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19/12/2023 | FRANCE | N°22NT01568

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 19 décembre 2023, 22NT01568


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... ... a demandé au tribunal administratif de Nantes :



1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le président de l'Université de Nantes a refusé de faire droit à sa demande de requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, la décision du 12 juillet 2018 de cette autorité refusant de renouveler à son terme son contrat à durée déterminée et enfin la décision du 15 mai 2018 la convoquant à un entretien préalable ;

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2°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin de détermine...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... ... a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le président de l'Université de Nantes a refusé de faire droit à sa demande de requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, la décision du 12 juillet 2018 de cette autorité refusant de renouveler à son terme son contrat à durée déterminée et enfin la décision du 15 mai 2018 la convoquant à un entretien préalable ;

2°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin de déterminer si la différence de traitement susceptible de s'appliquer entre agents contractuels non enseignants et agents contractuels enseignants au sein d'un établissement public d'enseignement supérieur et de recherche est compatible avec les dispositions de l'accord-cadre annexe de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ;

3°) d'enjoindre à l'Université de Nantes de la rétablir dans ses droits et dans ses fonctions d'enseignement ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1808288 du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 4 octobre 2022 puis le 2 juin 2023, Mme ..., représentée par Me Hérin demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 mars 2022 ;

2°) d'annuler les décisions du président de l'Université de Nantes refusant, tout d'abord, de faire droit à sa demande de requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, puis celle du 12 juillet 2018 de cette autorité refusant de renouveler à son terme son contrat à durée déterminée, enfin la décision du 15 mai 2018 la convoquant à un entretien préalable ;

3°) d'enjoindre à l'Université de Nantes de la rétablir dans ses droits et dans ses fonctions d'enseignement ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est, tout d'abord, entaché d'irrégularité faute d'avoir répondu aux moyens tirés, d'une part, du défaut de motivation des décisions contestées et, d'autre part, de rupture d'égalité et de la violation des dispositions prévues par la directive 1997/70/CE du 28 juin 1999, enfin d'un vice de procédure affectant l'édiction des décisions, moyens qui n'étaient pas inopérants ;

- le jugement attaqué est, ensuite, mal fondé ; c'est à tort que l'Université et le tribunal estiment que son dernier contrat a été conclu sur le fondement de l'article L.952-1 alinéa 2 et 3 du code de l'éducation alors qu'il est intervenu en application de l'article L.954-3 de ce code qui prévoit expressément la possibilité d'un engagement à durée indéterminée ; c'est à tort que les premiers juges retiennent l'absence de saisine préalable du comité de sélection et le caractère dérogatoire des dispositions de l'article L.954-3 du code de l'éducation ; les dispositions de l'article L.952-1 alinéa 2 et 3 du code de l'éducation visent le cas des enseignements invités ou associés et les chargés d'enseignement nécessairement recrutés pour une durée déterminée et/ou qui ont un employeur principal ; s'agissant de son dernier contrat, rien ne peut justifier l'exclusion des dispositions statutaires et ce, d'autant qu'il s'est référé aux 4, 6 et 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 ;

- ayant été recrutée pendant six années consécutives sur le même poste correspondant à un besoin permanent en application des dispositions de l'article L. 954-3 du code de l'éducation, le président de l'Université ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit et méconnaitre les dispositions de l'article 6 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, affecter le troisième engagement à effet au 1er novembre 2017 d'une nouvelle durée déterminée ;

- les décisions contestées sont entachées d'une rupture d'égalité, contraire à la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ; il appartiendra, le cas échéant, de saisir la cour de justice de l'union européenne ;

- les dispositions de l'article L.954-3 du code de l'éducation prévoient expressément la possibilité d'un engagement à durée indéterminée ;

- la décision portant refus de renouvellement ne repose pas sur un intérêt du service qui serait caractérisé par l'Université ; elle a vu ses engagements systématiquement renouvelés pendant 15 ans, justifie d'appréciations particulièrement élogieuses, son dernier contrat à effet au 1er novembre 2017 n'a pas justifié d'un quelconque avis préalable du comité de sélection ;

Par un mémoire en défense enregistré les 1er septembre 2022 et un mémoire enregistré le 9 janvier 2023, l'Université de Nantes, représentée par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme ... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme ... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée ;

- le code de l'éducation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 ;

- la loi 2007-1119 du 10 août 2007 ;

- le décret n°86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Couetoux du Tertre, substituant Me Marchand, pour l'Université de Nantes.

