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19/12/2023 | FRANCE | N°22NT03674

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 19 décembre 2023, 22NT03674


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser une somme de 31 191,06 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis à la suite d'agissements constitutifs de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions au lycée professionnel ... à A....

Par un jugement n°1905522 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 27 novembre 2022, Mme B..., représentée par Me Gaud...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser une somme de 31 191,06 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis à la suite d'agissements constitutifs de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions au lycée professionnel ... à A....

Par un jugement n°1905522 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 novembre 2022, Mme B..., représentée par Me Gaudré Coeur-Uni, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 septembre 2022 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 31 191,06 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis à la suite d'agissements constitutifs de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions au lycée professionnel ... à A..., assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa réclamation préalable et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 600 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions au lycée professionnel ... à A... de la part de ses collègues du lycée où elle était nouvellement affectée et elle n'a pas été soutenue par sa hiérarchie dans ce contexte :

* elle avait besoin, malgré ses 14 années d'expérience au Canada, de disposer des ressources pédagogiques nécessaires pour son enseignement au sein d'établissements scolaires français ;

* si l'inspectrice a mis en place une tutelle pédagogique à compter du 20 novembre 2017, les professeurs désignés pour ce tutorat ne se sont pas exécutés ;

* l'ensemble des attitudes et comportements de ses collègues, qui s'est produit sur une période de 4 mois et demi, caractérise une situation de harcèlement moral à l'origine de la dégradation de son état de santé ;

- ces agissements lui ont causé un préjudice financier évalué à 6 191,06 euros dès lors qu'elle a été placée en arrêt maladie sans traitement, ainsi qu'un préjudice moral évalué à 10 000 euros et des troubles dans les conditions d'existence évalué à 15 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2023, la rectrice de l'académie de Nantes conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

L'instruction a été close au 30 août 2023, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire a été présenté pour Mme B..., enregistré le 30 août 2023, après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gaudré Coeur-Uni pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été embauchée, par un contrat du 7 septembre 2017, pour exercer, à temps complet, les fonctions de professeure d'anglais au lycée professionnel ... à A... du 7 septembre 2017 au 31 août 2018. Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 20 janvier 2018, renouvelé jusqu'à la fin de l'année scolaire. S'estimant victime de harcèlement moral, elle a sollicité par un courrier du 25 janvier 2019, adressé au recteur de l'académie de Nantes, l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme B... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 31 191,06 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis. Elle relève appel du jugement de ce tribunal du 27 septembre 2022 ayant rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

4. Mme B... soutient qu'elle a été victime, à compter de la rentrée de septembre 2017 de faits constitutifs de harcèlement moral de la part de ses collègues du lycée où elle était nouvellement affectée. Elle se plaint de l'absence d'aide de la part de ses collègues, lesquels n'auraient pas répondu à ses sollicitations pour avoir accès aux ressources pédagogiques utilisées, de leur attitude hostile à son égard et de critiques sur son travail, mais également de la suspicion manifestée à son endroit à l'occasion de la disparition d'une clé USB. Elle estime en outre, qu'elle n'a pas bénéficié de formation lors de sa prise de poste, et qu'elle n'a pas été soutenue par sa hiérarchie.

5. Il résulte toutefois de l'instruction qu'alors même qu'elle avait déjà une expérience de plusieurs années d'enseignement, Mme B... a, le 6 octobre 2017, soit un mois après le début de son contrat, bénéficié d'une visite conseil de la part de l'inspectrice de l'éducation nationale, au cours de laquelle celle-ci a pu lui prodiguer des conseils afin d'améliorer sa pratique professionnelle. A l'issue de cette visite, l'inspectrice de l'éducation nationale relève : " [Mme B...] est ouverte aux conseils et au travail collaboratif. Cependant, depuis la rentrée, Mme B... a entretenu des relations très difficiles avec ses collègues d'anglais, cristallisées sur l'absence d'aide et d'informations de la part de l'équipe, dans un premier temps, puis sur l'isolement que Mme B... dit avoir subi. En dépit de l'accompagnement de celle-ci par deux tutrices (mis en place sur la demande de l'inspectrice), les relations ont pris une tournure excessive. Si certains reproches envers l'équipe sont fondés, il n'en reste pas moins que Mme B... n'a pas réellement tenté de se montrer constructive et de poursuivre son travail en cherchant d'autres sources d'information et de conseils (...) ".

6. A la suite à cette visite, une tutelle pédagogique assurée par un autre professeur de l'établissement a également été mise en place à son profit, à compter du 20 novembre 2017 jusqu'au 18 mai 2018. Si Mme B... soutient que les professeurs désignés pour ce tutorat ne se sont pas exécutés, il ressort du bilan du tutorat daté du 18 janvier 2018 que deux heures de travail en vue de préparer des cours ont pu être organisées les 18 et 20 décembre. S'il n'est pas contesté que lors de son arrivée dans l'établissement, ses collègues n'ont pas facilité son intégration, notamment en lui permettant d'avoir accès aux ressources pédagogiques disponibles pour dispenser les cours en lycée professionnel, cette attitude, pour regrettable qu'elle soit, comme l'absence d'affinités entre collègues et une ambiance de travail ressentie négativement par l'intéressée, ne sauraient caractériser des agissements constitutifs de harcèlement moral. Le rapport d'inspection du 11 mai 2017 relève d'ailleurs à cet égard que [Mme B...] " doit toutefois accepter de prendre du recul sur ses pratiques, et s'adapter aux attentes et préconisations ". Quant à l'attitude d'une de ses collègues qui, ayant égaré une clef USB serait venue dans sa salle de classe alors que les élèves étaient présents pour chercher la clef en question dans les tiroirs du bureau, elle ne saurait établir, à elle seule, un fait constitutif de harcèlement moral. Si plusieurs certificats médicaux établis entre le 19 janvier et le 31 août 2018 attestent que Mme B... souffre d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel, cette souffrance au travail ne saurait être regardée, en l'espèce, comme étant liée à une attitude de ses collègues de travail et de sa hiérarchie susceptible de caractériser une situation de harcèlement moral à son égard. Enfin, l'administration soutient sans être contredite qu'elle a proposé à la requérante un changement d'établissement, mais que cette mesure n'a pu se concrétiser, l'intéressée n'ayant pas donné suite à cette proposition. Dans ces conditions, les faits avancés par Mme B... ne sont pas susceptibles d'établir l'existence du harcèlement dont elle se plaint.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'agissements constitutifs de harcèlement moral, les conclusions indemnitaires présentées par Mme B... ne peuvent qu'être rejetées.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande indemnitaire. Ses conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la rectrice de l'Académie de Nantes.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2023, où siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Gelard, première conseillère,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2023.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. COIFFET

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22NT03674


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03674
Date de la décision : 19/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : CABINET SANDRINE GAUDRE COEUR-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-19;22nt03674 ?
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