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07/12/2023 | FRANCE | N°21BX03684

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre (formation à 5), 07 décembre 2023, 21BX03684


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes

et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité de 1 862 132,57 euros,

dont 48 857,70 euros à titre provisionnel, avec intérêts et capitalisation, en réparation

des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de vaccinations obligatoires contre l'hépatite B.


> Par un jugement n° 1801138 du 18 mars 2021, le tribunal a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes

et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité de 1 862 132,57 euros,

dont 48 857,70 euros à titre provisionnel, avec intérêts et capitalisation, en réparation

des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de vaccinations obligatoires contre l'hépatite B.

Par un jugement n° 1801138 du 18 mars 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 septembre 2021 et des mémoires enregistrés

les 21 octobre 2021, 1er mars 2023 et 13 septembre 2023, Mme D..., représentée par la SELARL Jegu, Leroux, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser une indemnité d'un montant total

de 2 125 479,99 euros, dont 119 230,69 euros à titre de provision, avec intérêts à compter de la réception de sa réclamation préalable et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le caractère obligatoire de la vaccination contre l'hépatite B est incontestable pour une aide-soignante ;

En ce qui concerne le lien de causalité :

- les experts relèvent des symptômes de grande fatigue, de troubles mnésiques et cognitifs et de douleurs articulaires et musculaires, apparus postérieurement à la vaccination et ne pouvant être rattachés à aucune autre cause que la myofasciite à macrophages ; ils indiquent que les symptômes n'existaient pas avant la vaccination, et qu'aucun ne peut appartenir à une pathologie précise ; les symptômes sont apparus en 1995 pour des vaccinations s'échelonnant entre 1991 et 1998, et se sont aggravés après le rappel de 1998 ; aucune maladie rhumatologique n'a été étiquetée par des professionnels de santé ; ainsi, le lien de causalité doit être retenu ;

- le tribunal, qui avait retenu l'imputabilité au service de la myofasciite à macrophages par son jugement rendu le 11 juillet 2013 dans l'instance l'opposant à son employeur, ne pouvait refuser de retenir le lien de causalité entre la vaccination et la myofasciite à macrophages, en se fondant sur les mêmes pièces, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, alors au demeurant que cinq rapports d'expertise ont conclu à l'existence de ce lien, et que le jugement ne cite pas la dernière expertise, ordonnée par le tribunal dans l'instance l'opposant à l'ONIAM ;

- les diagnostics de sclérose en plaques, de rhumatismes ou de fibromyalgie ont été écartés ; le dossier médical qu'elle produit en appel démontre que les pathologies mentionnées par le jugement ne permettent pas à elles seules d'expliquer son état de santé actuel ; la symptomatologie, apparue dès 1995, a été imputée à tort à la naissance de son second enfant ; son état de santé s'est dégradé à partir de la dernière vaccination de 1998, puis a empiré à partir de 2005, conduisant à des arrêts de travail répétés ; son terrain migraineux n'avait nécessité aucun traitement ; si un " défaut musculaire paravertébral " a été noté par le médecin du travail le 13 juillet 1990, aucune dorsalgie ou lombalgie n'est documentée de 1990 à 1994, mais la réapparition de dorsalgies après la dernière vaccination du 24 avril 1998 a nécessité son changement de poste pour un travail de nuit ; son médecin traitant atteste l'avoir suivie

entre 1995 et 2000 pour des douleurs musculaires, des lombalgies itératives et une

asthénie permanente ; un électromyogramme a été réalisé en novembre 1999 pour des douleurs au niveau des membres supérieurs ; elle a fait l'objet d'arrêts de travail itératifs à partir

du 25 janvier 1999 ; quand bien même la réalité des symptômes ne serait prouvée qu'à partir de 1999, ce délai par rapport à la vaccination du 24 avril 1998 permet de retenir le lien de causalité ; elle n'a pas conservé de séquelles de l'accident de la voie publique à l'origine d'une entorse cervicale qui a nécessité un arrêt de travail du 25 avril au 25 juin 1999, et seul un discret syndrome du canal carpien débutant, resté asymptomatique, a été diagnostiqué

