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10/07/1985 | FRANCE | N°85-191

France | France, Conseil constitutionnel, 10 juillet 1985, 85-191


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 juin 1985 par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Jacques Toubon, Pierre-Charles Krieg, Henri de Gastines, Charles Paccou, Pierre-Bernard Cousté, Pierre Bachelet, Camille Petit, René André, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Marc Lauriol, Etienne Pinte, Gabriel Kaspereit, Didier Julia, Michel Debré, Maurice Couve de Murville, Georges Gorse, Emmanuel Aubert, Robert-André Vivien, Jean-Louis Goasduff, Charles Miossec, Yves Lancien, Jean Valleix, Edouard Frédéric-Dupont, Michel Inchauspé, Michel Cointat, Roger Corrèze, Claude-Gérard Marcus, Mme HÃ

©lène Missoffe, MM Georges Tranchant, Jean de Lipkowski, Jacq...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 juin 1985 par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Jacques Toubon, Pierre-Charles Krieg, Henri de Gastines, Charles Paccou, Pierre-Bernard Cousté, Pierre Bachelet, Camille Petit, René André, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Marc Lauriol, Etienne Pinte, Gabriel Kaspereit, Didier Julia, Michel Debré, Maurice Couve de Murville, Georges Gorse, Emmanuel Aubert, Robert-André Vivien, Jean-Louis Goasduff, Charles Miossec, Yves Lancien, Jean Valleix, Edouard Frédéric-Dupont, Michel Inchauspé, Michel Cointat, Roger Corrèze, Claude-Gérard Marcus, Mme Hélène Missoffe, MM Georges Tranchant, Jean de Lipkowski, Jacques Baumel, Bruno Bourg-Broc, Michel Barnier, Alain Peyrefitte, Roland Nungesser, Antoine Gissinger, Olivier Guichard, Bernard Rocher, Jean Tiberi, Jean de Préaumont, Jean Narquin, Gérard Chasseguet, Jean Hamelin, Vincent Ansquer, Christian Bergelin, Robert Wagner, Pierre Mauger, Lucien Richard, Bernard Pons, Roland Vuillaume, Georges Delatre, Roger Fossé, Jacques Chaban-Delmas, Jean-Paul Charié, Jacques Godfrain, François Grussenmeyer, Daniel Goulet, Xavier Deniau, Michel Péricard, Jean-Claude Gaudin, Jean Brocard, Henri Baudouin, Jean Seitlinger, François d'Aubert, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Albert Brochard, Aimé Kerguéris, Maurice Dousset, Adrien Durand, Alain Mayoud, Gilbert Gantier, Jean-Pierre Soisson, Georges Mesmin, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

SUR LES ARTICLES 4, 18 et 40 :
1. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que les articles 4, 18 et 40 de la loi qui ont leur origine dans des amendements déposés par le Gouvernement lors de la première lecture à l'Assemblée nationale à la suite de l'échec de la commission mixte paritaire ont été adoptés en méconnaissance des exigences de l'article 45 de la Constitution ; qu'en effet, selon eux, l'article 45 de la Constitution institue une procédure de conciliation entre les deux chambres assortie du dernier mot à l'Assemblée nationale et exclut la possibilité pour le Gouvernement d'introduire dans le projet, après l'intervention de la commission mixte paritaire, des dispositions législatives entièrement nouvelles ;
2. Considérant que l'article 45 de la Constitution ne comporte, après l'intervention de la commission mixte paritaire, aucune restriction au droit d'amendement du Gouvernement, sauf en dernière lecture devant l'Assemblée nationale ; qu'ainsi, au cours de la première lecture à l'Assemblée nationale suivant l'échec d'une commission mixte paritaire, le Gouvernement exerce son droit d'amendement dans les mêmes conditions que lors des lectures antérieures ; que, par suite, ont été adoptés selon une procédure conforme à la Constitution les articles contestés, qui ne sont pas dépourvus de tout lien avec les autres dispositions de la loi et dont le texte a été soumis au Sénat avant leur adoption définitive ;
SUR L'ARTICLE 14-III :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 14-III : "Quand la prime de remboursement prévue à l'émission ou lors de l'acquisition originelle du droit excède 10 pour 100 du nominal ou quand le contrat d'émission d'un emprunt obligataire prévoit une capitalisation partielle ou totale des intérêts, la prime ou l'intérêt sont imposés après une répartition par annuité. Cette règle s'applique également à la retenue à la source quand elle est exigible et au crédit d'impôt correspondant. -Toutefois, elle ne s'applique pas aux titres émis par l'État dont le porteur a la possibilité d'obtenir la conversion dans les trois ans suivant l'émission" ;
4. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions sont contraires à l'article 34 de la Constitution en ce que la répartition par annuité pouvant être opérée selon divers modes de calcul qui aboutissent à des résultats différents, la loi, en l'absence de précisions suffisantes, n'a pas fixé les règles concernant l'assiette de l'impôt ;
5. Considérant que le texte critiqué soumet à un régime d'imposition annuel les produits de titres qui ne seront payés par l'émetteur qu'au terme de l'opération ; que ce texte est susceptible d'au moins deux interprétations, l'une privilégiant la simplicité des règles d'assiette par la fixation d'annuités égales, l'autre privilégiant l'adaptation de l'assiette à la réalité économique par la fixation d'annuités progressives prenant en compte les intérêts composés ; que le choix entre ces deux interprétations est d'autant plus incertain que des arguments en faveur de l'une et de l'autre peuvent être trouvés dans les travaux préparatoires ; que, dès lors, l'article 14-III, n'ayant pas fixé les règles concernant l'assiette de l'impôt, n'est pas conforme à l'article 34 de la Constitution ;
SUR L'ENSEMBLE DE LA LOI :
6. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :
Article premier :
L'article 14-III de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier est déclaré contraire à la Constitution.
Article 2 :
Les autres dispositions de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 85-191
Date de la décision : 10/07/1985
Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés défèrent à l'examen du Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier pour les motifs suivants : I : Violation de l'article 45 de la Constitution pour l'adoption des articles 1er quinquies, 6 ter et 26 bis

