi principal est accueilli et le pourvoi incident est rejeté

Analyses

Droit commercial - Renseignements confidentiels - Abus de confiance - Réparations - Fabricant utilisant des renseignements confidentiels obtenus aux termes d’un contrat de licence pour fabriquer un produit concurrent - L’injonction permanente est‑elle la réparation qu’il convient d’accorder pour un abus de confiance en l’espèce? - La notion de «longueur d’avance» s’applique-t-elle? -- Le calcul d’une indemnité fondée sur l’equity diffère-t-il de celui des dommages-intérêts reconnus en common law?.

Duffy‑Mott a accordé à Caesar Canning une licence relative à sa marque de commerce et à sa formule pour la préparation de «Clamato», un mélange de jus de tomate et de bouillon de palourdes. Pour permettre à Caesar Canning de produire le Clamato, Duffy‑Mott lui a transmis des renseignements confidentiels sur sa recette et ses procédés de fabrication. Caesar Canning a, par la suite, conclu avec l’appelante Les aliments FBI un contrat de fabrication du Clamato et lui a transmis les renseignements confidentiels en question. L’intimée Cadbury Schweppes a acheté les actions de Duffy‑Mott et a avisé Caesar Canning que le contrat de licence (et, par voie de conséquence, le contrat que celle‑ci avait conclu avec Les aliments FBI) prendrait fin 12 mois plus tard, le 15 avril 1983. Le contrat de licence laissait à Caesar Canning (et donc à la société Les aliments FBI) la liberté de faire concurrence à l’intimée dans le marché du jus après la résiliation. Il prévoyait seulement que Caesar Canning n’aurait plus le droit d’utiliser la marque de commerce «Clamato» et qu’il lui serait interdit, pendant une période de cinq ans, de fabriquer ou de distribuer tout produit qui compterait parmi ses ingrédients du bouillon de palourdes et du jus de tomate. En se servant de la liste des ingrédients et du procédé de fabrication du Clamato, mais en omettant d’y inclure des palourdes ou d’autres fruits de mer, Caesar Canning a mis au point le Caesar Cocktail, qui a été lancé sur le marché immédiatement après la résiliation du contrat de licence. La société Les aliments FBI a accepté de mettre en bouteille à forfait le nouveau produit. Les intimées avaient subrepticement découvert la formule exacte du Caesar Cocktail à la fin de mars 1983, mais elles n’ont pris aucune mesure pour faire interdire la fabrication et la vente du Caesar Cocktail, et n’ont protesté d’aucune autre manière, parce qu’elles croyaient à tort que l’absence de bouillon de palourdes dans la recette reformulée serait fatale à leur recours. Lorsque Caesar Canning a déclaré faillite, la société Les aliments FBI a acheté ses actifs et a confié la production du Caesar Cocktail à une filiale en propriété exclusive, Les marques FBI. En 1986, les intimées ont obtenu un nouvel avis juridique au sujet de leurs droits, et ont envoyé une mise en demeure à la société Les marques FBI. La présente action a finalement été intentée en 1988 contre les sociétés FBI. Le juge de première instance a conclu qu’en s’appropriant illicitement les renseignements confidentiels, les appelants avaient bénéficié injustement, dans le marché très concurrentiel des jus, d’un «tremplin» de 12 mois qui n’aurait pas existé sans le manquement commis. Elle a refusé de prononcer une injonction mais a accordé, à titre de «dommages‑intérêts pour la longueur d’avance conférée», la somme qu’aurait dû débourser Caesar Canning pour embaucher un consultant chargé de l’aider à mettre au point sur place un nouveau produit à base de tomates au cours de la période de préavis de 12 mois. La Cour d’appel a accordé aux intimées une injonction permanente ordonnant de cesser l’utilisation des renseignements confidentiels, ou des produits qui en sont tirés. Elle leur a aussi accordé une indemnité représentant les profits qu’elles auraient réalisés si elles avaient vendu une quantité additionnelle de Clamato équivalant au volume des ventes de Caesar Cocktail effectuées au cours de la période de 12 mois ayant suivi la résiliation de la licence, dont le montant devrait être déterminé dans le cadre d’un renvoi.

Arrêt: Le pourvoi principal est accueilli et le pourvoi incident est rejeté.

