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05/12/2023 | FRANCE | N°23DA00442

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 05 décembre 2023, 23DA00442


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à int

ervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa demande d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa demande de titre de séjour et de prendre une décision sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte. Enfin, M. B... a demandé au tribunal de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 2206429 du 8 février 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 5 juillet 2022 du préfet du Nord, lui a enjoint de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis la charge de l'Etat, une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à Me Dewaele, sous réserve qu'elle renonce à percevoir les sommes correspondant à la part contributive de l'Etat.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 mars 2023, le préfet du Nord demande à la cour d'annuler ce jugement, y compris en ce qu'il a condamné l'Etat au versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à tort que, pour annuler son arrêté du 5 juillet 2022, le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 421-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- dans la mesure où, conformément aux dispositions de l'article R. 5221-17 du code du travail, la décision relative à l'autorisation de travail est prise par le préfet, la décision rendue par la plateforme de main d'œuvre étrangère, ne lie pas sa compétence, ni son appréciation en ce qui concerne la délivrance du titre de séjour ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, il est par conséquent fondé à revenir sur la décision d'autorisation de travail de la plateforme main d'œuvre étrangère sans que puisse lui être opposé le délai de quatre mois dès lors qu'il ne ressort d'aucune disposition que cette décision constitue une décision créatrice de droits ;

- compte tenu de la situation personnelle et du parcours de formation de M. B..., le métier d'employé au rayon poissonnerie d'un hypermarché est en inadéquation manifeste avec les études de CAP " menuisier fabricant de menuiserie, mobilier et agencement " pour lequel un titre de séjour temporaire " étudiant " lui avait été délivré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mars 2023, M. B..., représenté par Me Dewaele, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement du 8 février 2023 du tribunal administratif de Lille et à ce que soit mise à la charge de l'Etat, la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le préfet du Nord ne sont pas fondés ;

- le tribunal a fait une exacte application, à sa situation, des dispositions de

l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le ressortissant étranger qui exerce une activité salariée sous contrat à durée indéterminée et a obtenu préalablement une autorisation de travail, délivrée par le préfet sur le fondement de l'article R. 5221-15 du code du travail, doit se voir délivrer un titre de séjour " salarié " ; cette autorisation de travail délivrée par délégation du préfet par la plateforme " main d'œuvre étrangère ", est une décision créatrice de droits qui ne peut être retirée au-delà de quatre mois ;

- les décisions contenues dans l'arrêté contesté ont été signées par une autorité incompétente ;

- elles sont insuffisamment motivées et méconnaissent ainsi les dispositions

des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision refusant un titre de séjour est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle a été prise en violation des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français doit être annulée par voie d'exception d'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire entraîne l'illégalité de la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire ;

- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mars 2023.

Par une ordonnance du 12 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 2 octobre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- et les observations de Me Fourdan, représentant M. B..., lequel, étant présent, s'est également exprimé.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant congolais né le 25 décembre 1999, qui déclare être entré en France à la fin de l'année 2015, a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance. Le préfet du Nord lui a délivré, le 11 juin 2018, un titre de séjour " étudiant " valable jusqu'au 9 juin 2021. Le 29 novembre 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ". Par un arrêté du 5 juillet 2022, le préfet du Nord a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé à l'expiration de ce délai. Par un jugement du 8 février 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement dont il demande l'annulation.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Aux termes

de l'article L. 5221-5 de ce code : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. / (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-15 du même code : " La demande d'autorisation de travail mentionnée au I de l'article R. 5221-1 est adressée au moyen d'un téléservice au préfet du département dans lequel l'établissement employeur a son siège (...) ". Aux termes de son article R. 5221-17 : " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée au I de l'article R. 5221-1 est prise par le préfet. Elle est notifiée à l'employeur (...), ainsi qu'à l'étranger ". Enfin, aux termes de l'article R. 5221-20 dudit code : " L'autorisation de travail est accordée lorsque la demande remplit les conditions suivantes : / (...) / 5° Lorsque l'étranger est titulaire d'une carte de séjour portant les mentions " étudiant " ou " étudiant-programme de mobilité " prévue à l'article L. 422-1, L. 422-2, L. 422-5, L. 422-26 et L. 433-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il a achevé son cursus en France ou lorsqu'il est titulaire de la carte de séjour portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " prévue à l'article L. 422-14 du même code, l'emploi proposé est en adéquation avec les diplômes et l'expérience acquise en France ou à l'étranger. ".

