La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/01/2024 | FRANCE | N°23DA00269

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 09 janvier 2024, 23DA00269


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de maintenir son droit au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné.



Par un jugement n° 2205121 du 6 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé

cet arrêté en tant qu'il fixe la Mauritanie comme pays à destination duquel M. B... pourra être renvoyé, e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de maintenir son droit au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné.

Par un jugement n° 2205121 du 6 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe la Mauritanie comme pays à destination duquel M. B... pourra être renvoyé, enjoint au préfet de la Seine-Maritime de procéder à cet égard à un réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 février 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et, par conséquent, de rejeter la requête de première instance de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 29 novembre 2022 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Il soutient que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 29 novembre 2022 en tant qu'il fixe la Mauritanie comme pays de destination ; en effet il " n'a pas fixé la Mauritanie comme seul pays de renvoi ", " ainsi, le tribunal administratif a commis une erreur en estimant que la Mauritanie avait été fixée comme pays de renvoi ".

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2023, M. B..., représenté par Me Antoine Mary, conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêté du 29 novembre 2022 en tant qu'il lui refuse le maintien de son droit au séjour, lui fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays à destination duquel il doit être éloigné, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- c'est à raison que le jugement attaqué a annulé la décision fixant le pays de destination au motif que le préfet n'en avait pas exclu la Mauritanie ; il ne peut retourner dans ce pays où il encourt des risques ayant justifié l'octroi d'une protection internationale en Grèce ; la protection accordée par ce pays a expiré ; elle n'y a en tout état de cause jamais été effective ;

- à titre subsidiaire, il réitère les moyens qu'il avait soulevés en première instance à l'encontre des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel il doit être éloigné.

Par une ordonnance en date du 4 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 septembre 2023 à 12 heures.

M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mars 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 1er janvier 1984, de nationalité mauritanienne, a déclaré être entré en France le 27 octobre 2019 depuis la Grèce, pays lui ayant reconnu la qualité de réfugié. Il a renouvelé sa demande d'asile le 21 janvier 2020, auprès des autorités françaises. Elle a été successivement rejetée comme irrecevable par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 17 mai 2021 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 11 octobre 2022. Par un arrêté du 29 novembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a obligé M. B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel la mesure d'éloignement est susceptible d'être mise à exécution. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement n° 2205121 du 6 février 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 29 novembre 2029 en tant qu'il fixe la Mauritanie comme pays à destination duquel M. B... pourra être renvoyé.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 612-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office ". Aux termes de l'article L. 721-3 du même code : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français (...) ". Aux termes de l'article L. 721-4 : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité (...) ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". L'article 3 de cette convention stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

3. D'autre part, aux termes du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne " qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ". Aux termes du 1 de l'article 31 de cette même convention : " Les Etats contractants n'appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l'article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières ". Aux termes du 1 de l'article 33 de cette même convention : " Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ".

4. Il résulte de ces stipulations qu'une personne qui, s'étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à la convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l'Etat dont elle a la nationalité, demande l'asile en France, doit, s'il est établi qu'elle craint avec raison que la protection à laquelle elle a conventionnellement droit sur le territoire de l'Etat qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié n'y est plus effectivement assurée, être regardée comme sollicitant pour la première fois la reconnaissance du statut de réfugié. Il appartient, en pareil cas, aux autorités françaises d'examiner sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité. En cas de rejet de sa demande, elle ne peut, sous réserve, le cas échéant, de l'application des dispositions pertinentes du droit de l'Union européenne, se prévaloir d'aucun droit au séjour au titre de l'asile, même si la qualité de réfugié qui lui a été reconnue par le premier Etat fait obstacle, aussi longtemps qu'elle est maintenue, à ce qu'elle soit reconduite dans le pays dont elle a la nationalité, tandis que les circonstances ayant conduit à ce que sa demande soit regardée comme une première demande d'asile peuvent faire obstacle à ce qu'elle soit reconduite dans le pays qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié.

5. En l'espèce, il ressort des énonciations du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutient le préfet de la Seine-Maritime, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a uniquement prononcé l'annulation partielle de la décision fixant le pays de destination qu'il a notifiée à M. B... par son arrêté du 29 novembre 2022, seulement en tant que celle-ci inclut la Mauritanie parmi les destinations possibles de la mesure d'éloignement. A cet égard, le préfet de la Seine-Maritime ne peut sérieusement soutenir que son arrêté ne fixe pas la Mauritanie comme une destination possible alors que celui-ci, d'une part, énonce explicitement que M. B... pourra être reconduit d'office à destination " du pays dont il a la nationalité " et, d'autre part, mentionne la nationalité mauritanienne comme seule nationalité de l'intéressé. En outre, la circonstance tirée de ce que la décision litigieuse prévoyait également que M. B... pourrait être éloigné à destination " de tout pays pour lequel il établit être légalement admissible " ne s'opposait pas à ce que la magistrate désignée puisse prononcer une annulation partielle de la décision litigieuse en tant qu'elle incluait la Mauritanie parmi les destinations possibles, dès lors qu'un des moyens soulevés par M. B... était, dans cette mesure, fondé.

6. En l'occurrence, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été reconnu réfugié par les autorités grecques et que celles-ci lui ont délivré pour ce motif un titre de séjour le 11 septembre 2017 ainsi qu'un document de circulation le 1er mars 2018. Il n'est pas établi que cette qualité lui aurait été retirée depuis lors ou qu'il y aurait été mis un terme de quelque manière que ce soit. La demande d'asile présentée par M. B... en France en janvier 2021 a seulement été rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile comme irrecevable en application des principes rappelés au point 4 et au motif que M. B..., qui n'a pas été régulièrement admis au séjour en France, n'établit pas que la protection qui lui a été reconnue en Grèce n'était plus effectivement assurée par ce pays. Ainsi, compte tenu de la protection reconnue par les autorités grecques et des motifs des décisions de rejet des autorités françaises chargées de l'asile, M. B... doit être regardé, à la date de la décision attaquée, comme justifiant de craintes fondées de persécution en cas de retour en Mauritanie. Dès lors, il est fondé à soutenir qu'en incluant ce pays parmi les destinations possibles de la mesure d'éloignement prononcée à son encontre, le préfet de la Seine-Maritime a commis une erreur manifeste d'appréciation.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondée sur le moyen d'erreur manifeste d'appréciation soulevé par M. B... pour annuler partiellement la décision fixant le pays de destination, en tant qu'elle inclut la Mauritanie parmi les destinations possibles. Sa requête d'appel doit dès lors être rejetée. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et d'astreinte et relatives aux frais non compris dans les dépens que M. B... présente uniquement à titre subsidiaire, dans le cas où la cour aurait fait droit à l'appel du préfet.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B... et à Maître Antoine Mary.

Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. C...

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°23DA00269


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00269
Date de la décision : 09/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SELARL MARY & INQUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-09;23da00269 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award