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13/02/2024 | FRANCE | N°461352

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 13 février 2024, 461352


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ayant résulté pour lui de sa révocation illégale et d'enjoindre à l'Etat de reconstituer sa carrière. Par un jugement n° 1801308 du 2 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 20DA01123 du 23 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.



Par un pourvoi sommaire et

un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 février et 10 mai 2022 au secrétariat du contentieux ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ayant résulté pour lui de sa révocation illégale et d'enjoindre à l'Etat de reconstituer sa carrière. Par un jugement n° 1801308 du 2 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20DA01123 du 23 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 février et 10 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Boucard-Maman, son avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boucard-Maman, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 17 août 2012, prenant effet le 28 août 2012, le ministre de l'intérieur a prononcé contre M. B..., gardien de la paix, la sanction de la révocation. Par un jugement du 3 octobre 2013, devenu définitif, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté au motif que la sanction de révocation était entachée de disproportion manifeste. Par un arrêté du 12 décembre 2013, notifié le 22 février 2014, le ministre de l'intérieur a réintégré M. B... dans ses fonctions et repris, en raison des mêmes faits, une sanction d'exclusion temporaire d'une durée de deux ans. Par un arrêté du 10 février 2015, le ministre de l'intérieur, se fondant sur de nouveaux faits reprochés à l'intéressé, a de nouveau prononcé contre M. B... la sanction de la révocation. Par deux jugements du 30 mars 2017, devenus définitifs, le tribunal administratif a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'annulation, respectivement, des décisions des 12 décembre 2013 et 10 février 2015. M. B... a saisi le tribunal administratif de Rouen de conclusions indemnitaires tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices se rapportant à sa période d'éviction illégale, ayant couru du 28 août 2012 au 21 février 2014. Par un jugement du 2 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté cette demande. M. B... demande l'annulation de l'arrêt du 23 septembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.

Sur les conclusions relatives à l'indemnisation des heures supplémentaires non rémunérées et des congés annuels non pris :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour demander à être indemnisé de congés annuels non pris et d'heures supplémentaires effectuées et non rémunérées avant son éviction illégale, M. B... a produit un document lisible, extrait du logiciel de gestion du temps de travail des policiers dénommé " Geopol " et daté du 26 août 2012, en soutenant sans être contredit que ce document retraçait les heures de service qu'il avait effectuées et les droits à congés qu'il avait acquis et pris à cette date. Il précisait que, si le document était anonyme, le logiciel " Geopol ", sécurisé, ne lui permettait d'accéder qu'aux données relatives à sa situation personnelle. M. B... apportait ainsi un commencement de preuve non contesté de la réalité et l'ampleur des préjudices invoqués. En rejetant ses conclusions au seul motif que le document produit ne mentionnait pas son nom, sans faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour déterminer la réalité et l'ampleur des préjudices en cause, la cour administrative d'appel a méconnu son office.

Sur les conclusions relatives à l'indemnisation de la perte de traitement :

3. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour rejeter les conclusions de M. B... tendant à l'indemnisation de la perte de son traitement durant les dix-huit mois pendant lesquels il a illégalement été exclu du service, entre le 28 août 2012 et la notification, le 22 février 2014, de l'arrêté prononçant son exclusion temporaire pour une durée de deux ans, la cour administrative d'appel de Douai a retenu que les fautes commises par l'intéressé, qui consistaient à avoir omis de mentionner la présence d'une personne en garde à vue sur le registre dédié, omis d'activer les caméras de vidéosurveillance, omis d'informer de cette présence l'équipe de relève à la fin de son service de sorte que la personne gardée à vue n'avait été alimentée que tardivement, omis à plusieurs reprises de porter son gilet pare-balles dans l'exercice de ses fonctions, omis d'informer sa hiérarchie de l'annulation de son permis de conduire à la suite d'infractions au code de la route, quitté à plusieurs reprises son lieu de résidence alors qu'il était en arrêt de travail et omis à plusieurs reprises de se rendre à des contrôles médicaux sans justification, étaient, par leur nombre et leur gravité, entièrement exonératoires de la responsabilité de l'Etat.

