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13/10/2020 | FRANCE | N°18BX03927

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 13 octobre 2020, 18BX03927


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Selenia a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Champdeniers-Saint-Denis à lui verser une somme totale de 175 170 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des erreurs commises dans l'instruction de ses demandes d'autorisation d'urbanisme.

Par un jugement n°1700020 du 13 septembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête présentée le 14 n

ovembre 2018, la société civile immobilière (SCI) Selenia, représentée par Me E..., demande à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Selenia a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Champdeniers-Saint-Denis à lui verser une somme totale de 175 170 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des erreurs commises dans l'instruction de ses demandes d'autorisation d'urbanisme.

Par un jugement n°1700020 du 13 septembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête présentée le 14 novembre 2018, la société civile immobilière (SCI) Selenia, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n°1700020 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de condamner la commune de Champdeniers-Saint-Denis à lui verser la somme totale de 175 170 euros à titre de dommages et intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la commune la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a déposé en mairie deux demandes de permis de construire pour la transformation d'un hangar agricole en salles de réception et gîte rural les 14 février et 27 décembre 2004 ainsi qu'une demande de certificat d'urbanisme pour ce projet le 2 mai 2005 ;

- le maire ne lui a pas notifié, pour ses demandes de permis de construire, de courrier l'invitant à compléter son dossier ; cela est particulièrement vrai pour la seconde demande de permis ; le maire n'a pas expressément rejeté ses demandes car il lui a adressé plusieurs courriers indiquant que celles-ci étaient en cours d'instruction et qu'elles nécessiteraient l'accord de la chambre d'agriculture et celui de l'exploitant agricole dont les bâtiments sont à proximité du terrain d'assiette du projet en litige ; ce faisant, le maire a commis des fautes qui engagent la responsabilité de la commune ;

- le certificat d'urbanisme négatif délivré le 13 février 2006 est illégal dès lors qu'il est fondé sur l'avis défavorable au projet émis par la chambre d'agriculture vis-à-vis duquel le maire s'est estimé, à tort, lié ; le maire a donc commis une faute qui engage la responsabilité de la commune alors qu'il conservait la possibilité d'accorder un certificat d'urbanisme positif par dérogation aux règles de distance entre une construction et une exploitation agricole ;

- de plus, la présence des bâtiments agricoles de l'exploitant situés à proximité ne pouvait être opposée aux demandes dès lors que ces bâtiments ont été irrégulièrement édifiés ;

- la responsabilité de la commune est dès lors engagée sur le terrain de la faute ; celle-ci est constituée par les manquements du maire dans son devoir d'informer la société sur ses droits et obligations en tant que demandeur d'une autorisation d'urbanisme, par le maintien illégal de l'instruction de ces demandes pendant plusieurs années, par le fait que le maire s'est senti lié par l'avis de la chambre d'agriculture et par le refus illégal d'enregistrer la nouvelle demande de permis de construire opposé le 22 juillet 2016 au motif que les précédentes demandes étaient toujours en cours d'instruction ;

- il existe un lien direct de causalité entre les fautes ainsi commises et les préjudices subis par la société ;

- la société n'a pu ainsi mettre en oeuvre son projet en raison des atermoiements de la commune ; son préjudice est constitué par les frais d'études et d'architecte qu'elle a supportés pour la constitution de ses demandes, par la privation des bénéfices que lui aurait rapportés la mise en oeuvre de son projet et par l'augmentation qu'elle subit du montant des taux d'intérêt et du coût des garanties d'assurance.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2019, la commune de Champdeniers- Saint-Denis, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la requérante la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable car elle porte sur la réparation de postes de préjudices qui n'ont pas été évoqués dans la demande indemnitaire préalable ; cette dernière ne répondait pas non plus à l'exigence de clarté car elle était présentée à la fois pour la société requérante et pour une autre société ;

- la créance invoquée par la société à l'encontre de la commune est prescrite en application de la loi du 31 décembre 1968 sur la prescription quadriennale ;

- les moyens soulevés doivent être écartés comme infondés.