en novembre 1999, alors qu'elle présentait des douleurs généralisées ; ni les lésions dégénératives du cotyle gauche diagnostiquées en février 2005, ni le kyste arachnoïdien identifié en 2006 et qui a persisté malgré une ponction, n'expliquent les polyalgies diffuses, les troubles cognitifs et la fatigue chronique ; si elle a glissé d'un toit en septembre 2006 dans le cadre de son activité de sapeur-pompier, cet accident était imputable à la fatigue chronique causée par la myofasciite à macrophages, et les arrêts de travail consécutifs ont été reconnus imputables à cette maladie ; au demeurant, elle n'a conservé aucune séquelle de cet accident ; les lombalgies diagnostiquées en août 2005 s'inscrivent dans un contexte de douleurs généralisées et diffuses et n'expliquent pas les autres symptômes ; les éléments de son histoire médicale isolés par le tribunal ont été identifiés à partir de 2005, après le début de la symptomatologie généralisée, et n'ont jamais été diagnostiqués comme étant à l'origine de son état de santé ;

En ce qui concerne les préjudices :

- elle a conservé à sa charge 1 750 euros pour 32 séances d'ostéopathie, 157,24 euros de compléments nutritifs, 1 500 euros de frais pour 30 séances auprès d'une psychologue

et 318,86 euros sur l'acquisition d'un lit médicalisé, soit au total 3 726,10 euros de dépenses de santé actuelles ;

- son besoin d'assistance par une tierce personne avant consolidation, sous-évalué par les experts, doit être fixé à 4 h 15 par jour de janvier 1995 au mois d'avril 2018, à 5 h 30 par jour

d'avril 1998 à septembre 2006, et à 5 h par jour du 11 septembre 2006 au 1er juin 2016, date de consolidation de son état de santé, sur la base d'un coût horaire de 18 euros et de 412 jours par an pour tenir compte des congés et des jours fériés, soit au total 704 120,22 euros après déduction de la prestation de compensation du handicap (PCH) ;

- si elle a bénéficié du maintien de son traitement au titre de l'accident de service, elle a perdu la prime de service et les indemnisations pour travail de nuit et le dimanche pour un montant total de 27 482,10 euros ; par ailleurs, une décision de la commission médicale

du 27 janvier 2009 l'a reconnue inapte à son activité de sapeur-pompier, ce qui lui a fait perdre un revenu annuel moyen de 3 037,50 euros ; ses pertes de revenus avant consolidation doivent ainsi être évaluées à 54 819,60 euros ;

- après consolidation, elle a exposé 150 euros de consultation d'un chiropracteur, dont elle demande le remboursement à titre provisionnel dès lors qu'elle est susceptible d'exposer de nouvelles dépenses de santé non prises en charge ;

- les experts ont retenu la nécessité d'aménager la salle de bains ; elle est fondée à solliciter à ce titre une somme de 7 501,78 euros, incluant le remplacement de la chaise de douche tous les 5 ans ;

- bien que les experts n'aient pas retenu de nécessité d'aménagement du véhicule, elle a été contrainte de faire l'acquisition d'un vélo électrique, dont elle sollicite le remboursement à hauteur de 999 euros ;

- le besoin d'assistance par une tierce personne doit être fixé à 4 h 30 par jour

du 1er juin 2016 au 16 mars 2020, puis à 2 h 45 par jour à compter du 17 mars 2020 ; sur la base d'un coût horaire de 18 euros par jour et après déduction de la PCH, elle est fondée à demander l'allocation d'une somme de 774 303,77 euros jusqu'au 31 décembre 2023 ;

- à titre provisionnel, ses pertes de gains professionnels après consolidation peuvent être évaluées à 51 257,85 euros, et ses pertes de pension de retraite en qualité de sapeur-pompier

à 23 707,70 euros ;

- l'incapacité d'exercer une activité professionnelle caractérise un préjudice d'incidence professionnelle, dont elle demande l'indemnisation à hauteur de 50 000 euros ;

- elle a exposé 432,80 euros de frais de transport et d'hébergement en lien avec l'expertise qui a eu lieu à Deauville le 9 décembre 2016 ;

- l'indemnisation des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par les experts doit être fixée à 66 793,75 euros sur la base de 23 euros par jour de déficit total ;

