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14/01/1983 | FRANCE | N°82-152

France | France, Conseil constitutionnel, 14 janvier 1983, 82-152


Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 18 décembre 1982 par MM Jean Francou, Pierre Lacour, Abel Sempé, Pierre Jeambrun, Paul Girod, Roger Romani, Jean Chérioux, Paul d'Ornano, Edmond Valcin, Georges Repiquet, Jean Amelin, Henri Portier, François O Collet, Pierre Carous, Geoffroy de Montalembert, Jean Natali, Marc Jacquet, Sosefo Makape Papilio, Jean-François Le Grand, Jacques Braconnier, Jean Chamant, Hubert d'Andigné, Marcel Fortier, Maurice Lombard, Henri Collette, Christian de La Malène, Michel Giraud, Adrien Gouteyron, Jacques Valade, Paul Kauss, Michel Chauty, Christian Poncelet,

Yvon Bourges, René Travert, Jean Bénard Mousseaux, Rolan...

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 18 décembre 1982 par MM Jean Francou, Pierre Lacour, Abel Sempé, Pierre Jeambrun, Paul Girod, Roger Romani, Jean Chérioux, Paul d'Ornano, Edmond Valcin, Georges Repiquet, Jean Amelin, Henri Portier, François O Collet, Pierre Carous, Geoffroy de Montalembert, Jean Natali, Marc Jacquet, Sosefo Makape Papilio, Jean-François Le Grand, Jacques Braconnier, Jean Chamant, Hubert d'Andigné, Marcel Fortier, Maurice Lombard, Henri Collette, Christian de La Malène, Michel Giraud, Adrien Gouteyron, Jacques Valade, Paul Kauss, Michel Chauty, Christian Poncelet, Yvon Bourges, René Travert, Jean Bénard Mousseaux, Roland Ruet, Jean-Marie Girault, Frédéric Wirth, Guy de La Verpillière, Louis Lazuech, Modeste Legouez, Bernard Barbier, Michel Miroudot, Michel Sordel, Serge Mathieu, Jacques Ménard, Paul Guillaumot, Jean Puech, Richard Pouille, Pierre Louvot, Louis de La Forest, Michel d'Aillières, Guy Petit, Roland du Luart, Hubert Martin, Philippe de Bourgoing, Pierre Croze, Alphonse Arzel, Octave Bajeux, René Ballayer, André Bohl, Roger Boileau, Jean-Marie Bouloux, Louis Caiveau, Jean Cauchon, Auguste Chupin, Jean Colin, François Dubanchet, Henri Goetschy, Jean Gravier, René Jager, Louis Jung, Marcel Lemaire, Bernard Lemarié, Louis Le Montagner, Georges Lombard, Jean Madelain, Daniel Millaud, Jacques Mossion, Paul Pillet, Maurice Prévoteau, André Rabineau, Pierre Salvi, Jean Sauvage, René Tinant, Pierre Vallon, Joseph Yvon, Charles Zwickert, Alfred Gérin, Roger Lise, Georges Treille, sénateurs et par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Jean-Louis Goasduff, Roger Corrèze, Marc Lauriol, Pierre-Charles Krieg, Maurice Couve de Murville, Jacques Marette, Jacques Chaban-Delmas, Jean Falala, Pierre Mauger, Jean Foyer, Philippe Séguin, Lucien Richard, Emmanuel Aubert, Robert-André Vivien, Michel Barnier, Hyacinthe Santoni, Daniel Goulet, Michel Péricard, Tutaha Salmon, Georges Gorse, Jean Narquin, Jacques Godfrain, Michel Noir, Mme Nicole de Hauteclocque, M Pierre Messmer, Mme Florence d'Harcourt, MM Camille Petit, Georges Tranchant, Claude-Gérard Marcus, Olivier Guichard, Yves Lancien, Robert Galley, Alain Peyrefitte, Jacques Toubon, Roland Nungesser, Jacques Lafleur, Robert Wagner, Gérard Chasseguet, Didier Julia, Jean de Préaumont, Charles Miossec, Antoine Gissinger, Roland Vuillaume, Michel Inchauspé, Pierre Raynal, Bruno Bourg-Broc, Xavier Deniau, Jacques Baumel, Germain Sprauer, Jean de Lipkowski, Pierre Bas, Georges Delatre, Jean Tibéri, Gabriel Kaspereit, Etienne Pinte, Jean Proriol, Claude Birraux, Jean-Claude Gaudin, Maurice Dousset, Charles Fèvre, Albert Brochard, Jean Begault, Jean-Pierre Soisson, François d'Harcourt, Paul Pernin, Raymond Marcellin, Francisque Perrut, Georges Delfosse, Raymond Alphandéry, Georges Mesmin, René Haby, Loïc Bouvard, Jean-Paul Fuchs, Jean-Marie Caro, Jean-Marie Daillet, Charles Millon, François d'Aubert, Christian Bonnet, Emmanuel Hamel, Mme Louise Moreau, MM Jean Brocard, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Roger Lestas, Pierre Micaux, Francis Geng, Jean Briane, Germain Gengenwin, Henri Bayard, Pascal Clément, Jean Rigaud, Gilbert Gantier, Jacques Barrot, Charles Deprez, Alain Madelin, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement ;

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;

