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11/04/2024 | FRANCE | N°489547

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 11 avril 2024, 489547


Vu la procédure suivante :



La société par actions simplifiée (SAS) Laondis a demandé au tribunal administratif d'Amiens, par deux requêtes distinctes, de prononcer, d'une part, la décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2017, à raison d'un établissement qu'elle exploite à Athies-sous-Laon (Aisne), ainsi que des pénalités correspondantes, d'autre part, à titre principal, la décharge des cotisations de cette même taxe auxquelles elle a été assujet

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Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Laondis a demandé au tribunal administratif d'Amiens, par deux requêtes distinctes, de prononcer, d'une part, la décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2017, à raison d'un établissement qu'elle exploite à Athies-sous-Laon (Aisne), ainsi que des pénalités correspondantes, d'autre part, à titre principal, la décharge des cotisations de cette même taxe auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2018 à 2020 à raison de ce même établissement et, à titre subsidiaire, la réduction de la cotisation à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2019 et la décharge de la cotisation à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2020. Par un jugement nos 2102273 et 2201076 du 21 septembre 2023, ce tribunal, après les avoir jointes, a accordé la décharge de la cotisation de taxe sur les surfaces commerciales à laquelle la société a été assujettie au titre de l'année 2020 et rejeté le surplus de ses demandes.

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 novembre 2023 et 31 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laondis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement ;

2°) réglant dans cette mesure l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;

- la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Laondis ;

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Eu égard à la teneur de son argumentation, la société Laondis doit être regardée comme demandant au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des 8ème à 20ème alinéas de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certains commerçants et 'artisans âgés : " Il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés, des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. (...) / La surface de vente des magasins de commerce de détail, prise en compte pour le calcul de la taxe, et celle visée à l'article L. 720-5 du code de commerce, s'entendent des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l'exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement, et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente./ La surface de vente des magasins de commerce de détail prise en compte pour le calcul de la taxe ne comprend que la partie close et couverte de ces magasins. (...) / Pour les établissements dont le chiffre d'affaires au mètre carré est inférieur à 3 000 €, le taux de cette taxe est de 5,74 euros au mètre carré de surface définie au troisième alinéa. Pour les établissements dont le chiffre d'affaires au mètre carré est supérieur à 12 000 €, le taux est fixé à 34,12 €. (...) / Lorsque le chiffre d'affaires au mètre carré est compris entre 3 000 et 12 000 €, le taux de la taxe est déterminé par la formule suivante : 5,74 € + [0,00315 × (CA / S-3 000)] €, dans laquelle CA désigne le chiffre d'affaires annuel hors taxe de l'établissement assujetti, exprimé en euros, et S désigne la surface des locaux imposables, exprimée en mètres carrés. (...) / Les dispositions prévues à l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale sont applicables pour la détermination du chiffre d'affaires imposable ".

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. En premier lieu, la société Laondis soutient qu'en adoptant les dispositions citées au point 3, le législateur aurait méconnu les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au motif que la prise en compte du chiffre d'affaires au mètre carré pour la détermination du taux de la taxe sur les surfaces commerciales introduirait entre établissements assujettis des différences de traitement qui seraient contraires à l'objet même de la loi, dès lors que, pour un chiffre d'affaires identique, les établissements ayant une moindre surface seraient susceptibles d'être plus taxés que ceux ayant une surface supérieure.

6. En instituant une taxe sur les surfaces commerciales, le législateur a entendu favoriser un développement équilibré du commerce. A cet égard, pour tenir compte de leur impact économique sur le petit commerce au niveau local et de leurs capacités contributives, le législateur a choisi d'imposer les établissements ayant une surface de vente significative selon un taux qui varie, en fonction du chiffre d'affaires par mètre carré de surface commerciale, de 5,74 euros à 34,12 euros par mètre carré de surface de vente. Il suit de là que, loin d'aller à l'encontre de l'objectif suivi par le législateur, la différence de traitement entre établissements en fonction de leur chiffre d'affaires au mètre carré repose sur une différence de situation objective en rapport avec l'objet de la loi. Alors même qu'elles peuvent amener, dans certaines hypothèses, à ce que la cotisation décroisse avec la surface, les dispositions en cause, qui se fondent sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi, n'instaurent pas davantage de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. En deuxième lieu, il résulte des dispositions citées au point 3 que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour déterminer le taux de la taxe sur les surfaces commerciales dont est redevable, à raison de ses surfaces de vente, un établissement exerçant une activité de vente au détail est celui correspondant à l'ensemble des ventes au détail en l'état que cet établissement réalise annuellement, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ces ventes sont ou non réalisées dans des locaux dont la surface est prise en compte dans l'assiette de la taxe. Sont notamment incluses dans ce chiffre d'affaires les ventes relatives à des marchandises vendues par cet établissement sur internet et dont le client prend livraison dans un espace dédié du magasin, alors même que les surfaces de cet espace de livraison ne seraient pas prises en compte dans l'assiette de la taxe.