L’equity, qui fait appel à la conscience, s’intéresse au comportement de la personne entrée en possession de renseignements qui sont en réalité confidentiels, et qu’elle a acceptés comme tels, expressément ou par déduction. L’equity continue de s’appliquer aux renseignements qui sont entre les mains d’un tiers qui les reçoit en sachant qu’ils ont été communiqués par suite d’un abus de confiance (ou qui prend connaissance de ce fait ultérieurement) et prescrit certaines mesures de redressement. La règle d’equity, sur laquelle se sont appuyés les tribunaux d’instance inférieure pour accorder une réparation, peut coexister avec de nombreux autres droits d’action pour utilisation ou communication non autorisées de renseignements confidentiels, notamment les actions fondées sur le droit des contrats, la responsabilité délictuelle et le droit des biens. Dans l’arrêt Lac Minerals, il a été indiqué que l’action pour abus de confiance devait être considérée comme une action hybride sui generis dont les sources multiples émanent de l’equity et de la common law. Le concept de sui generis a été adopté afin de reconnaître la souplesse dont ont fait preuve les tribunaux dans le passé pour maintenir la confidentialité et concevoir des réparations visant à la préserver. L’arrêt Lac Minerals confirme que, dans une action pour abus de confiance, les tribunaux ont compétence pour accorder une réparation dictée par les faits de l’affaire plutôt que par des considérations purement juridictionnelles ou doctrinales. La question de savoir si, dans un cas donné, un abus de confiance relève du droit contractuel, du droit délictuel, du droit des biens ou du droit des fiducies a trait au caractère approprié d’une réparation particulière en equity, mais ne limite pas la compétence du tribunal pour accorder cette réparation.

Il n’y avait pas de rapports fiduciaires en l’espèce. Les objectifs de principe qui sous‑tendent les rapports fiduciaires ne s’appliquent pas généralement aux entités commerciales qui agissent sans lien de dépendance. Même si l’existence d’une obligation fiduciaire ne sera pas niée simplement en raison du contexte commercial lorsque les éléments qui y donnent naissance sont par ailleurs présents, l’objectif primordial de dissuasion applicable au cas de vulnérabilité particulière à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ne s’applique pas en l’espèce.

Une clause contractuelle qui traite de la confidentialité, expressément ou par déduction nécessaire, peut annihiler l’obligation générale par ailleurs imposée par l’equity. Cependant, le contrat de licence en l’espèce ne saurait raisonnablement être interprété comme annihilant l’obligation de confidentialité imposée par le droit. Même s’il peut imposer des paramètres importants quant à l’indemnisation appropriée, le contexte contractuel ne peut aider les appelants à éliminer complètement l’indemnisation.

La qualité de biens que les intimées attribuent aux renseignements confidentiels est controversée. Le fait d’invoquer le droit de la propriété intellectuelle ne tient pas compte du «marché» qui est au cœur même de la protection conférée par les brevets. Un brevet est un monopole légal accordé en contrepartie de la divulgation totale et complète de son invention par le breveté. Si un tribunal devait accorder une indemnité aux intimées en se fondant sur des principes analogues à ceux applicables en matière de contrefaçon de brevet, celles‑ci se trouveraient à bénéficier de réparations attachées au brevet sans avoir à établir que leur invention satisfait aux critères légaux de délivrance d’un brevet, ou sans avoir à payer le prix de la divulgation publique de leur secret. Une réparation fondée sur le droit de propriété ne devrait pas automatiquement être accordée à la suite d’un manquement à l’obligation de confidentialité. Il serait contraire à la jurisprudence de permettre que le choix de la réparation soit guidé par une étiquette («bien») plutôt que par une évaluation cas par cas de ce qu’exige l’equity entre les parties. En l’espèce, le juge de première instance a considéré que les renseignements confidentiels n’avaient rien de très particulier et que, «n’eût été» le manquement, les intimées auraient de toute façon dû affronter sur le marché, dans les 12 mois, une version commercialisable du Caesar Cocktail.

Bien que les règles d’equity puissent donner lieu à une indemnité plus généreuse que les règles de la responsabilité délictuelle, les objectifs de principe qui existent tant en equity qu’en matière de responsabilité délictuelle justifieraient également, en l’espèce, le rétablissement de la demanderesse dans la situation financière qui aurait été la sienne «n’eût été» le manquement.

Au Canada, le pouvoir d’accorder une indemnité pécuniaire dans un cas d’abus de confiance est inhérent à l’exercice de la compétence générale d’equity et n’est pas tributaire des subtilités de la Lord Cairns’ Act ou des lois qui lui ont succédé.

