La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/06/2016 | FRANCE | N°14BX01013

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre (formation à 3), 16 juin 2016, 14BX01013


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral, une somme de 766 929,32 euros en réparation de son préjudice matériel ainsi qu'une somme de 33 500 euros en remboursement de frais de justice consécutifs aux décisions entachées d'illégalité par lesquelles la commission départementale d'aménagement foncier de la Gironde a refusé de lui réattribuer des terrains à bâtir qui figuraient parmi ses

parcelles d'apport, lors des opérations de remembrement rural de la commune de S...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral, une somme de 766 929,32 euros en réparation de son préjudice matériel ainsi qu'une somme de 33 500 euros en remboursement de frais de justice consécutifs aux décisions entachées d'illégalité par lesquelles la commission départementale d'aménagement foncier de la Gironde a refusé de lui réattribuer des terrains à bâtir qui figuraient parmi ses parcelles d'apport, lors des opérations de remembrement rural de la commune de Saint-Sauveur de Puynormand.

Par un jugement n° 1201660 du 4 février 2014, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à verser à M. B...la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 31 mars 2014, 28 septembre 2015 et 21 octobre 2015, M.B..., représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 février 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral, une somme de 520 000 euros en réparation de son préjudice matériel, une somme de 446 772,03 euros en réparation de son préjudice économique ainsi qu'une somme de 35 000 euros en remboursement des frais de justice qu'il a dû exposer.

Il soutient que :

- le défaut de restitution matérielle de ses terrains depuis le 16 juin 2004 est notamment le fait de l'Etat qui a implicitement rejeté ses demandes de juin 2012 et du 6 mars 2014 tendant au concours de la force publique pour faire exécuter la décision ordonnant la démolition des maisons implantées sur ses parcelles ; le courrier du préfet de la Gironde en date du 7 mars 2013 confirme qu'il avait requis du sous-préfet de Libourne le 15 juin 2012 le concours de la force publique en vue de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 11 mai 2012 ordonnant la démolition des ouvrages édifiés par les consorts A...etE... sur ses terrains ;

- l'opération immobilière qu'il projetait de réaliser n'a pu être menée à bien du fait de la faute commise par l'Etat en prenant une décision illégale de remembrement ; il avait obtenu des certificats d'urbanisme pour le terrain dont il a été illégalement spolié et a justifié d'un contrat conclu avec un constructeur ; l'Etat doit l'indemniser du préjudice matériel résultant directement de la spoliation de son terrain et de la perte des revenus que l'opération immobilière allait lui rapporter ; l'Etat n'est pas exonéré de sa responsabilité par l'indemnisation de l'emprise par les consorts E...etA... ;

- il s'est vu délivrer le 18 juillet 2011 un permis de construire sur les parcelles n° 199 et n° 201 ; ses terrains étant illégalement occupés, il n'a pu y avoir accès et son permis de construire est désormais caduc ; si le concours de la force publique lui avait été attribué, il serait entré en possession de ses terrains et aurait pu en disposer ;

- il a été abusivement privé de son droit de propriété et a subi un préjudice moral ;

- il a subi un préjudice matériel constitué par les pertes de loyers des logements qu'il envisageait de construire en 1999 et qui s'élève, au titre de la période comprise entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2015, à 446 772,03 euros ; il a également subi une perte de 520 000 euros représentant la valeur des quatre maisons qu'il aurait pu édifier sur ses terrains ; à ces sommes, il convient d'ajouter la somme de 35 000 euros au titre de ses frais de procès devant les juridictions administratives et civiles.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 septembre 2015 et le 15 octobre 2015, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la demande indemnitaire du requérant sur le fondement du refus de concours de la force publique est irrecevable en l'absence de demande préalable indemnitaire fondée sur cette cause juridique, d'une part, de chiffrage du préjudice du fait du refus du concours de la force publique, d'autre part, et que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 16 mars 2016, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 29 avril 2016.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marianne Pouget,

- les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., représentant M.B....

Considérant ce qui suit :

1. Par jugements des 21 avril 2001 et 16 octobre 2003, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé successivement la décision implicite par laquelle la commission d'aménagement foncier du département de la Gironde a rejeté la réclamation formée par M. B... le 21 août 1998 lors des opérations de remembrement sur le territoire de la commune de Saint-Sauveur de Puynormand et qui tendait à la réattribution au requérant de la partie de la parcelle anciennement cadastrée AB n° 543 attribuée à Mme F...et la décision du 12 avril 2002 de la commission procédant à la réattribution partielle des parcelles d'apport dans des conditions méconnaissant l'article L. 123-1 du code rural et de la pêche maritime et l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif. M. B...a ultérieurement demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une somme de 900 429,32 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices que lui ont causés ces opérations d'aménagement foncier. Par jugement du 4 février 2014, le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à M. B...la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et rejeté le surplus de sa demande. M. B...relève appel de ce jugement et demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 101 772,03euros.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

2. Il résulte de l'instruction que M. B...fonde son action en responsabilité contre l'Etat sur la faute commise par ce dernier dans le cadre des opérations d'aménagement foncier susmentionnées et non sur le refus de concours de la force publique qui a été opposé à ses demandes. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, tirée de ce que M. B...n'aurait pas préalablement sollicité l'indemnisation des préjudices, au demeurant non chiffrés, qu'il aurait subis du fait du refus de concours de la force publique, ne peut, en tout état de cause, qu'être écartée.

