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12/01/2024 | FRANCE | N°21PA03300

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 12 janvier 2024, 21PA03300


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société SANEF a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner in solidum les sociétés Eiffage génie civil, AER et Egis route - Scetauroute à lui verser une somme de 1 138 890 euros TTC au titre de la garantie décennale des constructeurs, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2014 et de leur capitalisation, et de mettre à la charge in solidum de ces sociétés les frais d'expertise.



Par un jugement n° 1613463 du 13

avril 2021, le tribunal administratif de Paris a donné acte à la société SANEF de son désistement de s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SANEF a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner in solidum les sociétés Eiffage génie civil, AER et Egis route - Scetauroute à lui verser une somme de 1 138 890 euros TTC au titre de la garantie décennale des constructeurs, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2014 et de leur capitalisation, et de mettre à la charge in solidum de ces sociétés les frais d'expertise.

Par un jugement n° 1613463 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Paris a donné acte à la société SANEF de son désistement de ses conclusions dirigées contre la société Egis route - Scetauroute et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 14 juin 2021, 22 novembre 2022 et 20 janvier et 28 février 2023, la société SANEF, représentée par la SELARL GMR, doit être regardée comme demandant à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) à titre principal, d'ordonner une expertise permettant de déterminer les causes, l'imputabilité, l'étendue et le coût des travaux de reprise des désordres affectant les dispositifs de retenue et de condamner in solidum les sociétés Eiffage génie civil et AER à lui verser le montant déterminé par l'expert ;

3°) subsidiairement, de mettre à la charge in solidum des sociétés Eiffage génie civil et AER une somme de 1 618 965,49 euros HT au titre des travaux de reprise déjà engagés et les frais d'expertise, assortis des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2014 et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge des sociétés Eiffage génie civil et AER une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande devant le tribunal était recevable, le projet d'apport d'actifs sur lequel s'est fondé le tribunal pour retenir son défaut d'intérêt à agir ne s'étant pas concrétisé ;

- le marché n'a pas exclu l'application de la responsabilité décennale ;

- les dispositifs de retenue constituent des ouvrages entrant dans le champ de la garantie décennale ;

- les désordres dont sont affectés ces ouvrages présentent un caractère décennal ;

- ils résultent exclusivement d'un vice de conception de l'ouvrage, en raison de l'imprécision du cahier des clauses techniques particulières sur lequel les entrepreneurs auraient dû émettre des réserves ;

- elle n'a commis aucune faute ;

- les sociétés Eiffage génie civil et AER sont irrecevables à soutenir qu'elle n'a pas droit à l'indemnisation du montant du balisage ;

- le montant du balisage doit être calculé sur 145 km soit 52 294,08 euros HT ;

- la réparation des désordres implique la démolition et la reconstruction de l'ensemble des A... ;

- le chiffrage des travaux retenu par l'expert ne permet pas la réparation complète de son préjudice ;

- elle a découvert un nouveau vice d'exécution qui implique la démolition et la reconstruction des ouvrages ;

- sur des travaux seulement de reprises partielles, son préjudice est déjà presque trois fois plus élevé que le montant chiffré par l'expert, ce qui montre qu'il convient d'ordonner un supplément d'instruction relatif à la définition des travaux de reprise et à leur coût ;

- elle a droit aux intérêts à compter du 28 octobre 2014, date de saisine du juge des référés expertise, et à leur capitalisation à compter du 28 octobre 2015.

Par des mémoires en défense enregistrés les 20 octobre et 18 décembre 2022 et 10 février et 20 mars 2023, la société Eiffage TP, devenue Eiffage génie civil et la société Eiffage travaux publics équipement de la route, devenue AER, qui viennent aux droits de la société AER, représentées par la SELARL Awen avocats, concluent au rejet de la requête, subsidiairement à ce que la société Egis route - Scetauroute soit condamnée à les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre, et à ce que soit mise à la charge de la société SANEF une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la garantie décennale n'est pas applicable au marché ;

- les A... n'entrent pas dans le champ de la garantie décennale ;

- les désordres en litige ne relèvent pas de la garantie décennale ;

- ils sont imputables au maître d'œuvre, s'agissant d'un vice de conception, et aux fautes du maître d'ouvrage consistant en l'acceptation de l'utilisation d'aciers HA 12 et en un défaut d'entretien ;

- si elles étaient condamnées, elles seraient fondées à appeler en garantie la société

Egis Route - Scetauroute qui a rédigé le CCTP et choisi l'acier HA 12 ;

