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29/11/2023 | FRANCE | N°22LY02063

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 29 novembre 2023, 22LY02063


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté lui aurait fait interdiction d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute à compter du 15 septembre 2021.



Par un jugement n° 2102812 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.





Procédure

devant la cour :



Par une requête enregistrée le 8 juillet 2022, Mme B... A..., représentée par la SCP Audard et A...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté lui aurait fait interdiction d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute à compter du 15 septembre 2021.

Par un jugement n° 2102812 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 juillet 2022, Mme B... A..., représentée par la SCP Audard et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2102812 du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté lui a fait interdiction d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute à compter du 15 septembre 2021 ;

3°) d'enjoindre à l'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté de l'autoriser à reprendre l'exercice de son activité de masseur-kinésithérapeute ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme A... soutient que :

- l'obligation vaccinale méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnait le règlement européen n° 2021/953 du 14 juin 2021 et notamment son considérant n° 36 ;

- elle méconnait les articles L. 1111-4 et L. 1122-1-1 du code de la santé publique et l'article 16-1 du code civil ;

- elle méconnait l'article 16 de la convention d'Oviedo du 4 avril 1997.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2023, l'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté conclut :

1°) à titre principal, au non-lieu à statuer ;

2°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;

L'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté soutient que :

- l'obligation vaccinale qui fonde l'interdiction d'exercer ayant été levée par décret du 13 mai 2023, le litige a perdu son objet ;

- subsidiairement, les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 7 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 7 juillet 2023 à 16h30. Par ordonnance du 13 juillet 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 18 août 2023 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, modifiée, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;

- le règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats COVID-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement (certificat COVID numérique de l'UE) afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19 ;

- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine : convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ensemble le décret n° 2012-855 du 5 juillet 2012 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ensemble le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le décret n° 2023-368 du 13 mai 2023 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., masseuse-kinésithérapeute, a reçu un courrier daté du 6 octobre 2021 du directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté, qui l'informe de ce qu'en l'absence de production des justificatifs de l'obligation vaccinale contre le virus responsable de la pandémie Covid-19, elle tombe sous le coup d'une interdiction légale d'exercice de cette activité à compter du 15 septembre 2021. Par le jugement attaqué du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de l'interdiction d'exercer mentionnée dans ce courrier.

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / (...) / 2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I (...) / II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. / Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis (...) / IV. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au I, l'obligation prévue au même I ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. Un décret détermine les conditions d'acceptation de justificatifs de vaccination, établis par des organismes étrangers, attestant de la satisfaction aux critères requis pour le certificat mentionné au même premier alinéa ; / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité (...) ". Aux termes de l'article 14 de la même loi : " I. - (...) / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret (...) / IV. - Les agences régionales de santé vérifient que les personnes mentionnées aux 2° et 3° du I de l'article 12 qui ne leur ont pas adressé les documents mentionnés au I de l'article 13 ne méconnaissent pas l'interdiction d'exercer leur activité prévue au I du présent article. / V. - Lorsque l'employeur ou l'agence régionale de santé constate qu'un professionnel de santé ne peut plus exercer son activité en application du présent article depuis plus de trente jours, il en informe, le cas échéant, le conseil national de l'ordre dont il relève ". Aux termes de l'article 16 de la même loi : " I. - La méconnaissance de l'interdiction d'exercer, mentionnée au I de l'article 14, est sanctionnée dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article L. 3136-1 du code de la santé publique pour le fait, pour toute personne, de se rendre dans un établissement recevant du public en méconnaissance d'une mesure édictée sur le fondement du 5° du I de l'article L. 3131-15 du même code (...) ". Aux termes de l'article 18 de la même loi : " La réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire administrée en application du I de l'article 12 est assurée conformément à l'article L. 3111-9 du code de la santé publique ". Les masseurs-kinésithérapeutes, dont l'activité est régie par les dispositions des articles L. 4321-1 et suivants du code de la santé publique, relèvent ainsi du champ d'application de l'ensemble des dispositions précitées.

Sur l'objet du litige :

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 13 mai 2023 relatif à la suspension de l'obligation de vaccination contre la covid-19 des professionnels et étudiants : " L'obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 susvisée est suspendue ".

