La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/11/2018 | FRANCE | N°16BX01383

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 16 novembre 2018, 16BX01383


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Eurl Crouzil a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Toutens à lui verser la somme de 12 016 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière du marché de construction de deux maisons individuelles jumelées dans le lotissement " Les coteaux de Saint-Pierre ", augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2012.

Par un jugement n° 1205133 du 24 février 2016, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commu

ne de Toutens à verser à la société Crouzil la somme de 11 308 euros augmentée des in...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Eurl Crouzil a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Toutens à lui verser la somme de 12 016 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière du marché de construction de deux maisons individuelles jumelées dans le lotissement " Les coteaux de Saint-Pierre ", augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2012.

Par un jugement n° 1205133 du 24 février 2016, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune de Toutens à verser à la société Crouzil la somme de 11 308 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2012.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 avril 2016, la commune de Toutens, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 24 février 2016 ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de l'Eurl Crouzil le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a estimé à tort qu'elle avait entaché la procédure d'irrégularité en procédant sans consultation préalable des candidats à une rectification des prix proposés par ces derniers d'une part et que ces modifications ne reposeraient sur aucune justification d'autre part : non seulement les offres ont été réajustées afin, aux termes du rapport d'analyse des offres du 5 juin 2012, " d'obtenir des offres similaires et scrupuleusement conformes au CCTP " mais, en outre, les offres qui ont été retenues sont celles qui ont été analysées le 5 juillet 2012, soit après la négociation menée avec chacun des candidats le 20 juin 2012 ;

- le tribunal a estimé à tort qu'elle avait manqué à ses obligations de transparence en décidant d'entrer en phase de négociation avec les candidats alors que les documents de la consultation ne prévoient pas cette faculté dès lors que le maître d'oeuvre a eu recours à la négociation avec les deux candidats ; les intérêts de l'Eurl Crouzil n'ont donc pas été lésés ;

- le tribunal a estimé à tort que l'Eurl Crouzil avait une chance sérieuse d'emporter le marché ; compte tenu du très faible écart de prix entre les offres des deux entreprises, la commune a pris le parti de retenir celle de la société Nérocan Bâtiment dont le devis, contrairement à celui de l'Eurl Crouzil, ne comportait aucune réserve sur les fondations ;

- l'indemnité allouée par le tribunal sur la base du seul document établi par l'expert comptable de l'Eurl Crouzil, est contestable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2016, l'Eurl Crouzil, représentée par Me C...B..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de commune de Toutens à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la commune de Toutens ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 8 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 9 mai 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marianne Pouget,

- les conclusions de Mme. Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant la commune de Toutens, et de Me C... B..., représentant l'Eurl Crouzil.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis publié le 26 avril 2016, la commune de Toutens a lancé une consultation en vue de l'attribution d'un marché de construction de deux maisons individuelles jumelées dans le lotissement " Les coteaux de Saint-Pierre " selon une procédure adaptée, conformément aux articles 28 et 30 du code des marchés publics. L'Eurl Crouzil a sollicité l'annulation du marché ainsi que l'indemnisation du préjudice découlant de son éviction irrégulière. Par jugement du 24 février 2016, dont la commune relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à sa demande tendant à l'annulation du marché et a condamné la commune de Toutens à lui verser la somme de 11 308 euros en réparation de son préjudice résultant de son éviction irrégulière, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2012, date de réception de la demande préalable .

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

2. Aux termes de l'article 1er du code des marchés publics : " (...) II.- Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code. (...) " . Selon l'article 28 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque leur valeur estimée est inférieure aux seuils mentionnés au II de l'article 26, les marchés de fournitures, de services ou de travaux peuvent être passés selon une procédure adaptée, dont les modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat. / Le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant présenté une offre. Cette négociation peut porter sur tous les éléments de l'offre, notamment sur le prix. / Pour la détermination de ces modalités, le pouvoir adjudicateur peut s'inspirer des procédures formalisées prévues par le présent code, sans pour autant que les marchés en cause ne soient alors soumis aux règles formelles applicables à ces procédures. En revanche, s'il se réfère expressément à l'une des procédures formalisées prévues par le présent code, le pouvoir adjudicateur est tenu d'appliquer les modalités prévues par le présent code. (...) " . L'article 42 dudit code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose : " Les marchés et accords-cadres passés après mise en concurrence font l'objet d'un règlement de la consultation qui est un des documents de la consultation. Ce règlement est facultatif si les mentions qui doivent y être portées figurent dans l'avis d'appel public à la concurrence. / Pour les marchés passés selon une procédure adaptée, le règlement de la consultation peut se limiter aux caractéristiques principales de la procédure et du choix de l'offre. "

3. Si le pouvoir adjudicateur décide, s'agissant d'un marché passé selon une procédure adaptée, de recourir à la négociation, le principe de transparence des procédures impose qu'il en informe les candidats potentiels dès le début de la procédure, dans l'avis public d'appel à la concurrence ou dans les documents de la consultation, ou à tout le moins qu'il précise, dans l'un de ces documents, qu'il se réserve la possibilité de négocier.

4. Il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté par la commune que le maître d'oeuvre a eu recours après la remise des offres à la négociation avec les deux entreprises candidates alors que ni l'avis d'appel à la concurrence, ni le règlement de la consultation ne mentionnaient que le pouvoir adjudicateur entendait recourir à la négociation ou se réservait une telle possibilité. Par suite, le recours à la négociation dans de telles conditions entache la procédure d'attribution du marché d'irrégularité.