- les souffrances endurées doivent être évaluées à 4,5 sur 7 et indemnisées à hauteur

de 12 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire, caractérisé par la sensation de se présenter amoindrie et par des variations de poids durant 21 ans, doit être évalué à 5 000 euros ;

- les souffrances endurées après consolidation, évaluées à 2,5 sur 7 par les experts, relèvent du déficit fonctionnel permanent, lequel peut ainsi être porté de 23 % à 28 % et doit être réparé par l'allocation d'une somme de 68 320 euros ;

- elle est fondée à solliciter la somme de 8 000 euros au titre de son préjudice d'agrément ;

- son état physique et l'image qu'elle renvoie aux tiers ne s'étant pas améliorés, son préjudice esthétique permanent doit être évalué à 7 000 euros ;

- elle sollicite 5 000 euros au titre du préjudice sexuel retenu par les experts ;

- elle est consciente que les troubles dont elle souffre peuvent se majorer, ce qui caractérise un préjudice permanent exceptionnel dont elle sollicite l'indemnisation à hauteur

de 25 000 euros ;

- elle a en outre subi en 2002 une intervention de réduction mammaire destinée à " amender " les douleurs dorsales chroniques, laquelle n'a pas eu l'effet escompté puisque les douleurs étaient en lien avec la myofasciite à macrophages ; elle est ainsi fondée à demander une somme de 5 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances et du préjudice esthétique (cicatrices) en lien avec cette intervention.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 septembre 2022, 15 mai 2023

et 21 septembre 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut

à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à l'organisation d'une nouvelle expertise médicale, et à titre infiniment subsidiaire à la réduction des prétentions indemnitaires

de Mme D....

Il fait valoir que :

- la possibilité d'un lien de causalité entre une vaccination contenant un adjuvant aluminique et une symptomatologie spécifique qui serait liée à une lésion histologique de myofasciite à macrophages reste une hypothèse empirique d'un seul groupe de chercheurs, alors qu'il existe un consensus au sein des sociétés savantes (académies nationales de médecine et de pharmacie), des agences sanitaires (ANSM) et des institutions de santé publique (HCSP, OMS), pour estimer qu'aucun lien de causalité ne peut être établi ; dans son avis du 22 septembre 2022, l'Académie nationale de médecine a étudié le dernier état des connaissances scientifiques pour en déduire qu'il n'existe pas de lien entre l'entité histologique " myofasciite à macrophages " et un syndrome clinique spécifique ; ainsi, comme l'a jugé la cour administrative d'appel de Nantes le 3 février 2023, aucun lien n'existe en l'état des connaissances scientifiques actuelles ;

- dans l'hypothèse où la cour retiendrait la possibilité d'un lien de causalité, elle ne pourrait que confirmer le jugement dès lors que Mme D... présente plusieurs pathologies pouvant expliquer les symptômes qu'elle présente ; à titre subsidiaire, la cour pourra ordonner une expertise médicale portant sur les causes des troubles présentés par Mme D..., en distinguant les troubles strictement imputables à la vaccination ;

- à titre infiniment subsidiaire, les demandes indemnitaires de Mme D... doivent être ramenées à de plus justes proportions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jegu, représentant Mme D... et de Me Vitek, représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., aide-soignante affectée au centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie et soumise à une vaccination obligatoire contre l'hépatite B, a reçu trois injections de vaccin en septembre, octobre et novembre 1991, trois autres en septembre, octobre et novembre 1992, un rappel à un an le 30 septembre 1993, et un rappel à cinq ans le 24 avril 1998. A partir

du 11 septembre 2006, elle a été placée par le centre hospitalier en arrêt de travail imputable au service à la suite d'un accident survenu dans le cadre de ses fonctions annexes de pompier volontaire au service départemental d'incendie et de secours des Pyrénées-Atlantiques. Cet arrêt de travail a été constamment prolongé jusqu'à une reprise à mi-temps thérapeutique

du 26 mai au 31 décembre 2008, compte tenu de divers symptômes douloureux ayant donné

lieu à l'évocation, non confirmée, d'une fibromyalgie ou d'une maladie démyélinisante.

