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15/12/2023 | FRANCE | N°22NT02571

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 15 décembre 2023, 22NT02571


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La chambre d'agriculture de l'Orne a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement la société Chalumeau et la société Prefal Production à lui verser la somme de 354 042,02 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation des préjudices subis en raison de la mauvaise exécution du marché public des travaux de remplacement des menuiseries extérieures des fenêtres d'un bâtiment lui appartenant, avec intérêts au taux légal à compter de la requête int

roductive d'instance, de condamner la société Chalumeau à lui reverser la somme de 45 076,59...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre d'agriculture de l'Orne a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement la société Chalumeau et la société Prefal Production à lui verser la somme de 354 042,02 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation des préjudices subis en raison de la mauvaise exécution du marché public des travaux de remplacement des menuiseries extérieures des fenêtres d'un bâtiment lui appartenant, avec intérêts au taux légal à compter de la requête introductive d'instance, de condamner la société Chalumeau à lui reverser la somme de 45 076,59 euros TTC, au titre de la quote-part des travaux réglés mais non réalisés en exécution du marché public litigieux, avec intérêts au taux légal à compter de la requête introductive d'instance, de condamner la société Chalumeau à lui verser la somme de 8 887,50 euros TTC au titre des intérêts qui auraient été perçus si la somme de 45 076,59 euros avait pu être placée auprès d'un établissement bancaire, de condamner solidairement la société Chalumeau et la Société Prefal Production à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice résultant du retard dans la livraison des travaux, avec intérêts au taux légal à compter de la requête introductive d'instance, de condamner solidairement la société Chalumeau et la société Prefal Production à lui verser la somme de 11 721,87 euros en réparation du " coût social " supporté par elle pour le suivi de la procédure d'expertise, de condamner solidairement la société Chalumeau et la société Prefal Production à lui verser la somme de 16 676,97 euros TTC en remboursement des frais d'expertise et des honoraires d'avocats liés à la procédure d'expertise qu'elle a dû supporter. La société Préfal Production a demandé, quant à elle, à ce que la société Chalumeau soit condamnée à lui verser la somme de 53 479,14 euros taxes comprises en paiement de factures impayées.

Par un jugement n° 2001684 du 8 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la chambre d'agriculture de l'Orne et les conclusions de la société Prefal Production tendant à ce que la société Chalumeau soit condamnée à lui verser la somme de 53 479,14 euros TTC en paiement de factures impayées.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 août 2022, et un mémoire enregistré le 16 janvier 2023, qui n'a pas été communiqué, la chambre d'agriculture de l'Orne, représentée par Me Gorand, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 8 juin 2022 ;

2°) de condamner solidairement la société Chalumeau et la société Prefal Production à lui verser la somme de 354 042,02 euros TTC en réparation des préjudices subis en raison de la mauvaise exécution du marché public des travaux de remplacement des menuiseries extérieures des fenêtres d'un bâtiment lui appartenant, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la demande de première instance ;

3°) de condamner la société Chalumeau à lui reverser la somme de 45 076,59 euros TTC, au titre de la quote-part des travaux réglés mais non réalisés en exécution du marché public litigieux, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la demande de première instance ;

4°) de condamner la société Chalumeau à lui verser la somme de 8 887,50 euros TTC au titre des intérêts qui auraient été perçus si la somme de 45 076,59 euros TTC avait pu être placée auprès d'un établissement bancaire ;

5°) de condamner solidairement la société Chalumeau et la Société Prefal Production à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice résultant du retard dans la livraison des travaux, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la demande de première instance ;

6°) de condamner solidairement la société Chalumeau et la société Prefal Production à lui verser la somme de 11 721,87 euros en réparation du coût social supporté par elle pour le suivi de la procédure d'expertise ;

7°) de condamner solidairement la société Chalumeau et la société Prefal Production à lui verser la somme de 16 676,97 euros TTC en remboursement des frais d'expertise et des honoraires d'avocats liés à la procédure d'expertise qu'elle a dû supporter ;

