La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2020 | FRANCE | N°19BX03769

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 09 juin 2020, 19BX03769


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler

la décision du 7 décembre 2017 par laquelle le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité sur le fondement des dispositions des articles L. 313-14 et L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros

au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative

et 37 de la loi d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler

la décision du 7 décembre 2017 par laquelle le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité sur le fondement des dispositions des articles L. 313-14 et L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative

et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1800922 du 18 avril 2019, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er octobre 2019, Mme F..., représentée par

Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler la décision du préfet de la Gironde du 7 décembre 2017 en tant qu'elle porte refus de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement qu'elle a sollicité ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 313-14 et L. 313-11 (7°) ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des

articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision est entachée d'incompétence de son auteur ; faute de communication

du mémoire en défense produit par le préfet devant le tribunal, elle n'a pas eu connaissance

de l'arrêté de délégation de signature du 6 novembre 2007 ; cette pièce ne lui ayant pas été communiquée, elle aurait dû être écartée des débats ;

- la décision n'est pas motivée, et ne comporte notamment pas les motifs ayant conduit le préfet à ne pas suivre l'avis favorable émis par la commission du titre de séjour ;

- le défaut de motivation de la décision révèle l'absence d'examen particulier de sa situation, notamment quant aux risques de persécutions allégués ;

- le refus repose sur une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et familiale ; elle vit en France sans discontinuité depuis 2003, et la durée de sa présence en France n'est pas remise en cause puisque la commission du titre de séjour a été saisie, conformément à ce que prévoit l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; compte tenu de cette durée, elle a nécessairement établi sa vie privée en France et a rompu tout lien avec son pays d'origine ; elle n'a plus aucune attache familiale en République démocratique du Congo, son fils et son époux ayant été victimes du régime ; elle apporte des éléments de nature à justifier de son intégration au sein de la société française ; la décision contestée a ainsi été prise en méconnaissance des dispositions du 7° de l'article

L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et repose sur une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que sa situation

ne relevait pas des considérations humanitaires ou motifs exceptionnels au sens de

l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle démontre que les membres du mouvement Bundu Dia Congo sont, dans son pays d'origine, victimes

de persécutions depuis les années 2000 ; son époux et son fils ont disparu, et leurs dépouilles

se trouvent vraisemblablement dans une fosse commune ; sa situation ne correspond pas à celle visée par les dispositions de l'article L. 313-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers

et du droit d'asile relatives à la carte de séjour mention " visiteur ", que le préfet lui a délivrée ; un tel titre, qui ne l'autorise pas à travailler, accentue sa situation de précarité et de dépendance socio-économique.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 janvier 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés et s'en rapporte au mémoire produit devant le tribunal.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er août 2019.

Par une ordonnance du 19 décembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée

au 22 janvier 2020.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur

sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C...-I... B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., ressortissante congolaise (RDC) née le 27 février 1951, est entrée en France au cours de l'année 2003 selon ses déclarations. Elle a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 27 janvier 2004 et de la Commission des recours des réfugiés du 7 mars 2005, une demande de réexamen ayant également été rejetée par l'OFPRA le 25 mai 2005. A la suite du rejet de cette demande, elle a fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière du 3 août 2005, décision qu'elle n'a pas exécutée. Elle a ensuite bénéficié, à compter du 16 juillet 2012, de titres de séjour en qualité d'étranger malade. Par une décision du 11 septembre 2014, le préfet de

Seine-et-Marne a refusé de lui accorder le renouvellement de ce titre et lui a délivré une carte de séjour temporaire mention " visiteur " valable du 23 septembre 2014 au 22 septembre 2015, dont l'intéressée n'a pas sollicité le renouvellement. Mme F... a sollicité le 1er août 2016 son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La commission du titre de séjour a émis le 13 octobre 2017 un avis favorable à la délivrance d'un tel titre. Par une décision du

7 décembre 2017, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 313-14 et L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais a décidé de lui délivrer, à titre exceptionnel et dérogatoire, un titre de séjour mention " visiteur ". Mme F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cette décision en tant qu'elle porte refus de lui délivrer le titre de séjour sollicité. Par un jugement du 18 avril 2019, dont Mme F... relève appel, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2./L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ".

3. Il est constant qu'à la date de la décision attaquée, Mme F..., âgée de 66 ans, réside habituellement en France depuis 2003, justifiant ainsi d'une ancienneté de 14 années sur le territoire français, dont trois années en situation régulière. La requérante affirme, sans contredit sur ce point, que son époux et son fils sont décédés en 2013 et qu'elle n'a plus aucune attache familiale dans son pays d'origine. Elle produit en outre, devant la cour, des attestations de particuliers témoignant de sa volonté de s'insérer socialement, notamment en participant à des actions de bénévolat, et dont il ressort qu'elle a tissé des liens privés sur le territoire français. Enfin, si le préfet de la Gironde n'était certes pas tenu de suivre l'avis favorable à l'admission exceptionnelle au séjour de Mme F... émis par la commission du titre de séjour, il a cependant estimé que la situation de l'intéressée justifiait " à titre dérogatoire et exceptionnel " son admission au séjour, sans pour autant lui délivrer le titre sollicité. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la décision de refus de délivrance d'une carte de séjour " vie privée et familiale " opposée à Mme F... sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. L'annulation, par le présent arrêt, de la décision du 7 décembre 2017 du préfet de la Gironde rejetant la demande d'admission exceptionnelle au séjour de Mme F..., implique nécessairement, compte tenu de ses motifs, que la carte de séjour temporaire mentionnée

à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile soit délivrée à l'intéressée. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à la préfète de la Gironde de délivrer

à Mme F... un tel titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

6. Mme F... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate

peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., avocate la requérante, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement

à Me E... de la somme de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800922 du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Bordeaux et la décision du préfet de la Gironde du 7 décembre 2017 refusant à Mme F... la délivrance d'une carte de séjour " vie privée et familiale " sont annulés.

Article 2. Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à Mme F... une carte de séjour " vie privée et familiale " mentionnée à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me E..., avocate de Mme F..., une somme de 1 500 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F..., au ministre de l'intérieur

et à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme G... H..., présidente,

Mme A... D..., présidente-assesseure,

Mme C...-I... B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 juin 2020.

La présidente,

Brigitte H...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX03769


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03769
Date de la décision : 09/06/2020
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : DUFRANC

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-09;19bx03769 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award