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28/12/2023 | FRANCE | N°470222

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 28 décembre 2023, 470222


Vu la procédure suivante :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 125 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'un délai excessif de la procédure devant la juridiction administrative.



Par une ordonnance n° 2300048 du 5 janvier 2023, enregistré le même jour au Secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Montpellier a transmis cette demande au Conseil d'Etat, en application du 5° de l

'article R. 311-2 et de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.



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Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 125 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'un délai excessif de la procédure devant la juridiction administrative.

Par une ordonnance n° 2300048 du 5 janvier 2023, enregistré le même jour au Secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Montpellier a transmis cette demande au Conseil d'Etat, en application du 5° de l'article R. 311-2 et de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.

Par cette demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 3 janvier 2023, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mai et 21 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 125 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter du 21 novembre 2022 en réparation du préjudice moral résultant de la durée excessive de la procédure juridictionnelle ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SARL Le Prado-Gilbert, son avocat, de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2021-1583 du 7 décembre 2021 portant création de la cour administrative d'appel de Toulouse ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Anne Lévêque, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que Mme B... a saisi le tribunal administratif de Montpellier le 10 juillet 2017 d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Marsillargues (Hérault) à réparer les préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, une même demande ayant été également adressée à la commune à la même date. Par un jugement du 19 juillet 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Mme B... a fait appel de cette décision devant la cour administrative d'appel de Marseille. Le 11 avril 2022, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de cette affaire à la cour administrative d'appel de Toulouse. Par un arrêt du 13 septembre 2022, la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté l'appel formé par Mme B.... Par une réclamation préalable reçue le 21 novembre 2022, Mme B... a sollicité auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, le versement d'une somme de 4 125 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un délai excessif de jugement de son affaire devant la juridiction administrative. Par un courrier du 16 décembre 2022, le ministre de la justice lui a proposé une indemnisation de 1 000 euros. Mme B... a saisi le Conseil d'Etat d'une demande tendant à ce que la somme de 4 125 euros lui soit allouée en réparation des préjudices causés par le délai excessif de jugement de son affaire.

2. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale de jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.

3. D'une part, en premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme B..., après avoir adressé, le 21 avril 2017, une demande d'indemnisation à la commune qui l'employait, à raison de préjudices causés par la procédure disciplinaire que cette commune avait engagée à son encontre, a, par une demande enregistrée le 10 juillet 2017, saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à ce que la commune soit condamnée à verser une indemnité en réparation de ces préjudices. Par un jugement du 19 juillet 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Eu égard au délai de production du mémoire complémentaire par la requérante devant le tribunal, soit plus d'un an et demi après la production de sa requête sommaire, et alors même que l'affaire ne présentait pas une complexité particulière, la durée de cette instance n'a pas, en l'espèce, revêtu une durée excessive.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, si la cour administrative d'appel de Toulouse a statué dans le délai de cinq mois à compter de la date de l'ordonnance du 11 avril 2022 par laquelle le président de la section du contentieux lui a attribué le jugement de la requête de Mme B..., un délai de deux ans et quatre mois, portant la durée de l'instance d'appel à deux ans et neuf mois, s'est écoulé entre le 22 novembre 2019, date à laquelle Mme B... a formé appel devant la cour administrative de Marseille, alors territorialement compétente, contre le jugement du 19 juillet 2019, et l'intervention de cette ordonnance, alors même que la clôture de l'instruction avait été ordonnée le 30 octobre 2020. Eu égard à la nature du litige ainsi qu'à l'absence de difficultés particulières propres à cette affaire et compte tenu du comportement observé par les parties au cours de cette instance, l'instance d'appel, a, dans les circonstances de l'espèce, excédé le délai raisonnable de jugement.

5. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que, prise dans son ensemble, la procédure de jugement de la demande de première instance et de l'appel de Mme B..., ait excédé, en l'espèce, le délai raisonnable, le délai de jugement de l'affaire en première instance s'expliquant, pour l'essentiel, par le délai mis par la requérante pour produite son mémoire complémentaire.

6. D'autre part, il résulte de l'instruction que Mme B... a subi, du fait de la méconnaissance de son droit à un délai raisonnable de jugement de son appel, un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès. Il en sera fait une juste appréciation en lui allouant une indemnité de 1 000 euros, tous intérêts compris, ainsi que l'avait d'ailleurs proposé le garde des sceaux, ministre de la justice, en réponse à la demande préalable de Mme B....

7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la SARL Le Prado-Gilbert.

D E C I D E :

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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme B... une somme de 1 000 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions indemnitaires de la requête est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée pour information à la présidente de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 novembre 2023 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Marie-Anne Lévêque, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 28 décembre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Maud Vialettes

La rapporteure :

Signé : Mme Marie-Anne Lévêque

La secrétaire :

Signé : Mme Romy Raquil


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 470222
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2023, n° 470222
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Anne Lévêque
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470222.20231228
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