5. En premier lieu, si le juge administratif peut, pour apprécier l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices subis par l'agent irrégulièrement évincé du service et l'illégalité commise par l'administration, rechercher si, compte tenu des fautes commises par l'agent et de la nature de l'illégalité entachant la sanction, la même sanction, ou une sanction emportant les mêmes effets, aurait pu être légalement prise par l'administration, il n'est jamais tenu de recourir à une telle méthode et de déterminer, pour apprécier l'existence ou l'étendue des préjudices qui présentent un lien direct de causalité avec l'illégalité de la sanction, la sanction qui aurait pu être légalement prise par l'administration. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel aurait commis une erreur de droit en s'abstenant de rechercher si les faits qui étaient reprochés à l'intéressé étaient de nature à justifier la même sanction ou une sanction emportant les mêmes effets ne peut qu'être écarté.

6. En second lieu, en jugeant en l'état de ses constatations souveraines exemptes de dénaturation, au vu du nombre et de la gravité des fautes commises par l'agent et de l'illégalité entachant la sanction du 17 août 2012, que ces fautes étaient entièrement exonératoires de la responsabilité de l'Etat, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas méconnu l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du 3 octobre 2013, devenu définitif, du tribunal administratif de Rouen ayant annulé la sanction initiale de révocation.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel était saisie de conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices découlant de la période pendant laquelle M. B... a été irrégulièrement évincé du service, entre le 28 août 2012 et le 21 février 2014, du fait de la révocation prononcée le 17 août 2012, annulée par le jugement devenu définitif du tribunal administratif de Rouen. En statuant sur ce litige, la cour n'avait pas à tenir compte des pertes de rémunération subies par l'agent du fait de la mise en œuvre erronée de la nouvelle sanction d'exclusion temporaire de deux ans prise à son encontre le 12 décembre 2013 à la suite de l'annulation de sa révocation, les conséquences de la mise en œuvre de cette dernière décision relevant d'un litige distinct.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il statue sur ses conclusions relatives à l'indemnisation d'heures supplémentaires non rémunérées et de congés annuels non pris.

9. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Boucard-Maman, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 23 septembre 2021 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. B... relatives à l'indemnisation des heures supplémentaires non rémunérées et des congés annuels non pris.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai dans la limite de la cassation ainsi prononcée.

Article 3 : L'Etat versera à la SCP Boucard-Maman, avocat de M. B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 janvier 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur ;

Rendu le 13 février 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Dominique Langlais

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461352
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03-02-01-03 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. - RÉPARATION. - ÉVALUATION DU PRÉJUDICE. - PRÉJUDICE MATÉRIEL. - PERTE DE REVENUS. - PRÉJUDICE MATÉRIEL SUBI PAR DES AGENTS PUBLICS. - EVICTION ILLÉGALE DU SERVICE – RÉPARATION INTÉGRALE DU PRÉJUDICE EFFECTIVEMENT SUBI [RJ1] – INDEMNISATION DES PRÉJUDICES CAUSÉS PAR UNE PREMIÈRE SANCTION D’ÉVICTION – EXCLUSION – CONSÉQUENCES DE LA MISE EN ŒUVRE ERRONÉE D’UNE SECONDE SANCTION D’ÉVICTION PRISE À LA SUITE DE L’ANNULATION DE LA PREMIÈRE.

60-04-03-02-01-03 Gardien de la paix ayant été révoqué puis, à la suite de l’annulation de cette sanction en raison de sa disproportion manifeste, ayant fait l’objet d’une nouvelle sanction d’exclusion temporaire de deux ans. Agent ayant été évincé du service pendant six mois en application de la révocation, puis pendant vingt-quatre mois en application de la sanction d’exclusion temporaire, sans que l’administration tienne compte de la période antérieure d’éviction....Intéressé demandant l’indemnisation des préjudices ayant résulté pour lui de la sanction de révocation et se rapportant à la période pendant laquelle il a été irrégulièrement évincé du service, soit durant les six mois de prise d’effet initiaux de la révocation, avant son annulation au contentieux. ...En statuant sur ce litige, le juge n’a pas à tenir compte des pertes de rémunération subies par l’agent du fait de la mise en œuvre erronée de la nouvelle sanction d’exclusion temporaire de deux ans prise à son encontre à la suite de l’annulation de sa révocation, les conséquences de la mise en œuvre de cette dernière décision relevant d’un litige distinct.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 fév. 2024, n° 461352
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP BOUCARD-MAMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:461352.20240213
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