8°) de mettre à la charge in solidum de la société Chalumeau et de la société Prefal Production la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'action en indemnisation des préjudices litigieux n'est pas prescrite, dès lors qu'elle n'a eu connaissance de l'étendue des dommages qu'à la date de la remise du rapport de l'expert judiciaire, seule de nature à faire courir le délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil ;

- elle est fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de la société Prefal Production, dès lors qu'elle n'est pas en lien contractuel avec cette société, que les désordres constatés trouvent leur origine dans la violation des règles de l'art et la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires et, enfin, que les constatations de l'expert pourraient l'empêcher de rechercher utilement la responsabilité contractuelle de la société Chalumeau ;

- l'exécution défectueuse des travaux de remplacement des fenêtres est une faute imputable aux sociétés Chalumeau et Prefal Production ;

- le retard de livraison des travaux est une faute imputable aux sociétés Chalumeau et Prefal Production ;

- elle n'a commis aucune faute, tenant notamment à l'absence de recours à un maître d'œuvre ou à un contrôleur technique, de nature à exonérer les sociétés Chalumeau et Prefal Production de leurs responsabilités ;

- elle a subi un préjudice tenant à la nécessité de passer un nouveau marché public pour remplacer l'intégralité des menuiseries extérieures et fenêtres défectueuses, qui s'élève à un montant de 354 042,02 euros taxes comprises ;

- elle est fondée à solliciter une condamnation incluant le montant de la taxe sur la valeur ajoutée pour ce préjudice ;

- elle a subi un préjudice tenant au fait que la somme de 45 076,59 euros taxes comprises a été versée à la société Chalumeau en règlement de l'intégralité du montant des travaux, alors que 36 des fenêtres commandées n'ont pas été posées, de sorte qu'elle est fondée à réclamer le remboursement de ces sommes et le paiement des intérêts que son placement aurait produit, s'élevant à un montant de 8 887,50 euros TTC ;

- elle a subi un préjudice en raison du retard dans la livraison des travaux, s'élevant à un montant de 6 000 euros ;

- elle a subi un préjudice tendant au fait que deux de ses agents ont dû consacrer une part de leur temps de travail au suivi du règlement du litige, de sorte qu'elle est fondée à demander l'indemnisation de ce coût social, s'élevant à un montant de 11 721,87 euros TTC ;

- elle est fondée à demander l'indemnisation des frais payés dans le cadre de la procédure d'expertise judiciaire, s'élevant à un montant de 16 676,97 euros TTC.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2022, la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Chalumeau, représentée par Me Gallot, conclut :

1°) au rejet de la requête de la chambre d'agriculture de l'Orne ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que la société Prefal la garantisse de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

3°) à ce que soit mise à la charge de la chambre d'agriculture de l'Orne une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'action de la requérante est prescrite, dès lors qu'elle a été formée après l'expiration d'un délai de cinq ans ;

- à titre subsidiaire, la société Prefal est la seule responsable des désordres ;

- aucune faute ne lui est imputable s'agissant du retard de livraison des travaux, dès lors que l'interruption du chantier résulte d'une demande de la chambre d'agriculture de l'Orne ;

- la chambre d'agriculture de l'Orne n'est pas fondée à demander le paiement de la somme de 45 076,59 euros, qui viendrait indemniser deux fois le même préjudice ;

- la chambre d'agriculture de l'Orne n'est pas fondée à demander le paiement de la somme de 8 887,50 euros, correspondant au montant des intérêts dont la chambre d'agriculture allègue avoir été privé, dès lors que cette dernière ne lui a jamais adressé de mise en demeure ;

- la somme de 6 000 euros, correspondant au montant de l'indemnisation réclamée par la chambre d'agriculture de l'Orne au titre du retard de livraison, ne saurait être mise à sa charge ;

- la somme de 11 721,87 euros, correspondant au coût social allégué par la chambre d'agriculture de l'Orne, n'est pas justifiée ;

