La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/03/2018 | FRANCE | N°18BX00022

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 13 mars 2018, 18BX00022


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée sous le n° 1500782, M. A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 12 septembre 2014 par laquelle la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a rejeté sa demande de rectification de sa pension de retraite et refusé de retirer la décision du 20 décembre 2006 par laquelle cette même autorité a refusé son admission à la retraite avec jouissance immédiate ou, à défaut, de saisir avant dire droit la Cour de justice de l'Union européenne de diverses questions prÃ

©judicielles. Par une requête, enregistrée sous le n° 1601010, M. A...a d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée sous le n° 1500782, M. A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 12 septembre 2014 par laquelle la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a rejeté sa demande de rectification de sa pension de retraite et refusé de retirer la décision du 20 décembre 2006 par laquelle cette même autorité a refusé son admission à la retraite avec jouissance immédiate ou, à défaut, de saisir avant dire droit la Cour de justice de l'Union européenne de diverses questions préjudicielles. Par une requête, enregistrée sous le n° 1601010, M. A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 149 455 euros, augmentés des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ou, à défaut, de saisir avant dire droit la Cour de justice de l'Union européenne de diverses questions préjudicielles.

Il a également demandé au tribunal administratif de Toulouse de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'indépendance et d'impartialité énoncés par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article L. 121-4 du code de justice administrative dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Par un jugement n° 1500782, 1601010 du 31 octobre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité susmentionnée, donné acte à M. A...de son désistement de la requête n° 1500782 et rejeté la requête n° 1601010.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2018, M.A..., représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté la requête n° 1601010 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros au titre du retard dans l'admission à la retraite anticipée et la somme de 50 000 euros au titre des bonifications capitalisées pour enfants ;

3°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles exposées en première instance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a, en se bornant à reprendre les solutions adoptées par le Conseil d'Etat dans des décisions antérieures, porté atteinte à son droit à un recours effectif ;

- la décision du Conseil d'Etat n° 372426 du 27 mars 2015 a été rendue par une formation de jugement ne garantissant pas l'impartialité de la juridiction, dénature la portée de l'arrêt C-173/13 du 17 juillet 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne et méconnaît l'interdiction de procéder à des discriminations entre hommes et femmes ;

- les fautes ainsi commises engagent la responsabilité de l'Etat ;

- la méconnaissance, par la législation et la réglementation française applicables au droit à la retraite anticipée des pères de trois enfants et au droit des intéressés au bénéfice des bonifications se rapportant à chacun des enfants, de l'interdiction de procéder à des discriminations entre hommes et femmes consacrée par le droit de l'Union européenne engage la responsabilité de l'Etat ;

- la cour ne peut retenir que la législation française ne méconnaît pas le droit de l'Union sans saisir la Cour de justice de l'Union européenne des diverses questions préjudicielles sollicitées ;

- la cour ne peut reprendre l'analyse de la compatibilité de la législation française en litige avec l'interdiction de procéder à des discriminations entre hommes et femmes consacrée par le droit de l'Union européenne énoncée par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 372426, sans méconnaître elle-même le droit du requérant à un recours effectif devant un tribunal impartial.

Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2018, M.A..., représenté par MeC..., demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;

- la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;

- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;

- le décret n° 2010-1741 du 30 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 3 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...)5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 ou la charge des dépens. (...) Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d'une décision juridictionnelle frappée d'appel, les requêtes dirigées contre des ordonnances prises en application des 1° à 5° du présent article ainsi que, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement. "

2. M.A..., fonctionnaire territorial et père de quatre enfants nés avant le 1er janvier 2004, a demandé son admission anticipée à la retraite avec jouissance immédiate du droit à pension, à compter du 2 mai 2007, sur le fondement des dispositions du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Cette demande a été rejetée par une décision du 20 décembre 2006 de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. M. A... a toutefois été admis à la retraite anticipée, à compter du 2 octobre 2007, sur le fondement des dispositions du 4° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite et sans le bénéfice des dispositions du b de l'article L. 12 du même code relatives à la bonification pour enfant.

3. Par un jugement en date du 11 avril 2013, confirmé par un arrêt n° 13BX01555 du 26 juin 2015 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté les conclusions indemnitaires de M. A...tendant à la réparation du préjudice résultant de l'application qui lui a été faite par l'administration de certaines dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite. M. A...a demandé le 28 juillet 2015 au ministre de la justice de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis résultant de la violation des principes d'impartialité et de protection juridictionnelle effective par le Conseil d'Etat. Par décision du 7 octobre 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande indemnitaire. M. A...a saisi le tribunal administratif de Toulouse de conclusions à fin d'annulation de la décision du 12 septembre 2014 par laquelle la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a rejeté sa demande de rectification de sa pension de retraite et refusé de retirer sa précédente décision du 20 décembre 2006 d'une part, et de conclusions tendant à ce que le tribunal saisisse la Cour de justice de l'Union européenne de diverses questions préjudicielles et lui accorde l'indemnisation demandée d'autre part. M. A...a également saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le requérant s'étant désisté de son recours en excès de pouvoir enregistré sous le n° 1500782, le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 31 octobre 2017, lui a donné acte de son désistement de la requête n° 1500782 et a rejeté l'ensemble de ses autres demandes enregistrées sous le n° 1601017. M. A...relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa requête n° 1601017.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé... ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) / La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat (...) dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. "