Par ordonnance du 22 octobre 2019 la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2019 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de l'urbanisme,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... B...,

- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Selenia, dont M. et Mme A... sont respectivement associé et gérante, est propriétaire d'un ensemble de parcelles située au lieu-dit " La Grange Laidet " sur le territoire de la commune de Champdeniers-Saint-Denis (Deux-Sèvres). Sur l'une de ces parcelles, cadastrée section C n° 69, est édifié un ancien hangar agricole que la SCI Selenia projette de transformer en résidence touristique. Le maire a été saisi par la SCI Selenia de deux demandes de permis de construire déposées le 14 février 2004 et le 27 décembre 2004 et d'une demande de certificat d'urbanisme opérationnel le 2 mai 2005. Le 25 juillet 2016, la SCI Selenia a adressé au maire de Champdeniers-Saint-Denis une demande préalable d'indemnisation des préjudices qu'elle estime subir à raison de diverses fautes commises par la commune dans l'instruction de ses demandes et qui ont fait obstacle, selon elle, à la réalisation de son projet de création d'une résidence touristique. Sa réclamation indemnitaire ayant été rejetée, la SCI Selenia a sollicité du tribunal administratif de Poitiers la condamnation de la commune de Champdeniers-Saint-Denis à lui verser une somme de 175 170 euros à titre de dommages et intérêts. La SCI Selenia relève appel du jugement rendu le 13 septembre 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité de la commune de Champdeniers-Saint-Denis :

En ce qui concerne les fautes alléguées dans l'instruction des demandes de permis :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 8 mars 2004, le maire a informé la SCI Selenia du caractère incomplet de sa demande de permis déposée le 17 février 2004. Ce courrier énumérait les pièces devant être produites et précisait que le délai d'instruction de la demande serait déclenché à compter de leur réception. Il est constant que la SCI Selenia s'est abstenue de compléter son dossier, ce qui a fait obstacle à ce que sa demande fasse l'objet d'une instruction et par suite d'une décision se prononçant au fond sur l'autorisation sollicitée. Il s'ensuit que la SCI Selenia n'est pas fondée à soutenir que le maire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune en refusant illégalement d'instruire sa demande de permis de construire du 17 février 2004.

3. En second lieu, la SCI Selenia fait valoir que le maire a commis une faute en ne l'invitant pas à compléter sa demande de permis déposée le 27 décembre 2004, en lui laissant croire pendant plusieurs années que sa demande était en cours d'instruction et en l'informant de ce que l'octroi du permis serait subordonné à l'accord de la chambre d'agriculture dont l'avis ne présente pourtant pas un caractère conforme.

4. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 11 janvier 2005, le maire a invité la SCI Selenia à compléter sa demande de permis comme permettent de l'établir le courrier que M. et Mme A... ont adressé à la commune le 15 novembre 2006 ainsi que les lettres du maire dont ces derniers ont été destinataires le 29 mai 2007 et le 14 février 2008. Toutefois, alors que l'absence de complément apporté au dossier de demande aurait dû faire obstacle à l'instruction de celui-ci, en application de l'article R. 421-13 du code de l'urbanisme alors en vigueur, le maire a laissé entendre à la SCI Selenia que la demande de permis restait en cours d'instruction lors de divers échanges ultérieurs, notamment dans ses courriers du 20 juillet 2006, 28 novembre 2006, 29 mai 2007 et 14 février 2008. Il résulte de l'instruction que ce n'est qu'à l'occasion d'un courrier du 5 août 2015, soit plus de dix ans après le dépôt de la demande de permis, que le maire a informé la société Selenia du rejet de celle-ci. De tels atermoiements révèlent, dans les circonstances de l'espèce, que le maire a commis une faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune à l'égard de la société appelante.

5. Pour apprécier si la responsabilité d'une personne publique peut être engagée, il appartient au juge de déterminer si le préjudice invoqué est établi et s'il est en lien direct et certain avec une faute de l'administration. La SCI Selenia serait, le cas échéant, fondée à demander à être indemnisée des frais liés à la constitution du dossier de demande et de son manque à gagner résultant de l'impossibilité de mettre en oeuvre son projet, si la faute de la commune a fait obstacle à un droit pour elle d'obtenir le permis de construire nécessaire à l'exploitation de la résidence touristique projetée.