1. Considérant que la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale est soumise à l'examen du Conseil constitutionnel par plus de soixante députés qui contestent l'article 3 et par plus de soixante sénateurs qui critiquent l'article 26 ; qu'il y a lieu de joindre ces deux saisines pour y être statué par une seule décision ;
2. Considérant que les articles 3 et 26 de la loi instituent, au profit de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, deux contributions dont l'une est assise sur les frais de prospection et d'information afférents à l'exploitation en France des spécialités pharmaceutiques remboursables et dont l'autre est assise sur la consommation de tabacs manufacturés et de boissons d'une teneur en alcool supérieure à 25 p. 100 vol. ;
Sur le grief tiré de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 :
3. Considérant qu'il est soutenu qu'en affectant directement à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés le produit des contributions nouvelles instituées par les articles 3 et 26 de la loi et en prévoyant que les frais de recouvrement et de gestion de la contribution sur les tabacs et alcools s'imputent sur son produit, le législateur a contrevenu aux dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances et, plus spécialement, aux principes de non-affectation et de non-contraction des recettes et des dépenses qu'édicte cet article ;
4. Considérant que les contributions nouvelles, dont les articles 3 et 26 fixent d'ailleurs l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement, entrent dans la catégorie des "impositions de toutes natures" visées à l'article 34 de la Constitution ; qu'aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit d'affecter le produit d'une imposition à un établissement public, ainsi qu'il est fait pour la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ; que, par suite, les contributions des articles 3 et 26 ont le caractère de ressources d'établissement public et, comme telles, ne sont pas soumises aux prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 qui s'appliquent aux seules recettes de l'Etat ;
Sur le grief tiré du principe d'égalité :
5. Considérant que, selon les auteurs des saisines, le principe constitutionnel d'égalité serait méconnu par les articles 3 et 26 de la loi au détriment d'abord des laboratoires pharmaceutiques français, ensuite des producteurs d'alcool excédant le seuil de 25 p. 100 vol., enfin des caisses de sécurité sociale qui ne bénéficient pas des nouvelles ressources ;
6. Considérant, en premier lieu, que l'article 3, alinéa 4, exonère de la contribution sur les spécialités pharmaceutiques "les entreprises dont le chiffre d'affaires hors taxe est inférieur à 50 millions de francs, sauf lorsqu'elles sont filiales à 50 p. 100 au moins d'une entreprise ou d'un groupe dont le chiffre d'affaires consolidé, réalisé en France, dépasse cette limite" ; qu'il est reproché à cette disposition par les députés auteurs de l'une des saisines de méconnaître le principe d'égalité en ce qu'elle favoriserait les filiales de groupes étrangers dont le chiffre d'affaires, réalisé hors de France, n'est pas pris en compte ;
7. Considérant qu'il résulte de son texte même que l'article 3, alinéa 4, prescrit le même seuil d'exonération pour toutes les entreprises redevables de la contribution, qu'elles soient françaises ou étrangères ; qu'il n'établit, donc, entre elles aucune discrimination portant atteinte au principe d'égalité.
8. Considérant, en second lieu, que les sénateurs auteurs de l'une des saisines soutiennent qu'en instituant une cotisation sur les boissons d'une teneur en alcool supérieure à 25 p 100 vol, l'article 26 de la loi crée une discrimination contraire au principe d'égalité qui, selon la saisine, aurait imposé au législateur, dont le but était de lutter contre "l'usage immodéré" des boissons alcooliques, de retenir comme critère de la contribution la quantité d'alcool consommée ;
9. Considérant qu'il appartient au législateur, lorsqu'il établit une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, sous la réserve du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle ;
10. Considérant que le critère tiré de la teneur en alcool n'introduit aucune distorsion entre les divers redevables puisque tout consommateur achetant le même produit sera taxé dans les mêmes conditions ; qu'il ne saurait être contesté que ce critère a rapport avec le but que s'est assigné le législateur ; qu'ainsi les caractères spécifiques attachés par l'article 26 à la contribution sur les boissons alcooliques font obstacle à ce que le principe d'égalité puisse être utilement invoqué, par comparaison avec la situation faite à d'autres boissons alcooliques non soumises à cette contribution ;
11. Considérant, en dernier lieu, que, pour décider de l'attribution du produit des nouvelles contributions à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, le législateur a pu, sans contrevenir au principe d'égalité, prendre en considération la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les différentes caisses participant à la couverture du risque maladie tant du point de vue de leurs charges que de leurs ressources ;
Sur le grief tiré de l'article 73 de la Constitution :
12. Considérant que les sénateurs auteurs de l'une des saisines font valoir qu'en renvoyant à un décret le soin de fixer les conditions d'application de l'article 26 et "notamment l'adaptation" de ses dispositions au cas des tabacs manufacturés vendus dans les départements d'outre-mer, la loi déférée au Conseil constitutionnel viole l'article 73 de la Constitution qui, d'après eux, ferait obstacle à ce que cette adaptation fût opérée par décret ;
13. Considérant qu'aux termes de l'article 73 de la Constitution "le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière" ; que de telles mesures relèvent, selon leur objet, de la voie législative ou de la voie réglementaire ; que, s'agissant de simples mesures d'application d'une disposition législative, même si elles doivent comporter une certaine adaptation à la situation des départements d'outre-mer, c'est à l'autorité réglementaire qu'il appartient normalement de les prendre, sous le contrôle de la juridiction compétente, pour en apprécier la légalité ; que, dès lors, l'article 26 de la loi n'est pas contraire à l'article 73 de la Constitution ;
14. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :
Article premier :
Est déclarée conforme à la Constitution la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 82-152
Date de la décision : 14/01/1983
Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

I / Violation des dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

a) La cotisation perçue sur le tabac et les boissons alcooliques est un impôt

Cette "cotisation" est instituée "au profit de la Caisse Nationale d'Assurance maladie" (art. 27-I). Elle est créée "en raison des risques que comportent ces produits pour la santé ", ces produits étant le tabac et les boissons alcooliques (art. 27-I). Elle est "assise, contrôlée et recouvrée par l'Agence Centrale des organismes de Sécurité Sociale, assistée, en tant que de besoin, par les services de l'Etat désignés par arrêté, dans les mêmes conditions et sous les mêmes garanties et sanctions qu'en matière de contributions indirectes " (art. 27-V). Les frais de recouvrement et de gestion "sont fixés par arrêté et s'imputent sur celle-ci (la cotisation)" (art. 27-V).