- la nécessité de 24 balisages n'est pas établie et le coût du balisage ne peut en tout état de cause être indemnisé dès lors qu'il est réalisé par les personnels de la société SANEF ;

- le préjudice réparable au titre des travaux de reprise ne saurait excéder le montant évoqué par le devis retenu par l'expert, la société SANEF ne justifiant pas de la nécessité de démolir et reconstruire les A... ;

- l'expertise demandée par la société SANEF est dépourvue d'utilité ;

- la fixation de la date à laquelle courent les intérêts relève du pouvoir discrétionnaire du juge et la demande d'intérêts devra être rejetée, la société SANEF étant à l'origine du délai mis par le juge pour se prononcer.

Par des mémoires en défense enregistrés les 21 novembre 2022 et 20 janvier et 22 mars 2023, la société Egis Villes et transports, venant aux droits de la société Egis Route - Scetauroute, représentée par la SELARL Dechelette avocat, conclut au rejet des conclusions d'appel en garantie présentées contre elle, subsidiairement, à la limitation de sa part de responsabilité à 20 % et du montant total de la condamnation à 623 380,92 euros HT, dans tous les cas, à la mise à la charge des sociétés Eiffage génie civil et AER d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions d'appel en garantie des sociétés Eiffage génie civil et AER sont sans objet dès lors que les conclusions aux fins de condamnation présentées par la société SANEF doivent être rejetées ;

- la société Egis Route - Scetauroute n'a commis aucune faute dès lors que les stipulations du CCTP reprennent les normes NF P 98-430 à NF P 98-433 ;

- le défaut d'entretien des A... par la société SANEF constitue une faute exonératoire, alors que la nécessité de leur entretien n'avait pas à figurer au CCTP ;

- la société AER a manqué à son devoir de conseil ;

- l'évaluation de son préjudice par la société SANEF est fantaisiste ;

- le relevé des dégradations auquel a fait procéder la société SANEF en juillet 2021 ne présente aucun caractère probant en l'absence d'explication du type de désordre relevé et de leur gravité ;

- le montant des travaux exécutés par la société SANEF correspond au remplacement des A..., et non à la reprise des A... dégradés, comme préconisé par l'expert.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Martin, représentant la société SANEF, de Me Le Port, représentant les sociétés Eiffage génie civil et AER et de Me Dechelette, représentant la société Egis Villes et transports.

Une note en délibéré, présentée pour la société SANEF, a été enregistrée le 10 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société SANEF est concessionnaire de l'Etat pour la construction, l'entretien et l'exploitation d'un réseau autoroutier comprenant, notamment, l'autoroute A29. Elle a confié à la société AER, aux droits de laquelle viennent les sociétés dénommées en dernier lieu Eiffage génie civil et AER, les marchés relatifs aux lots n° 1 et 3 pour l'installation de dispositifs de retenue dits A..., l'un signé le 7 mai 2004 concernant la section comprise entre le point kilométrique 0.00 et le point kilométrique 29.100, l'autre signé le 12 mai 2004 concernant l'installation de dispositifs de retenue sur la section comprise entre le point kilométrique 29,100 et le point kilométrique 58,400. La maîtrise d'œuvre a été confiée à la société Egis, aux droits de laquelle vient, en dernier lieu, la société Egis Villes et Transports. Les deux marchés ont été réceptionnés le 21 décembre 2004 avec effet au 29 octobre 2004. En raison du délitement de certains dispositifs de retenue, la société SANEF a demandé au tribunal le 28 octobre 2014 et le 1er septembre 2016 la désignation d'un expert, qui a remis son rapport le 15 mai 2020. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation des sociétés Eiffage génie civil et AER à l'indemniser de son préjudice et a mis les frais d'expertise à sa charge.

Sur la régularité du jugement :

2. La société SANEF produit, pour la première fois en appel, un décret du 28 août 2018 du ministre de la transition écologique et solidaire montrant qu'elle est encore titulaire de la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes approuvée par décret du 29 octobre 1990, qui inclut l'autoroute A29, ainsi qu'un extrait du registre du commerce et des sociétés du 15 juin 2021 révélant que la société SANEF Concession a été radiée le 21 décembre 2016. Elle démontre ainsi que le projet de transfert à la société SANEF Concession de ses actifs relatifs, notamment, à la convention de concession de l'autoroute A29 conclue entre elle et l'Etat et approuvée par décret du 29 octobre 1990 ne s'est pas concrétisé et qu'elle était, à la date d'introduction de sa demande de première instance, le 1er septembre 2016, titulaire de cette concession. Elle justifie, dès lors, de son intérêt à agir contre les constructeurs des dispositifs de retenue mis en place sur cette autoroute à la date d'introduction de sa demande devant le tribunal. Dans ces conditions, elle est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a retenu que ses conclusions dirigées contre les sociétés Eiffage génie civil et AER étaient irrecevables. Par suite, le jugement du tribunal administratif de Paris doit être annulé en tant qu'il a rejeté ces conclusions.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la société SANEF tendant à la condamnation des sociétés Eiffage génie civil et AER.

