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12/12/2023 | FRANCE | N°22NC02573

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 décembre 2023, 22NC02573


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



Mme C... A... née B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 29 octobre 2021 par lesquels la préfète du Bas-Rhin, d'une part, lui a interdit le retour en France pendant un an, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2107553 du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg

a annulé l'arrêté du 29 octobre 2021 portant assignation à résidence en tant qu'il fait obligation à ...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme C... A... née B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 29 octobre 2021 par lesquels la préfète du Bas-Rhin, d'une part, lui a interdit le retour en France pendant un an, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2107553 du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 29 octobre 2021 portant assignation à résidence en tant qu'il fait obligation à Mme A... de se présenter cinq fois par semaine à la direction interdépartementale de la police aux frontières de l'aéroport de Strasbourg-Entzheim et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2022, Mme C... B..., épouse A..., représentée par Me Burkatzki, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2107553 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 19 novembre 2021 en tant qu'il rejette ses conclusions contre l'arrêté du 29 octobre 2021 portant interdiction de retour en France pendant un an ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 29 octobre 2021 portant interdiction de retour en France pendant un an ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cent cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le jugement contesté est irrégulier dès lors que, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne comporte pas la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience ;

- ce jugement est également entaché d'une insuffisance de motivation ;

- l'arrêté du 29 octobre 2021 est entaché d'un vice de procédure dès lors que, en méconnaissance de son droit d'être entendue, elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations préalablement à l'intervention de la mesure d'interdiction ;

- cet arrêté méconnaît les articles L. 612-7 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est insuffisamment motivé en ce qu'il ne précise pas que son comportement ne présente aucune menace pour l'ordre public ;

- il est entaché d'une erreur de droit, dès lors qu'elle justifie de circonstances humanitaires susceptibles de faire obstacle à l'édiction d'une interdiction de retour ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté du 29 octobre 2021 doit être annulé pour les motifs exposés dans la requête d'appel et dans sa demande de première instance.

La requête a été régulièrement communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas défendu dans la présente instance.

Par un courrier du 13 novembre 2023, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, que la cour est susceptible, dans l'hypothèse où elle annulerait l'interdiction de retour en France prononcée à l'encontre de Mme A..., d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de prendre sans délai toute mesure utile afin qu'il soit procédé à l'effacement dans le système d'information Schengen du signalement de Mme A... aux fins de non-admission résultant de cette interdiction.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A... née B... est une ressortissante géorgienne née le 15 décembre 1956. Elle a déclaré être entrée en France le 15 janvier 2016 afin d'y solliciter l'asile. Le 17 février 2016, elle a présenté successivement une demande d'asile et une demande de réexamen, qui ont été respectivement rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, les 19 juillet 2016 et 13 novembre 2018, puis par la Cour nationale du droit d'asile, les 2 novembre 2016 et 7 mars 2019. Le 25 novembre 2016, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Par un arrêté du 19 juin 2017, le préfet du Bas-Rhin a refusé de faire droit à cette demande et a pris à l'encontre de l'intéressée une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, dont la légalité a été définitivement confirmée par un arrêt nos 17NC02854 et 17NC02855 de la cour administrative d'appel de Nancy du 26 juin 2018. Mme A... s'étant maintenue irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire, qui était imparti, la préfète du Bas-Rhin, par un nouvel arrêté du 29 octobre 2021, pris sur le fondement de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a interdit le retour en France pendant un an. Par un arrêté du même jour, elle l'a assignée à résidence dans le département du Bas-Rhin pour une durée de quarante-cinq jours. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux du 29 octobre 2021. Elle relève appel du jugement n° 2107553 du 19 novembre 2021 en tant qu'il rejette ses conclusions contre l'interdiction de retour en France pendant un an prise à son encontre.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. ".

3. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour dans le pays d'origine ou d'une interdiction de retour sur le territoire français fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour dans le pays d'origine ou une interdiction de retour sur le territoire français.

4. Si ce principe n'implique pas que l'administration mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français lorsque celle-ci est prise concomitamment à une mesure d'éloignement, il en va différemment lorsque, comme en l'espèce, la décision portant interdiction de retour a été édictée plus de quatre ans après la décision portant obligation de quitter le territoire français. Ainsi, la préfète du Bas-Rhin devait mettre à même Mme A... de présenter ses observations de façon spécifique sur la mesure d'interdiction de retour qu'elle envisageait de prendre à son encontre. Il n'est pas contesté qu'une telle procédure n'a pas été mise en œuvre. Dans ces conditions, alors que la requérante fait valoir que sa situation familiale et personnelle a profondément évolué entre 2017 et 2021, cette omission peut être regardée comme ayant privé l'intéressée de faire valoir sa défense dans une mesure telle que l'issue de la procédure administrative aurait pu être différente. Par suite, Mme A... est fondée à soutenir que son droit d'être entendue, tel que garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne, a été méconnu et à demander, pour ce motif, l'arrêté contesté du 29 octobre 2021.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre la mesure d'interdiction de retour en France prise à son encontre.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

6. L'annulation de la décision portant interdiction de retour en France pendant un an n'implique pas qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de Mme A.... Par suite, les conclusions de l'intéressée à fin d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.

7. Il y a lieu, en revanche, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de prendre sans délai toute mesure utile afin qu'il soit procédé à l'effacement dans le système d'information Schengen du signalement de Mme A... aux fins de non-admission résultant de cette interdiction.

Sur les frais de justice :

8. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 septembre 2022. Son conseil peut donc se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Burkatzki, sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2107553 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 19 novembre 2021 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme A... contre l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 29 octobre 2021 portant interdiction de retour en France pendant un an.

Article 2 : L'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 29 octobre 2021 portant interdiction de retour en France pendant un an est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de prendre sans délai toute mesure utile afin qu'il soit procédé à l'effacement dans le système d'information Schengen du signalement de Mme A... aux fins de non-admission résultant de cette interdiction.

Article 4 : L'Etat versera à Me Burkatzki, sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, une somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... née B..., à Me Burkatzki et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : E. Meisse

La présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : V. Chevrier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

V. Chevrier

N° 22NC02573 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02573
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : BERARD JEMOLI SANTELLI BURKATZKI BIZZARRI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;22nc02573 ?
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