5. Le requérant fait valoir que les dispositions de l'article L. 121-4 du code de justice administrative, selon lesquelles, dans leur rédaction contestée : " Les conseillers d'Etat en service extraordinaire sont nommés par décret pris en conseil des ministres, sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, et sont choisis parmi les personnalités qualifiées dans les différents domaines de l'activité nationale. / Ils siègent à l'assemblée générale et peuvent être appelés à participer aux séances des autres formations administratives. / Les conseillers d'Etat en service extraordinaire ne peuvent être affectés à la section du contentieux. " portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en tant qu'elles limitent aux seuls conseillers d'Etat en service extraordinaire l'interdiction d'être affectés à la section du contentieux. Toutefois, le juge de première instance et d'appel de la juridiction administrative ne statue pas en application des décisions du Conseil d'Etat. Dès lors il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qui porte sur des dispositions inapplicables au présent litige, au sens et pour l'application du 1° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

6. Pour rejeter, par le jugement attaqué, les demandes de M.A..., le tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur les motifs repris aux points 7 à 23 suivants :

7. Les droits du fonctionnaire relatifs aux modalités de liquidation de sa pension ne sont appréciés qu'à la date de l'admission à la retraite et sur la base de la législation en vigueur à cette date. Ainsi, les droits de M. A...relatifs à l'application des dispositions de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraites doivent être légalement appréciés à la date du 2 octobre 2007.

8. Si M. A...invoque des moyens fondés sur la méconnaissance de dispositions du droit de l'Union européenne et du droit de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par les articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite qui prévoient un dispositif de retraite anticipée, ces moyens sont inopérants à l'encontre de la décision du 12 septembre 2014 de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales relative au bénéfice de la bonification au titre de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite dès lors que le requérant a été admis à la retraite le 2 octobre 2007.

9. Conformément aux termes de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction de la loi du 21 août 2003 applicable au litige : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après : (...) b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt-et-unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l'article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification fixée à un an, qui s'ajoute aux services effectifs, à condition qu'ils aient interrompu leur activité dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (...) ". En vertu des dispositions du 1° de l'article R. 13 du même code, dans sa version applicable au litige, le bénéfice des dispositions précitées du b de l'article L. 12 du même code est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans.

10. Aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail (...). 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le principe d'égalité des rémunérations s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins sur la base de critères non fondés sur le sexe dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre. Par un arrêt du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel de la cour administrative d'appel de Lyon, a estimé que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de bonification de pension tel que celui résultant des dispositions des articles L. 12 et R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu'elles prévoient la prise en compte du congé de maternité dans les conditions ouvrant droit à l'octroi de la bonification en cause, introduirait une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire à cet article. Elle a cependant rappelé que, s'il lui revenait de donner des " indications " " de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ", il revient exclusivement au juge national, seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par de tels facteurs objectifs.

11. Si pendant son congé de maternité, la femme fonctionnaire ou militaire conserve légalement ses droits à avancement et à promotion et qu'ainsi la maternité est normalement neutre sur sa carrière, il ressort néanmoins de l'ensemble des pièces produites devant le juge du fond et des données disponibles qu'une femme ayant eu un ou plusieurs enfants connaît, de fait, une moindre progression de carrière que ses collègues masculins et perçoit en conséquence une pension plus faible en fin de carrière. Les arrêts de travail liés à la maternité contribuent à empêcher une femme de bénéficier des mêmes possibilités de carrière que les hommes. De plus, les mères de famille ont dans les faits plus systématiquement interrompu leur carrière que les hommes, ponctuellement ou non, en raison des contraintes résultant de la présence d'un ou plusieurs enfants au foyer. Le niveau de la pension ainsi constaté des femmes ayant eu des enfants résulte d'une situation passée, consécutive à leur déroulement de carrière, qui ne peut être modifiée au moment de la liquidation. Cette bonification n'a pas pour objet et ne pouvait avoir pour effet de prévenir les inégalités sociales dont ont été l'objet les femmes mais de leur apporter, dans une mesure jugée possible, par un avantage de retraite assimilé à une rémunération différée au sens de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une compensation partielle et forfaitaire des retards et préjudices de carrière manifestes qui les ont pénalisées.