Au premier abord, on pourrait supposer que la " cotisation " est une taxe parafiscale. Mais l'analyse détaillée montre qu'il s 'agit d'un impôt.

A/ Il apparaît en premier lieu que le gouvernement n'a pas entendu suivre les règles relatives à l'institution d'une taxe parafiscale, telles qu'elles résultent de l'article 4, alinéa 2, de l'ordonnance organique précitée du 2 janvier 1959.

Selon ce texte, les taxes parafiscales obéissent à trois caractères :

1°/ Elles sont perçues "dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs". Or, la Caisse Nationale de l'assurance maladie est un "établissement public national à caractère administratif" (ch. 21 août 1967, art. 3).

2°/ Elles sont établies par décret en Conseil d'Etat.

3°/ Leur perception au delà du 31 décembre de l'année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances.

Aucune de ces conditions n'étant remplie, la " cotisation " n'est donc pas une taxe parafiscale. Le gouvernement ne le prétend d'ailleurs pas. Il présente la cotisation comme faisant partie des "ressources nouvelles" (p. 3 de l'exposé des motifs) et l'affecte "au profit " de la Caisse Nationale d'assurance maladie. Comme il n'est évidemment pas possible de considérer que la " cotisation " est la rémunération d'un service rendu, on est donc déjà conduit à conclure que la "cotisation" est un impôt.

B/ Ce point de vue est d'ailleurs confirmé par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel rendue dans des situations comparables.

Dans sa décision concernant la taxe radiophonique perçue au profit de la R.T.F., établissement public industriel et commercial (Cons Const. 11 août·1960),*(1) Le Conseil affirme "que cette redevance qui, en raison tant de l'affectation qui lui est donnée que du statut même de l'établissement en cause, ne saurait être assimilée à un impôt et qui, eu égard aux conditions selon lesquelles elle est établie et aux modalités prévues pour son contrô1e et son recouvrement, ne peut davantage être définie comme une rémunération pour services rendus, a le caractère d'une taxe parafiscale de la nature de celles visées à l'article 4 de l'ordonnance organique précitée du 2 janvier 1959".

La décision du 23 février 1970 (Conserves de poisson)*(2) confirme la solution précédente en la renforçant : " qu'il résulte de ces dispositions que, si les taxes parafiscales sont établies par voie réglementaire dans les limites et les conditions prévues par ce texte, il ne saurait en être ainsi des taxes perçues au profit de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics de caractère administratif dépendant soit de l'Etat, soit d'une collectivité territoriale".

Il s'agissait d'une taxe établie au profit de l'Institut Scientifique et technique des pêches maritimes, établissement public national de caractère administratif. Le Conseil décide donc qu'aucune taxe parafiscale ne peut être instituée au profit d'un établissement public administratif et que la taxe ne peut être qu'un impôt.

C/ Pour des prélèvements de cette nature, le choix, comme le montre M. TROTABAS dans l'article·précité, n'est qu'entre impôt, taxe parafiscale et rémunération au service rendu. A propos de la "cotisation" de l'article 27, cette troisième interprétation est, comme on l'a dit, à exclure. Le choix resterait donc entre impôt et taxe parafiscale. Mais, les développements qui précèdent montrent donc qu'il ne peut s'agir que d'un impôt. Le gouvernement n'a d'ailleurs jamais prétendu qu'il s'agissait d'une taxe parafiscale. En outre, le terme de "cotisation" ne peut tromper car il ne s'agit évidemment pas d'une cotisation au sens de l'article L 120 du code de la Sécurité Sociale ou de l'article 13 de l'ordonnance n° 67.706 du 21 Août 1967 sur l'organisation administrative et financière de la Sécurité Sociale car les cotisations sont assises sur les rémunérations des assujettis et sont, par là même, en relation directe avec l'objet des caisses qui les perçoivent.

Enfin, la cotisation est assise et perçue dans les mêmes conditions que les contributions indirectes, ce qui confirme encore, s'il en était besoin, son caractère fiscal.

Il convient de noter que le gouvernement et le parlement, en adoptant l'article 27 de la présente loi, ont entendu se placer dans le cadre de l'article 34, de la constitution qui stipule que : "la loi fixe les règles concernant... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures.. ".

La détermination, par l'article 27 de l'assiette, du taux et des modalités de recouvrement de la "cotisation" nouvelle, prouve en effet que le gouvernement a entendu se placer dans le cadre de la création d'un impôt nouveau.

Les sénateurs soussignés affirment que les modalités d'établissement et d'affectation de cet impôt ne sont pas conformes aux principes énoncés par la Constitution et par 1'ordonnance organique sur 1es lois de finances.

b) L'article 27 du présent projet de loi méconnaît les dispositions de l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances

Les lois de finances doivent respecter les lois organiques prévues à l'article 46 de la Constitution. Or, l'article 18 de l'ordonnance organique formule un certain nombres de règles qui n'ont pas été respectées en l'espèce. Ses deux premiers alinéas disposent que :

" Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général.

Toutefois, certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses. Ces affectations spéciales prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux du Trésor ou de procédures comptables particulières au sein du budget général ou d'un budget annexe ".