En ce qui concerne l'indemnisation de la société Crouzil :

5. En premier lieu, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure dont il a été évincé, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier quelle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation.

6. Ainsi qu'il a été dit au point 4, la commune a entaché d'irrégularité la procédure et méconnu le principe de transparence en ayant eu recours à la négociation alors que cette faculté n'était pas prévue par les documents de la consultation. Contrairement à ce que soutient la commune, cette faute a eu des conséquences sur l'attribution du marché à l'entreprise concurrente dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'écart de prix entre les deux offres, de l'ordre de 19 000 euros avant négociation, a été ramené après la phase de négociation, du fait principalement du nouveau devis proposé par l'entreprise Nérocan Bâtiment, à environ 1 000 euros, ce qui a conduit la commune à départager les offres dont les prestations étaient jugées techniquement équivalentes en se fondant exclusivement sur une réserve émise par l'entreprise Crouzil dans son devis récapitulatif s'agissant de l'estimation du coût des fondations en l'absence de " mission géotechnique G0+G12 " . Ainsi, il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité commise par la commune et le préjudice invoqué par la société Crouzil.

7. En deuxième lieu, s'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction, il appartient ensuite au juge de vérifier d'abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, il n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient, d'autre part, de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

8. En l'espèce, la société requérante demande seulement à être indemnisée du manque à gagner que lui a causé son éviction irrégulière de l'attribution du marché. De telles conclusions ne peuvent être satisfaites que si la société avait une chance sérieuse d'obtenir le marché.

9. Il résulte de l'instruction que les offres étaient notées selon le critère du prix des prestations pondéré d'un coefficient de 0,4, le critère de la valeur technique des prestations justifiée par un mémoire technique pondéré d'un coefficient de 0,4 et le critère des références similaires pondéré d'un coefficient de 0,2. Sur le critère valeur technique des prestations, la société Crouzil a obtenu une note de 9 sur 10 tandis que la société Nérocan Bâtiment a obtenu la note de 10 sur 10. Sur le critère des références, les deux candidats ont obtenu la note maximale. S'agissant du critère du prix, la société Crouzil a obtenu une note supérieure à celle de la société Nérocan Bâtiment avant comme après les modifications du montant des offres résultant des ajustements auxquels a procédé le maître d'oeuvre afin d'obtenir " des offres similaires et scrupuleusement conformes au CCTP ". Après la phase de négociation, le maître d'oeuvre a considéré que l'offre de la société Crouzil était " financièrement et techniquement très légèrement plus intéressante " que celle de la société Nérocan Bâtiment. Dans son courrier informant la société requérante du rejet de son offre, la commune de Toutens indique que " les deux offres étaient similaires, au niveau prestations et tarifs ". La société requérante avait ainsi des chances sérieuses d'emporter le marché.

10. La commune fait valoir que le devis de la société Crouzil comportait une réserve sur le fait que seule une étude G0 et G12 pourra garantir le type de fondation à envisager, ce qui sous-entendait un avenant au marché, alors que le devis de son concurrent ne faisait pas apparaître de réserve. Toutefois, une étude géotechnique préliminaire de site réalisée en juin 2009 préconisait la réalisation, avant tout projet de construction, d'une étude G12 afin de pouvoir déterminer avec exactitude les principes de fondations à retenir. Par ailleurs, aux termes des stipulations du CCAP, le prix stipulé à l'acte d'engagement " est ferme et définitif, non révisable et non actualisable ". En outre, le CCTP stipule au paragraphe 0.1.3 Connaissance des lieux et du projet que " l'entreprise reconnait de par son offre de prix avoir parfaite connaissance du terrain ainsi que du projet. L'entrepreneur ne pourra en aucun cas se prévaloir des difficultés qu'il pourrait rencontrer pour demander une modification du prix consenti ". Dès lors, contrairement à ce que soutient la commune, la réserve exprimée par la société requérante quant à l'étude des sols n'était pas de nature à modifier ses chances sérieuses d'emporter le marché.

11. L'indemnisation du manque à gagner d'un candidat évincé est calculée sur la base du bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise. Le tribunal administratif a évalué le préjudice subi par la société à partir d'un document établi le 10 septembre 2012 par un expert-comptable selon lequel le taux de marge nette que la société Crouzil pouvait attendre de l'exécution du marché était d'environ 6 %. La commune ne produit aucun élément de nature à remettre en cause ce taux de marge nette. Eu égard à l'objet du marché, le taux retenu par le tribunal n'excède pas la marge bénéficiaire qui pouvait normalement être réalisée pour le type de travaux en litige. Il n'y a donc pas lieu de revenir sur le montant de l'indemnité fixée par le tribunal.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Toutens n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaquée, le tribunal administratif de Toulouse l'a condamnée à verser à l'Eurl Crouzil la somme de 11 308 euros en réparation du préjudice résultant de son manque à gagner évalué sur la valeur de son offre à l'issue de la phase de négociation.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société Crouzil, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Toutens et non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu de condamner la commune de Toutens à verser à la société Crouzil la somme de 1 500 euros au titre des frais de procès.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Toutens est rejetée.

Article 2 : la commune de Toutens versera à la société Crouzil la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Toutens, à la société Crouzil et à la société Nérocan Bâtiment.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2018, à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme. Marianne Pouget, président-assesseur,

Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 16 novembre 2018.

Le rapporteur,

Marianne Pouget

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°16BX01383


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01383
Date de la décision : 16/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Marianne POUGET M.
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : SCP CANDELIER CARRIERE-PONSAN

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-11-16;16bx01383 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award