Sur les conclusions de la société SANEF tendant à la condamnation des sociétés Eiffage génie civil et AER :

En ce qui concerne la responsabilité décennale :

4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent

celui-ci impropre à sa destination.

S'agissant de l'application de la garantie :

5. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Eiffage génie civil et AER, il ne résulte ni des stipulations de l'article 9.5 du CCAP, relatives à la garantie de parfait achèvement, ni de celles de l'article 9.7 de ce document, qui se bornent à préciser que la production d'une assurance couvrant les responsabilités résultant des principes dont s'inspirent les articles 1792.2 et 2270 du code civil n'est pas demandée, alors que l'article L. 241-1 du code des assurances limite cette obligation aux travaux de bâtiment, que les parties au marché auraient entendu exclure l'application de la garantie décennale. Une telle clause aurait été, au demeurant, illégale.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les dispositifs de retenue, ou séparateurs A..., servent à délimiter, visuellement et mécaniquement, les deux sens de circulation de l'autoroute et sont des éléments de sécurité routière. Dans ces conditions, en admettant même qu'ils soient dissociables de l'autoroute, leur absence ou leur dégradation sont de nature à rendre celle-ci impropre à sa destination et sont susceptibles d'engager, à ce titre, la responsabilité décennale des constructeurs.

7. En dernier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise et du constat d'huissier produit par la société SANEF, que de nombreux séparateurs en béton sont fissurés, entraînant la corrosion de l'armature intérieure en fer et la chute sur la voie d'éléments de béton. Ces éléments de béton sont susceptibles de déséquilibrer les motocyclistes, ce qui n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté en défense par les sociétés Eiffage génie civil et AER. Dès lors, ce désordre présente un danger pour la sécurité des usagers de l'autoroute et est, par suite, de nature à la rendre impropre à sa destination. Il résulte également du rapport d'expertise que les fissures sont par endroits traversantes et l'acier rompu, le séparateur n'assurant plus sa fonction de chasse roue permettant de remettre sur sa trajectoire les véhicules le heurtant. L'expert retient également que ces désordres vont conduire à terme à la ruine des séparateurs. Ces appréciations, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elles seraient erronées, sont également de nature, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, à rendre l'ouvrage impropre à sa destination. Dans ces conditions, les désordres dont sont affectés les dispositifs de retenue sont susceptibles d'engager la responsabilité décennale des constructeurs.

S'agissant de l'imputabilité des désordres :

8. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que la dégradation des séparateurs de voie est liée à l'absence de joint de retrait et à l'utilisation d'une armature en fer

HA 12 qui, du fait de sa haute adhérence au béton, favorise l'apparition de ces fissures et conduit à des fissures plus larges que si une armature constituée de torons avait été utilisée. L'expert n'a pas relevé de problèmes d'exécution des travaux, alors que les cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) des lots n° 1 et 3 prévoient au VI.2.3.3 que les joints de retrait ne sont pas obligatoires, et au IV.10 l'utilisation de fers filants haute adhérence HA 12 ou tout autre produit présentant des caractéristiques permettant de respecter les niveaux de performance. Si, par ailleurs, la société SANEF soutient dans son dernier mémoire avoir identifié un problème d'exécution ayant trait notamment au mauvais positionnement du fer filant, elle ne l'établit pas. Dans ces conditions, le désordre est imputable à un défaut de conception de l'ouvrage.

9. D'une part, il résulte des stipulations du VI.2.3.3 des CCTP des lots n° 1 et 3 que le marché laissait au libre choix de l'entrepreneur la pose de joints de retrait. En décidant de proposer une offre ne prévoyant pas de tels joints, lesquels auraient permis d'éviter ou à tout le moins de limiter la corrosion des aciers, la société AER a participé à la conception de l'ouvrage. Le désordre lui est, à ce titre, imputable, sans qu'y fasse obstacle les circonstances qu'elle n'aurait pas commis de faute en ne prévoyant pas de joints de retrait et que le désordre serait également imputable à d'autres constructeurs dont la société SANEF ne recherche pas la responsabilité.