1°/ Le premier alinéa concerne la règle dite de l'universalité budgétaire et de non affectation des recettes aux dépenses. Elle a été directement violée en l'espèce puisque l'article 27 - V décide que les frais relatifs au recouvrement et à la gestion de la "cotisation" "s'imputent sur celle-ci". Il y a donc là "contraction entre les recettes et les dépenses" au sens de l'article 18, alinéa 1er, de l 'ordonnance organique.

2°/La violation de l'article 18, alinéa 2, de l'ordonnance est plus grave. L'impôt nouveau est institué "au profit" d'un établissement public national à caractère administratif, la Caisse Nationale d'assurance maladie. Or, l'article 18, alinéa 2, n'admet à titre exceptionnel ("toutefois"), l'affectation directe de certaines recettes à certaines dépenses que lorsque l'affectation est opérée :

- au profit d'un budget annexe,

- au profit d'un compte spécial du Trésor,

- par procédure particulière au sein du budget général ou d'un budget annexe.

Cette dernière procédure ne concerne (art. 19) que les fonds de concours et la procédure de rétablissement de crédit. Au surplus, l'article 18 "in fine" décide : "Aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi". Les dépenses, en matière de Sécurité Sociale, résultent bien d'un droit permanent reconnu par la loi, de sorte que même la situation très exceptionnelle visée par l'article 18 ne se rencontre pas ici.

La constitution et la loi organique ont entendu interdire, à partir de 1958, des pratiques malheureusement fréquentes sous la IIIème et la IVème République, et qui faisaient l'objet de critiques unanimes. L'article 27 tente de revenir à ces pratiques interdites. Il est donc contraire à la Constitution pour les motifs indiqués ci-dessus car il n'est plus possible, depuis l'entrée en vigueur de la 1a Constitution, d'affecter un impôt à un établissement public administratif et, qui plus est, avec contraction entre les recettes et les dépenses.

Le Conseil Constitutionnel a déjà vérifié la conformité des lois à l'article 18 et la décision qu'il a rendue le 16 janvier 1982 (loi de nationalisation, J.O. 17 janvier, p. 299) le montre "a contrario". Il était fait grief à la loi de nationalisation d'avoir institué des redevances à la charge des sociétés nationalisées au profit des deux établissements publics chargés d'assurer le service des obligations versées à titre d'indemnisation aux actionnaires :·la Caisse Nationale de l'industrie et la Caisse Nationale des banques. Le Conseil Constitutionnel décide que ces redevances, bien qu'elles soient fixées par la loi de finances, compte tenu des résultats des entreprises, ne sont pas des "ressources de l'Etat" et n'ont pas à figurer au budget de l'Etat.

La situation était donc tout à fait différente.

En effet, les redevances sont versées par les entreprises nationalisées "compte tenu de (leurs) résultats" et elles sont destinées "à concourir au financement des intérêts servis aux porteurs d'obligations". Il n'a donc pu, à aucun moment, être considéré qu'il s'agissait d'impôts s'appliquant, comme tous les impôts indirects, à tous les consommateurs de certains produits. Les redevances sont les ressources directes des Caisses parce qu'elles s'intègrent au mécanisme financier de l'indemnisation des actionnaires.

Il ressort donc bien de la décision du 16 janvier 1982 que des recettes ayant le caractère d'un impôt relèvent de l'article 18 de l'ordonnance organique.

On pourrait objecter que le Conseil a eu déjà à se prononcer le 28 juin 1982 (décision n° 82-140 DC) sur l'affectation du produit d'une contribution à une caisse centrale de réassurance.

Il convient de noter que celle-ci avait le caractère d'établissement public industriel et commercial, alors que les caisses de sécurité sociale sont des établissements publics à caractère administratif.

Les sénateurs soussignés affirment que la présente loi participe au mouvement d'accroissement de la débudgétisation, dont ne perçoit pas limites, et auquel ils assistent depuis quelques mois, ce qui tend à priver le Parlement de son pouvoir constitutionnel de décider souverainement et globalement de la politique fiscale et financière de la France.

L'affectation irrégulière d'un impôt à un établissement public administratif est contraire aux dispositions de l'ordonnance, du 2 janvier 1954.

Les sénateurs soussignés affirment que l'article 27 de la loi portant diverses mesures relatives à la Sécurité sociale méconnaît les dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en affectant des ressources attendues d'un impôt créé à l'effet de couvrir des dépenses précises d'un établissement public administratif.

II / Violation du principe constitutionnel d'égalité

Il s'agit à la fois du principe d'égalité devant la loi tel qu'il est affirmé par l'article 2 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, et du principe d'égalité devant les charges publiques tel qu'il ressort de l'article 13 de la Déclaration de 1789.

L'article 27 porte atteinte à ce principe de deux manières :

1°/ En instituant une discrimination entre les citoyens pour la détermination de l'assiette de la "cotisation",

2°/ En décidant l'affectation de la "cotisation" à la seule Caisse Nationale d'assurance maladie.

AI Discrimination entre les citoyens.

La "cotisation" perçue sur le tabac et les boissons alcooliques est instituée "en raison des risques que comportent ces produits pour la santé" (art. 27-I). L'exposé des motifs déclare également (p. 3) que "l'institution d'une cotisation spécifique sur les tabacs et alcools vise à faire participer ceux qui les consomment aux dépenses supplémentaires qui en résultent pour l'assurance maladie". Il précise encore (p. 5) qu'elle "correspond au souhait de mettre en oeuvre une politique active de prévention contre les grands fléaux sociaux tel que l'usage excessif de ces produits ".

