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04/12/2007 | FRANCE | N°05BX01615

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 04 décembre 2007, 05BX01615


Vu la requête, enregistrée le 8 août 2005, présentée pour M. Antoine X, demeurant ..., par Me Ludot ;

M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0304009 du 21 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 152 457, 07 euros en réparation du préjudice qu'il aurait subi pour avoir été contraint au travail obligatoire en Allemagne du 10 juillet 1943 au 21 avril 1945 ;

2°) de faire droit à sa demande présentée au tribunal administratif ;

3°) de met

tre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761 ;1 du code d...

Vu la requête, enregistrée le 8 août 2005, présentée pour M. Antoine X, demeurant ..., par Me Ludot ;

M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0304009 du 21 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 152 457, 07 euros en réparation du préjudice qu'il aurait subi pour avoir été contraint au travail obligatoire en Allemagne du 10 juillet 1943 au 21 avril 1945 ;

2°) de faire droit à sa demande présentée au tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761 ;1 du code de justice administrative ;

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Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le protocole n°1 additionnel à cette convention ;

Vu le code pénal ;

Vu la loi du 29 janvier 1831 modifiée, portant règlement du budget définitif de l'exercice 1828 et les dispositions sur la déchéance des créanciers de l'Etat, sur la division du budget des dépenses sur le sceau des titres et sur la révision des pensions extraordinaires ;

Vu la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 novembre 2007,

le rapport de M. Péano, président-assesseur;

et les conclusions de Mme Viard, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X, contraint au travail obligatoire en Allemagne du 10 juillet 1943 au 21 avril 1945, en application de lois de l'Etat français, a sollicité le 5 mars 2003 la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de ce travail forcé ; que, par décision du 24 janvier 2005, le ministre de la défense a opposé la déchéance quadriennale à sa demande ;

Considérant que le caractère imprescriptible des crimes contre l'humanité posé par l'article 213-5 du code pénal ne s'attache qu'à l'action pénale et à l'action civile engagées contre des personnes physiques devant la juridiction répressive et demeure, en l'absence de dispositions contraires, sans effet sur l'action en réparation dirigée par des particuliers contre l'Etat ; que, par suite, M. X ne peut utilement se prévaloir de ce que les actes à l'origine du préjudice qu'il invoque seraient constitutifs de crimes contre l'humanité pour soutenir qu'aucune prescription ne pouvait valablement être opposée à la créance qu'il prétend détenir à l'encontre de l'Etat ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune (…) » ; que cet article prohibe les discriminations dans la mise en oeuvre des droits garantis par la convention, au nombre desquels figure le droit à un procès équitable et au respect de ses biens rappelé par l'article 6-1 de la convention et l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention ; que l'action dirigée contre l'Etat devant la juridiction administrative n'étant pas exclusive d'une action devant la juridiction répressive, la différence de régime de prescription entre les actions engagées devant les juridictions administratives et les juridictions répressives ne crée pas de discrimination entre les individus ; que, par suite, les stipulations précitées des articles 6 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'article 1er du premier protocole additionnel, ne sauraient faire obstacle au droit de l'administration d'opposer la déchéance quadriennale à ses éventuels créanciers, lorsque celle-ci est encourue ;

Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, dans sa rédaction issue du décret du 30 octobre 1935 : « Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat (…) toutes créances qui, n'ayant pas été acquittées avant la clôture de l'exercice auquel elles appartiennent, n'auraient pu, à défaut de justifications suffisantes, être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années à partir de l'ouverture de l'exercice pour les créanciers domiciliés en Europe (…) » ; qu'aux termes de l'article 9 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée : « Les dispositions de la présente loi sont applicables aux créances nées antérieurement à la date de son entrée en vigueur et non encore atteintes de déchéance à cette même date. / Les causes d'interruption et de suspension prévues aux articles 2 et 3, survenues avant cette date, produisent effet à l'égard de ces mêmes créances » ;

Considérant que la créance dont se prévaut M. X du fait du travail obligatoire auquel il a été contraint en Allemagne est née au plus tard le 25 avril 1945, date de son retour en France ; qu'à cette date, M. X avait nécessairement connaissance de la circonstance qu'il avait travaillé sans être rémunéré ; que si, à l'appui de sa demande indemnitaire, M. X invoque également les préjudices moral et physique qu'il aurait subis du fait de son travail forcé en Allemagne, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été victime d'une blessure, d'une maladie ou d'une invalidité directement et certainement imputable au service du travail obligatoire auquel il a été astreint et que son état de santé n'aurait été consolidé qu'à une date suffisamment tardive pour faire obstacle au départ ou à l'expiration du délai de prescription fixé par les textes susrappelés ; que, dès lors, M. X ne peut être regardé comme n'ayant pas connu dans toute leur étendue avant le 31 décembre 1948 les conséquences dommageables du travail forcé auquel il a été astreint, non plus que comme ayant été dans l'impossibilité d'agir avant cette date ; que, par application des dispositions précitées de l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, la prescription était acquise le 31 décembre 1948, sauf à ce que la déchéance ait été interrompue ou suspendue ;

Considérant qu'en application de l'article 10 de la même loi du 29 janvier 1831, dans sa rédaction issue du décret du 30 octobre 1935, la déchéance n'est pas applicable aux créances dont l'ordonnancement et le paiement n'auraient pu être effectués dans les délais déterminés par le fait de l'administration ou par suite de recours devant une juridiction ; que les solutions retenues par la juridiction administrative dans des contentieux qui ne portent pas sur les créances personnelles du requérant ou les propos généraux tenus par le Président de la République, ne constituent pas un fait de l'administration au sens des dispositions précitées de l'article 10 de la loi du 28 janvier 1831 de nature à modifier ou interrompre le cours du délai de prescription ; qu'ainsi la créance dont M. X se prévaut à l'encontre de l'Etat était prescrite à la date à laquelle il a sollicité la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que le ministre de la défense ne pouvait, par sa décision du 24 janvier 2005, régulièrement opposer l'exception de prescription à la créance dont il se prévaut à l'encontre de l'Etat et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à M. X la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. X est rejetée.

3

05BX01615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 05BX01615
Date de la décision : 04/12/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DUDEZERT
Rapporteur ?: M. Didier PEANO
Rapporteur public ?: Mme VIARD
Avocat(s) : LUDOT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2007-12-04;05bx01615 ?
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