12. Par la loi du 21 août 2003, le législateur a modifié les dispositions sur le fondement desquelles ont été prises les dispositions litigieuses, en ne maintenant le bénéfice automatique de la bonification que pour les femmes fonctionnaires et militaires mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004. Ce faisant, le législateur a entendu maintenir à titre provisoire, en raison de l'intérêt général qui s'attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu'aurait la suppression des dispositions du b de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, ces dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître.

13. Dans ces conditions, la différence de traitement dont bénéficient indirectement les femmes mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004 par le bénéfice systématique de la bonification pour enfant tel qu'il découle de la prise en compte du congé maternité, en application des dispositions combinées du b de l'article L. 12 et de l'article R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, est objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale, qu'elle est propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet. Par suite, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe d'égalité tel que défini à l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Elles ne méconnaissent pas non plus le principe de non discrimination inscrit à l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ni le principe d'égalité entre hommes et femmes inscrit à l'article 23 de la même charte ni celui de confiance légitime. Elles ne sont, enfin, pas contraires au principe du droit à un procès équitable ;

14. M. A...n'établit pas, et ne soutient pas, avoir interrompu ou réduit son activité dans les conditions prévues par les dispositions des articles R. 13 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite précitées. Il résulte de ce qui est dit aux points 3 à 9 qu'il n'est donc pas fondé à soutenir que la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales aurait illégalement refusé de procéder à la révision de sa pension de retraite pour tenir compte du dispositif de bonification pour enfants.

15. Pour établir la responsabilité de l'Etat, M. A...soutient d'une part que le code des pensions civiles et militaires de retraite est contraire au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et aux principes de non discrimination et d'égalité entre les hommes et les femmes inscrits dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qui concerne la bonification pour enfants et le départ anticipé à la retraite.

16. S'agissant du dispositif de bonification pour enfants, pour demander la condamnation de l'Etat résultant de l'impossibilité de bénéficier de la bonification pour enfants, M. A...se fonde sur la discrimination indirecte liée au sexe qui aurait été introduite par les dispositions nationales, incompatibles avec les normes communautaires, et plus particulièrement avec l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et avec la position de la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 17 juillet 2014, Leone. Il soutient que la notion de discrimination indirecte liée au sexe a été entendue comme l'application de règles différentes à des situations comparables, ou de la même règle à des situations différentes, et qui, bien que formulées de façon neutre, désavantagent en fait très nettement l'un des sexes, à moins que ces différences de traitement soient justifiées objectivement et que tel n'est pas le cas des dispositions nationales applicables. Il présente ainsi des conclusions pécuniaires tendant à la révision de sa pension.

17. Aux termes de l'article 1355 du code civil : " L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. ". L'autorité de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause. Dans le présent litige, il résulte de l'instruction que la condamnation de l'Etat à nouveau sollicitée par le requérant a le même objet et repose sur les mêmes fondements et les mêmes moyens que ceux de ses précédents recours rappelés au point 2 (du jugement). Si l'intéressé invoque la circonstance d'un changement intervenu dans les circonstances de droit résultant de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 17 juillet 2014, Leone, il résulte de l'arrêt N° 13BX01555 du 26 juin 2015 que la cour a rejeté sa requête en s'appuyant sur la solution dégagée par cet arrêt. L'autorité de chose jugée qui s'attache à cette décision de justice et aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire fait obstacle à ce que l'intéressé puisse à nouveau solliciter la révision de sa pension pour prendre en compte la bonification pour enfant. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 9 (du jugement) que, contrairement à ce que soutient M.A..., le législateur n'a pas méconnu le droit de l'Union européenne.

18. S'agissant du dispositif de retraite anticipée, aux termes du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - La liquidation de la pension intervient : (...) 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Sont assimilées à l'interruption d'activité mentionnée à l'alinéa précédent les périodes n'ayant pas donné lieu à cotisation obligatoire dans un régime de retraite de base, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Sont assimilés aux enfants mentionnés au premier alinéa les enfants énumérés au II de l'article L. 18 que l'intéressé a élevés dans les conditions prévues au III dudit article ". En vertu des I et II de l'article R. 37 du même code, applicable au litige, le bénéfice des dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 24 est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans. Par l'arrêt déjà cité du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a estimé, conformément à cette jurisprudence, que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de départ anticipé à la retraite tel que celui résultant des dispositions des articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu'elles prévoient la prise en compte du congé maternité dans les conditions ouvrant droit au bénéfice en cause introduirait également une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire à cet article.