Ces articles ont été introduits en nouvelle lecture dans la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier par le biais d'amendements du Gouvernement formulant des articles additionnels (amendements n° 34 et 38 en première délibération et n° 1 en seconde délibération).

Ces articles additionnels n'avaient aucun rapport avec les dispositions figurant dans le projet de loi alors en navette entre les deux Assemblées du Parlement, et en particulier avec les textes qui avaient fait l'objet des travaux de la commission mixte paritaire.

Certes, la Constitution n'apporte aucune restriction au droit d'amendement du Gouvernement, mais l'article 45 de celle-ci prévoit pour l'adoption de tout projet de loi une procédure minimale d'une lecture dans chaque chambre avant toute intervention d'une commission mixte paritaire, puis, en cas d'échec de celle-ci, une autre tentative de conciliation grâce à une nouvelle lecture dans chaque chambre avant que l'Assemblée nationale ne puisse statuer définitivement. Il convient, en outre, de remarquer que la décision de convoquer une commission mixte paritaire et celle de demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement sont des prérogatives discrétionnaires du Gouvernement. Admettre que le Gouvernement puisse, après le recours à son initiative à une commission mixte paritaire, déposer des amendements non liés à une disposition figurant déjà dans le projet en discussion, revient à lui permettre de tourner les formalités imposées par l'article 45 de la Constitution sous la seule réserve de baptiser amendement ce qui aurait dû faire l'objet d'un projet de loi distinct.

Une telle façon d'agir porte atteinte aux prérogatives que le Parlement tient de l'article 45 de la Constitution à la fois sur le plan pratique et sur le plan juridique. Sur le plan pratique, les conditions matérielles d'examen d'un projet de loi en nouvelle lecture, et notamment la brièveté des délais résultant de l'ordre du jour prioritaire fixé par le Gouvernement (annexe I), fait qu'en réalité le législateur n'a pas le temps d'étudier les dispositions additionnelles nouvelles qui lui sont présentées ; la presse s'est d'ailleurs fait l'écho des préoccupations des députés de la majorité sur ce point (annexe II : voir Le Monde du 27 juin).

Certes le règlement de l'Assemblée nationale prévoit dans son article 98, alinéa 5, que "les amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou, s'agissant d'articles additionnels, s'ils sont proposés dans le cadre du projet". Mais, d'une part, les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas, par eux-mêmes, valeur constitutionnelle, cette règle ne pouvait faire obstacle au dépôt des amendements du Gouvernement ; d'autre part, cette disposition n'organise nullement un contrôle systématique de la recevabilité de tels amendements ; enfin la nature du projet de loi en cause ne se prêtait pas, comme l'indique son intitulé (diverses dispositions d'ordre économique ou financier) à la mise en oeuvre de cette règle. Sur le plan juridique, l'introduction en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale d'articles additionnels sans rapport avec les dispositions déjà contenues dans le projet en discussion empêche chaque assemblée de délibérer sur ces articles dans les formes prévues pour la discussion des projets de loi. En particulier, le Sénat n'a connaissance de ces textes que trop tardivement et ne peut dès lors les amender afin que l'Assemblée nationale soit saisie de la rédaction résultant de ses délibérations.