10. D'autre part, si la faute du maître d'ouvrage est susceptible d'exonérer, en tout ou partie, les constructeurs de leur responsabilité, il ne résulte pas de l'instruction que les aciers

HA 12 auraient été imposés par la société SANEF ni que le souci d'économie qu'elle aurait manifesté aurait conduit à ne pas retenir la pose de joints de retrait.

11. Il résulte en revanche de l'instruction que le traitement des fissures dès leur apparition aurait permis de limiter les désordres en évitant la corrosion des aciers. Si la société SANEF fait valoir que les A... ne nécessitent en principe quasiment aucun entretien et que le traitement des fissures excède le seul entretien de l'ouvrage, il résulte de l'instruction qu'au 1er juillet 2011, elle avait identifié de très nombreux désordres, ce qui, ainsi que le soutiennent les sociétés Eiffage génie civil et AER, implique que les premiers désordres sont apparus avant cette date. La société SANEF a toutefois attendu le 28 octobre 2014 pour saisir le juge du référé d'expertise et ne justifie pas avoir procédé au traitement des fissures avant le dépôt du rapport de l'expert le 15 mai 2020, alors qu'elle avait pu en observer les conséquences. Dès lors que, par son inaction prolongée, elle a ainsi contribué de manière importante à l'aggravation du désordre, la faute est de nature à exonérer les sociétés Eiffage génie civil et AER à hauteur de 50 % de leur responsabilité.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

12. En premier lieu, la circonstance que le balisage nécessaire à la réalisation des travaux de reprise des A... soit assuré par le personnel de la société SANEF ne fait pas obstacle à ce qu'elle en demande l'indemnisation. Le montant du devis qu'elle a présenté à ce titre en cours d'expertise, qui a été retenu par l'expert et qui n'est pas critiqué, fait état d'un coût de 2 178,92 euros HT pour 6 km de balisage. Si la société SANEF demande que ce montant soit multiplié par 24 pour prendre en compte une distance de 145 km, elle ne le justifie pas alors que les marchés des lots n° 1 et 3 portent chacun sur des tronçons de 29 km. Le tableau que la société SANEF a joint à son dire n° 9 montrant que les désordres sont répartis sur l'ensemble de ces tronçons, il sera fait une juste appréciation des besoins de balisage en les fixant à 60 km, soit 21 789,20 euros HT.

13. En deuxième lieu, la société SANEF n'indique pas en quoi les travaux de reprise préconisés par l'expert, qui ne prévoient pas l'enlèvement et le remplacement des A... mais leur réparation, ne permettraient pas d'apporter une solution pérenne aux désordres. Si, ainsi qu'il a déjà été dit, elle soutient que le mauvais positionnement du fer filant impliquerait la démolition et la reconstruction des ouvrages, elle ne l'établit pas. Ainsi, les différents chiffrages de son préjudice qu'elle a produits devant l'expert ou en cours d'instance, qui sont tous fondés sur la démolition et reconstruction des A..., ne sauraient être retenus. La société SANEF n'apporte par ailleurs aucun élément de nature à démontrer que de nouveaux désordres, liés au même vice de conception que celui mentionné au point 8, seraient apparus depuis le rapport d'expertise, ni qu'ils devraient apparaître dans un délai prévisible. Elle fait d'ailleurs état dans son dernier mémoire de 1 888 désordres alors que 1 892 étaient mentionnés devant l'expert et que la solution réparatoire préconisée par celui-ci porte sur ces 1 892 désordres. Dans ces conditions, il convient de retenir le montant de 621 202 euros HT arrêté par l'expert au titre des travaux de reprise.

14. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la société SANEF puisse se prévaloir de difficultés financières insurmontables ou de difficultés techniques majeures l'ayant empêchée de procéder aux travaux de reprise dès la remise du rapport de l'expert. En tout état de cause, elle n'indique pas dans quelle mesure le montant du préjudice retenu par l'expert devrait être actualisé. Enfin, si elle soutient que le montant retenu par l'expert n'inclut pas le coût de passation de nouveaux marchés, elle ne demande pas l'indemnisation de ce coût et ne l'évalue pas.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que le montant du préjudice de la société SANEF doit être évalué à la somme de 642 991,20 euros HT, dont 321 495,60 euros HT doivent être mis à la charge in solidum des sociétés Eiffage génie civil et AER.