- la somme de 16 676, 97 euros, correspondant aux frais que la chambre d'agriculture de l'Orne allègue avoir exposé dans le cadre de la procédure d'expertise, n'est assortie de pièce justificative que s'agissant des frais d'huissier, s'élevant à 435,07 euros ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la demande de paiement de prestations non réglées, formée par la société Prefal Production, dès lors que ce litige oppose deux sociétés de droit privé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 octobre 2022, la société Prefal Production, représentée par Me Pujol, conclut :

1°) au rejet de la requête de la chambre d'agriculture de l'Orne ;

2°) à titre subsidiaire, au rejet de l'appel en garantie présenté par la société Chalumeau, et à ce que, d'une part, la somme à verser à la chambre d'agriculture de l'Orne soit limitée à un montant de 295 035,02 euros et à ce que, d'autre part, la société Chalumeau soit condamnée à la garantir de toute condamnation prononcée contre elle ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à ce que la somme à verser à la société Chalumeau soit limitée à un montant de 250 320,32 euros ;

4°) en toute hypothèse, à ce que la société Chalumeau soit condamnée à lui verser la somme de 53 479,14 euros TTC en paiement de factures impayées ;

5°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge in solidum de la chambre d'agriculture de l'Orne et de la société Chalumeau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers frais et dépens de la procédure, incluant les frais d'expertise judiciaire.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des conclusions dirigées par la chambre d'agriculture de l'Orne contre elle, dès lors qu'elle n'est qu'un fournisseur et au surplus, l'action de la chambre d'agriculture de l'Orne devant le juge judiciaire est prescrite dès lors qu'il lui appartenait d'intenter cette action dans le délai de deux ans prévu à l'article 1648 du code civil ;

- cette action était prescrite dès lors qu'il lui appartenait d'intenter cette action dans le délai de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil, à compter de l'apparition des désordres ;

- l'action de la chambre d'agriculture de l'Orne contre elle est mal fondée, dès lors que les conditions permettant l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle d'un fournisseur par le maître d'ouvrage ne sont pas réunies ;

- aucune faute ne lui est imputable ;

- la chambre d'agriculture de l'Orne n'est pas fondée à réclamer une indemnisation incluant le montant de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- la somme de 8 887,50 euros, correspondant au montant des intérêts dont la chambre d'agriculture de l'Orne allègue avoir été privée, n'est pas justifiée ;

- la somme de 6 000 euros, correspondant au montant de l'indemnisation réclamée par la chambre d'agriculture de l'Orne au titre du retard de livraison, ne saurait être mise à sa charge ;

- la somme de 11 721,87 euros, correspondant au coût social allégué par la chambre d'agriculture de l'Orne, n'est pas justifiée ;

- la somme de 16 676,97 euros, correspondant aux frais que la chambre d'agriculture de l'Orne allègue avoir exposés dans le cadre de la procédure d'expertise, n'est pas justifiée ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour examiner les conclusions de la société Chalumeau dirigées contre elle, dès lors qu'elles sont liées par un contrat de droit privé ;

- ces conclusions sont tardives au regard des conditions générales de vente acceptées par la société Chalumeau ;

- la société Chalumeau n'établit pas qu'une faute contractuelle lui serait imputable ;

- la demande d'indemnisation de la société Chalumeau doit être rejetée dès lors qu'une clause limitative de responsabilité était applicable ;

- elle est fondée à réclamer le paiement par la société Chalumeau de la somme de 53 479,14 euros, au titre des fenêtres livrées mais non réglées ;

