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15/12/2023 | FRANCE | N°22DA02618

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 décembre 2023, 22DA02618


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile d'exploitation agricole (SCEA) de l'Epine a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 2 octobre 2020 par laquelle le préfet de la région Normandie a accordé une autorisation, d'une part, à l'EARL du Tertre, pour exploiter des terres d'une superficie de 24,61 hectares, situées sur le territoire des communes d'Aube et d'Ecorcel, d'autre part, à l'EARL Olivier Stéphane pour exploiter de terres d'une superficie de 16,85 hectares situ

ées sur le territoire des communes de La-Chapelle-Viel et des Aspres, et enfin au GAE...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile d'exploitation agricole (SCEA) de l'Epine a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 2 octobre 2020 par laquelle le préfet de la région Normandie a accordé une autorisation, d'une part, à l'EARL du Tertre, pour exploiter des terres d'une superficie de 24,61 hectares, situées sur le territoire des communes d'Aube et d'Ecorcel, d'autre part, à l'EARL Olivier Stéphane pour exploiter de terres d'une superficie de 16,85 hectares situées sur le territoire des communes de La-Chapelle-Viel et des Aspres, et enfin au GAEC Villeplée pour exploiter des terres d'une superficie de 18,64 hectares sur le territoire des communes de La-Chapelle-Viel et des Aspres.

Par un jugement n° 2004667 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 décembre 2022 et 14 septembre 2023, la SCEA de l'Epine, représentée par Me Christophe de Langlade, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 2 octobre 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la région Normandie de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- les demande de l'EARL du Tertre et du GAEC de Villeplée ont été présentées hors-délai et ne pouvaient dès lors pas concurrencer celle qu'elle avait présentée ;

- le préfet s'est mépris sur le rang de priorité qui lui était applicable.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 juin et 30 octobre 2023, l'EARL Olivier Stéphane et l'EARL du Tertre, représentés par Me A... Bocquillon, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la SCEA de l'Epine le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 20 juin 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour de rejeter la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la SCEA de l'Epine ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 4 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Xavier Denis, représentant l'EARL Stéphane Olivier et l'EARL du Tertre.

Considérant ce qui suit :

1. La SCEA de l'Epine, spécialisée dans l'élevage des chevaux, dont le gérant est M. A... B..., a présenté le 24 décembre 2019, dans le cadre d'une opération d'agrandissement, une demande d'autorisation d'exploiter des terres, d'une surface totale de 103,36 hectares, précédemment mises en valeur par M. D... C... qui a été embauché comme associé-salarié agricole de la société. Par une décision du 2 octobre 2020, prise après l'avis du 7 septembre 2020 de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, le préfet de la région Normandie a autorisé, sur la surface totale de 103,36 hectares, la SCEA de l'Epine à exploiter des terres d'une superficie de 52,11 hectares, l'EARL du Tertre à exploiter des terres d'une superficie de 24,61 hectares, l'EARL Olivier Stéphane à exploiter des terres d'une surface de 16,85 hectares et le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) Villeplée à exploiter des terres d'une superficie de 18,64 hectares. La SCEA de l'Epine relève appel du jugement du 2 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 2 octobre 2020 rejetant partiellement sa demande d'autorisation d'exploiter.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative (...) vérifie (...) si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée ". Aux termes de l'article R. 331-6 du même code : " (...) II.- La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1 (...) ".

3. La décision attaquée vise les dispositions applicables du code rural et de la pêche maritime et du schéma directeur des structures agricoles de la région Basse-Normandie, mentionne le nom des candidatures concurrentes et établit, après avoir examiné les différentes demandes, leur rang de priorité au regard du schéma directeur. Toutefois, cette décision ne précise pas pour quels motifs la demande de la SCEA de l'Epine a été classée par l'administration au neuvième rang de priorité, alors que les demandes des sociétés et groupement concurrents l'ont été au huitième rang de priorité ex-aequo. Dès lors, cette motivation, qui ne permet pas à la société appelante de connaître précisément les motifs du rejet partiel de sa demande ni de les discuter utilement, est insuffisante. Par suite, la décision attaquée, qui est insuffisamment motivée, doit être annulée.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la SCEA de l'Epine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 octobre 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Le motif par lequel le juge de l'excès de pouvoir juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant lui ou des moyens d'ordre public qu'il relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée. Il s'ensuit que, sauf dispositions législatives contraires, le juge de l'excès de pouvoir n'est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui qu'il retient explicitement comme étant fondé. La portée de la chose jugée et les conséquences qui s'attachent à l'annulation prononcée par le juge de l'excès de pouvoir diffèrent toutefois selon la substance du motif qui est le support nécessaire de l'annulation. C'est en particulier le cas selon que le motif retenu implique ou non que l'autorité administrative prenne, en exécution de la chose jugée et sous réserve d'un changement des circonstances, une décision dans un sens déterminé. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée.

6. Aux termes de l'article L. 331-3-1 du code précité : " I.- L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise (...) répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ". Aux termes de l'article 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Basse-Normandie du 23 décembre 2015 : " (...) Les priorités sont : / (...) / 8 ex-aequo : les opérations consistant à conforter l'agrandissement d'agriculteur à titre principal, dont la surface d'exploitation se situe, après agrandissement, en-deçà du seuil d'agrandissement excessif. / 9. les autres installations ou agrandissements en-deçà du seuil d'agrandissement excessif (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la demande d'autorisation formulée par la SCEA de l'Epine, que si l'opération envisagée a pour objet l'exploitation, par la SCEA de l'Epine, des terres agricoles mises à sa disposition par M. C... qui en deviendrait associé-salarié, l'associé gérant, M. B..., est un exploitant à titre secondaire qui exerce principalement la gestion de plusieurs autres sociétés d'élevage équin. En outre, les demandes des sociétés et groupement concurrents émanent d'agriculteurs exploitant leurs terres à titre principal et ont été classées à bon droit au rang de priorité 8 ex-aequo. Ainsi, le préfet de Normandie a pu légalement classer la demande de la SCEA de l'Epine au neuvième rang de priorité et la rejeter pour les parcelles faisant l'objet des demandes concurrentes de l'EARL du Tertre, de l'EARL Olivier Stéphane et du GAEC Villeplée. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à demander que la cour enjoigne au préfet de la région Normandie de lui délivrer l'autorisation sollicitée sur la totalité des parcelles précédemment exploitées par M. C....

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SCEA de l'Epine qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 2 000 euros à verser à la SCEA de l'Epine au titre de cet article.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 2 novembre 2022 et la décision du 2 octobre 2020 du préfet de la région Normandie sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la SCEA de l'Epine une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par l'EARL Olivier Stéphane et l'EARL du Tertre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA de l'Epine, à l'EARL Olivier Stéphane, à l'EARL du Tertre, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au préfet de la région Normandie.

Délibéré après l'audience publique du 1er décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°22DA02618


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02618
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : BOCQUILLON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;22da02618 ?
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