La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/12/2023 | FRANCE | N°22NC02962

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 07 décembre 2023, 22NC02962


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2022 par lequel le préfet du Calvados l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, ou à

défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et dans l'attente de la mettr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2022 par lequel le préfet du Calvados l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, ou à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et dans l'attente de la mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour et enfin de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°s 2203108-2203113 du 4 novembre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté les demandes de Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 22NC02962 le 25 novembre 2022, et un mémoire enregistrés le 16 février 2023, Mme A..., représentée par Me Werba, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 novembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2022 par lequel le préfet du Calvados l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire et, à titre subsidiaire, dans l'attente du réexamen de sa situation de lui délivrer un titre de séjour provisoire sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- la décision est irrégulière du fait de l'absence de convocation de la commission du titre de séjour ;

- la décision a été prise en méconnaissance des disposition du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en ne tenant pas compte de la spécificité de sa situation personnelle, le préfet du Calvados a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation ;

s'agissant de la décision refusant le délai de départ volontaire :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

s'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

- la décision est insuffisamment motivée et comporte une motivation ne faisant pas état de sa situation réelle ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense enregistrés le 19 décembre 2022 et le 27 février 2023, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête et demande à la Cour, à titre subsidiaire, de minorer le montant réclamés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête de Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Peton, première conseillère,

- et les observations de Me Werba, pour Mme A....

Une note en délibéré, présentée pour Mme A..., a été enregistrée le 17 novembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante camerounaise née le 14 août 1996, a été placée en garde à vue le 27 octobre 2022 pour des faits de bigamie, établissement d'une attestation avec des faits matériellement inexacts, détention et usage de faux documents. Par arrêté du 28 octobre 2022, le préfet du Calvados a obligé Mme A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être renvoyée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Le même jour, le préfet du Calvados a prononcé le placement de Mme A... en rétention administrative. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Nancy de deux demandes tendant à l'annulation des décisions portant obligations de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui interdisant son retour sur le territoire français. Elle relève appel du jugement du 4 novembre 2022 par lequel le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur la légalité de l'arrêté du 28 octobre 2022 :

2. L'arrêté du préfet du Calvados du 28 octobre 2022 énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfait dès lors à l'obligation de motivation. Il ne ressort ni de ces motifs, ni des pièces du dossier que cet arrêté aurait été pris sans examen de la situation personnelle de Mme A... telle qu'elle a été portée à la connaissance du préfet.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, la requérante se prévaut des dispositions de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour soutenir que le préfet a entaché sa décision d'irrégularité en s'abstenant de saisir la commission du titre de séjour. Toutefois, ces dispositions ne font obligation au préfet de saisir la commission que lorsqu'il envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour et sont sans incidence s'agissant d'une obligation de quitter le territoire français.

4. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".

5. Mme A... soutient être entrée et avoir effectué sa scolarité en France à partir du 26 février 2007 alors qu'elle était âgée de onze ans et s'être maintenue ensuite sur le territoire français où elle a suivi une formation, exercé plusieurs activités professionnelles et développé une vie familiale. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme A... a affirmé aux services de police lors de son audition avoir quitté le territoire français pour résider en Suisse durant deux années alors qu'elle était encore mineure. Les seuls certificats de scolarité produits par la requérante concernent trois années scolaires et mentionnent un départ durant la classe de 4ème au cours de l'année scolaire 2008/2009. Le certificat d'aptitude professionnelle dont l'intéressée se prévaut a été délivré par les autorités camerounaises en 2008. L'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés relatif à la création d'un restaurant en 2019 ne suffit pas à justifier d'une activité professionnelle continue alors que la requérante a précisé lors de son audition par les services de police se livrer à la prostitution. Par ailleurs, lors de cette même audition, la requérante a fait état de séjours à Monaco, au Cameroun et à Bruxelles. Enfin, Mme A... a épousé un ressortissant français en 2018 duquel elle a divorcé en mai 2022, dans le même temps elle a précisé avoir épousé un autre ressortissant français au Cameroun en 2021 suivant une cérémonie traditionnelle avant de vivre en concubinage avec un troisième ressortissant français à compter de l'année 2022. Si la requérante produit plusieurs clichés au soutien de ses allégations, ces documents sans date certaine et dont les lieux ne peuvent être identifiés ne suffisent pas à justifier ses allégations. En conséquence à défaut de justifier d'une résidence habituelle en France depuis l'âge de treize ans, Mme A... n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Mme A... soutient qu'elle est entrée sur le territoire français dans le cadre d'une procédure de regroupement familial, alors qu'elle était mineure, qu'elle a été reconnue par l'époux de sa mère et a toutes ses attaches familiales en France. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la requérante n'a aucune charge de famille en France et que la relation qu'elle entretient avec son dernier compagnon est récente. Elle ne démontre pas de l'intensité de ses liens avec l'époux de sa mère, laquelle est décédée en 2020. Par ailleurs la requérante n'établit pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine alors même que certains de ses frères résident en France avec lesquels elle n'établit pas l'intensité de ses liens familiaux. En outre Mme A... a été condamnée par le tribunal correctionnel de Nice le 8 avril 2022 à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violence aggravée et a fait l'objet de plusieurs signalisations au fichier automatisé des empreintes digitales. En conséquence la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

8. En quatrième lieu, Mme A... soutient que le préfet a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en méconnaissant la spécificité de sa situation administrative et personnelle. Toutefois, l'arrêté contesté précise de manière particulièrement circonstanciée que le tribunal de grande instance de Nantes a, par jugement du 12 janvier 2017, constaté l'extranéité de la requérante, constate que cette dernière s'est fait délivrer plusieurs documents français malgré ce jugement et en infère que pour se maintenir sur le territoire français, Mme A... devait solliciter la délivrance d'un titre de séjour et qu'elle ne démontrait pas être en possession d'un tel titre ou en avoir sollicité la délivrance. L'arrêté contesté constate ensuite que la requérante n'est pas en mesure de justifier de sa résidence habituelle en France depuis l'âge de treize ans. Par suite, le préfet n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en obligeant Mme A... à quitter le territoire français.

En ce qui concerne les décisions refusant le délai de départ volontaire et le pays de renvoi :

9. Eu égard à ce qui a été énoncé précédemment, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre les décisions fixant le délai de leur départ volontaire ou le pays de renvoi. De même, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, il n'y a pas lieu d'annuler par voie de conséquence les décisions relatives au délai de départ volontaire ou au pays de renvoi.

En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

10. La requérante n'ayant pas établi l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de ce que la décision lui interdisant le retour sur le territoire français serait dépourvu de base légale ne peut qu'être écarté.

11. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

12. Il résulte des dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.

13. La requérante soutient que le préfet étant en possession de l'ensemble des informations la concernant, et notamment son dossier de regroupement familial, il a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Pour justifier de la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français à l'encontre de Mme A..., le préfet a fait mention de l'absence de justification de sa résidence habituelle sur le territoire français, de l'absence de justification de l'intensité de ses liens familiaux en France, de son comportement constituant une menace pour l'ordre public et de l'absence d'atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. En conséquence, et au regard de ce qui a déjà été constaté au point 7 notamment, l'interdiction de retour n'est pas entachée d'erreur d'appréciation pas plus que la durée d'un an qu'elle prévoit.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

15. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A....

Sur les frais liés à l'instance :

16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

17. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 22NC02962


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02962
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : WERBA JOËL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;22nc02962 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award