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27/02/2007 | FRANCE | N°04BX00007

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 27 février 2007, 04BX00007


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 janvier et 1er mars 2004, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE, représenté par le président du conseil général en exercice, par Me Haas ;

Le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 98 / 4808 et 98 / 4819 du 9 octobre 2003, par lequel le Tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 23 octobre 1998 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande tendant au versement de la somm

e de 8 857 428,50 euros en réparation du préjudice financier subi depuis l'ann...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 janvier et 1er mars 2004, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE, représenté par le président du conseil général en exercice, par Me Haas ;

Le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 98 / 4808 et 98 / 4819 du 9 octobre 2003, par lequel le Tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 23 octobre 1998 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande tendant au versement de la somme de 8 857 428,50 euros en réparation du préjudice financier subi depuis l'année 1998 et résultant de la charge de l'allocation compensatrice pour tierce personne, à l'annulation de la décision implicite de rejet du premier ministre résultant du silence gardé sur une demande identique, et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme, majorée des intérêts légaux ;

2°) de prononcer la condamnation demandée ;

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Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 janvier 2007,

le rapport de M. Vié, premier conseiller ;

et les conclusions de M. Péano, commissaire du gouvernement ;

Considérant que le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE demande à la Cour d'annuler le jugement du 9 octobre 2003, par lequel le Tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 8 857 428,50 euros, majorée des intérêts légaux, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi, entre les années 1988 et 1996, résultant de la charge de l'allocation compensatrice pour tierce personne ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que l'article 39 de la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées a créé, pour la France métropolitaine, une allocation compensatrice pour les adultes handicapés, destinée à permettre la prise en charge des frais occasionnés par l'aide d'une tierce personne ou par l'exercice d'une activité professionnelle, tout en prévoyant que des décrets en Conseil d'Etat détermineraient les adaptations nécessaires à une mise en oeuvre dans les départements d'outre-mer ; que le décret d'application n° 77-1549 du 31 décembre 1977 a permis la mise en place de cette allocation à partir du 1er janvier 1978 sur le territoire métropolitain ; que la compétence pour l'ensemble des prestations légales d'aide sociale, dont l'allocation susmentionnée, a été transférée aux départements métropolitains en vertu de l'article 32 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 ; que le décret n° 88-124 du 5 février 1988 a étendu aux départements d'outre-mer les dispositions du décret du 31 décembre 1977 relatives à cette allocation ; qu'il résulte de ce qui précède que l'allocation compensatrice pour les adultes handicapés, si elle a fait l'objet d'un transfert de compétence de l'Etat aux départements métropolitains, n'existait pas sur le territoire du DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE avant l'intervention du décret du 5 février 1988 ; qu'elle constitue ainsi une création ou extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les charges de la collectivité territoriale et non un transfert de compétence ;

Considérant qu'aux termes de l'article 94 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 : « Les charges financières résultant pour chaque commune, département et région des transferts de compétences définis par le titre II de la présente loi et par la loi mentionnée au deuxième alinéa de l'article 4 font l'objet d'une attribution par l'Etat de ressources d'un montant équivalent. / Conformément à l'article 102 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 précitée, les ressources attribuées sont équivalentes aux dépenses effectuées, à la date du transfert, par l'Etat au titre des compétences transférées. Ces ressources assurent la compensation intégrale des charges transférées. / Pendant la période de trois ans prévue à l'article 4 de la présente loi, le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges est constaté pour chaque collectivité par arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre chargé du budget, après avis d'une commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes et comprenant des représentants de chaque catégorie de collectivité concernée. Les modalités d'application du présent alinéa, notamment en ce qui concerne la procédure de décompte et la composition de la commission, sont fixées, en tant que de besoin, par décret en Conseil d'Etat. » ;

Considérant que les dispositions précitées de l'article 94 de la loi du 7 janvier 1983 ne visent, au titre de la compensation financière qu'elles instaurent, que le cas où une compétence est transférée de l'Etat à une collectivité territoriale ; que, dès lors, les premiers juges, qui se sont expressément prononcés sur le moyen tiré de ce que le principe de compensation des transferts de charges imposés aux collectivités territoriales, prévu par l'article 94 de ladite loi, aurait été méconnu, pouvaient, sans entacher le jugement attaqué d'une irrégularité, s'abstenir de répondre au moyen, en tout état de cause inopérant, tenant à la violation du principe de compensation des charges nouvelles que ces mêmes dispositions auraient prévu ;

Considérant qu'il ne résulte d'aucun principe général du droit que les charges nouvelles imposées aux collectivités territoriales devraient être compensées à due concurrence par l'Etat ; qu'il suit de là qu'en ne répondant pas au moyen tiré de la violation d'un tel principe, le tribunal administratif n'a commis aucune irrégularité susceptible d'entraîner l'annulation du jugement attaqué ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que la loi de programme du 31 décembre 1986, relative au développement des départements d'outre-mer, St Pierre et Miquelon et Mayotte a, dans son volet social, défini l'objectif d'un rattrapage des retards par rapport à la métropole, et, par son article 12, posé le principe de réalisation progressive d'une parité sociale globale entre les départements d'outre-mer et la métropole, devant notamment se manifester par un volume de prestations sociales équivalent à celui qu'aurait assuré l'Etat en métropole à situation comparable ; que l'article 15 de cette loi a prévu que « l'extension de l'allocation compensatrice aux adultes handicapés, crée par l'article 39 de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées, n° 75-534 du 30 juin 1975 », serait « compensée dans le cadre de la dotation générale de décentralisation dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » ; que le décret n° 88-708 du 9 mai 1988, pris pour l'application de l'article 15 précité, a précisé les modalités de compensation par l'Etat de la charge financière résultant de l'extension aux départements d'outre-mer de l'allocation compensatrice, en posant que la dotation de compensation était répartie entre les départements d'outre-mer en fonction du nombre de titulaires de l'allocation aux adultes handicapés ; que, par arrêté du ministre des départements et territoires d'outre-mer en date du 18 octobre 1988, la dotation générale de décentralisation permettant de compenser les charges financières résultant du décret du 9 mai 1988 a été fixée, pour le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE, à la somme de 28 620 900 francs (4 363 228,08 euros) ; que, selon le principe posé par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, cette dotation fait ensuite l'objet d'une actualisation annuelle identique à celle de la dotation globale de fonctionnement des collectivités territoriales ;

