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08/07/2011 | FRANCE | N°2011-147

France | France, Conseil constitutionnel, 08 juillet 2011, 2011-147


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 mai 2011 par la Cour de cassation (arrêt n° 2411 du 27 avril 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Tarek J., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 251-3 et L. 251-4 du code de l'organisation judiciaire.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
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Vu la loi du 12 avril 1906 modifiant l...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 mai 2011 par la Cour de cassation (arrêt n° 2411 du 27 avril 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Tarek J., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 251-3 et L. 251-4 du code de l'organisation judiciaire.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de l'organisation judiciaire ;

Vu la loi du 12 avril 1906 modifiant les articles 66, 67 du code pénal, 340 du code d'instruction criminelle et fixant la majorité pénale à l'âge de dix-huit ans ;

Vu la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée ;

Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 26 mai 2011 ;

Vu la lettre du 9 juin 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;

Vu les observations produites pour le requérant par Me Jean-Baptiste Gavignet, avocat au barreau de Dijon, enregistrées le 14 juin 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 15 juin 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Gavignet, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 21 juin 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire : « Le tribunal pour enfants est composé d'un juge des enfants, président, et de plusieurs assesseurs » ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 251-4 du même code : « Les assesseurs titulaires et suppléants sont choisis parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l'intérêt qu'elles portent aux questions de l'enfance et par leurs compétences.
« Les assesseurs sont nommés pour quatre ans par le garde des sceaux, ministre de la justice. Leur renouvellement s'opère par moitié. Toutefois, en cas de création d'un tribunal pour enfants, d'augmentation ou de réduction du nombre des assesseurs dans ces juridictions, ou de remplacement d'un ou de plusieurs de ces assesseurs à une date autre que celle qui est prévue pour leur renouvellement, la désignation des intéressés peut intervenir pour une période inférieure à quatre années dans la limite de la durée requise pour permettre leur renouvellement par moitié » ;

3. Considérant que, selon le requérant, la présidence du tribunal pour enfants par un juge des enfants chargé des poursuites et la présence majoritaire d'assesseurs non magistrats au sein de ce tribunal, méconnaissent l'article 66 de la Constitution ; qu'en outre, le Conseil constitutionnel a soulevé d'office le grief tiré de ce que la présidence du tribunal pour enfants par le juge des enfants qui a instruit la procédure porterait atteinte au principe d'impartialité des juridictions ;

- SUR LES ASSESSEURS DU TRIBUNAL POUR ENFANTS :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, si ces dispositions s'opposent à ce que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté soit confié à une juridiction qui ne serait composée que de juges non professionnels, elles n'interdisent pas, par elles-mêmes, que ce pouvoir soit exercé par une juridiction pénale de droit commun au sein de laquelle siègent de tels juges ;

5. Considérant, toutefois, qu'en ce cas, doivent être apportées des garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance, indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles, ainsi qu'aux exigences de capacité, qui découlent de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, s'agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion des juges non professionnels doit rester minoritaire ;

6. Considérant d'une part, qu'en vertu de l'article L. 251-1 du code de l'organisation judiciaire, le tribunal pour enfants est une juridiction pénale spécialisée qui « connaît, dans les conditions définies par l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, des contraventions et des délits commis par les mineurs et des crimes commis par les mineurs de seize ans » ; que, dès lors, en prévoyant que siègent dans cette juridiction, en nombre majoritaire, des assesseurs non professionnels, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées ;

7. Considérant, d'autre part, que l'article L. 251-4 prévoit que les assesseurs sont nommés pour quatre ans et « choisis parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l'intérêt qu'elles portent aux questions de l'enfance et par leurs compétences » ; que l'article L. 251-5 précise qu'ils prêtent serment avant d'entrer en fonction ; que l'article L. 251-6 dispose que la cour d'appel peut déclarer démissionnaires les assesseurs qui « sans motif légitime, se sont abstenus de déférer à plusieurs convocations successives » et prononcer leur déchéance « en cas de faute grave entachant l'honneur ou la probité » ; que, dans ces conditions, s'agissant de ces fonctions d'assesseurs, les dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe d'indépendance indissociable de l'exercice de fonctions judiciaires ni les exigences de capacité qui découlent de l'article 6 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, l'article L. 251-4 du code de l'organisation judiciaire, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, est conforme à la Constitution ;

- SUR LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL POUR ENFANTS :

8. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que le principe d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles ;

9. Considérant, d'autre part, que l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu'en particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;

10. Considérant que l'ordonnance du 2 février 1945 susvisée, dont sont issues les dispositions contestées, a institué un juge des enfants, magistrat spécialisé, et un tribunal des enfants présidé par le juge des enfants ; que le juge des enfants est, selon l'article 7 de cette ordonnance, saisi par le procureur de la République près le tribunal dans le ressort duquel le tribunal des enfants a son siège et qui est seul chargé des poursuites ; qu'en vertu de l'article 8 de cette même ordonnance, le juge des enfants se livre à « toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation » ; que cet article dispose, en outre, qu'il peut « ensuite, par ordonnance, soit déclarer n'y avoir lieu à suivre et procéder comme il est dit à l'article 177 du code de procédure pénale, soit renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants » ; qu'aucune disposition de l'ordonnance du 2 février 1945 ou du code de procédure pénale ne fait obstacle à ce que le juge des enfants participe au jugement des affaires pénales qu'il a instruites ;

11. Considérant que le principe d'impartialité des juridictions ne s'oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l'issue de cette instruction, prononcer des mesures d'assistance, de surveillance ou d'éducation ; que, toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d'accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d'impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ; que, par suite, l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire est contraire à la Constitution ;

12. Considérant qu'en principe, une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité ; que, toutefois, l'abrogation immédiate de l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice pénale des mineurs et entraînerait des conséquences manifestement excessives ; que, par suite, afin de permettre au législateur de mettre fin à cette inconstitutionnalité, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de cette abrogation,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire est contraire à la Constitution.

Article 2.- L'article L. 251-4 du même code est conforme à la Constitution.

Article 3.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend effet au 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 12 de la présente décision.

Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 juillet 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 8 juillet 2011.


Synthèse
Numéro de décision : 2011-147
Date de la décision : 08/07/2011
M. Tarek J. [Composition du tribunal pour enfants]
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle - effet différé
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 08 juillet 2011 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 08 juillet 2011 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2011-147 QPC du 08 juillet 2011
Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2011:2011.147.QPC
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