Sur la responsabilité de l'Etat :

3. Les décisions de la commission départementale d'aménagement foncier de la Gironde annulées pour excès de pouvoir à la demande de M. B...sont entachées d'une illégalité constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers le requérant. Il résulte de l'instruction que l'intégralité de la parcelle anciennement cadastrée AB n° 543 a été restituée à M. B...par une décision de la commission départementale d'aménagement foncier du 16 juin 2004. Toutefois, M. B...n'a pas retrouvé la jouissance de son terrain dans son état initial en raison de l'emprise partielle de deux maisons d'habitation que les acquéreurs de la parcelle, entretemps divisée par Mme F...en deux lots à bâtir, y ont édifiées. Ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les effets préjudiciables des décisions de la commission sur les biens propres de M. B...se sont poursuivis après le 16 juin 2004, date à laquelle il a, certes, été réintégré dans son droit de propriété, mais non dans la jouissance complète de ses biens, en dépit d'un jugement du Tribunal de grande instance de Libourne du 20 mars 2008, confirmé par une décision de la Cour d'appel de Bordeaux du 11 mai 2012 ayant condamné les propriétaires des deux maisons à la démolition des parties de ces constructions irrégulièrement implantées sur la parcelle AB n° 543. En effet, M. B...n'a toujours pas à ce jour, malgré ses diligences, retrouvé la jouissance de son terrain, le préfet de la Gironde ayant refusé de lui prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel qu'il avait sollicité dès le 15 juin 2012 et le règlement amiable du conflit opposant M. B...à Mme F... et aux propriétaires des maisons initié pas le préfet ayant échoué. Par suite, la responsabilité de l'Etat se trouve engagée sans interruption depuis le 1er avril 1999, date de clôture des opérations de remembrement.

Sur les préjudices :

4. Ainsi qu'il a été dit au point 2, M. B...a été privé à compter de 1999 de la jouissance d'une partie de la parcelle AB n° 543 qui présente le caractère de terrain à bâtir. Si le requérant prétend avoir été privé du fait de cette dépossession du bénéfice attendu tant en capital qu'en revenus locatifs d'une opération de promotion immobilière consistant en la construction puis en la location de quatre logements, il n'apporte aucun élément suffisamment probant de nature à établir qu'il avait réellement eu l'intention de construire avant sa première demande tendant à la réattribution de ses apports ni que cette opération était possible, notamment au regard des règles d'urbanisme applicables à sa parcelle. Si le requérant se prévaut à cet égard de la délivrance de deux certificats d'urbanisme opérationnels, il ne les produit pas. Par suite, et dès lors que la perte de chance de réaliser l'opération immobilière n'est pas démontrée, ce préjudice doit être regardé comme purement éventuel et la demande de l'intéressé tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser, dans le dernier état de ses écritures, la somme de 966 772,03 euros en réparation de son préjudice matériel ne peut qu'être rejetée.

5. En revanche, il résulte de l'instruction que M. B...n'a pu librement disposer de son bien, notamment en vue d'y édifier des constructions alors qu'il avait obtenu le 18 juillet 2011 un permis de construire pour un projet à réaliser sur la parcelle litigieuse. Alors même qu'elle ne concerne qu'une surface limitée de la parcelle de M.B..., l'emprise des constructions édifiées par les acheteurs de Mme F...porte néanmoins gravement atteinte à son droit de propriété dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'elle fait obstacle à ce qu'il puisse accéder au reste du terrain du requérant qui se trouve enclavé par l'effet des opérations de division foncière et y construire un bâtiment disposant d'un accès à la voie publique. Si M. B...a déjà obtenu du juge judiciaire l'allocation d'une somme de 6 000 euros mise à la charge des propriétaires des maisons implantées sur sa parcelle, cette somme ne saurait être regardée comme l'indemnisant du préjudice pour perte de jouissance imputable à l'Etat. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice pour la période du 1er avril 1999 jusqu'à la date du présent arrêt, en condamnant l'Etat à verser à M. B...une indemnité de 50 000 euros.

6. En allouant à M. B...une indemnité de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, le tribunal n'a pas fait une évaluation insuffisante de son préjudice. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande d'indemnisation supplémentaire présentée par l'intéressé à ce titre.

7. Enfin, si M. B...demande en appel une somme de 33 500 euros au titre de l'indemnisation des frais de justice qu'il a engagés, il ne justifie pas que de telles dépenses sont demeurées à sa charge alors que les juridictions qu'il a dû saisir lui ont alloué une somme au titre de ses frais de procès.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...est seulement fondé à demander que la somme que l'Etat est condamné à lui verser soit portée de 10 000 euros à 60 000 euros.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à M. B...une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er: La somme que l'Etat est condamné à verser à M. B...est portée de 10 000 euros à 60 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 février 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B...et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme Marianne Pouget, président-assesseur,

Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 16 juin 2016.

Le rapporteur,

Marianne PougetLe président,

Philippe PouzouletLe greffier,

Florence Deligey La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

''

''

''

''

2

N° 14BX01013


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 14BX01013
Date de la décision : 16/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Remembrement foncier agricole.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Marianne POUGET
Rapporteur public ?: Mme MUNOZ-PAUZIES
Avocat(s) : GUDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 06/09/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-06-16;14bx01013 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award