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28/12/2023 | FRANCE | N°23TL01089

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 28 décembre 2023, 23TL01089


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :



1°) d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2022 par lequel la préfète de l'Ariège a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination ;

2°) d'enjoindre à la préfète de l'Ariège de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement

à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2022 par lequel la préfète de l'Ariège a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination ;

2°) d'enjoindre à la préfète de l'Ariège de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2200540 du 4 avril 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 10 janvier 2022 de la préfète de l'Ariège, a enjoint à la préfète de délivrer une carte de résident à M. A... dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 mai 2023, la préfète de l'Ariège demande à la cour d'annuler ce jugement du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Toulouse.

Elle soutient que l'arrêté du 10 janvier 2022 n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation eu égard aux faits d'une particulière gravité pour lesquels M. A... a été condamné, lesquels ne sont pas compatibles avec les principes et valeurs de la société et de la République française.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2023, M. D... A..., représenté par Me Amari de Beaufort, conclut au rejet de la requête, demande d'enjoindre à la préfète de l'Ariège de lui délivrer une carte de résident dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire d'annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision fixant l'Afghanistan comme pays de renvoi, et de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- sa présence en France ne constitue aucune menace pour l'ordre public : les faits de viol sur mineure n'ont pas été considérés comme établis et n'ont donc pas fait l'objet de poursuites ; il a exprimé ses regrets pour les faits de corruption sur mineure pour lesquels il a été condamné ; il ne peut lui être reproché aucune intention de se soustraire à ses obligations résultant de son inscription au fichier judiciaire ;

- le refus de renouvellement de son titre de séjour porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- subsidiairement, il maintient ses conclusions dirigées à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi : la mesure d'éloignement est privée de base légale, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et a été prise en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de cette convention.

Par ordonnance du 4 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 22 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- et les observations de Mme B... C..., représentant le préfet de l'Ariège et de Me Amari de Beaufort, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan né le 31 décembre 1994, est entré en France, selon ses déclarations, le 13 juin 2010 et a été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance à partir du 25 mars 2011. Il a ensuite bénéficié d'une carte de séjour temporaire en qualité de salarié du 12 janvier 2012 au 3 juillet 2017, puis d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " salarié " valable jusqu'au 3 juillet 2021. Il a sollicité, le 11 mai 2021, le renouvellement de son titre de séjour en qualité de salarié ainsi que la délivrance d'une carte de résident. Par un arrêté du 10 janvier 2022, la préfète de l'Ariège a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination. La préfète de l'Ariège relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 4 avril 2023 qui a annulé l'arrêté du 10 janvier 2022 et lui a enjoint de délivrer une carte de résident à M. A... dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 426-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui justifie d'une résidence régulière ininterrompue d'au moins cinq ans en France au titre d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident, de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses besoins et d'une assurance maladie se voit délivrer, sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 426-18, une carte de résident portant la mention "résident de longue durée-UE" d'une durée de dix ans (...) ". L'article L. 432-1 du même code dispose : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 412-5 de ce code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". ".

4. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de renouveler le titre de séjour dont bénéficiait M. A... en qualité de salarié valable du 4 juillet 2017 au 3 juillet 2021, ou de lui délivrer une carte de résident, la préfète de l'Ariège a considéré que sa présence sur le territoire national constituait une menace pour l'ordre public. Il est constant que l'intéressé a été condamné le 12 septembre 2017 par le tribunal correctionnel de Thionville à six mois de prison avec sursis pour corruption de mineure de 15 ans, à raison de faits commis entre le 1er avril 2016 et le 17 janvier 2017, et à son inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infraction sexuelle. Il a ensuite fait l'objet d'un rappel à la loi le 5 octobre 2017 pour avoir omis, du fait de cette inscription, de justifier de son adresse auprès des services de police. Si la préfète persiste à soutenir que M. A... a fait l'objet, le 13 avril 2015, d'une enquête de flagrance pour viol sur mineure de plus de quinze ans, il est constant que, le 6 octobre 2015, l'affaire a fait l'objet d'un classement au motif que l'infraction était insuffisamment qualifiée, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de synthèse de l'enquête préliminaire dans lequel l'officier de police judiciaire mentionne " qu'il n'existe pas de raisons plausibles de présumer que la ou les infractions (...) ont été commises et peuvent être retenues ". Alors que l'intéressé a contesté les faits qui lui étaient reprochés par sa première petite amie, avec laquelle il a entretenu une relation sentimentale pendant trois ans, une lettre d'excuses rédigée par cette dernière lui a été adressée et a été annexée au procès-verbal d'enquête préliminaire. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. A..., qui est entré en France à l'âge de 16 ans, y réside de manière continue depuis 2010. Il a bénéficié de titres de séjour régulièrement renouvelés depuis janvier 2012 et a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle en qualité de maçon en juin 2014. Il est employé depuis le 7 novembre 2016 au sein de la même entreprise en qualité d'ouvrier professionnel, par la voie d'un contrat de travail à durée indéterminée, et justifie de son intégration au sein de la société française, ainsi qu'il ressort de plusieurs attestations circonstanciées émanant de son entourage professionnel et des travailleurs sociaux qui l'ont accompagné lorsqu'il bénéficiait de l'aide sociale à l'enfance. De plus, l'épouse de M. A..., avec laquelle il s'est marié le 25 novembre 2017, a été autorisée par la préfète de l'Ariège, le 10 janvier 2019, à rejoindre son époux en France par la voie du regroupement familial. Elle était par ailleurs enceinte de trois mois à la date de l'arrêté attaqué, et a donné naissance à une fille le 12 juillet 2022. Par suite, compte tenu de son comportement depuis les faits délictueux pour lesquels il a été condamné le 12 septembre 2017 et de l'intensité de sa vie privée et familiale en France, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'arrêté contesté était entaché d'une erreur d'appréciation.

5. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ariège n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 10 janvier 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de résident dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement.

Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".

7. Il n'est pas contesté par le préfet de l'Ariège que seule une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler a été délivrée à M. A... en exécution du jugement contesté. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'intéressé satisfait aux conditions posées par l'article L. 426-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de l'Ariège de délivrer à M. A..., en l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait, une carte de résident, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 1 200 euros à M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la préfète de l'Ariège est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Ariège de délivrer une carte de résident à M. A... dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Ariège.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2023.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°23TL01089 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01089
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : AMARI-DE-BEAUFORT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-28;23tl01089 ?
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