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12/12/2023 | FRANCE | N°22NC01611

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 décembre 2023, 22NC01611


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2021 par lequel le préfet C... a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.



Par un jugement n° 2200615 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 1

5 novembre 2021, a enjoint au préfet C... de délivrer à Mme B... un certificat de résidence portant la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2021 par lequel le préfet C... a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 2200615 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 15 novembre 2021, a enjoint au préfet C... de délivrer à Mme B... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification de ce jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme B... la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 juin 2022, le préfet C... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200615 du tribunal administratif de Nancy du 25 mai 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée en première instance par Mme B... ;

3°) d'ordonner le remboursement de la somme de 1 000 euros mise à sa charge par les premiers juges en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences du refus de délivrance d'un titre du séjour sur la situation de Mme B... pour annuler son arrêté du 15 novembre 2021.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 et 21 décembre 2022, Mme A... B..., représentée par Me Géhin, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de délivrance d'un certificat de résidence méconnaît les stipulations de l'article 5 b de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles, ainsi que les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard du pouvoir de régularisation du préfet à titre exceptionnel ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet C... n'a pas examiné si elle pouvait prétendre à la délivrance d'un certificat de résidence de dix ans sur le fondement des stipulations de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen complet et sérieux de sa demande.

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise par une autorité incompétente ;

- cette décision est entachée d'un vice de procédure dès lors que, en méconnaissance du droit d'être entendu garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par les articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, elle n'a pas été mise à même de présenter des observations orales préalablement à l'intervention de cette décision ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un courrier du 9 novembre 2023, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que, en application du principe selon lequel une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre, les conclusions du préfet C... tendant à ce qu'il soit ordonné le remboursement de la somme mise à la charge de l'Etat par les premiers juges au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ne sont pas recevables.

Une réponse du préfet C... au courrier du 9 novembre 2023 a été reçue le 14 novembre et a été communiquée le 15 novembre 2023.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 janvier 2022, maintenue de plein droit par celle du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- et les observations de Me Géhin, pour l'intimée, et celles de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B... est une ressortissante algérienne, née le 12 mai 1983. Elle est entrée régulièrement en France, le 2 septembre 2016, accompagnée de ses trois enfants mineurs, nés les 23 juillet 2007, 25 juillet 2011 et 28 février 2014, sous couvert de son passeport en cours de validité, revêtu d'un visa de court séjour de quatre-vingt-dix jours. Le 9 août 2021, la requérante a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Toutefois, par un arrêté du 15 novembre 2021, le préfet C... a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 15 novembre 2021. Le préfet C... relève appel du jugement n° 2200615 du 25 mai 2022, qui annule cet arrêté et lui fait injonction de délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " à Mme B....

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".

3. Les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles elles renvoient, est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre d'une activité salariée, soit au titre de la vie familiale. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces conditions sont régies de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, un ressortissant algérien ne peut utilement invoquer les dispositions de cet article à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national.

4. Toutefois, si l'accord franco-algérien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée régulièrement en France, le 2 septembre 2016, à l'âge de trente-trois ans et justifiait ainsi d'un séjour d'une durée de plus de cinq ans à la date de la décision en litige. Divorcée de son mari de nationalité algérienne, qui est retourné vivre définitivement dans son pays d'origine, où il s'est remarié après avoir obtenu, le 8 mars 2021, un jugement de divorce aux torts exclusifs de son épouse, elle vit seule en France avec ses quatre enfants mineurs, le dernier étant né à Epinal le 2 décembre 2017. Mme B... soutient qu'elle a été victime de violences conjugales graves et répétées de la part de son conjoint, y compris après son arrivée sur le territoire français lorsque celui-ci, demeuré en Algérie, venait lui rendre visite à son domicile au cours des années 2016, 2017 et 2018. S'il est vrai, ainsi que le fait valoir le préfet C..., que les trois certificats médicaux des 14 novembre 2019, 8 et 16 décembre 2021, dont elle se prévaut, qui se bornent à faire état d'une agression subie dans l'enfance et à rapporter ses propos selon lesquels " elle aurait été violentée par son mari ", sans procéder à la moindre constatation médicale, ne permettent pas d'établir la réalité de ces violences, l'intéressée justifie être régulièrement suivie, depuis le 22 mai 2018, par le Centre d'information sur le droit des femmes et des familles C... dans le cadre de l'accompagnement pluridisciplinaire proposé aux femmes victimes de violences. Mme B... produit à hauteur d'appel un compte rendu d'une psychologue clinicienne de la structure, daté du 2 juin 2022, qui indique qu'elle présente un état de stress post-traumatique, qui a encore aujourd'hui des retentissements sur sa vie quotidienne, causé par des traumatismes répétés et ayant perduré dans le temps. Elle verse également aux débats l'attestation d'une voisine faisant état d'une violente dispute entre elle et son mari, en mars 2017, et de la présence d'un bleu sur son visage dans les jours qui ont suivi.

6. Mme B... se prévaut, par ailleurs, de son apprentissage et de sa maîtrise du français, de la scolarisation de ses quatre enfants, de la pratique régulière par ceux-ci d'une activité sportive, ainsi que des très bons résultats scolaires de son fils aîné, dont le défaut d'assiduité, contrairement à ce que soutient le préfet C..., ne ressort pas des pièces du dossier. L'intéressée, qui a été élue représentante des parents d'élèves au sein du conseil de l'école maternelle et primaire " Louis Pergaud " d'Epinal, où sa fille et ses trois fils ont été ou sont scolarisés, est particulièrement investie dans l'éducation de ses enfants et dans la vie de cette école. Elle exerce bénévolement de nombreuses activités, tant au sein d'une association à caractère humanitaire, qu'au sein des centres sociaux " Léo Lagrange " et " Denise Louis " d'Epinal. En particulier, à compter de la rentrée scolaire de septembre 2021, elle a assuré les fonctions d'accompagnatrice bénévole dans le cadre du contrat local d'aide à la scolarité et est intervenue, à ce titre, auprès d'enfants en difficulté de cours préparatoire. Au surplus, postérieurement à la décision en litige, Mme B... a signé un contrat de mission temporaire comme animatrice couture au centre social " Léo Lagrange " pour la période allant du 14 novembre au 19 décembre 2022 et a été recrutée par la commune d'Epinal en qualité d'agente contractuelle vacataire de la fonction publique territoriale pour occuper, du 1er septembre 2022 au 7 juillet 2023, le poste d'accompagnante scolaire. Dans ces conditions, alors même que l'intéressée n'est pas isolée dans son pays d'origine, où résident notamment sa mère et sa sœur, le préfet C... a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un certificat de résidence, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges. Par suite, la requête du préfet C... ne peut qu'être rejetée.

Sur les frais de justice :

7. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 janvier 2022, maintenue de plein droit par celle du 18 octobre 2022. Son conseil peut donc se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Géhin, sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet C... est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Géhin, sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... B... et à Me Gehin.

Copie en sera adressée au préfet C....

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : E. Meisse

La présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : V. Chevrier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

V. Chevrier

N° 22NC01611 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01611
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : GEHIN - GERARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;22nc01611 ?
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