Or, en ce qui concerne les boissons alcooliques, la cotisation est due à l'occasion de l'achat par les consommateurs, " de boissons d'une teneur en alcool supérieure à 25% vol." (art. 27-II)

Avant même d'en venir à l'analyse juridique, on peut raisonner en simple logique. Si la consommation des boissons alcooliques comporte des "risques ", si "ceux qui les consomment " doivent participer aux dépenses supplémentaires de l'assurance maladie, et si la cotisation est destinée à prévenir " les grands fléaux sociaux" toutes les boissons alcooliques doivent être imposées et non pas seulement celles qui ont une teneur en alcool supérieure à 25% vol. La loi comporte donc une discrimination entre les citoyens et porte ainsi atteinte au principe d'égalité sous toutes ses formes.

Certes, le principe d'égalité ne s'applique qu'à des "situations semblables", selon le motif de principe qui apparaît fréquemment dans les décisions du Conseil Constitutionnel depuis 1979 : "Considérant que le principe d'égalité impose seulement qu'à des situations semblables soient appliquées les mêmes règles et qu'il n'interdit pas qu'à des situations non semblables soient appliquées des règles différentes" (C. Const. 12 Juillet 19 79, J.O. p. 1824).

Il convient de noter que :

1°/ la discrimination devient constitutionnelle si elle est justifiée par des considérations d'intérêt général "en rapport avec "·l'objectif voulu par la loi (C. Const. 12 juillet 19 79, précité, Péages de l'Ile d'Oléron ; 19-20 janvier 1981, Loi "Sécurité et Liberté").

2°/ les situations semblables" ne sont prises en considération qu' " au regard des finalités de la loi " (C. Const. 30 octobre 1981, J.O. p. 2998).

En l'espèce, l'article 27-II institue une discrimination entre les contribuables selon qu'ils consomment des boissons alcooliques ayant une teneur en alcool inférieure ou supérieure à 25 % vol. Les premiers ne paieront pas la "cotisation ", alors que les seconds devront la payer. Il importe donc de rechercher, au regard des principes jurisprudentiels ci-dessus, si cette discrimination est constitutionnel1e.

1°/ Motif d'intérêt général en rapport avec l'objectif de la loi.

Dans l'affaire des Péages de l'île d'Oléron, l'intérêt général était déterminé " en rapport avec les conditions d'exploitation de l'ouvrage d'art ". Dans l'affaire " Sécurité et liberté ", le Conseil a recherché si les discriminations avaient un " objet conforme à la bonne marche de la justice ".

En l'espèce, l'objet de la loi est exposé notamment dans l'article 27-I qui considère que toutes les boissons alcooliques comportent des "risques" "pour la santé". Une discrimination fondée sur la plus ou moins grande teneur en alcool pur de la boisson considérée n'est donc pas conforme à l'intérêt général tel qu'il apparaît à la lecture de l'article 27-I qui définit l'objet de la loi. Celui qui consomme beaucoup de vin ou de liqueurs à faible teneur en alcool court plus de " risques" pour sa " santé" que celui qui consomme peu de boissons d'une teneur supérieure à 25% vol.

Une discrimination aurait pu être admise selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel : c'est celle relative à la quantité. Au regard de l'objectif voulu par la loi, une telle discrimination eut été constitutionnelle. On voit que celle fondée sur le degré d'alcool pur n'est pas justifiée et implique donc une atteinte au principe d'égalité.

2°/ Situations différentes au regard des finalités de la loi.

Ces finalités sont définies à l'article 27-I et dans l'exposé des motifs, comme on l'a déjà indiqué. Au regard de ces finalités, les utilisateurs de boissons titrant plus ou moins de 25% vol sont-ils dans une situation différente ? Il a été répondu à cette question à propos de la justification par l'intérêt général. Au regard des finalités de la loi, c'est la quantité consommée qui comporte des risques et non la teneur en alcool pur.

Sur ce point d'ailleurs, la décision déjà citée au Conseil constitutionnel en date du 27 décembre 1973 (Taxation d'office R.D.P. 1974, p. 531 et s., note L. PHILIP) apporte une réponse. La loi en cause concernait les conditions selon lesquelles les contribuables peuvent contester les mesures de taxation d'office. Elle prévoyait les conditions relatives à la preuve de la réalité des revenus mais ajoutait que les contribuables ne pouvaient apporter la preuve contraire que " si les bases d'imposition n'excèdent pas 5% de la limite de la dernière tranche du barème de l'imposition sur le revenu ".

Ainsi, pour le renversement de la présomption en matière de taxation d'office, la loi distinguait entre les "gros" contribuables et les autres, seuls les seconds étant admis à contester la taxation.

Le Conseil constitutionnel a déclaré cette discrimination inconstitutionne11e. Il a décidé que la loi "... tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d'apporter une preuve contraire à une décision de taxation d'office de l'administration les concernant ; qu'ainsi ladite disposition porte atteinte au principe d'éga1ité devant la loi... ".

La situation est ici tout à fait comparable. Il apparaît donc qu'au regard des finalités de la loi, la discrimination ne se justifie ni par des motifs d'intérêt général, ni par des situations différentes des contribuables. Elle porte donc atteinte au principe d'égalité.

3°/ Situations différentes des producteurs d'alccol quant aux conséquences de la loi.

La loi sus-visée et notamment son article 27, doivent être appréciés dans toutes leurs conséquences.

L'un des principaux effets des dispositions de l'article 27, est de créer entre les producteurs de boissons alcoolisées une discrimination d'ordre fiscal mal fondée, puisque s'appuyant sur la nocivité du produit consommé qui est différente selon que celui-ci titre plus ou moins de 25°/volume.