Dans les circonstances de la présente affaire, le juge de première instance a eu raison de refuser d’accorder une injonction permanente, et l’injonction permanente prononcée par la Cour d’appel devrait être annulée. Le fait que les intimées puissent avoir tardé à agir en raison d’une méprise quant aux droits que leur conférait la loi était sûrement une considération pertinente quant à la défense d’acquiescement invoquée contre elles à titre d’obstacle absolu à leur action, mais le retard ainsi expliqué peut néanmoins entrer en ligne de compte dans l’évaluation des droits en equity à une injonction permanente. Alors que la loi perdrait son effet dissuasif si les défendeurs pouvaient s’approprier illicitement des renseignements confidentiels et conserver les profits qu’ils en tirent, en versant simplement une indemnité si jamais ils se faisaient prendre et étaient poursuivis avec succès, il faut tempérer son indignation en l’espèce en examinant les droits en equity des parties à la date du procès. À cette date, 11 années s’étaient écoulées depuis que l’on avait commencé à produire le Caesar Cocktail à l’aide de renseignements n’ayant «rien de très particulier» qui auraient pu être remplacés promptement (si les intimées avaient réagi à temps) par d’autres techniques accessibles à toute personne spécialisée dans la formulation de jus. Si une injonction était accordée dans les circonstances de la présente affaire, elle causerait aux appelants en 1999 un préjudice sur le plan de la concurrence allant bien au‑delà de ce qui est nécessaire pour rétablir les intimées dans la position concurrentielle qu’elles auraient occupée «n’eût été» le manquement commis il y a 16 ans. En ce qui concerne l’indemnité pécuniaire, la Cour d’appel a eu raison de rejeter la méthode des «honoraires d’expertise» adoptée par le juge de première instance en l’espèce, étant donné que les renseignements confidentiels n’étaient pas à vendre. La «valeur marchande» de ces renseignements n’était donc pas une bonne méthode de calcul. Elle a toutefois commis une erreur en étant disposée à supposer que, si le Caesar Cocktail avait été gardé à l’écart du marché, le vide ainsi créé aurait été comblé par des ventes de jus Clamato. Le renvoi ordonné par la Cour d’appel devrait donc se poursuivre, mais à des conditions quelque peu modifiées. Il s’agit d’évaluer la perte pécuniaire, s’il en est, qui a été subie en raison de l’abus de confiance pendant la période à l’égard de laquelle il peut y avoir indemnisation. Cette période est celle de 12 mois qui a suivi la résiliation de la licence, comme l’a ordonné la Cour d’appel. Il est possible de prendre en considération dans le calcul de la perte de profits des intimées les conditions du marché pertinentes, de même que les redevances par ailleurs payables en vertu du contrat de licence, pendant la période de 12 mois à l’égard de laquelle il peut y avoir indemnisation. L’arbitre devra se souvenir qu’il s’agit d’atteindre un résultat généralement équitable; l’exactitude mathématique n’est ni requise ni possible.