Considérant, en premier lieu, que les dispositions susmentionnées définissent les modalités de compensation de la charge nouvelle imposée au DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE du fait de l'extension, à cette collectivité, de l'allocation compensatrice aux adultes handicapés ; qu'il est constant que de telles modalités ont été appliquées au département requérant conformément aux dispositions législatives et réglementaires ainsi précisées ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les lois n° 82-213 du 2 mars 1982 et n° 83-8 du 7 janvier 1983, doivent être regardées comme prévoyant une compensation financière, non seulement dans le cas d'un transfert de compétence, mais aussi dans le cas où une création ou une extension de compétence a pour effet d'augmenter les charges de la collectivité territoriale, est sans portée utile dans le présent litige ; qu'à supposer que le département requérant se prévale du principe d'une compensation intégrale desdites charges, tel que défini à l'article 102 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, codifié à l'article L.1614-1 du code général des collectivités territoriales, et à l'article 5 de la loi du 7 janvier 1983, ces dispositions ne concernent que les cas,

qui ne sont pas ceux de l'espèce, respectivement, d'un transfert de compétence à la collectivité territoriale, et d'une modification des règles relatives à l'exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution : « […] La loi détermine les principes fondamentaux : […] de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources […] » ; que les règles relatives aux modalités de détermination de la dotation de compensation résultant de l'extension aux départements d'outre-mer de l'allocation compensatrice aux adultes handicapés ne sont pas au nombre des principes fondamentaux régissant la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; qu'il appartenait ainsi au pouvoir réglementaire d'assurer, dans les limites prévues par la loi, la mise en oeuvre du principe de compensation de la charge nouvelle imposée aux collectivités concernés, défini par le législateur dans l'article 15 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 ; qu'en décidant, par le décret n° 88-708 du 9 mai 1988, que la dotation de compensation était répartie entre les départements d'outre-mer en fonction du nombre de titulaires de l'allocation aux adultes handicapés, le gouvernement s'est borné à mettre en oeuvre la mesure prévue par le législateur, sans empiéter sur le domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution ;

Considérant, enfin, que le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE ne fournit aucun élément de nature à établir que la règle de répartition de la dotation de compensation entre les départements d'outre-mer en fonction du nombre de titulaires de l'allocation aux adultes handicapés, telle que prévue par le décret n° 88-708 du 9 mai 1988, n'aurait pas permis d'assurer, pour l'année 1988, la compensation de la charge supplémentaire imposée à la collectivité ; qu'au titre des années postérieures à 1988, et ainsi qu'il a été dit plus haut, seules les dispositions de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, et non le décret du 9 mai 1988 critiqué, prévoient les modalités d'évolution de la dotation initiale, à l'instar des dotations consenties aux départements métropolitains ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret du 9 mai 1988 méconnaîtrait, eu égard aux règles de compensation financière qu'il précise, le principe de libre administration des collectivités territoriales d'outre-mer et le principe d'indépendance de ces mêmes collectivités prévu par l'article 74 de la Constitution ne peut être accueilli ; que le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE n'apporte aucun élément de nature à établir que, même si la dotation qui lui a été attribuée ne permet pas de compenser intégralement les dépenses qu'il a dû supporter pour l'exercice de la compétence litigieuse, il en résulterait des difficultés financières telles qu'elles seraient de nature à compromettre la libre administration du département ; que, pour les mêmes motifs qu'indiqué plus haut, le moyen tiré de ce que le décret du 9 mai 1988 entraînerait une violation du principe constitutionnel d'égalité entre collectivités locales, comme le moyen tiré de l'existence d'une rupture d'égalité entre les contribuables de Guadeloupe et ceux de métropole ne peut également qu'être rejeté ; que les différents départements d'Outre-mer étant soumis aux mêmes dispositions, aucune violation du principe d'égalité entre ces départements n'est établie ; que la situation des départements d'Outre-mer étant distincte de ceux de métropole eu égard au fait que l'allocation en litige constitue, pour les premiers, une création ou extension de compétence et non, comme pour les derniers, un transfert de compétence, le moyen tiré de la violation du principe d'égalité entre ces collectivités doit, en tout état de cause, être écarté ; qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit qui imposerait la compensation à due concurrence des charges nouvelles imposées aux collectivités territoriales ne peut qu'être écarté ; que le moyen tiré de ce que le décret du 9 mai 1988 serait illégal comme contraire à un tel principe doit, en conséquence, être également écarté ; que si le département requérant invoque, en outre, la méconnaissance de l'article 72-2 de la Constitution tel que résultant de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, de telles dispositions sont, en tout état de cause, postérieures à la période au titre de laquelle l'illégalité fautive de l'Etat est alléguée ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer au DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête du DEPARTEMENT DE LA GUADELOUPE est rejetée.

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04BX00007


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 04BX00007
Date de la décision : 27/02/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LEPLAT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc VIE
Rapporteur public ?: M. PEANO
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2007-02-27;04bx00007 ?
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