Eu égard au fait que la nocivité de la consommation de boissons alcoolisées peut être considérée aussi bien au regard de la quantité consommée qu'au regard de la nature de la boisson consommée, ces deux éléments semblent devoir être également pris en compte par toute disposition visant à lutter contre la consommation d'alcool.

Considérant que ces deux éléments doivent être considérés comme d'importance égale pour la détermination de mesures visant à limiter l'alcoolisme, la présente loi ne saurait sans violer le principe d'égalité entre producteurs de boissons alcoolisées, soumis à la même concurrence, notamment à 1'exportation, se fonder uniquement sur la teneur en alcool des boissons pour décider de l'instauration d'un impôt nouveau et spécial.

Les sénateurs soussignés affirment que la présente loi viole le principe d'égalité en se fondant sur des motifs erronés pour justifier une discrimination fiscale basée sur la teneur en alcool.

B/ Affectation de la "cotisation" à la seule Caisse Nationale d'Assurance maladie.

L'objectif de la loi, tel qu'il est indiqué par l'article 27-I et l'exposé des motifs, est de faire participer ceux qui consomment des boissons alcooliques " aux dépenses supplémentaires qui en résultent pour l'assurance maladie" (exposé des motifs, p. 3).

Or, il convient de rappeler que la Caisse Nationale d'assurance maladie ne gère pas seule le risque maladie. Celui-ci est également géré, pour les agriculteurs, par le Budget annexe des prestations sociales agricoles (art. 1001 et suivants du code rural) et, pour les militaires, par la Caisse autonome de Sécurité Sociale militaire (art. L 603 C Sec. Soc.). A partir du moment où la "cotisation" a l'objectif que lui donne la loi, ces deux autres organismes financiers auraient dû figurer parmi les affectataires, selon un pourcentage déterminé par le nombre des cotisants.

Le principe d'égalité entre personnes publiques consacré par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du Conseil (taxe professionnelle EDF) est donc méconnu par l'article 27.

III / Violation de l'article 73 de la constitution par l'article 27 alinéa 7 de la présente loi.

L'alinéa contesté prévoit l'adaptation de ses dispositions aux départements d'outre-mer par décret en Conseil d'Etat.

L'article 73 de la Constitution prévoit que : " le régime législatif et l'organisation administrative peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leurs situations particulières ".

Il ressort de l'énoncé de cet article et de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel que seule la loi peut procéder à de telle s adaptations dans les DOM.

La décision n° 69-55 du 28 juin 1969 du Conseil Constitutionnel est à cet égard explicite.

Elle expose clairement que l'extension aux DOM des dispositions à caractère législatif relève de la compétence législative et que l'extension des dispositions réglementaires aux mêmes départements peut être réalisée par le pouvoir réglementaire.

Il en est de même de " l'adaptation " prévue à l'article 73 de la Constitution.

En aucun cas, un décret, ainsi que le prévoit l'article 27 alinéa VII, ne peut adapter des dispositions législatives dans les départements d'outre-mer.

Tout au plus, le décret pourrait-il prévoir des mesures d'adaptation particulières des dispositions prévues par les décrets d'application de la présente loi, pris pour sa mis en oeuvre en métropole.

Il ne saurait ainsi que l'organise l'article 27 alinéa VII, empiéter sur le domaine législatif.

Les sénateurs soussignés affirment que l'article 27- VII°, en proposant l'adaptation par décret en Conseil d'Etat, des dispositions législatives de la présente loi aux DOM, méconnaît l'article 73 de la Constitution et les règles constitutionnelles qui en découlent, notamment le principe d'assimilation juridique des DOM à la métropole.

Ils affirment que s'il appartient bien au pouvoir réglementaire d'adapter aux DOM les conditions d'application de la présente loi, déjà déterminées par celui-ci, il n'appartient qu'au législateur de prévoir et d'organiser l'adaptation des dispositions de la présente loi aux DOM.

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(1) cf. notes HAMON -RDP 1960 p. 1020, WALINE et éga1ement L. TROTABAS, la taxe radiophonique: taxe, redevance ou parafiscalité ? RSF 1961 p. 5

(2) A.J. 1970-356, D.1970-388, note LAVIGNE

Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers,

Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de déférer au Conseil Constitutionnel le projet de loi portant diverses mesures relatives à la Sécurité Sociale définitivement adopté par l'Assemblée Nationale le 18 décembre 1982, et plus particulièrement les dispositions de l'article 5 instituant une contribution assise sur frais de prospection et d'information des praticiens afférents à l'exploitation en France des spécialités pharmaceutiques remboursables.

Ce projet de loi qui est déféré à la censure du Conseil Constitutionnel est contraire aux principes constitutionnels du Droit Français.

I - L'AFFECTATION DE CET IMPOT NOUVEAU AU PROFIT DE LA CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE MALADIE DES TRAVAILLEURS SALARIES EST RADICALEMENT CONTRAIRE AUX PRINCIPES DE LA NON AFFECTATION DES RECETTES FISCALES

L'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances, prévoit expressément :

" Il est fait recette du montant intégral des produits sans contradiction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé Budget général".

Le principe de la non imputation des impôts se déduit de cette formulation. Celle-ci est d'ailleurs clairement renouvelée dans le dernier alinéa du même article, après qu'aient été mentionnées les seules exceptions prévues par la loi :

"Aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi".