- en tout état de cause, elle ne peut être condamnée à garantir la société Chalumeau des condamnations prononcées contre elle qu'à hauteur de 250 320,32 euros, dès lors que le montant de l'indemnisation ne saurait inclure le montant de la taxe sur la valeur ajoutée ni les sommes lui restant dues par la société Chalumeau.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Delaunay, substituant Me Pujol, pour la société Prefal Sud Ouest.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 8 septembre 2009, la chambre d'agriculture de l'Orne et la SARL Menuiserie Régis Chalumeau ont conclu un marché public relatif au remplacement de 222 fenêtres d'un immeuble abritant les bureaux de la chambre d'agriculture à Alençon. Par ordre de service du 15 septembre 2009, la chambre d'agriculture a sollicité de la société Chalumeau l'exécution des travaux, dont le terme était prévu le 30 décembre 2009. La société Chalumeau a commandé auprès de la société Prefal Production, le 23 septembre 2009, les fenêtres à poser. Le 31 décembre 2009, une somme de 277 972,34 euros a été mise en paiement par la chambre d'agriculture au profit de la société Chalumeau, en règlement du marché, dont le montant total s'élevait à 279 849,65 euros. Au début du mois de janvier 2010, alors que 36 fenêtres restaient à poser, les travaux ont été interrompus à la demande de la chambre d'agriculture, qui a fait état de nuisances sonores liées au vent imputées par les occupants des locaux aux fenêtres nouvellement posées. La réception des travaux n'a donc pas été prononcée.

2. Par assignation du 11 janvier 2011 de la chambre d'agriculture de l'Orne et de la société Prefal Production, la SARL Menuiserie Régis Chalumeau a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Alençon, lequel a, le 17 février 2011, ordonné une expertise en vue, notamment, de constater les désordres liés aux fenêtres posées dans le cadre du marché litigieux, d'en rechercher les causes, de préconiser et chiffrer les travaux de reprise et de fournir tous éléments permettant à la juridiction saisie de se prononcer sur les responsabilités encourues. L'expert a rendu son rapport le 13 avril 2016.

3. Par un jugement du 8 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la chambre d'agriculture de l'Orne et les conclusions de la société Prefal Production tendant à ce que la société Chalumeau soit condamnée à lui verser la somme de 53 479,14 euros TTC en paiement de factures impayées. La chambre d'agriculture de l'Orne fait appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le fondement juridique de l'action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.

5. En premier lieu, la société Prefal Production soutient que, du fait de sa qualité de fournisseur de la société Chalumeau, seules les juridictions de l'ordre judiciaire sont compétentes pour connaître de la demande de la chambre d'agriculture de l'Orne dirigée contre elle. A supposer que la société Prefal Production fasse ainsi valoir qu'elle ne peut être regardée, en raison de sa qualité de fournisseur, comme participant à l'exécution d'un travail public, il résulte de l'instruction que les fenêtres fournies par elle l'ont été après confection d'un prototype et que ces fenêtres ont été produites selon les spécifications de la société Chalumeau pour s'adapter aux éléments conservés des menuiseries existantes. Dans ces conditions, dès lors que la société Prefal Production ne s'est pas bornée à livrer des produits ne présentant aucune particularité quant à leur forme, leur consistance ou leurs dimensions, elle doit être regardée comme un sous-traitant ayant participé à l'exécution d'un travail public. Ainsi, la société Prefal Production n'étant pas liée par un contrat de droit privé à la chambre d'agriculture de l'Orne, le litige qui les oppose relève de la juridiction administrative, comme cela avait été indiqué par les premiers juges dans le jugement attaqué.

6. En deuxième lieu, il est constant qu'un contrat de droit privé lie la société Prefal Production et la société Chalumeau. Par suite, le litige qui les oppose relève de la juridiction judiciaire. En conséquence, les conclusions de la société Prefal Production dirigées contre la société Chalumeau et tendant au paiement de la somme de 53 479,14 euros au titre de fenêtres livrées mais non réglées ont été régulièrement rejetées par le tribunal administratif comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

7. En troisième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point précédent, les conclusions formées par la société Chalumeau tendant à ce que la société Prefal Production soit condamnée à la garantir de toute condamnation prononcée contre elle ont été régulièrement rejetées par le tribunal administratif de Caen comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur l'exception de prescription soulevée par la société Chalumeau concernant l'action en responsabilité contractuelle de la chambre d'agriculture de l'Orne :

8. D'une part, aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". D'autre part, l'article 1792-4-3 du même code dispose que : " En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ". Ces dispositions, créées par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérées dans un chapitre consacré aux contrats de louage d'ouvrage et d'industrie, ont vocation à s'appliquer aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants.

