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24/11/2023 | FRANCE | N°23NT01672

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 24 novembre 2023, 23NT01672


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 7 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n°2306254 du 26 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistr

ée le 8 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Philippon, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 7 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°2306254 du 26 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Philippon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 7 avril 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;

2°) d'enjoindre à l'Etat, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé de sa demande dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'arrêt à intervenir, ou, à défaut, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier :

* dès lors que sa minute ne comporte pas les mentions obligatoires prévues par l'article R. 741-8 du code de justice administrative ;

* le jugement attaqué a été rendu par un magistrat qui n'a pas reçu de délégation pour statuer sur les litiges visés à l'article L. 572-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par le président du tribunal administratif ;

* le tribunal a omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'existence d'un défaut d'examen du risque de renvoi par ricochet.

- le jugement attaqué est infondé :

* le préfet n'a pas examiné sérieusement sa demande d'asile ;

* le préfet a méconnu l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, au regard des dispositions de l'article 29 du même règlement ;

* le préfet a méconnu les dispositions des articles 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 et L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de l'absence de confidentialité de l'entretien individuel, la compétence de l'interprète n'est en outre pas établie et ses coordonnées ne lui ont pas été transmises par écrit ;

* le préfet a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 au regard, notamment, du risque de renvoi par ricochet en Angola et de sa vulnérabilité particulière.

Mme A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante angolaise, a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 18 mars 2023. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 24 mars 2023. Le relevé de ses empreintes digitales et la consultation du fichier " Eurodac " ont révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Suisse et qu'elle avait déposé une demande d'asile dans cet Etat. Le préfet a saisi les autorités suisses, le 3 avril 2023, d'une demande de reprise en charge de Mme A.... Ces mêmes autorités ont accepté la reprise en charge de l'intéressée, par un accord explicite, le 4 avril 2023. Le préfet de Maine-et-Loire a alors pris à l'encontre Mme A... un arrêté de transfert aux autorités suisses en date du 7 avril 2023. Mme A... relève appel du jugement du 26 mai 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Aux termes de l'article R. 741-8 du même code : " Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée, conformément aux dispositions de l'article R. 741-8 du code de justice administrative, par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et par le greffier.

4. En deuxième lieu, il ressort des mentions du jugement attaqué que le tribunal s'est expressément prononcé sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation quant au refus du préfet de faire usage de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013. En relevant qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme A..., le préfet n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, au regard notamment du risque de renvoi par ricochet en Angola par les autorités suisses, le tribunal s'est implicitement et nécessairement prononcé sur le moyen tiré du défaut d'examen de la situation de Mme A..., au regard de ce risque de renvoi. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait irrégulier sur ce point.

5. En dernier lieu, le président du tribunal administratif de Nantes a désigné

M. Gauthier, premier conseiller, par une décision du 1er février 2023, affichée au greffe de ce tribunal, pour statuer sur les litiges relevant du contentieux des décisions de transfert vers l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, notamment sur le fondement de l'article L. 572-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le jugement du 26 mai 2023 aurait été rendu par un magistrat non régulièrement désigné.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme A....

7. En deuxième lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, au regard des dispositions de l'article 29 du même règlement, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge aux points 4 et 5 du jugement attaqué.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / (...) ". Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. (...) /(...) ".

9. Les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel mentionné à l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui s'est déroulé le 24 mars 2023 à la préfecture de la Loire-Atlantique, mené avec le concours d'un interprète en portugais. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant la confidentialité ou par une personne qualifiée en vertu du droit national. En outre, la circonstance que les coordonnées de l'interprète n'ont ont pas été transmises à la requérante par écrit n'a pas privé cette dernière de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui leur est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne leur incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. La requérante fait valoir sa vulnérabilité particulière en raison de ses problèmes de santé, résultant notamment d'une endométriose engendrant des douleurs abdominales persistantes et d'une grave dépression. Toutefois, les pièces médicales versées au dossier ne permettent pas de penser que le suivi de l'état de santé de l'intéressée ne pourrait pas être assuré en Suisse. Aucun élément du dossier ne permet de démontrer que son état de santé la placerait dans une situation de vulnérabilité spécifique imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Enfin, Mme A... n'établit pas, notamment par la production d'une ordonnance du tribunal administratif fédéral suisse du 19 août 2022, qu'elle ferait l'objet d'un rejet définitif de sa demande d'asile en Suisse et qu'une mesure d'éloignement exécutoire pèserait sur elle. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée est entachée d'un défaut d'examen du risque de renvoi par ricochet et qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et aurait méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi que ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT01672


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01672
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : PHILIPPON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;23nt01672 ?
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