La référence de cette ordonnance portant loi organique relève de la compétence du Conseil Constitutionnel. Certes, le domaine de la loi est défini essentiellement dans l'article 34 de la Constitution, mais le Conseil Constitutionnel précise que cette définition résulte également d'autres articles de la Constitution, ainsi que son préambule de dispositions des lois organiques, ou de la mise en cause des principes généraux du droit.

C'est ainsi que par :

- Décision n° 61-12L du 17 février 1961 (Recueil 1961, p. 34) ;

- Décision n° 61-16L du l8 octobre 1961 (Recueil 1961, p. 41) ;

- Décision n° 62-19L du 3 Avril 1962 (Recueil 1962, p. 33) ;

- Et selon une jurisprudence constamment maintenue ultérieurement le domaine de la loi, en matière budgétaire, est défini non seulement par l'article 34 de la Constitution, mais également par l'Ordonnance du 2 Janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, à laquelle renvoi expressément l'article 34, 18ème alinéa.

C'est d'ailleurs ce que le Conseil Constitutionnel a également jugé dans l'importante décision du 28 Décembre 1976 (RDP 1977 p. 962 Note Philip).

La violation de l'article 18, alinéa 2, de l'Ordonnance est évidente et grave. L'impôt nouveau est institué "au profit" d'un établissement public national à caractère administratif, la Caisse nationale d'assurance maladie. Or, l'article 18, alinéa 2, n'admet à titre exceptionnel ("toutefois"), l'affectation directe de certaines recettes à certaines dépenses que dans trois cas :

- Au profit d'un budget annexe ;

- Au profit d'un compte spécial du Trésor ;

- Par procédure particulière au sein du budget général ou d'un budget annexe.

Cette dernière procédure ne concerne (article 19) que les fonds de concours et la procédure de rétablissement de crédit. Au surplus, l'article 18 "in fine " décide :

" Aucune affectation n 'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi ".

Les dépenses, en matière de Sécurité Sociale, résultent bien d'un droit permanent reconnu par la loi, de sorte que même la situation très exceptionnllr visée par l'article 18 ne se rencontre pas ici.

La Constitution et la loi organique ont entendu interdire, à partir de 1958, des pratiques malheureusement fréquentes sous la III° et la IV° République et qui faisaient l'objet de critiques unanimes. L'article 5 tente de revenir à ces pratiques interdites. Il est donc contraire à la Constitution pour les motifs indiqués ci-dessus car i1 n'est plus possible, depuis l'entrée en vigueur de la Constitution, d'affecter un impôt à un établissement public administratif et, qui plus est, avec contraction entre les recettes et les dépenses.

REFUTATION

1- On ne peut avancer qu'il s'agit d'une taxe parafiscale, qui, perçue dans un intérêt économique ou social, est explicitement prévue par 1'article 4 de la même Ordonnance du 2 Janvier 1959.

Le Conseil Constitutionnel a eu à plusieurs occasions la possibilité de se prononcer sur des taxes parafiscales dont l'établissement, la répartition et l'affectation relèvent de la compétence réglementaire, notamment par :

- La décision n° 61-16L du 18 Octobre 1961 concernant la perception d'une somme à l'occasion de la délivrance du permis de chasse dont une part est destinée au Conseil Supérieur de la Chasse ;

- Et par la décision n° 79-111L du 21 Novembre 1979 concernant l'établissement d'une taxe parafiscale relative à la Radiodiffusion Télévision Française.

Les taxes parafiscales obéissent à trois caractères :

1°) Elles sont perçues "dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics administratifs". Or, la Caisse nationale de l'assurance maladie est un "établissement public national à caractère administratif" (Ord. 21 Août 1967, article 3).

2°) Elles sont établies par décret en Conseil d'Etat.

3°) Leur perception au-delà du 31 décembre de l'année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances.

Aucune de ces conditions n'étant remplie, la "contribution" n'est donc pas une taxe parafiscale. On remarquera que le Gouvernement ne l'a d'ailleurs jamais prétendu. Il présente la cotisation comme faisant partie des "ressources nouvelles" (p. 3 de l'exposé des motifs) et l'affecte "au profit" de la Caisse Nationale d'assurance maladie. Comme il n'est évidemment pas possible de considérer que la "contribution" est la rémunération d'un service rendu, on est donc déjà conduit à conclure que la "contribution" est un impôt.

Ce point de vue est d'ailleurs confirmé par la jurisprudence a contrario du Conseil Constitutionnel.

La première décision concernait la taxe radiophonique perçue au profit de la R.T.F., établissement public industriel et commercial (Cons. Consti. 11 Août 1960, D. 1951, 471, Note Hamon, RDP 1960, p. 1020, Note Waline. Voir également L. Trotabas La Taxe Radiophonique : taxe, redevance ou parafiscalité ? RSF 1961, p. 5 et ss.-). Le Conseil décide :

"Que cette redevance qui, en raison tant de l'affectation qui lui est donnée que du statut même de l'établissement en cause, ne saurait être assimilée à un impôt et qui, eu égard aux conditions selon lesquelles elle est établie et aux modalités prévues pour son contrôle et son recouvrement, ne peut davantage être définie comme une rémunération pour services rendus, a le caractère d'une taxe parafiscale de la nature de celles visées à l'article 4 de l'Ordonnance organique précitée du 2 Janvier 1959".

Le Conseil en déduit cette conséquence que la taxe a été établie dans des conditions contraires aux dispositions de l'article 4 et déclare inconstitutionnels les articles qui l'avaient instituée.