4. S'il est vrai, ainsi que le fait valoir l'agence régionale de santé, que les dispositions précitées du décret du 13 mai 2023 mettent fin à l'interdiction d'exercer dont a fait l'objet Mme A..., cette interdiction a toutefois produit des effets avant qu'il n'y soit mis fin. Le litige n'a, dès lors, pas perdu son objet et il y a lieu pour la cour d'y statuer.

Sur les conclusions de Mme A... :

5. En premier lieu, l'obligation de vaccination issue de la loi du 5 août 2021 a eu pour objet, dans le contexte de la crise pandémique du covid-19 qui a entrainé de nombreux décès et hospitalisations graves, d'imposer, notamment aux professionnels de santé, une mesure sanitaire de prévention, nécessaire pour juguler la circulation du virus et protéger leurs patients, qui sont affaiblis et ainsi placés en situation de vulnérabilité. Le législateur a réservé le cas d'une contre-indication médicale reconnue. Un régime d'indemnisation facilitée en cas de préjudice lié à la vaccination est par ailleurs applicable. Différents schémas vaccinaux ont été définis selon la situation de chaque personne et des modalités simples de preuve du respect de l'obligation vaccinale ont été prévues. L'interdiction d'exercice litigieuse n'intervient que si le professionnel de santé a méconnu ses obligations sanitaires et cesse s'il s'y conforme. Enfin, le législateur a prévu que l'obligation de vaccination est elle-même suspendue par décret si la situation sanitaire cesse de la rendre nécessaire, ainsi au demeurant que l'a fait le décret précité du 13 mai 2023. Ainsi, le législateur a défini un régime sanitaire justifié, adapté et proportionné, qui n'entraine pas d'atteinte excessive au droit de chaque intéressé au respect de sa vie privée familiale, au regard des considérations majeures de santé publique qui justifient les mesures en cause. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, en conséquence, être écarté.

6. En deuxième lieu, l'article 16 de la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 est relatif à la protection des personnes se prêtant à une recherche scientifique dans le domaine de la biologie et de la médecine. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'interdiction d'exercer son activité dans le secteur de la santé, en raison de la méconnaissance d'une obligation sanitaire, ne peut sérieusement être regardée comme relevant d'une recherche scientifique dans le domaine de la biologie et de la médecine. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 16 de la convention d'Oviedo doit, dès lors, être écarté comme inopérant.

7. En troisième lieu, le règlement européen susvisé du 14 juin 2021 définit le régime des certificats COVID-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement (certificats COVID numériques de l'UE) afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie. Son considérant 36, à supposer qu'il ait en lui-même valeur normative, prévoit qu'" Il y a lieu d'empêcher toute discrimination directe ou indirecte à l'encontre des personnes qui ne sont pas vaccinées, par exemple pour des raisons médicales, parce qu'elles ne font pas partie du groupe cible auquel le vaccin contre la COVID-19 est actuellement administré ou pour lequel il est actuellement autorisé, comme les enfants, ou parce qu'elles n'ont pas encore eu la possibilité de se faire vacciner ou ne souhaitent pas le faire. Par conséquent, la possession d'un certificat de vaccination, ou la possession d'un certificat de vaccination mentionnant un vaccin contre la COVID-19, ne devrait pas constituer une condition préalable à l'exercice du droit à la libre circulation ou à l'utilisation de services de transport de voyageurs transfrontaliers tels que les avions, les trains, les autocars ou les transbordeurs ou tout autre moyen de transport. En outre, le présent règlement ne peut être interprété comme établissant un droit ou une obligation d'être vacciné ". Ce faisant, les auteurs du règlement n'ont clairement pas entendu faire obstacle à ce que les autorités nationales, dans un but de sécurité sanitaire, définissent les obligations vaccinales pesant sur les professionnels de santé, domaine que ce règlement n'a pas pour objet de régir. Le moyen tiré de la méconnaissance du considérant précité doit, dès lors être écarté comme inopérant.

8. En quatrième lieu, la requérante ne peut utilement soutenir que le législateur, en adoptant la loi du 5 août 2021, aurait méconnu les dispositions législatives des articles L. 1111-4 et L. 1122-1-1 du code de la santé publique et de l'article 16-1 du code civil.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en première instance, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, qui ont au demeurant perdu leur objet à la date du présent arrêt, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à l'agence régionale de santé de Bourgogne - Franche-Comté.

Délibéré après l'audience du 6 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02063


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02063
Date de la décision : 29/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

55-03-035 Professions, charges et offices. - Conditions d'exercice des professions.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SCP AUDARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-29;22ly02063 ?
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