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14/12/2023 | FRANCE | N°23DA00490

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 14 décembre 2023, 23DA00490


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2201818 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 16 mars 2023, et un mémoire, enregistré le 25 juin 2023, M. C..., représenté p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2201818 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mars 2023, et un mémoire, enregistré le 25 juin 2023, M. C..., représenté par Me Leroy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée ou familiale " ou " salarié " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la même date et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour permettant l'exercice d'une activité professionnelle dans le délai de quinze jours ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur le refus de titre de séjour :

- il justifie de son état civil par les documents qu'il produit ;

- les autorités de la police aux frontières n'ont pas compétence pour procéder à l'examen technique des documents d'état civil ni des jugements rendus par les juridictions étrangères ;

- le préfet aurait dû saisir les autorités maliennes en cas de doute sur l'authenticité des documents d'état civil produits.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 26 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 juillet 2023.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- l'arrêté du 1er février 2011 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la police aux frontières ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. C..., ressortissant malien, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations le 2 août 2018. S'étant déclaré mineur, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-Maritime. Le 4 septembre 2020, il a sollicité du préfet de la Seine-Maritime la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 435-3 de ce code. Par un arrêté du 25 janvier 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à cette demande, a fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement du 8 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

3. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

4. Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. / Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications ".

5. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. C... a présenté un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 13 juillet 2018, un acte de naissance délivré le 21 septembre 2018, une copie d'extrait d'acte de naissance établie le même jour et une carte d'identité consulaire malienne établie le 10 mars 2020, attestant d'une naissance le 1er mars 2002. Ces documents ont fait l'objet d'un examen technique documentaire par la cellule zonale de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Seine-Maritime et ont donné lieu, les 7 et 8 juin 2021, à des rapports d'un brigadier de police, analyste en fraude documentaire et à l'identité.

8. Pour écarter la force probante de ces documents, le préfet s'est appuyé sur l'avis des services de la police aux frontières, ce qu'il pouvait légalement faire pour apprécier le caractère probant des actes d'état civil présentés sans entacher la procédure d'irrégularité.

9. En premier lieu, cet avis a relevé, s'agissant du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 13 juillet 2018 par la justice de paix de Diema, que le timbre humide utilisé, confronté à un exemple authentique, était contrefait en ce qu'il ne comportait pas de majuscule à l'un des termes de la devise de la République du Mali et en ce que la signature figurant sous la mention " le greffier en chef " était imprimée et non originale. M. C..., qui se borne à en minimiser le caractère, ne remet pas utilement les constatations ainsi faites par la cellule de fraude documentaire. Le préfet a également fait état d'une anomalie de forme quant aux mentions préimprimées relatives à la juridiction ayant rendu ce jugement. Il résulte également de ce document que le maire et le greffier en chef qui l'ont signé ne sont pas nommés.

10. En deuxième lieu, s'agissant de l'acte de naissance du 21 septembre 2018 produit par M. C..., le même avis a relevé que ce document présentait des indices de contrefaçon en raison de l'absence d'indication des coordonnées de l'imprimerie, d'une faute d'orthographe dans les termes " officier de l'état civil ", d'une absence de numérotation et d'une absence d'indication du numéro d'identification nationale, dit " A... ", dont la transcription est pourtant exigée sur les actes de naissance, comme le relève le préfet, par un arrêté du 26 février 2016 des ministres maliens chargés de la justice et de l'administration territoriale fixant le modèle des actes d'état civil sécurisés établis à partir des bases de données état civil constituées sur support informatique.

11. S'agissant de l'extrait d'acte de naissance du même jour, l'avis de la police aux frontières a relevé des éléments de contrefaçon tirés des modalités d'impression de mauvaise qualité, de l'absence d'indication du numéro d'identification nationale, de ce que les dates de naissance et d'établissement figurant sur ce document étaient mentionnées en chiffres alors que l'article 126 du code malien des personnes et de la famille prévoit que les dates mentionnées dans un tel acte le sont en toutes lettres et enfin d'une incohérence dans la qualité du signataire de ce document, délivré par un centre " principal ", en ce qu'il a été signé par un adjoint au maire alors que celui-ci n'a la qualité d'officier d'état civil que dans les centres secondaires.

12. Eu égard à leur nature, ces anomalies majeures affectent les conditions mêmes d'établissement de l'acte de naissance et de l'extrait de cet acte produits par M. C.... Si le requérant soutient que l'adjoint au maire de la commune de Madiga-Sacko bénéficiait d'une délégation de compétence en matière d'état civil, cette circonstance n'est pas de nature à contredire l'anomalie relevée par le préfet tirée de ce que les adjoints au maire n'ont la qualité d'officier d'état civil que dans les seuls centres secondaires.

13. En troisième lieu, l'attestation établie le 27 mai 2019 par le consul général du Mali en poste à Lyon, qui fait état de considérations d'ordre général, ne porte pas sur les documents produits par M. C.... De même, l'attestation du 8 février 2022 signée du maire de Yélimané, selon laquelle la faute d'orthographe dans les termes " officier de l'état civil " résulte d'une erreur d'imprimerie, concerne un document d'état civil d'un autre ressortissant malien et établi dans une autre commune.

14. En quatrième lieu, si le requérant se prévaut également de la carte d'identité consulaire qui lui a été délivrée le 10 mars 2020 par les autorités consulaires maliennes en France, ce document, qui ne constitue pas un acte d'état civil, n'est pas de nature à justifier de son identité dès lors qu'il a été établi sur le fondement d'actes d'état civil non probants.

15 Enfin, si M. C... a invoqué, pour la première fois dans un mémoire déposé devant le tribunal administratif le 16 octobre 2022, un nouvel extrait d'acte de naissance délivré au Mali le 14 octobre 2022, ce document a été établi sur la base du jugement supplétif contrefait analysé au point 9. La valeur probante de ce nouveau document ne peut dès lors pas davantage être admise.

16. Contrairement à ce que soutient M. C..., les dispositions l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 n'imposent pas à l'administration de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte présente, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration sur la forme habituelle du document, des irrégularités. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que, compte tenu des indices concordants recueillis et sans que le requérant puisse à cet égard se prévaloir utilement de défaillances des services en charge de l'état civil au Mali, le préfet pouvait, sans avoir à solliciter les autorités maliennes, estimer que les documents d'état civil présentés par M. C... ne permettaient pas d'établir son état de minorité lorsqu'il a été placé à l'aide sociale à l'enfance.

17. Dans ces conditions, le préfet n'a pas fait une inexacte application des articles 47 du code civil et L. 811-2 et R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

18. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

19. M. C..., qui déclare être entré le 2 août 2018 sur le territoire français où il a bénéficié d'une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime en qualité de mineur étranger isolé, se prévaut du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation en vue de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle.

20. Toutefois, le requérant, célibataire et sans charge de famille, ne justifie pas de liens personnels intenses et stables en France et n'établit pas davantage être dépourvu de toute attache privée ou familiale au Mali où il a vécu pour l'essentiel. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, notamment de la durée de séjour de l'intéressé en France, et alors même qu'il y suit une formation, le préfet n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision contestée a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

21. Pour les mêmes motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet ait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Magali Leroy.

Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. D...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°23DA00490


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00490
Date de la décision : 14/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-14;23da00490 ?
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