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12/12/2023 | FRANCE | N°22NT02158

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 12 décembre 2023, 22NT02158


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... F..., agissant en qualité de représentant légal de l'enfant mineur D... B..., M. E... B..., Mme C... B... et Mme G... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 12 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 15 janvier 2021 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Co

ngo) refusant de délivrer à M. E... B..., à Mme C... B..., à Mme G... B... et à la jeune D...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... F..., agissant en qualité de représentant légal de l'enfant mineur D... B..., M. E... B..., Mme C... B... et Mme G... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 12 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 15 janvier 2021 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à M. E... B..., à Mme C... B..., à Mme G... B... et à la jeune D... B... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°2113966 du 13 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de leur demande dirigée contre la décision de la commission de recours en tant qu'elle refuse de délivrer des visas à Mme G... B... et à l'enfant D... B... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 juillet 2022 et le 20 septembre 2023, M. A... B... F..., M. E... B... et Mme C... B..., représentés par Me Kombé, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours en ce qu'elle porte refus de délivrance de visas à M. E... B... et à

Mme C... B... ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de la commission de recours en tant qu'elle porte refus de délivrance de visas à M. E... B... et à Mme C... B... ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à M. E... B... et à Mme C... B... les visas sollicités ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation, dès lors que l'identité des demandeurs de visa et leur lien de filiation avec le réunifiant sont établis par des actes d'état civil dont l'authenticité et la force probante ne sont pas remises en cause, et que l'âge des jeunes E... et C... B... doit être apprécié au 21 juillet 2019, date à laquelle les demandeurs de visa ont pris rendez-vous à l'ambassade de France ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 et des articles 9 et 10 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... F..., ressortissant de la République démocratique du Congo né le

27 novembre 1973, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 24 juillet 2015. M. E... B..., Mme C... B..., Mme G... B... et la jeune D... B..., ressortissants congolais (République démocratique du Congo), respectivement nés les 25 juin 1998, 4 août 2000, 16 juillet 2001 et 25 janvier 2014, ses enfants, ont présenté des demandes de visas de long séjour au titre de la réunification familiale auprès des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo). Par des décisions du 15 janvier 2021, ces autorités ont refusé de leur délivrer les visas sollicités. Par une décision implicite née le 12 octobre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions consulaires. Par un jugement du 13 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande de M. A... B... F... et autres tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours en ce qu'elle concerne

Mme G... B... et l'enfant D... B... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A... B... F... et autres dirigées contre la décision de la commission de recours en ce qu'elle porte refus de délivrance de visas à M. E... B... et à Mme C... B.... M. A... B... F... et autres relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ". Aux termes de l'article R. 561-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard.

4. Doit être regardée comme date de présentation de la demande de visa, la date à laquelle le demandeur effectue auprès de l'administration toute première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale.

5. Les dispositions citées au point 2 ne peuvent toutefois recevoir application dans le cas où l'enfant a atteint l'âge de dix-neuf ans entre la demande d'asile de son parent et l'octroi à celui-ci du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Dans cette hypothèse, sous réserve que la demande de réunification ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection, l'âge doit être apprécié à la date de la demande d'asile.

En ce qui concerne Mme C... B... :

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... B..., dont l'identité et le lien de filiation à l'égard de M. A... B... F... ne sont pas contestés par le ministre, est née le 4 août 2000. Si le ministre fait valoir qu'à la date d'enregistrement de la demande de visa, soit le 6 août 2019, Mme C... B... était âgée de plus de 19 ans, il ressort des pièces du dossier que cette dernière a présenté sa demande de visa le 27 juillet 2019, ainsi que cela ressort de la date mentionnée en bas de page du récépissé de prise de rendez-vous qui lui a été adressée pour le

5 août 2019. Il s'ensuit, et alors que la date d'enregistrement de la demande est sans incidence sur la date à laquelle est appréciée la condition d'âge prévue par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi qu'il a été dit au point 3, que Mme C... B... n'avait pas dépassé son dix-neuvième anniversaire lorsqu'elle a déposé sa demande de visa, le 27 juillet 2019. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'erreur de droit en refusant de délivrer à Mme C... B... le visa de long séjour qu'elle sollicitait en qualité d'enfant d'une personne réfugiée, au motif qu'elle était âgée de plus de dix-neuf ans à la date de dépôt de sa demande de visa.

En ce qui concerne M. E... B... :

7. En premier lieu, si M. E... B..., né le 20 juin 1998, avait moins de 19 ans à la date à laquelle son père, M. A... B... F..., a déposé sa demande d'asile et était âgé de plus de 19 ans lorsque ce dernier s'est vu reconnaître la qualité de réfugié, il ressort des pièces du dossier que

M. E... B... n'a présenté sa demande de visa que le 28 juillet 2019, soit plus de trois mois après l'obtention par son père de la qualité de réfugié, de sorte que la commission de recours n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 2, en refusant de lui délivrer le visa sollicité.

8. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

9. Il est constant que M. E... B... était âgé de 23 ans à la date de la décision contestée. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il se trouverait isolé en République démocratique du Congo où il a toujours vécu et il n'est pas allégué qu'il ne pourrait subvenir à ses propres besoins auxquels ses parents, au vu des pièces du dossier, n'ont que très faiblement contribué. Si M. E... B... soutient qu'en tant que fils de réfugié, il serait exposé à des risques, ces derniers ne sont pas établis par les pièces du dossier. Par suite, le moyen tiré de ce que le refus de visa contesté a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Par ailleurs, jeune adulte, M. E... B... ne peut se prévaloir des stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cette convention doit, par suite, être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de leur demande en tant qu'elles concernent Mme C... B....

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme C... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer ce visa, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Sur les frais liés au litige :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des requérants présentées sur le fondement de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 13 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A... B... F... et autres dirigées contre la décision de la commission de recours en ce qu'elle porte refus de délivrance de visa à Mme C... B....

Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle porte refus de délivrance de visa à Mme C... B....

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme C... B... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... F..., à M. E... B..., à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02158


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02158
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : KOMBE DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;22nt02158 ?
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