La décision du 23 Février 1970 (Conserves de poisson, A.J. 1970, 356, D. 1970, 388, Note Lavigne) a une signification positive. Elle confirme la solution précédente mais lui donne plus de force. Après avoir rappelé le texte de l'article 4, alinéa 2, de l'Ordonnance organique, le Conseil décide :

" Qu'il résulte de ces dispositions, si les taxes parafiscales sont établies par voie réglementaire dans les limites et les conditions prévues par ce texte, il ne saurait en être ainsi des taxes perçues au profit de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics de caractère administratif dépendant soit de l'Etat, soit d'une collectivité territoriale ".

Il s'agissait d'une taxe établie au profit de l'Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes, établissement public national à caractère administratif. Le Conseil décide donc qu'aucune taxe parafiscale ne peut être instituée au profit d'un établissement public administratif et que la taxe ne peut alors être qu'un impôt.

Pour des prélèvements de cette nature, le choix, comme le montre M. Trotabas dans l'article précité, n'est qu'entre impôt, taxe parafiscale et rémunération de service rendu. A propos de la "contribution" de l'article 5, cette troisième interprétation est à exclure. Le choix resterait donc entre impôt et taxe parafiscale. Mais les développements qui précèdent montrent donc qu'il ne peut s'agir que d'un impôt.

Le terme de "contribution" ne peut tromper car il ne s'agit évidemment pas d'une cotisation au sens de l'article L 120 du Code de la Sécurité Sociale ou de l'article 13 de l'Ordonnance n° 67-706 du 21 Août 1967 sur l'organisation administrative et financière de la Sécurité Sociale ; les cotisations sont assises sur les rémunérations des assujettis et sont, par la même, en relation directe avec l'objet des caisses qui les perçoivent.

Enfin la contribution est assise et perçue dans les mêmes conditions que la T.V.A., ce qui confirme encore, son caractère fiscal.

Il ne pouvait d'ailleurs s'agir dans la circonstance d'une taxe parafiscale, mais seulement d'un impôt qui relève de la compétence exclusive du législateur sous le contrôle du Conseil Constitutionnel. Selon l'article 34 de la Constitution, est en effet réservée à la loi la fixation des règles "concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques". Le Gouvernement ne s'y est d'ailleurs pas trompé en soumettant cette disposition aux législateurs et non à l'autorité réglementaire, conformément notamment à la décision du Conseil Constitutionnel du 23 Juil1et 1975.

Ce qui suffit d'ailleurs à montrer que l'imposition nouvelle vise des actes d'information et non la seule publicité commerciale. Le pouvoir réglementaire a compétence pour réglementer la publicité commerciale, mais il doit céder le pas devant le pouvoir législatif lorsqu'il s'agit de fixer les conditions d'exercice de la 1iberté d'information en matière scientifique et médicale comme en l'espèce.

2- On ne peut opposer la décision rendue par le Conseil Constitutionnel le 16 Janvier 1982 (Loi de nationalisation, J.O. 17 Janvier, p. 299). Il était fait grief, dans le recours, à la loi de nationalisation d'avoir institué des redevances à la charge des sociétés nationalisées au profit des deux établissements publics chargés d'assurer le service des obligations versées à titre d'indemnisation aux actionnaires, la Caisse Nationale de l'Industrie et la Caisse Nationale des Banques. Le Conseil Constitutionnel décide que les redevances, bien qu'elles soient fixées par la loi de finances, compte tenu des résultats des entreprises, ne sont pas des " ressources de l'Etat " et n'ont pas à figurer au budget de l'Etat.

La situation était donc tout à fait différente. En effet, les redevances sont versées par les entreprises nationalisées " compte tenu de (leurs) résultats " et elles sont destinées " à concourir au financement des intérêts servis aux porteurs d'obligations ". Il n'a donc pu, à aucun moment, être considéré qu'il s'agissait d'impôts s'appliquant, comme tous les impôts indirects, à tous les consommateurs de certains produits. Les redevances sont les ressources directes des Caisses parce qu'elles s'intègrent au mécanisme financier de l'indemnisation des actionnaires.

" A contrario ", il ressort donc bien de la décision du 16 Janvier 1982 que des recettes ayant le caractère d'un impôt relèvent de l'article 18 de l'Ordonnance organique.

II. - ENFIN L'ARTICLE 5 ALINEA 4 EST CONTRAIRE AUX PRINCIPES DE L'EGALITE DES FRANCAIS DEVANT LA LOI.

Il est en effet prévu que sont exonérées de cette contribution les entreprises dont le chiffre d'affaires hors taxes est inférieur à 50.000.000 de francs, sauf lorsqu'elles sont filiales à 50% au moins d'une entreprise ou d'un groupe dont le chiffre d'affaires consolidé, réalisé en France, dépasse cette limite.

Cette disposition constitue une vio1ation du principe d'égalité devant les charges publiques, et par conséquent une violation des articles 1 et 6èmement de la Déclaration des Droits de 1789 et de l'article 2 de la Constitution de 1958.

Seront notamment favorisés les très nombreux laboratoires filiales de groupes étrangers dont le chiffre d'affaires consolidé et réalisé dans le pays d'origine ne sera pas pris en considération. Ce sont donc les laboratoires pharmaceutiques, encore français, c'est à dire moins du tiers de l'industrie pharmaceutique et les plus dynamiques, qui seront ainsi pénalisés dans leurs efforts de prospection et d'information en faveur du médicament français.

Pour l'ensemble des motifs ci·dessus invoqués, les Députés soussignés demandent au Conseil Constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution l'article 5 du projet de loi portant diverses mesures relatives à la Sécurité Sociale, définitivement adopté par l'Assemblée Nationale le Novembre 1982.


Références :

DC du 14 janvier 1983 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°82-152 DC du 14 janvier 1983
Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1983:82.152.DC
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