Considérant ce qui suit :

1. Mme ..., enseignante vacataire auprès du service universitaire C... de l'Université de Nantes à compter de l'année 2003, a été ensuite recrutée par cet établissement en contrat à durée déterminée le 1er novembre 2011 sur le fondement de l'article L. 954-3 du code de l'éducation, pour une durée de 3 ans. Un deuxième contrat à durée déterminée a été conclu pour la période comprise entre le 1er novembre 2014 et le 31 octobre 2017, puis un troisième pour la période comprise entre le 1er novembre 2017 et le 31 août 2018. Lors d'un entretien qui s'est tenu le 24 mai 2018, Mme ... a été informée que ce dernier contrat ne serait pas renouvelé. Par un courrier du 3 juillet 2018, Mme ... a alors demandé au président de l'Université de Nantes de requalifier son contrat en contrat à durée indéterminée. Cette demande a été implicitement rejetée. Par une décision du 12 juillet 2018, le président de l'Université de Nantes a décidé de ne pas renouveler le contrat à durée déterminée de Mme ....

2. Mme ... a, le 6 septembre 2018, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette dernière décision, ainsi que de la décision implicite par laquelle le président de l'Université a refusé de faire droit à sa demande de requalification de contrat, et enfin du courrier du 15 mai 2018 la convoquant à un entretien préalable. L'intéressée demandait également que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle afin de déterminer si la différence de traitement susceptible de s'appliquer entre agents contractuels non enseignants et agents contractuels enseignants au sein d'un établissement public d'enseignement supérieur et de recherche était compatible avec les dispositions de l'accord-cadre annexe de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999. Enfin, cet agent demandait qu'il soit enjoint à l'Université de Nantes de la rétablir dans ses droits et dans ses fonctions d'enseignement. Mme ... relève appel du jugement du 21 mars 2022 par lequel cette juridiction a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, s'agissant de la décision implicite refusant de faire droit à la demande de Mme ... de requalification de son dernier contrat en contrat à durée indéterminée, le tribunal administratif de Nantes, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par les parties, a expressément répondu, d'une part, aux points 3 et 4 du jugement attaqué, d'autre part, au point 8 du même jugement, dans ce dernier cas de façon assez brève mais suffisante, aux moyens tirés respectivement du défaut de motivation de cette décision et de la méconnaissance de la directive 1999/70 du 28 juin 1999, la réponse apportée à ce dernier moyen devant être regardée comme valant, compte tenu des écritures de la requérante, pour la critique liée de la violation du principe d'égalité entre agents recrutés par voie contractuelle. Par ailleurs, les premiers juges après avoir rappelé au point 9 du jugement que " Mme ... ne saurait valablement soutenir qu'eu égard à son ancienneté de service de six ans à la date du 1er novembre 2017, son contrat d'engagement pour la période comprise entre le 1er novembre 2017 et le 31 août 2018 serait, de plein droit, devenu un contrat à durée indéterminée. ", ont estimé, au point suivant, qu'il en résultait " que les moyens tirés de ce que le président de l'Université de Nantes aurait méconnu sa compétence et de ce que la décision contestée serait entachée d'un vice de procédure et d'erreur de droit devaient être écartés ". Mme B... ne peut ainsi sérieusement soutenir qu'il n'aurait pas été répondu au moyen tiré du non-respect de la procédure d'élaboration de l'acte. Enfin, au point 11 du jugement attaqué, le tribunal a indiqué : " En dernier lieu, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il résulte de ce qu'il a été dit aux points 8 à 10 que la décision contestée n'est pas contraire à la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ". Si Mme ... remet en cause cette motivation, cette critique a trait au bien-fondé du jugement attaqué et non à sa régularité. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient omis de se prononcer sur les moyens précités.

4. En deuxième lieu, s'agissant de la décision contestée du 12 juillet 2018 de non renouvellement du dernier contrat de Mme ..., le tribunal a, au point 12 du jugement attaqué, rappelé " qu'une décision de non renouvellement à son terme d'un contrat à durée déterminée d'un agent public, même prise pour des raisons tirées de la manière de servir de l'intéressé, n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées. ". Les premiers juges, ce faisant, doivent être regardés comme ayant répondu au moyen tiré de ce que l'Université n'avait pas justifié sa décision par un motif tiré de l'intérêt du service ou du comportement personnel de l'agent. Si Mme ... soutient que l'intérêt du service ne saurait être sérieusement invoqué par l'Université pour justifier de la décision contestée, cette critique a trait au bien-fondé du jugement attaqué et non à sa régularité. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient omis de se prononcer sur le moyen précité.