Le 13 mars 2008, une biopsie musculaire deltoïdienne gauche réalisée au CHU de Bordeaux a mis en évidence des lésions post-vaccinales de myofasciite à macrophages. Le médecin traitant de Mme D... l'a adressée au centre de référence des maladies neuromusculaires de l'hôpital Henri Mondor de Créteil, où les symptômes, qualifiés de comparables à ceux observés chez les patients porteurs de lésions histologiques de myofasciite à macrophages, ont été mis en relation en octobre 2008 avec la vaccination contre l'hépatite B.

2. A compter du 1er janvier 2009, Mme D... a été à nouveau placée en arrêt de travail imputable au service après des expertises ayant conclu qu'elle présentait une maladie de myofasciite à macrophages en lien avec la vaccination obligatoire, jusqu'à une décision du directeur du centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie du 4 juillet 2012 la plaçant en congé de maladie ordinaire. Le tribunal administratif de Pau, saisi par Mme D..., a annulé cette décision par un jugement n° 1201604 du 11 juillet 2013 dont l'hôpital n'a pas relevé appel, en retenant que dans les circonstances particulières de l'espèce, le lien de causalité entre la vaccination obligatoire contre l'hépatite B et la maladie de Mme D... devait être regardé comme établi.

3. Le 29 mai 2015, Mme D... a saisi l'ONIAM d'une demande d'indemnisation de ses préjudices en lien avec la vaccination obligatoire. Une expertise a été confiée à deux experts, un rhumatologue et un pharmacologue. Leur rapport daté du 2 février 2017 a conclu à un lien entre la vaccination et les troubles constatés. Toutefois, l'ONIAM a pris le 22 mars 2018 une décision de rejet au motif que ce lien n'était pas établi. Mme D... a alors saisi

le tribunal administratif de Pau d'une demande de condamnation de l'ONIAM à lui verser

une indemnité d'un montant total de 1 862 132,57 euros. Elle relève appel du jugement

du 18 mars 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur l'exception d'autorité de la chose jugée :

4. L'autorité de chose jugée dont sont revêtus les motifs d'un jugement annulant pour excès de pouvoir le refus de l'administration de reconnaître, en application de dispositions statutaires, l'imputabilité au service de la maladie d'un de ses agents, ne fait pas obstacle à ce que la cause de cette affection soit à nouveau discutée devant la juridiction saisie d'une demande tendant à l'indemnisation par un tiers, sur un autre fondement juridique, des préjudices qui en résultent. Par suite, contrairement à ce que soutient Mme D..., l'autorité de chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Pau du 11 juillet 2013 mentionné au point 2, qui a reconnu l'imputabilité au service de la maladie dans un litige l'opposant à son employeur, ne faisait pas obstacle à ce que le tribunal examine à nouveau le lien entre la vaccination obligatoire et sa pathologie dans le litige indemnitaire l'opposant à l'ONIAM.

Sur le droit à indemnisation de Mme D... :

5. Aux termes de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale. / (...). " Saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant le juge, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il appartient ensuite au juge, après avoir procédé à la recherche mentionnée au point précédent, soit, s'il en était ressorti, en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressé et les symptômes qu'il avait ressentis que si ceux-ci étaient apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.

6. Si l'ONIAM fait valoir que la possibilité d'un lien de causalité entre une vaccination contenant un adjuvant aluminique et une symptomatologie spécifique qui serait liée à une lésion histologique de myofasciite à macrophages reste une hypothèse empirique d'un seul groupe

de chercheurs, le consensus qu'il invoque entre les sociétés savantes, l'Agence nationale

de sécurité du médicament et des produits de santé, le Haut Conseil de la santé publique

et l'Organisation mondiale de la santé est relatif à l'absence de lien de causalité établi, et non

à une certitude scientifique de l'absence de lien. L'avis le plus récent versé au dossier, émis

le 22 septembre 2022 par l'Académie nationale de médecine en réponse à une demande d'éclaircissements de la cour administrative d'appel de Nantes, selon lequel le rôle éventuel de la persistance d'une quantité microscopique d'aluminium au site d'injection dans la mise en œuvre d'une maladie clinique générale n'est pas démontré à ce jour, n'établit toujours pas que l'absence de lien serait une certitude scientifique. Il y a donc lieu de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce dans les conditions indiquées au point précédent.

