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20/12/2023 | FRANCE | N°23MA01619

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 décembre 2023, 23MA01619


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée Combronde Logistique a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Bollène à lui verser la somme de 305 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du 1er janvier 2012 au 31 mai 2016 du fait d'une promesse non tenue portant sur le raccordement ferroviaire de la plateforme logistique Pan Europarc.



Par un jugement n° 1700880 du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Nîm

es a condamné la commune de Bollène à verser à la société Combronde Logistique la somme de 88 032...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Combronde Logistique a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Bollène à lui verser la somme de 305 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du 1er janvier 2012 au 31 mai 2016 du fait d'une promesse non tenue portant sur le raccordement ferroviaire de la plateforme logistique Pan Europarc.

Par un jugement n° 1700880 du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Nîmes a condamné la commune de Bollène à verser à la société Combronde Logistique la somme de 88 032 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2016, capitalisés.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 mai 2019 et le 13 mai 2020, la commune de Bollène, représentée par Me Sindres, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 mars 2019 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Combronde Logistique en première instance ;

3°) de mettre à la charge de la société Combronde Logistique les dépens de l'instance, ainsi que la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- le jugement est également irrégulier, le tribunal ayant omis de répondre au moyen invoqué en défense, tiré de l'absence de lien de causalité entre la faute reprochée et les préjudices invoqués qui sont imputables à la décision de la SNCF de désaffecter la gare de fret de Bollène ;

- les motifs du jugement attaqué, qui retient à la fois que le préjudice est continu et permanent, sont contradictoires ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté la fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux pour la période comprise entre le 1er janvier 2016 et le 31 mai 2016 ;

- il appartenait au tribunal de caractériser l'existence d'une faute sans se borner à se référer à l'autorité de la chose jugée par la Cour le 24 avril 2015 ;

- aucune faute de la commune ne peut être retenue ;

- la société Combronde Logistique a commis une imprudence qui constitue une faute totalement exonératoire ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté l'exception de prescription quadriennale.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 24 mars et le 10 juin 2020, la société Combronde Logistique, représentée par la SELARL Veber associés avocats, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête présentée par la commune de Bollène ;

2°) de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la commune de Bollène ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, tirés de l'irrecevabilité de la demande de la société Combronde Logistique du fait de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt n° 14MA00987 du 24 avril 2015, d'une part, et de l'absence de lien de causalité entre la faute et les préjudices invoqués, d'autre part.

Un mémoire a été enregistré en réponse à cette mesure d'information le 7 mai 2021 pour la société Combronde Logistique.

Par un arrêt n° 19MA02113 du 26 mai 2021, la Cour a annulé les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 14 mars 2019.

Par une décision du 23 juin 2023 le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par la société Combronde Logistique a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 26 mai 2021 et a renvoyé l'affaire devant la même Cour.

Par un mémoire enregistré le 24 juillet 2023, la société Combronde Logistique, représentée par Me Veber, demande à la Cour de confirmer le jugement du tribunal administratif de Nîmes condamnant la commune de Bollène à lui verser la somme de 88 032 euros, assortie des intérêts de retard capitalisés, et de mettre également à sa charge les frais d'expertise d'un montant de 5 150 euros ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la faute pour promesse non tenue a été admise par l'arrêt de la Cour du 24 avril 2015 ;

- l'expert a admis l'existence d'un lien de causalité ;

- la faute a généré un préjudice continu tant que la société Combronde Logistique a dû effectuer des opérations de brouettage quotidiens.

Un courrier du 25 juillet 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 14 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Cazin, pour la commune de Bollène, et de Me Lapouble, pour la société Combronde Logistique.

Connaissance prise de la note en délibéré, présentée pour la société Combronde Logistique et enregistrée au greffe le 13 décembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société Combronde Logistique exploite depuis le 1er avril 2007 une plateforme de stockage sur le territoire de la commune de Bollène, au sein de la zone industrielle du Tardier. La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 24 avril 2015 devenu définitif, a jugé que la commune de Bollène avait commis une faute en ne respectant pas son engagement du 15 novembre 2006 de réaliser un raccordement par voie ferrée de la plateforme logistique Pan Europarc, située à proximité de la zone industrielle du Tardier mais a rejeté les conclusions indemnitaires de la société Combronde Logistique, au motif que les préjudices résultant de cette faute pour la période allant de 2007 à 2011 n'étaient pas établis. La société Combronde Logistique a alors obtenu la désignation d'un expert afin de déterminer le surcoût annuel subi depuis 2012 lié au brouettage de marchandises entre la gare de de Bollène et la plateforme logistique, située zone industrielle du Tardier. Le rapport d'expertise a été déposé le 14 novembre 2016. C'est dans ces conditions que, par courrier du 13 décembre 2016, la société Combronde Logistique a saisi la commune de Bollène d'une demande tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis pour les années 2012 à 2015, d'une part, au titre du surcoût de brouettage et, d'autre part, à raison de l'amortissement de rails installés sur son site. Cette demande a été implicitement rejetée par la commune de Bollène. Par un jugement du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Nîmes, saisi par la société Combronde Logistique, a, à l'article 1er condamné la commune de Bollène à verser à la société Combronde Logistique une somme de 88 032 euros à cette dernière au titre du surcoût de brouettage pour la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 31 mai 2016, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2016, capitalisés, à l'article 2, mis à la charge de la commune les frais et honoraires de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 5 150 euros toutes taxes comprises, à l'article 3 rejeté le surplus des conclusions de la société et à l'article 4 rejeté les conclusions de la commune de Bollène formées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative. Par un arrêt du 26 mai 2021 la cour administrative d'appel de Marseille, saisie en appel par la commune, a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement. Mais par une décision n° 454844 du 23 juin 2023, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt, et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Sur l'étendue du litige :

2. La société Combronde Logistique n'a pas fait d'appel incident et l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nîmes qui rejette le surplus de ses conclusions est par suite devenu définitif.