8. La société requérante soutient que ces dispositions créent une différence de traitement non justifiée entre des entreprises exerçant une activité de vente sur internet de marchandises où le client vient prendre livraison au sein d'un établissement comprenant un magasin de commerce de détail, dont les surfaces de vente sont comprises dans l'assiette de la taxe sur les surfaces commerciales, et celles dont le client vient prendre livraison dans un lieu isolé, non assujetti. Toutefois, ces deux catégories d'entreprises, dont l'une fait le choix de regrouper dans le même établissement un magasin de commerce de détail et un point de retrait par la clientèle d'achats au détail, sont dans des situations objectivement différentes au regard des dispositions en cause, qui déterminent le champ d'application et le taux de la taxe sur les surfaces commerciales. La différence de traitement qui leur est applicable est en rapport avec l'objet des dispositions en cause.

9. Si les dispositions législatives contestées conduisent à imposer différemment à la taxe sur les surfaces commerciales les deux catégories d'entreprises mentionnées au point 8, selon les choix de gestion auxquels elles ont procédé, cette circonstance n'est pas, en elle-même, de nature à porter atteinte à la liberté d'entreprendre, garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

10. Enfin, si la société Laondis soutient que le législateur aurait, s'agissant de la définition du chiffre d'affaires pris en compte pour déterminer le taux de la taxe, méconnu l'étendue de sa compétence, dans des conditions affectant par elles-mêmes l'égalité devant la loi, l'égalité devant les charges publiques et la liberté d'entreprendre, les dispositions contestées, qui renvoient pour cette définition aux dispositions de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, devenu l'article L. 137-33 du même code, ne sont, telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en tout état de cause entachées d'aucune incompétence négative.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

12. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

13. Pour demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, la société Laondis soutient que le tribunal administratif d'Amiens :

- a commis une erreur de droit en faisant application des principes issus de la décision du Conseil d'Etat n° 436879 Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, alors que cette décision entraîne une différence de traitement entre deux entreprises exerçant une activité identique de vente au détail selon que le " drive " constitue ou non un établissement distinct du magasin de commerce de détail dont les surfaces de vente sont comprises dans l'assiette de la taxe sur les surfaces commerciales ;

- l'a insuffisamment motivé, faute de répondre au moyen tiré de ce que les ventes relatives au " drive " ne pouvaient être prises en compte pour le calcul de la taxe sur les surfaces commerciales, compte tenu des dispositions prévues aux articles 1125 et suivants du code civil, applicables aux ventes par voie électronique ;

- l'a insuffisamment motivé et a commis une erreur de droit en refusant de tenir compte, pour la détermination de la taxe sur les surfaces commerciales due au titre de l'année 2019, de la cessation d'activité de sa jardinerie au 30 septembre 2019, au motif qu'elle n'aurait pas déposé une déclaration de cessation d'exploitation ;

- l'a rendu à l'issue d'une procédure irrégulière et a méconnu le caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle en relevant d'office le moyen tiré de ce qu'elle aurait dû déposer une déclaration de cessation d'exploitation de la jardinerie, sans avoir mis à même les parties de présenter leurs observations sur ce moyen.

14. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Laondis.

Article 2 : Le pourvoi de la société Laondis n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Laondis et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 avril 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.

Rendu le 11 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Thomas Andrieu

Le rapporteur :

Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 489547
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 avr. 2024, n° 489547
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Benjamin Duca-Deneuve
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:489547.20240411
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