4. Par ailleurs, en vertu de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ".

5. Il ressort des termes du jugement attaqué, que pour annuler l'arrêté du 5 juillet 2022 contesté, le tribunal a retenu que le préfet du Nord, pour refuser le titre de séjour sollicité par M. B..., s'est fondé sur le motif tiré de l'inadéquation entre les études poursuivies et le contrat à durée indéterminée obtenu par le requérant alors qu'il s'était vu préalablement délivrer une autorisation de travail. Les premiers juges ont estimé qu'en procédant ainsi, le préfet avait apprécié une nouvelle fois les conditions posées par l'article L. 5221-5 du code du travail afférentes à l'examen distinct de la demande d'autorisation de travail et qu'en tout état de cause, s'agissant d'une décision créatrice de droits, il ne pouvait la retirer au-delà du délai de quatre mois.

6. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 5221-2 et L. 5221-5 du code du travail que, pour obtenir un titre de séjour pour l'exercice d'une activité salariée, l'étranger doit préalablement justifier d'une autorisation de travail. Dès lors que sa délivrance permet d'établir que l'étranger satisfait aux critères définis à l'article R. 5221-20 du même code, lui donnant droit, sous réserve notamment des cas de fraude ou de menace à l'ordre public, de se voir délivrer une autorisation de séjour temporaire portant la mention " salarié ", l'autorisation de travail constitue une décision créatrice de droits.

7. En outre, il résulte des dispositions de l'article R. 5221-17 du code du travail que l'autorisation de travail étant délivrée par le préfet, la circonstance que la décision favorable à l'exercice de l'activité envisagée ait été accordée par la plateforme " main d'œuvre étrangère " agissant par délégation du préfet ne fait pas obstacle à ce que ce dernier examine lui-même la demande d'autorisation de travail avant d'édicter l'arrêté en litige, de sorte que dans ce cas il peut le cas échéant décider de la retirer. Toutefois, s'agissant d'une décision créatrice de droits, conformément aux dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration citées au point 4, sous réserve de l'existence d'une fraude, l'autorité préfectorale ne peut procéder au retrait de l'autorisation de travail que dans le délai de quatre mois suivant son édiction.

8. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de sa demande de titre de séjour déposée en préfecture le 29 novembre 2021, que M. B..., qui avait été autorisé à séjourner en qualité d'étudiant, a sollicité un changement de statut, en tant que salarié titulaire d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'employé au rayon poissonnerie d'un hypermarché. Pour cet emploi, il a sollicité l'autorisation de travail régie par les dispositions précitées du code du travail, par une demande présentée le 27 octobre 2021, laquelle a fait l'objet d'une décision favorable le 7 décembre 2021. Si, ainsi qu'il a été dit précédemment, le préfet du Nord pouvait envisager le retrait de cette autorisation au motif que l'emploi mentionné sur cette autorisation s'avérerait être en inadéquation avec le diplôme et l'expérience acquise en France par l'intéressé, il devait y procéder dans le délai de quatre mois courant à partir du 7 décembre 2021 dès lors que la vérification des critères prévus par l'article R. 5221-20 du code du travail conditionne la délivrance de l'autorisation de travail et non celle du titre de séjour. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le préfet du Nord ne pouvait fonder le refus de titre de séjour opposé par l'arrêté contesté du 5 juillet 2022, sur le retrait illégal de la décision d'autorisation de travail accordée depuis plus de quatre mois.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, pour ce motif, par le jugement attaqué du 8 février 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 5 juillet 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Dewaele en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les frais liés à l'instance :

10. M. A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. En application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme de 1 000 euros à Me Emilie Dewaele, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspond à la part contributive de l'Etat.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du Préfet du Nord est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Emilie Dewaele la somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Emilie Dewaele.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 21 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guerin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. ViardLa greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

N. Roméro

N° 23DA00442 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00442
Date de la décision : 05/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : DEWAELE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-05;23da00442 ?
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