Sur la régularité du jugement :

3. Il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal a omis de se prononcer sur le moyen, soulevé dans son mémoire en défense par la commune de Bollène et qui était opérant, tiré de ce que les dommages dont il était demandé réparation seraient imputables non à la faute de la commune, mais à la décision de la SNCF de ne plus desservir la gare de fret de Bollène à compter de l'année 2011. Ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de régularité, le jugement du tribunal administratif de Nîmes doit être annulé en tant qu'il a fait partiellement droit, aux articles 1er, 2 et 4 de son dispositif, aux demandes de la société Combronde Logistique, et corrélativement rejeté les demandes de la commune de Bollène relatives à l'application des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative.

4. Le jugement étant, dans cette mesure, irrégulier, il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer cet aspect du litige et d'y statuer immédiatement.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la faute :

5. Il résulte de l'instruction que par courrier du 15 novembre 2006 adressé à la société Combronde Logistique, qui avait manifesté son intention de s'installer dans la zone industrielle de Tardier, située à proximité de la zone d'aménagement concerté (ZAC) Pan Europarc, le maire de Bollène a confirmé que dans la perspective de cette implantation, et conformément à de " précédentes rencontres ", " le raccordement ferré de la plate-forme logistique Pan Europarc sera réalisé dans un délai raisonnable de trois années ", et a précisé que les modalités de réalisation étaient alors à l'étude. Ce courrier se réfère en outre à de précédentes rencontres entre la société et la commune. La société Combronde Logistique s'est ainsi installée à Bollène le 1er juin 2007, sur la zone industrielle du Tardier, située à environ six kilomètres de la ZAC Pan Europarc. Dans ces conditions, la commune de Bollène doit être regardée comme ayant pris un engagement formel de réaliser le raccordement ferré de la plateforme logistique Pan Europarc, comme l'a au demeurant déjà admis la Cour par un arrêt du 24 avril 2015 ainsi qu'il a été dit au point 1.

6. En revanche, le seul fait que le maire de la commune de Bollène ait ordonné l'ouverture d'une enquête publique du 21 avril 2017 au 21 mai 2017 relative au projet de révision du plan local d'urbanisme comportant un emplacement réservé pour permettre la liaison ferroviaire de la ZAC Pan Europarc à la gare de Bollène n'est pas, compte tenu de l'objet d'une telle servitude qui demeure encore seulement au stade de projet, de nature à établir l'existence d'une promesse non tenue pour un tel raccordement, alors au demeurant que cette procédure de révision du plan local d'urbanisme est intervenue presque dix années après la décision de la société de s'installer dans la zone industrielle de Tardier.

En ce qui concerne le préjudice et le lien de causalité :

7. Les promesses faites par l'administration ne créent pas par elles-mêmes de droit à l'obtention de la chose promise. Il en résulte que le préjudice indemnisable ne peut s'étendre aux surcoûts ou manque à gagner résultant de la non-obtention de la chose promise, mais qu'il se limite aux dépenses exposées, pertes enregistrées ou manque à gagner subis sur la foi de la promesse faite.

8. Dès lors, si la faute commise par la commune de Bollène en ne tenant pas sa promesse de réaliser une liaison ferroviaire entre la zone Pan Europarc et la gare de Bollène est susceptible d'engager la responsabilité extracontractuelle de la commune, la société ne peut prétendre à ce titre à l'indemnisation du surcoût de brouettage, correspondant aux frais d'acheminement et de chargement-déchargement des marchandises, ce surcoût d'exploitation ne pouvant être regardé comme une dépense engagée par la société sur le fondement de cette simple promesse non tenue datant de 2011. La société requérante ne peut à cet égard utilement se prévaloir de la circonstance que l'expert aurait admis l'existence d'un tel lien de causalité direct, qui constitue une opération de qualification juridique relevant de l'office du juge.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance ni sur la prescription quadriennale, la demande de la société Combronde Logistique tendant à la condamnation de la commune de Bollène à lui verser la somme de 88 032 euros assortie des intérêts au taux légal capitalisés à compter du 14 décembre 2016 doit être rejetée.

Sur les dépens :

10. Comme le prévoit l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la société Combronde Logistique, qui est la partie perdante dans la présente instance, les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 5 150 euros toutes taxes comprises par ordonnance n° 1503442 du 15 décembre 2016.

Sur les autres frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la commune de Bollène, qui n'est pas la partie tenue aux dépens, au titre des frais exposés par elle et non compris dans ces dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Combronde Logistique une somme à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 4 du jugement n° 1700880 du 14 mars 2019 du tribunal administratif de Nîmes sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées en première instance par la société Combronde Logistique devant le tribunal administratif de Nîmes et auxquelles ces articles font droit sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise d'un montant de 5 150 euros sont mis à la charge définitive de la société Combronde Logistique.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bollène et à la société Combronde Logistique.

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2023, où siégeaient :

- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 décembre 2023.

N° 23MA0161902


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01619
Date de la décision : 20/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SARL CAZIN MARCEAU AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-20;23ma01619 ?
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