En effet, le résultat des délibérations du Sénat en nouvelle lecture ne fait pas l'objet d'une nouvelle transmission à l'Assemblée nationale. Conformément à l'article 45, dernier alinéa, l'Assemblée nationale n'a, en dernière lecture, que le choix entre le texte élaboré par la commission mixte paritaire (dans lequel, par définition, ces dispositions ne pouvaient figurer puisque le Gouvernement n'en avait pas encore pris l'initiative) et le dernier texte voté par l'Assemblée nationale.

Certes, à ce stade ultime, l'Assemblée nationale peut modifier son dernier texte "le cas échéant par un ou plusieurs amendements adoptés par le Sénat" mais il s'agit là d'une prérogative discrétionnaire de l'Assemblée nationale alors que celle-ci, lors des lectures antérieures, était nécessairement saisie de la totalité du texte délibéré par le Sénat. Il n'y a donc, lorsque ces dispositions nouvelles sont introduites en nouvelle lecture, aucune garantie pour le Sénat que l'Assemblée nationale soit obligée de se prononcer sur ses propres adoptions.

Si la Constitution n'a explicitement posé aucune limitation à l'introduction d'articles additionnels portant des dispositions nouvelles, dans une lecture quelconque, c'est parce que la procédure législative de droit commun est la navette à égalité de droit des deux chambres (article 45, alinéa 1er). Mais l'article 45, dernier alinéa, de la Constitution qui décrit un mécanisme de recherche de conciliation entre les deux chambres assortie du dernier mot à l'Assemblée nationale, mécanisme dont la mise en oeuvre appartient au Gouvernement, exclut la possibilité pour ce Gouvernement d'introduire à ce stade des dispositions législatives entièrement nouvelles en s'exonérant ainsi des formalités prévues par les alinéas précédents du même article pour l'examen des projets de loi (trois lectures dans chaque chambre ou deux en cas d'urgence déclarée par le Gouvernement, sans compter le recours à une commission mixte paritaire avant la nouvelle lecture).

Dès lors, les dispositions figurant dans les articles 1er quinquies, 6 ter et 26 bis auraient dû faire l'objet de projets de loi distincts et ne pouvaient être introduites dans la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier sous la forme d'amendements introduisant des articles additionnels en nouvelle lecture sans contrevenir aux dispositions de l'article 45, dernier alinéa, de la Constitution et aux prérogatives que détient le Parlement quant à la procédure d'examen des projets de loi, telles qu'elles résultent des autres alinéas du même article de la Constitution.

II : Sur l'inconstitutionnalité de l'article 5, en violation de l'article 34 de la Constitution

Le paragraphe III de l'article 5 prévoit que :

1° Lorsque la prime de remboursement des bons et obligations telle qu'elle a été prévue à l'émission (ou lors de l'acquisition originelle du droit) excède 10 p 100 du nominal ;

2° Ou lorsque le contrat d'émission d'un emprunt obligatoire prévoit une capitalisation partielle ou totale des intérêts,

la prime ou l'intérêt sont imposés après une répartition par unité.

Ces dispositions fiscales visent notamment les démembrements d'une obligation, les obligations à coupon zéro, les obligations à coupon unique.

L'assiette de cette nouvelle fiscalité est-elle déterminée ?

Force est de constater qu'il y a plusieurs façons de calculer l'échu fictif auquel l'impôt serait appliqué chaque année. A titre d'exemple, il est possible :

: de diviser la prime de remboursement ou le montant des intérêts par le nombre d'années de vie du produit ;

: de retenir le taux actuariel permettant de lier la valeur originelle à la valeur finale ;

: d'intégrer l'effet fiscal à la capitalisation de chacune des années.

Le texte de loi indiquant que l'imposition s'effectue après la répartition par annuité ne permet pas de retenir l'une de ces méthodes, qui procèdent toutes les trois à cette répartition par annuité mais d'une manière différente ! L'assiette de l'impôt n'est donc pas déterminée.

Or, l'article 34 de la Constitution prévoit que la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures.

Les règles concernant l'assiette fiscale des nouveaux produits financiers visés à l'article 5 du présent texte de loi n'étant pas fixées, cet article est contraire à la Constitution.

Annexe I : Cette annexe reproduit les feuilletons de l'Assemblée nationale n° 558 du 26 juin 1985 et n° 559 du 27 juin 1985.

Annexe II : Cette annexe reproduit un article de M Thierry Brehier, intitulé "Le groupe socialiste manifeste son mécontentement devant les méthodes du Gouvernement", paru dans le journal Le Monde daté du 27 juin 1985.


Références :

DC du 10 juillet 1985 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°85-191 DC du 10 juillet 1985
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1985:85.191.DC
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