En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :

16. D'une part, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. La société SANEF ayant demandé pour la première fois la condamnation de l'entrepreneur le

1er septembre 2016, elle peut prétendre aux intérêts au taux légal sur la somme de 321 495,60 euros à compter de cette date seulement.

17. D'autre part, pour l'application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. La société SANEF ayant demandé la capitalisation des intérêts pour la première fois le 22 mars 2021, date à laquelle au moins une année d'intérêts était due, elle peut prétendre à la capitalisation des intérêts à cette date et à chaque date anniversaire.

Sur les frais d'expertise :

18. En premier lieu, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge in solidum des sociétés Eiffage génie civil et AER les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 31 797 euros TTC. La société SANEF est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a mis à sa charge les frais d'expertise.

19. En second lieu, la décision par laquelle la juridiction administrative met les frais d'expertise à la charge d'une partie ayant le caractère d'une condamnation à une indemnité, au sens de l'article 1153-1 du code civil, les intérêts sur le montant des frais et honoraires de l'expert ne courent qu'à compter de la date à laquelle ils ont été fixés par la décision juridictionnelle. Par suite, la société SANEF n'est pas fondée à demander les intérêts sur cette somme avant la date du prononcé du présent arrêt, lequel fait courir de plein droit ces intérêts, sans qu'il y ait lieu d'y statuer.

Sur les conclusions d'appel provoqué des sociétés Egis génie civil et AER :

20. Il résulte de l'instruction que les prescriptions du CCTP mentionnées au point 8 reprennent celles de la norme NF P98-431 relatives aux " spécifications techniques de réalisation et de contrôle des barrières de sécurité en béton coulé en place ", et il ne résulte pas de l'instruction qu'un contexte particulier ne rendait pas pertinente l'application de cette norme pour la construction des séparateurs de béton en litige. L'expert a, en outre, fait état à plusieurs reprises du manque de recul sur ce type d'ouvrage. S'il s'est interrogé sur l'appartenance de l'Eurocode 2, adopté par le Comité Européen de Normalisation le 16 avril 2004, aux règles de l'art, il n'en a pas tiré de réelles conclusions sur la faute qu'aurait commise le rédacteur des CCTP en ne la prenant pas en compte, et les sociétés Eiffage génie civil et AER ne soutiennent d'ailleurs pas que le maître d'œuvre aurait dû le prendre en considération. Enfin, si ces sociétés citent un extrait du rapport d'expertise faisant état du caractère " trop imprécis ou vide sur des points importants comme le type d'armatures, la durée de vie de ces A... ainsi que leur entretien ", d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que le caractère imprécis du CCTP soit à l'origine des désordres en cause, d'autre part, les sociétés Eiffage génie civil et AER indiquent partager l'analyse de la société EGIS Route - Scetauroute s'agissant de la question du défaut d'entretien qui ne serait imputable qu'à la société SANEF. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le maître d'œuvre aurait commis une faute dans la conception de l'ouvrage. Par suite, les sociétés Eiffage génie civil et AER ne sont pas fondées à demander, sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle, la condamnation de la société Egis Villes et transports à les garantir de la condamnation prononcée à leur encontre.

Sur les frais du litige :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Eiffage génie civil et AER une somme de 1 500 euros chacune à verser à la société SANEF sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SANEF, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que les sociétés Eiffage génie civil et AER demandent sur ce fondement. Enfin il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par la société Egis Villes et Transports.

D É C I D E :

Article 1er : Les sociétés Eiffage génie civil et AER verseront in solidum à la société SANEF une somme de 321 495,60 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du

1er septembre 2016 et de la capitalisation des intérêts le 22 mars 2021 et à chaque date anniversaire.

Article 2 : Les frais d'expertise, d'un montant de 31 797 euros TTC, sont mis à la charge in solidum des sociétés Eiffage génie civil et AER.

Article 3 : Les articles 2, 3 et 5 du jugement n° 1613463 du 13 avril 2021 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 4 : Les sociétés Eiffage génie civil et AER verseront chacune une somme de 1 500 euros à la société SANEF en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société SANEF, à la société Eiffage génie civil, à la société AER et à la société Egis Ville et Transports.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Bruston, présidente,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

S. BRUSTON

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA03300


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03300
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRUSTON
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SELARL GMR AVOCATS - GRANGE-MARTIN-RAMDENIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;21pa03300 ?
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