Parties
Demandeurs : Cadbury Schweppes Inc.
Défendeurs : Aliments FBI Ltée

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574
arrêts mentionnés: Seager c. Copydex Ltd., [1967] 2 All E.R. 415
Coco c. A. N. Clark (Engineers) Ltd., [1969] R.P.C. 41
Aquaculture Corp. c. New Zealand Green Mussel Co., [1990] 3 N.Z.L.R. 299
M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6
Pre‑Cam Exploration & Development Ltd. c. McTavish, [1966] R.C.S. 551
Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd. (1998), 80 C.P.R. (3d) 449
Ben‑Israel c. Vitacare Medical Products Inc. (1997), 78 C.P.R. (3d) 94
Attorney‑General c. Guardian Newspapers Ltd. (No. 2), [1990] A.C. 109
Seager c. Copydex Ltd. (No. 2), [1969] 2 All E.R. 718
Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99
Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377
337965 B.C. Ltd. c. Tackama Forest Products Ltd. (1992), 91 D.L.R. (4th) 129, autorisation de pourvoi refusée, [1993] 1 R.C.S. v
BG Checo International Ltd. c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1993] 1 R.C.S. 12
R. c. Stewart, [1988] 1 R.C.S. 963
E. I. Du Pont de Nemours Powder Co. c. Masland, 244 U.S. 100 (1917)
Moorgate Tobacco Co. c. Philip Morris Ltd. (1984), 156 C.L.R. 414
Federal Commissioner of Taxation c. United Aircraft Corp. (1943), 68 C.L.R. 525
Macri c. Miskiewicz (1991), 39 C.P.R. (3d) 207, modifié (1993), 50 C.P.R. (3d) 76
Phipps c. Boardman, [1967] 2 A.C. 46
Re Keene, [1922] 2 Ch. 475
Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), [1987] 2 C.F. 359
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534
Mouat c. Clark Boyce, [1992] 2 N.Z.L.R. 559, inf. pour d’autres motifs, [1993] 4 All E.R. 268
Elsley c. J. G. Collins Insurance Agencies Ltd., [1978] 2 R.C.S. 916
ICAM Technologies Corp. c. EBCO Industries Ltd. (1993), 52 C.P.R. (3d) 61, conf. (1991), 36 C.P.R. (3d) 504
Ontex Resources Ltd. c. Metalore Resources Ltd. (1993), 13 O.R. (3d) 229
655 Developments Ltd. c. Chester Dawe Ltd. (1992), 42 C.P.R. (3d) 500
Argyll (Duchess) c. Argyll (Duke), [1967] Ch. 302
Nichrotherm Electrical Co. c. Percy, [1957] R.P.C. 207
English c. Dedham Vale Properties Ltd., [1978] 1 W.L.R. 93
Malone c. Commissioner of Police of the Metropolis (No. 2), [1979] 2 All E.R. 620
Pharand Ski Corp. c. Alberta (1991), 80 Alta. L.R. (2d) 216
Nocton c. Lord Ashburton, [1914] A.C. 932
Recovery Production Equipment Ltd. c. McKinney Machine Co., [1998] A.J. No. 801 (QL)
Treadwell c. Martin (1976), 67 D.L.R. (3d) 493
Planon Systems Inc. c. Norman Wade Co., [1998] O.J. No. 3547 (QL)
Z Mark International Inc. c. Leng Novak Blais Inc. (1996), 12 O.T.C. 33
United Scientific Holdings Ltd. c. Burnley Borough Council, [1978] A.C. 904
Interfirm Comparison (Australia) Pty. Ltd. c. Law Society of New South Wales, [1977] R.P.C. 137
Terrapin Ltd. c. Builders’ Supply Co. (Hayes) Ltd., [1967] R.P.C. 375 (1959), conf. par [1960] R.P.C. 128
Santé Naturelle Ltée c. Produits de Nutrition Vitaform Inc. (1985), 5 C.P.R. (3d) 548
Montour Ltée c. Jolicœur, [1988] R.J.Q. 1323
Matrox Electronic Systems Ltd. c. Gaudreau, [1993] R.J.Q. 2449
Dowson & Mason Ltd. c. Potter, [1986] 2 All E.R. 418
Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 R.C.S. 3
Chaleur Silica Inc. c. Lockhart (1990), 108 R.N.-B. (2e) 366
Saltman Engineering Co. c. Campbell Engineering Co. (1948), 65 R.P.C. 203
Institut national des appellations d’origine des vins et eaux‑de‑vie c. Andres Wines Ltd. (1987), 40 D.L.R. (4th) 239, conf. par (1990), 71 D.L.R. (4th) 575n, autorisation de pourvoi refusée, [1991] 1 R.C.S. x
Stephenson Jordan & Harrison Ltd. c. MacDonald & Evans (1951), 69 R.P.C. 10
Shelfer c. City of London Electric Lighting Co., [1895] 1 Ch. 287
Schauenburg Industries Ltd. c. Borowski (1979), 101 D.L.R. (3d) 701
Robb c. Green, [1895] 2 Q.B. 1
United Horse‑Shoe and Nail Co. c. Stewart (1888), 13 App. Cas. 401
Wood c. Grand Valley Railway Co. (1915), 51 R.C.S. 283
Penvidic Contracting Co. c. International Nickel Co. of Canada, [1976] 1 R.C.S. 267
Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co. (1992), 72 B.C.L.R. (2d) 207, conf. par (1995), 11 B.C.L.R. (3d) 262.
Lois et règlements cités
Chancery Amendment Act, 1858 (R.-U.), 21 & 22 Vict., ch. 27 (Lord Cairns’ Act).
Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 79.
Judicature Act, R.S.A. 1980, ch. J‑1, art. 20.
Loi sur la Cour du Banc de la Reine, L.M. 1988‑89, ch. 4, art. 36.
Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27.
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 99.
Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.T.N.‑O. 1988, ch. J‑1, art. 42.
Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.Y. 1986, ch. 96, art. 27.
Queen’s Bench Act, R.S.S. 1978, ch. Q‑1, art. 45(9).
Supreme Court Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. S‑10, art. 32.
Doctrine citée
Birks, Peter. «The Remedies for Abuse of Confidential Information», [1990] Lloyd’s Mar. & Com. L.Q. 460.
Capper, David. «Damages for Breach of the Equitable Duty of Confidence» (1994), 14 Legal Stud. 313.
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World Intellectual Property Guidebook: Canada. By Milan Chromecek and Stuart C. McCormack
general editor, Donald S. Chisum: New York: M. Bender, 1991.

Proposition de citation de la décision: Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142 (28 janvier 1999)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-01-28;.1999..1.r.c.s..142 ?
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