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21/12/2023 | FRANCE | N°23TL00469

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 21 décembre 2023, 23TL00469


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 3 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de la transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assignée à résidence.



Par un jugement n° 2300022 du 10 janvier 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a a

nnulé les deux arrêtés du 3 janvier 2023, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme B... dans ...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 3 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de la transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2300022 du 10 janvier 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux arrêtés du 3 janvier 2023, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions.

Procédures devant la cour :

I - Par une requête enregistrée 24 février 2023 sous le n° 23TL00469, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 janvier 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme B... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2023, Mme A... B..., représentée par Me Bachet, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen invoqué par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé ;

- les arrêtés du préfet de la Haute-Garonne sont entachés d'un défaut de compétence de son auteure ;

- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes est entaché d'un défaut de motivation en fait ;

- cette décision est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;

- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes est entaché d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article 17.1 du règlement n° 604/2013 ;

- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en application des dispositions de l'article 17.1 du règlement n° 604/2013 et méconnait également l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant assignation à résidence est entachée d'un défaut de motivation ;

- la décision portant assignation à résidence est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, outre d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par une décision du 8 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme B... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

II - Par une requête enregistrée le 24 février 2023 sous le n° 23TL00470, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 10 janvier 2023 sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative.

1°) d'annuler le jugement du 10 janvier 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme B... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que ce moyen, sérieux, est de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué ;

- l'exécution de ce même jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la mise en œuvre de la procédure de transfert engagée à l'encontre de l'intéressée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2023, Mme A... B..., représentée par Me Bachet, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen invoqué par le préfet ne revêt pas un caractère sérieux de nature à justifier outre l'annulation du jugement attaqué, ses conclusions à fin d'annulation des arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 3 janvier 2023.

Par une décision du 8 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme B... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante guinéenne, née le 1er janvier 1999 est entrée selon ses déclarations en France le 8 août 2022 et s'est présentée le 10 août 2022 à la préfecture de la Haute-Garonne pour y déposer une demande d'asile. Par un premier arrêté du 3 janvier 2023, le préfet de la Haute-Garonne a décidé du transfert de Mme B... aux autorités italiennes. Par un second arrêté du même jour, la même autorité l'a assignée à résidence. Par la requête enregistrée sous le n° 23TL00469, le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 10 janvier 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé chacun de ces arrêtés, a enjoint au préfet de réexaminer dans le délai d'un mois la situation de Mme B... ainsi que de la munir dans l'attente d'une attestation de demande d'asile et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Bachet en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 23TL00470, le préfet demande à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce même jugement. Les requêtes susvisées nos 23TL00469 et 23TL00470 étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur l'admission de Mme B... à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par deux décisions du 8 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme B... le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'octroi d'une aide juridictionnelle provisoire.

Sur la requête n° 23TL00469 :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :

3. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée, / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères, / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations, / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert, / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement, / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...). ".

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, lequel doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement constitue une garantie pour le demandeur d'asile.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a bénéficié d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture de la Haute-Garonne le 10 août 2022, conduit par un agent des services de la préfecture, avec le concours d'un interprète de la société ISM interprétariat en langue soussou, langue que l'intéressée a déclaré comprendre. L'intimée s'est vue remettre, lors de cet entretien, d'une part, le " Guide du demandeur d'asile en France " et la brochure intitulée " Les empreintes digitales et Eurodac " et, d'autre part, les deux fascicules constituant la brochure commune mentionnée au paragraphe 2 de l'article 4 du règlement précité, à savoir le fascicule A intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et le fascicule B intitulé " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", dans lesquels se trouvent l'ensemble des informations énumérées au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Si Mme B... soutient que ces documents étaient rédigés en langue française et qu'elle ne sait pas lire cette langue, il ressort d'une part des pièces du dossier que les pages de garde de ces brochures ont été signées par l'intéressée ainsi que par l'interprète en langue soussou. D'autre part, le résumé de l'entretien, produit par l'administration, précise par ailleurs que l'intimée a été informée de la procédure engagée à son encontre et ne fait apparaître aucune difficulté de compréhension ou de communication entre l'intéressée et l'agent de la préfecture ayant conduit cet entretien. Il en ressort au contraire que Mme B... a été mise à même de poser les questions utiles sur la procédure à laquelle elle était soumise et qu'elle a présenté des observations circonstanciées sur la perspective d'un éventuel transfert aux autorités italiennes. En outre, à supposer même que l'interprète n'ait pas pu traduire oralement en soussou lesdites brochures, le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement imposait seulement de communiquer à Mme B... par oral les informations nécessaires à sa bonne compréhension et n'exigeait pas qu'il soit procédé à une lecture intégrale de la vingtaine de pages que représentent les brochures A et B, seules visées par l'article 4. Enfin, si Mme B... soutient que l'entretien n'aurait duré " que quelques minutes ", il n'apparaît pas que la durée de l'entretien aurait été insuffisante pour lui fournir les éléments requis sur la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Il s'ensuit que l'intéressée n'a pas été privée des garanties prévues par l'article 4 du règlement précité. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les arrêtés litigieux, le premier juge a accueilli le moyen tiré de ce que la mesure de transfert aux autorités italiennes était entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de cet article.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance et en appel au soutien de sa demande d'annulation des deux arrêtés préfectoraux du 3 janvier 2023.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme B... :

S'agissant de l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :

7. En premier lieu, par un arrêté du 18 octobre 2022 publié le lendemain au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 31-2022-355, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à Mme C..., directrice des migrations et de l'intégration, en matière de police des étrangers, notamment pour signer les arrêtés portant transfert d'un étranger dans le cadre de l'Union européenne et portant assignation à résidence pour permettre l'exécution de ce transfert. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, l'arrêté de transfert en litige mentionne que Mme B..., déclarant être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 8 août 2022, s'est présentée à la préfecture de la Haute-Garonne, le 10 août 2022, pour y formuler une demande d'asile. Il précise également que, lors de l'enregistrement de son dossier complet, le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé le fait qu'un relevé d'empreintes similaire avait été effectué par les autorités italiennes le 22 mai 2022. Les autorités italiennes, saisies le 8 septembre 2022 d'une demande de prise en charge de l'intéressée, ont fait connaître leur accord 7 novembre 2022 sur le fondement de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il précise en outre que lors de l'entretien individuel du 10 juin 2022, Mme B... a pu formuler des observations quant à un éventuel transfert vers les autorités italiennes, qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier de l'intéressée que celle-ci souffrirait d'une pathologie d'une particulière gravité et que l'exécution de son transfert emporterait une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé et que l'impossibilité d'accéder à des soins adaptés en Italie n'est pas établie. Ces éléments permettent à l'intéressée de comprendre les motifs sur lesquels s'est fondé le préfet de la Haute-Garonne pour déterminer que l'Italie était responsable de l'examen de sa demande d'asile et prendre la décision de transfert. Par suite, cet arrêté, qui comporte l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.

9. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent, que le préfet a procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de Mme B... avant d'édicter la décision de transfert. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen doit être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement (UE) n° 604/2013, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs.

11. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la motivation de l'arrêté du 3 janvier 2023, que le préfet de la Haute-Garonne a examiné la situation de Mme B... au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et a estimé qu'il n'y avait pas lieu de faire application de ces dispositions dérogatoires dès lors, notamment, qu'il n'était établi ni que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité d'assurer sa protection ou l'exposeraient à un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile, ni qu'il existait des défaillances systémiques en Italie dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs. Par suite, le moyen selon lequel le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur de droit au regard de ces dispositions doit être écarté.

12. En cinquième lieu, Mme B... soutient qu'au regard des conditions d'accueil des demandeurs d'asile transférés en Italie, le préfet de la Haute-Garonne a, d'une part, commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement n° 604/2013 précité et, d'autre part, méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, l'Italie étant un État membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces conventions. A l'appui de son moyen, Mme B... fait état de sa situation de " particulière vulnérabilité " eu égard notamment à son état de santé. Toutefois, alors que l'intéressée s'est opposée à la transmission de ses informations médicales aux autorités italiennes, en se bornant à produire à l'appui de ses propos différents rapports généraux, tels que ceux de l'organisation Médecins sans frontières " out of sight " publié le 8 février 2018 et ceux de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) du 12 décembre 2018 et 10 juin 2021 ainsi qu'une prescription médicale du 21 septembre 2022 en vue d'examens gynécologiques, une convocation en vue d'une consultation gynécologique le 15 novembre 2022 à l'hôpital Lagrave de Toulouse et une copie de son carnet de vaccination, Mme B... n'établit pas qu'elle ne pourrait pas bénéficier de soins appropriés en cas de transfert vers l'Italie ou que son état de santé s'opposerait à l'exécution de ce transfert. Par ailleurs, la circonstance invoquée par l'intimée que les autorités italiennes avaient annoncé leur intention de suspendre provisoirement la reprise en charge des demandeurs d'asile en raison de l'état de saturation des centres d'hébergement locaux n'est pas suffisante pour estimer que l'éloignement de l'intéressée vers ce pays aurait été de nature à mettre en péril son état de santé, alors qu'au demeurant l'Italie a fait connaître le 7 novembre 2022 son accord explicite en vue de prendre en charge sa demande d'asile. Enfin, Mme B... n'avance aucune raison sérieuse de croire qu'il existerait, à la date de l'arrêté en litige, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'en ne lui permettant pas de bénéficier de la clause discrétionnaire instituée par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation ni que les de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auraient été en conséquence méconnues.

S'agissant de l'arrêté portant assignation à résidence :

13. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 7, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté assignant à résidence Mme B... doit être écarté.

14. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué, qui comporte les considérations de droit qui en constituent le fondement, précise notamment que Mme B... bénéficie d'une domiciliation postale dans le département de la Haute-Garonne et fait l'objet d'une décision de transfert aux autorités italiennes dont l'exécution demeure une perspective raisonnable, eu égard à l'accord des autorités italiennes du 7 novembre 2022, valable six mois. Par suite, cet arrêté est suffisamment motivé.

15. En troisième lieu, l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée (...) ".

16. L'accord des autorités italiennes étant valide pour une période de six mois, l'autorité préfectorale a pu légalement considérer que l'exécution de la mesure d'éloignement demeurait une perspective raisonnable et que Mme B... pouvait faire l'objet d'une assignation à résidence. En outre, le préfet a estimé que l'intéressée justifiait de garanties de représentation suffisantes dès lors qu'elle disposait d'une domiciliation postale dans le département de la Haute-Garonne sur la commune de Toulouse. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant assignation à résidence serait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.

17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 3 janvier 2023 portant transfert de Mme B... aux autorités italiennes ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence de l'intéressée. Il en résulte que c'est également à tort que le premier juge a enjoint à l'autorité préfectorale de réexaminer la situation de l'intéressée et qu'il a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la requête n° 23TL00470 :

18. Dès lors qu'il est statué au fond par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du jugement du 10 janvier 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, les sommes réclamées par l'intimée au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme B... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 10 janvier 2023 sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL00470.

Article 5 : Les conclusions présentées par Mme B... sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... B... et à Me Bachet.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le président-rapporteur,

D. ChabertLe président assesseur,

X. Haïli

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23TL00469, 23TL00470


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00469
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Denis CHABERT
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI;DIALEKTIK AVOCATS AARPI;DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;23tl00469 ?
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