9. La société Chalumeau peut utilement se prévaloir de l'application du délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil dès lors que le délai de dix ans prévu à l'article 1792-4-3 du code civil n'est pas applicable, en l'absence de réception des travaux. Il résulte de l'instruction que la chambre d'agriculture de l'Orne, après avoir demandé l'arrêt du chantier au début du mois de janvier 2010, a fait dresser, par huissier, un constat, le 22 février 2010. Il ressort de ce constat que, bien que le vent à l'extérieur soit d'intensité moyenne et le bruit modéré, à l'intérieur, le bruit généré par le vent est fort " avec de fortes incursions dans les aigus " et " donnant l'impression d'un vent violent, sans commune mesure avec le ressenti à l'extérieur ", dans les pièces visitées et équipées de fenêtres neuves, tandis qu'il est faible dans les pièces visitées et équipées d'anciennes fenêtres. Ainsi, à cette date, la chambre d'agriculture de l'Orne avait une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, alors même qu'elle ne savait pas encore que les nuisances sonores relevées dépassaient l'émergence globale définie par l'article R. 1336-7 du code de la santé publique. Aucune solution à l'amiable n'ayant été trouvée, la société Chalumeau a sollicité une expertise judiciaire et cette expertise a été ordonnée par une ordonnance du président du tribunal de grande instance d'Alençon du 17 février 2011. L'expert a déposé son rapport le 13 avril 2016. Il est constant que la chambre d'agriculture n'a pas demandé à être associée à cette demande d'expertise. Ainsi, comme l'ont jugé les premiers juges, lors de l'enregistrement au greffe du tribunal administratif de Caen de sa demande, le 7 septembre 2020, la créance de la chambre d'agriculture de l'Orne était prescrite.

Sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société Prefal Production :

10. Il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage. Il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs.

11. Il résulte de ce qui est dit au point 9 que la chambre d'agriculture de l'Orne s'est abstenue de rechercher la responsabilité de la société Chalumeau, qui a la qualité de constructeur avec lequel elle était liée par un contrat de louage d'ouvrage, avant l'expiration du délai de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil. Dès lors que l'absence de mise en cause de la responsabilité de la société Chalumeau résulte de son seul fait, la chambre d'agriculture de l'Orne ne peut faire valoir qu'elle ne pourrait utilement rechercher la responsabilité de cette société. En conséquence, elle n'est pas fondée à mettre en cause pour les mêmes désordres, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité de la société Prefal Production, avec laquelle elle n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui est intervenue sur le fondement d'un contrat conclu avec la société Chalumeau, en tant que sous-traitante.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la chambre d'agriculture de l'Orne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

13. En premier lieu, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) Ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagée entre les parties (...) ". A cet égard, les frais d'une expertise qui n'a pas été ordonnée par la juridiction font partie, non des dépens de l'instance, mais du montant du préjudice dont la partie qui a supporté ces frais doit obtenir réparation.

14. La société Prefal Production n'est dès lors pas fondée à demander, au titre des dépens, le remboursement des frais supportés à l'occasion de l'expertise judiciaire ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance d'Alençon.

15. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Chalumeau et de la société Prefal production la somme que la chambre d'agriculture de l'Orne demande à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de cette dernière les sommes demandées à ce titre par la société Prefal Production et par la société Chalumeau.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la chambre d'agriculture de l'Orne est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SASU Chalumeau et de la société Prefal sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre d'agriculture de l'Orne, à la société par actions simplifiée unipersonnelle Chalumeau et à la société Prefal Production.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

La rapporteure

P. PICQUET

Le président

L. LAINÉLe greffier

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet de l'Orne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02571


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02571
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : SELARL JURIADIS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;22nt02571 ?
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