19. Cependant, ainsi qu'il a été dit au point 7 du jugement, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que, s'il lui revenait de donner des indications de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer, il revient exclusivement au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par de tels facteurs objectifs. Le législateur a modifié les dispositions sur le fondement desquelles a été prise la décision attaquée, en procédant à une extinction progressive de la mesure pour les parents de trois enfants. Ce faisant, le législateur a entendu non pas prévenir les inégalités de fait entre les hommes et les femmes fonctionnaires et militaires dans le déroulement de leur carrière et leurs incidences en matière de retraite telles qu'exposées au point 8, mais compenser à titre transitoire ces inégalités normalement appelées à disparaître.

20. Dans ces conditions, la disposition litigieuse relative au choix d'un départ anticipé avec jouissance immédiate, prise dans le but d'offrir, dans la mesure du possible, une compensation des conséquences de la naissance et de l'éducation d'enfants sur le déroulement de la carrière d'une femme, en l'état de la société française d'alors, a été objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale. Elle était propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet même si, comme le fait valoir M.A..., peu de pères ont demandé le bénéfice de cette mesure. Par suite, elle ne méconnaît pas le principe d'égalité des rémunérations tel que défini à l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Elle ne méconnaît donc pas non plus le principe de non discrimination inscrit à l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ni le principe d'égalité entre hommes et femmes inscrit à l'article 23 de la même charte ni celui de confiance légitime. Elle n'est enfin pas contraire au principe du droit à un procès équitable ;

21. En l'absence d'illégalité fautive, M. A...n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat au titre d'un manquement à ses obligations en matière de respect des conventions internationales par les lois et règlements.

22. D'autre part, M. A...soutient que la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait de l'application par les juridictions administratives des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite incriminées en violation de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Cependant, ainsi qu'il a été démontré aux points 6 à 10 et 15 à 17 (du jugement), ces articles ne méconnaissent pas le principe de non-discrimination protégé par les traités de l'Union européenne. Ainsi c'est à bon droit que les décisions juridictionnelles par lesquelles il a été statué sur la demande de l'intéressé en ont fait application.

23. M. A... soutient également que la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait que les juridictions administratives se sont abstenues de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la méconnaissance par les dispositions des articles L. 12 et R. 13 précités de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Cependant, il résulte des considérations retenues aux points 6 à 10 et 15 à 17 (du jugement) que la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne n'était pas nécessaire pour statuer sur les demandes de l'intéressé. Ainsi, en ne posant pas les questions préjudicielles que le requérant invoque, les juridictions saisies n'ont pas méconnu les stipulations de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni méconnu leur droit à un procès équitable.

24. Il y a lieu, par adoption des motifs ainsi reproduits du jugement attaqué, pertinemment énoncés par le tribunal, d'écarter les mêmes moyens exposés par M. A...dans sa requête d'appel.

Sur les autres moyens :

25. Il résulte des motifs exposés aux points 10 à 13 ci-dessus, et notamment au point 10 du présent arrêt qui se réfère aux points 56 et 89 de l'arrêt " Leone " de la Cour de justice, que l'office du juge national, seul compétent pour apprécier les faits et interpréter la législation nationale, ne nécessite pas, en l'espèce, le renvoi à la Cour de justice d'une nouvelle question préjudicielle, compte tenu de l'interprétation du droit européen fournie par cette dernière.

26. M. A...invoque une violation par le Conseil d'Etat du principe d'indépendance et d'impartialité prévu par les articles 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et soutient que la composition de la formation de jugement par laquelle l'Assemblée du Conseil d'Etat a rendu sa décision n° 372426 du 27 mars 2015 était irrégulière, au motif que plus de la moitié de ses membres auraient participé aux séances des formations administratives chargées d'examiner les projets de lois portant réforme des retraites de 2003 et 2010 et les projets de décrets d'application de ces lois. Il soutient, en outre, que le Conseil d'Etat a, ce faisant, dénaturé la portée de l'arrêt de l'arrêt C-173/13 Leone du 17 juillet 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne. Toutefois ni les motifs du jugement attaqué ni ceux du présent arrêt ne résultent de l'application de la décision du Conseil d'Etat, relative à un autre agent public, et que M. A...critique. Ainsi, les conditions dans lesquels le Conseil d'Etat a statué le 27 mars 2015 et les motifs comme le dispositif de la décision prise alors par ledit Conseil d'Etat sont sans incidence sur le présent litige.

27. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de nouvelles questions préjudicielles, que la requête de M. A...est manifestement dépourvue de fondement et peut dès lors être rejetée selon la procédure prévue par les dispositions précitées du dernier alinéa de l'article L. 222-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice présentées par M. A...doivent également être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A....

Fait à Bordeaux, le 13 mars 2018.

Le président de la 4ème chambre,

Philippe Pouzoulet

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

10

No 18BX00022


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 18BX00022
Date de la décision : 13/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MADIGNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-03-13;18bx00022 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award