5. En dernier lieu, le jugement attaqué a rejeté comme irrecevables les conclusions de Mme ... tendant à l'annulation du courrier du 15 mai 2018 la convoquant à un entretien préalable, au motif que ce courrier constitue un simple acte préparatoire et non une décision faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir. Mme ... ne conteste pas devant la cour la fin de non-recevoir ainsi opposée à ces conclusions. Il s'ensuit que ne peuvent qu'être rejetées les conclusions aux mêmes fins que l'intéressée réitère devant la cour.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision implicite par laquelle le président de l'Université de Nantes a refusé de faire droit à la demande de Mme ... de requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée :

6. Mme ... soutient que l'Université ne pouvait exclure la requalification de son engagement en contrat de travail à durée indéterminée, dès lors que le dernier contrat conclu à compter du 1er novembre 2017 a été conclu sur le fondement de l'article L. 954-3 du code de l'éducation et devait se voir appliquer les conditions prévues par les articles 4 à 6 bis de la loi du 11 janvier 1984.

7. Tout d'abord, d'une part, aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable à la date de la décision contestée : " Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l'Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, (...), occupés (...) par des fonctionnaires régis par le présent titre, (...) dans les conditions prévues par leur statut. ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 du titre Ier du statut général, des agents contractuels peuvent être recrutés dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; / 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations de l'Etat à l'étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. ". Selon les termes de l'article 6 de la même loi, alors applicable : " Les fonctions qui, correspondant à un besoin permanent, impliquent un service à temps incomplet d'une durée n'excédant pas 70 % d'un service à temps complet, sont assurées par des agents contractuels. / Le contrat conclu en application du présent article peut l'être pour une durée indéterminée. ". D'autre part, aux termes de l'article 6 bis de la même loi : " Lorsque les contrats pris en application des articles 4 et 6 sont conclus pour une durée déterminée, cette durée est au maximum de trois ans. Ces contrats sont renouvelables par reconduction expresse dans la limite d'une durée maximale de six ans. / (...) / Tout contrat conclu ou renouvelé en application des mêmes articles 4 et 6 avec un agent qui justifie d'une durée de services publics de six ans dans des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu, par une décision expresse, pour une durée indéterminée. / La durée de six ans mentionnée au quatrième alinéa du présent article est comptabilisée au titre de l'ensemble des services effectués dans des emplois occupés en application des articles 4, 6, 6 quater, 6 quinquies et 6 sexies. (...) Lorsqu'un agent atteint l'ancienneté mentionnée au quatrième à sixième alinéas du présent article avant l'échéance de son contrat en cours, celui-ci est réputé être conclu à durée indéterminée. (...) ".

8. Ensuite, l'article L. 951-2 du code de l'éducation, dans sa rédaction en vigueur issue de la loi susvisée du 10 août 2007, qui figure au Livre IX du code consacré aux " personnels de l'éducation " et sous son titre V relatif aux " personnels de l'enseignement supérieur ", prévoit au titre " des dispositions communes " figurant en son chapitre 1er, que : " Les dispositions de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, définissant les conditions dans lesquelles doivent être pourvus les emplois civils permanents de l'Etat et de ses établissements publics et autorisant l'intégration des agents non titulaires occupant de tels emplois, sont applicables aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. / Le régime des contrats à durée déterminée est fixé par les articles 4 et 6 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée. / (...)".

9. Enfin, selon, d'une part, l'article L. 952-1 de ce même code, relatif aux différentes catégories de personnel enseignant de l'enseignement supérieur public, alors en vigueur : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 951-2, le personnel enseignant comprend des enseignants-chercheurs appartenant à l'enseignement supérieur, d'autres enseignants ayant également la qualité de fonctionnaires, des enseignants associés ou invités et des chargés d'enseignement. / Les enseignants associés ou invités assurent leur service à temps plein ou à temps partiel. Ils sont recrutés pour une durée limitée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Les chargés d'enseignement apportent aux étudiants la contribution de leur expérience ; ils exercent une activité professionnelle principale en dehors de leur activité d'enseignement. Ils sont nommés pour une durée limitée par le président de l'université, sur proposition de l'unité intéressée, ou le directeur de l'établissement. / (...) ". Selon, d'autre part, l'article L. 954-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en cause, qui figure à son chapitre IV du titre V relatif aux dispositions applicables aux seules universités bénéficiant de responsabilités et de compétences élargies mentionnées à l'article L. 712-8 du même code : " Sous réserve de l'application de l'article L. 712-9, le président peut recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée, des agents contractuels : 1° Pour occuper des fonctions techniques ou administratives correspondant à des emplois de catégorie A ; 2° Pour assurer, par dérogation au premier alinéa de l'article L. 952-6, des fonctions d'enseignement, de recherche ou d'enseignement et de recherche, après avis du comité de sélection prévu à l'article L. 952-6-1. ".