6. A cet égard, il résulte de l'instruction que le terrain d'assiette du projet est situé à proximité immédiate de plusieurs bâtiments agricoles exploités par l'EARL Fonteneau et déclarés au titre des installations classées pour la protection de l'environnement pour un effectif de 70 bovins et 100 vaches nourries. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte pas de l'instruction que l'élevage fonctionnerait dans des conditions irrégulières, un rapport de la direction des services vétérinaires du 26 octobre 2004 ayant constaté que cette exploitation respectait la règlementation applicable tandis que la requérante n'apporte au dossier aucun élément permettant d'estimer que tel ne serait pas, ou plus, le cas. Au vu des éléments du dossier, la délivrance d'un permis de construire une résidence touristique à une faible distance d'un élevage agricole aurait, compte tenu des effectifs de l'exploitation concernée, été de nature à porter atteinte à la salubrité publique. La présence de l'élevage a d'ailleurs conduit le maire à délivrer, le 13 février 2006, un certificat d'urbanisme déclarant l'opération projetée non réalisable au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme qui permettent d'interdire tout projet de nature à porter atteinte à la salubrité publique. Au demeurant, après avoir constaté que le projet doit être implanté à moins de 50 mètres de certains des bâtiments agricoles de l'EARL Fonteneau en méconnaissance du règlement sanitaire départemental, la chambre d'agriculture a rendu deux avis défavorables à la demande de dérogation que le maire avait sollicitée pour le projet de la SCI Selenia en application de l'article L. 111-3 du code rural. Dans ces circonstances, les tergiversations de la commune dans l'instruction de la demande de permis de construire ne sont pas directement à l'origine du préjudice allégué, résultant de l'impossibilité dans laquelle s'est trouvée la SCI Selenia de réaliser son projet. Par suite, la responsabilité de la commune de Champdeniers-Saint-Denis n'est pas engagée sur ce fondement.

En ce qui concerne les fautes alléguées dans les refus opposés à la SCI Selenia :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit que le refus de permis de construire énoncé dans le courrier du 5 août 2015 était légalement fondé sur la méconnaissance, par le projet de la société, de la règle de distance imposée par le règlement sanitaire départemental et par l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime. Et il ne résulte en tout état de cause pas des termes employés dans le courrier du 5 août 2015 que le maire se serait dessaisi de son pouvoir d'appréciation en se fondant exclusivement sur les avis défavorables de la chambre d'agriculture pour s'opposer au projet. Par suite, le refus finalement opposé à la requérante n'est entaché d'aucune illégalité de nature à engager la responsabilité de la commune à son égard.

8. En second lieu, il ne résulte pas des motifs du certificat d'urbanisme négatif du 13 février 2006, lesquels font application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, que le maire s'est senti tenu de suivre l'avis défavorable au projet émis alors par la chambre d'agriculture le 25 juillet 2005. Par suite, en prenant cette décision, le maire n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de la commune vis-à-vis de la SCI Selenia.

En ce qui concerne le refus d'enregistrement de la demande de permis de construire :

9. Il ne résulte pas de l'instruction qu'un tel refus aurait été opposé à la requérante le 22 juillet 2016 comme cette dernière l'allègue sans l'établir. Par suite, la responsabilité de la commune ne saurait être engagée sur ce fondement.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir et l'exception de prescription quadriennale, que la SCI Selenia n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société Selenia, qui est la partie perdante, doivent être rejetées. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'appelante la somme que demande la commune de Champdeniers-Saint-Denis au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête n°18BX03927 présentée par la SCI Selenia est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Champdeniers-Saint-Denis tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Selenia et à la commune de Champdeniers-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. D... B..., président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 octobre 2020

Le rapporteur,

Frédéric B...

Le président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Virginie Marty

La République mande et ordonne au préfet des Deux-Sèvres en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N°18BX03927


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