7. Les symptômes de Mme D..., qualifiés en octobre 2008 par le professeur B... de l'hôpital Henri Mondor de Créteil de comparables à ceux observés chez les patients porteurs de lésions histologiques de myofasciite à macrophages, sont des douleurs diffuses affectant les quatre membres, associant myalgies et arthralgies, des rachialgies cervicales, dorsales et lombaires, des paresthésies des quatre extrémités, une fatigue chronique et des plaintes cognitives remontant alors " au moins à 10 ans ". Toutefois, si Mme D... a déclaré avoir développé un état polyalgique et une asthénie chronique à partir de 1995, après la naissance de son second enfant, ces symptômes ne sont pas documentés dans son dossier médical, et elle-même admet une amélioration au bout de trois ou quatre ans. Seule une attestation de son médecin traitant d'alors, datée du 17 mai 2011, fait état, sans autre précision, de soins de 1995 à 2000 pour des douleurs musculaires, une lombalgie itérative et une asthénie permanente, le tout sans cause identifiée. Les lombalgies étaient cependant explicables dès lors qu'une radiographie prescrite par ce médecin avait mis en évidence, le 9 janvier 1996, une lombarthrose avec un discret pincement du disque L2-L3, et qu'un scanner réalisé pour rechercher l'origine de sciatiques avait montré, le 22 mars 1997, un phénomène dégénératif arthrosique modéré en L2-L3, L3-L4, L4-L5 et L5-S1. Le 20 septembre 2000, un médecin rhumatologue a indiqué que des douleurs lombaires et des douleurs pubiennes latéralisées à gauche étaient apparues trois mois après un accident de la voie publique survenu en avril 1999, en attribuant les migraines dont souffrait la patiente aux séquelles de l'entorse cervicale causée par cet accident. En août 2003, en l'absence d'anomalie à l'examen clinique et à l'échographie, une douleur inguinale gauche associée à une masse sensible, disparue au bout de quelques jours, a donné lieu à un diagnostic de tendinite. L'aggravation de l'état de santé de Mme D... invoqué à partir de 2005 correspond notamment à des douleurs de la hanche gauche attribuées à des lésions dégénératives débutantes du cotyle visibles sur un arthroscanner du 25 février 2005, ainsi qu'à des lombalgies chroniques invalidantes imputables, comme l'a montré une IRM

du 20 juin 2006, à un kyste arachnoïdien compressif L1-L2 gauche, lequel a récidivé

en janvier 2007 après avoir été ponctionné. Par ailleurs, Mme D... a été victime d'un accident dans le cadre de ses fonctions de pompier volontaire en septembre 2006, à l'origine d'une élongation-tendinite des adducteurs et d'une contusion dorso-lombaire. Ainsi, l'évolution des arthralgies et les rachialgies cervicales, dorsales et lombaires, plus de dix ans après la dernière injection du vaccin, peut être regardée comme imputable à une arthrose précoce, diagnostiquée pour la première fois au niveau lombaire en janvier 1996 alors

que Mme D... était âgée de 29 ans, et retrouvée au niveau du cotyle gauche en 2005, cette fragilité initiale n'ayant pu qu'être aggravée par les traumatismes provoqués par les accidents d'avril 1999 et de septembre 2006. Si la requérante fait valoir que cette arthrose et ces accidents n'expliquent ni les polyalgies diffuses, ni les troubles cognitifs, ni la fatigue chronique, ces symptômes non spécifiques ne sont pas médicalement documentés antérieurement à sa prise en charge à l'hôpital Henri Mondor de Créteil, plus de dix ans après la dernière injection du vaccin contre l'hépatite B. Dans ces circonstances, l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations et les pathologies invoquées ne peut être retenue.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président,

Mme Catherine Girault, présidente de chambre,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.

La rapporteure,

Anne A...

Le président,

Luc DerepasLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX03684


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre (formation à 5)
Numéro d'arrêt : 21BX03684
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SCP JULIA - JEGU - BOURDON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;21bx03684 ?
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