10. Il résulte de la combinaison des différentes dispositions citées aux points 7 à 9 que les agents non titulaires des établissements d'enseignement supérieur sont recrutés en application de l'article L. 951-2 du code de l'éducation, qui renvoie aux dispositions des articles 4 et 6 de la loi du 11 janvier 1984. Parmi ces agents non titulaires, ceux chargés de fonctions d'enseignement sont régis, soit par les dispositions de l'article L. 952-1 de ce même code, soit, dans le cas des universités bénéficiant des responsabilités et compétences élargies mentionnées aux articles L. 711-9 et L. 712-8 du code de l'éducation, par celles de l'article L. 954-3 du même code. Ainsi, les dispositions de l'article L.954-3 du code de l'éducation, qui constituent l'une des modalités d'application des conditions de recrutement posées par l'article L. 951-2 du même code, renvoyant elles-mêmes aux dispositions de la loi du 11 janvier 1984 limitant la durée maximale des contrats à durée déterminée successifs à six années, sont compatibles avec l'objectif de prévention des abus dans l'utilisation de tels contrats prévu par les clauses 1 et 5 de l'Accord-cadre sur le travail à durée déterminée CES-UNICE-CEEP mis en œuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre.

11. Il ressort des pièces du dossier que l'Université de Nantes dispose en vertu de la délibération de son conseil d'administration, et dans le cadre des dispositions de la loi susvisée du 10 août 2007, de responsabilités et de compétences élargies notamment en matière de gestion des ressources humaines. Le président de cet établissement peut ainsi, sur le fondement de l'article L. 954-3 du code de l'éducation, rappelé plus haut, introduit par la loi du 10 août 2007 visée ci-dessus, recruter des enseignants par contrat pour une durée déterminée ou indéterminée dans les conditions que cet article prévoit, notamment après avis du comité de sélection prévu à l'article L. 952-6-1 du même code. Il ressort des mentions des contrats de recrutement conclus avec Mme ..., d'une part, que les deux premiers contrats à durée déterminée de trois ans chacun, courant respectivement du 1er novembre 2011 au 31 octobre 2014 puis du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2017, visent l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 visée ci-dessus, le décret du 17 janvier 1986 alors pris pour son application et visé ci-dessus, l'article L.954-3 du code de l'éducation ainsi que l'avis de la commission de recrutement du 17 octobre 2011 et indiquent, en leur article 1er intitulé " Statut et durée ", que l'intéressée " est engagée en qualité d'enseignante contractuelle au titre de l'article 19 de la loi 2007-119 du 10 août 2007, article 954-3 du code de l'éducation ", " le présent contrat étant à durée déterminée ". D'autre part, le dernier contrat à durée déterminée conclu avec Mme ..., pour la période du 1er novembre 2017 au 31 août 2018, vise, quant à lui, le seul article L.954-3 du code de l'éducation et précise également dans son article 1er que l'intéressée " est employée en qualité d'enseignant contractuel au titre de l'article 19 de la loi 2007-119 du 10 août 2007, article 954-3 du code de l'éducation ". Il en résulte que l'engagement de Mme ... en qualité d'enseignante contractuelle est bien intervenu sur le fondement des dispositions précitées du 2° de l'article L. 954-3 du code de l'éducation. En application des principes qui ont été rappelées au point 10, Mme ... qui justifiait, à la date du 1er novembre 2017, d'une ancienneté de service de six ans dans les mêmes fonctions et auprès du même employeur public, est fondée à soutenir que le contrat d'engagement pour la période comprise entre le 1er novembre 2017 et le 31 août 2018 était, de plein droit, devenu un contrat à durée indéterminée. La circonstance à cet égard que le dernier contrat d'engagement de Mme ... n'a pas été précédée de l'avis du comité de sélection prévu à l'article L. 952-6-1 du code de l'éducation est sans incidence sur la nature du contrat la liant à l'université comme sur la légalité des décisions en litige.

12. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 10 et 11, et sans qu'il soit besoin, pour les mêmes motifs, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ni de se prononcer sur les autres moyens présentés par la requérante, que la décision contestée refusant de faire droit à la demande de Mme ... de requalification de son dernier contrat en contrat à durée indéterminée est entachée d'illégalité.

En ce qui concerne la décision du 12 juillet 2018 de non renouvellement à son terme de son contrat à durée déterminée :

13. Ainsi qu'il a été dit au point 11, le contrat d'engagement conclu avec Mme ... le 24 octobre 2017 pour la période courant du 1er novembre 2017 au 31 août 2018 étant, sur la base des principes rappelés au point 10, réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée, le président de l'université de Nantes, qui était tenu de proposer à Mme ... un contrat à durée indéterminée, ne pouvait légalement en conséquence décider, le 12 juillet 2018 , de " ne pas renouveler à son terme son contrat à durée déterminée ". Mme ... est, par suite, également fondée à soutenir que la décision contestée du 12 juillet 2018 est entachée d'illégalité et doit être annulée.

14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre la décision refusant implicitement de faire droit à sa demande de requalification de son dernier contrat en contrat à durée indéterminée et contre la décision du 12 juillet 2018 de non renouvellement à son terme de son " contrat à durée déterminée ".

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt implique nécessairement la réintégration juridique rétroactive de Mme ... en qualité d'enseignante contractuelle à compter du 1er septembre 2018, date à laquelle elle était réputée être titulaire d'un contrat à durée indéterminée, ainsi que la reconstitution de ses droits sociaux, et ce, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Université de Nantes, qui succombe dans la présente instance, le versement à Mme ... de la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions s'opposent à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée par l'Université de Nantes.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1808288 du 21 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il rejette la demande de Mme ... tendant à l'annulation de la décision refusant implicitement de faire droit à la demande de requalification du dernier contrat conclu avec l'Université de Nantes pour la période courant du 1er novembre 2017 au 31 août 2018 en contrat à durée indéterminée et de la décision du 12 juillet 2018 de non renouvellement à son terme de son dernier contrat.

Article 2 : La décision refusant implicitement de faire droit à la demande de requalification du dernier contrat de Mme ... pour la période courant du 1er novembre 2017 au 31 août 2018 en contrat à durée indéterminée et la décision du 12 juillet 2018 de non renouvellement à son terme de son dernier contrat sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint à l'Université de Nantes de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, à la réintégration juridique rétroactive de Mme ... en qualité d'enseignante contractuelle à compter du 1er septembre 2018 ainsi qu'à la reconstitution de ses droits sociaux.

Article 4 : L'université de Nantes versera à Mme ... la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par l'Université de Nantes tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... ... et à l'Université de Nantes.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne à la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22NT01568 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01568
Date de la décision : 19/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-12-01 1) Les dispositions de l'article L. 954-3 du code de l'éducation portant dispositions particulières relatives au recrutement, par les universités bénéficiant de responsabilités et de compétences élargies, d'agents contractuels pour exercer des fonctions d'enseignement, lesquelles constituent l'une des modalités d'application des conditions de recrutement posées par l'article L. 951-2 du même code, renvoyant elles-mêmes aux dispositions de la loi du 11 janvier 1984 limitant la durée maximale des contrats à durée déterminée successifs à six années, ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l'accord cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée.......2) Le recrutement, par les universités bénéficiant de responsabilités et de compétences élargies, d'agents contractuels pour exercer des fonctions d'enseignement ou de recherche, est régi par la combinaison des dispositions particulières des articles L.951-2, qui renvoient aux dispositions de la loi du 11 janvier 1984 limitant la durée maximale des contrats à durée déterminée successifs, et L.954-3 du code de l'éducation. En conséquence, à l'issue de deux contrats à durée déterminée de trois ans chacun, conclus par la même université avec le même agent contractuel en vue d'assurer les mêmes fonctions d'enseignement ou de recherche, un contrat doit être conclu, par une décision expresse, pour une durée indéterminée.


Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : SELARL CORNET VINCENT SEGUREL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-19;22nt01568 ?
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