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17/11/2021 | FRANCE | N°19BX01725

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 17 novembre 2021, 19BX01725


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 162 886 euros en réparation des préjudices qu'elle leur a causés du fait de ses agissements.

Par un jugement n° 1800020 du 28 février 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a seulement condamné la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 10 000 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une

requête et un mémoire, enregistrés le 26 avril 2019 et le 11 janvier 2021, M. et Mme B..., re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 162 886 euros en réparation des préjudices qu'elle leur a causés du fait de ses agissements.

Par un jugement n° 1800020 du 28 février 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a seulement condamné la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 10 000 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 avril 2019 et le 11 janvier 2021, M. et Mme B..., représentés par Me Paul, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 février 2019 ;

2°) de condamner la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 162 974 euros en réparation des préjudices qu'elle leur a causés du fait de ses agissements ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cussac-Fort-Médoc une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en refusant illégalement de délivrer des permis de construire, la commune de Cussac-Fort-Médoc a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité ;

- par ses agissements fautifs, la commune de Cussac-Fort-Médoc a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité ;

- le préjudice subi au titre des pertes de bénéfices et du manque à gagner s'élève à la somme de 89 824 euros ;

- le préjudice subi au titre de la perte de chance de ne pas avoir à s'acquitter de l'impôt sur les plus-values immobilières s'élève à la somme de 13 912 euros ;

- le préjudice subi au titre des intérêts de retard s'élève à la somme de 26 997 euros ;

- le préjudice subi au titre des frais d'huissier, de géomètre, d'architecte, d'envoi et de reprographie s'élève à la somme de 3 873 euros ;

- le préjudice moral s'élève à la somme de 30 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, la commune de Cussac-Fort-Médoc, représentée par Me Boissy, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code du patrimoine ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me Paul, représentant M. et Mme B..., et C..., représentant la commune de Cussac-Fort-Médoc.

Une note en délibéré présentée pour M. et Mme B..., représentés par Me Paul, a été enregistrée le 8 octobre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... sont propriétaires d'un terrain cadastré ZX n°113, 115 et 117, sur le territoire de la commune de Cussac-Fort-Médoc, au lieu-dit " Neurin Sud ". Ils ont entrepris de mener, sur une partie de ce terrain, un projet de construction de six maisons d'habitation, dont cinq pour lesquelles ils ont demandé la délivrance de cinq permis de construire, la sixième ayant fait l'objet d'une demande de permis de construire déposée par un acquéreur potentiel du lot F du projet. Toutefois, après que le maire ne se soit pas opposé à la déclaration préalable déposée par les requérants en vue de la division foncière de ces parcelles pour la réalisation de six lots, il a rejeté par deux fois les demandes de permis de construire au motif que le projet architectural afférent à chaque construction n'avait pas été établi par un architecte, puis au motif que l'accès de chaque construction à la voie publique présentait un risque pour la sécurité des usagers de cet accès. Si la cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé que le premier motif de refus opposé à M. et Mme B... était fondé, elle a, en dernier lieu, estimé qu'aucun des motifs invoqués par la commune de Cussac-Fort-Médoc n'était susceptible de fonder légalement les deuxièmes refus de permis de construire et a donc confirmé les jugements du 6 juin 2013 du tribunal administratif de Bordeaux par un arrêt n° 13BX02223 et 13BX02225 du 25 juin 2015. M. et Mme B... ont ensuite saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 162 886 euros en réparation des préjudices qu'elle leur aurait causés du fait de ses agissements. Par un jugement du 28 février 2019 le tribunal a seulement condamné la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 10 000 euros et a rejeté le surplus de leur demande. M. et Mme B... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande.

Sur la responsabilité de la commune :

2. Pour demander la condamnation de la commune à leur verser la somme de 162 886 euros en réparation de leurs préjudices, M. et Mme B... invoquent les illégalités fautives commises par la commune ainsi que des agissements de harcèlement dont ils auraient fait l'objet.

3. Il résulte de l'instruction que M. et Mme B..., titulaires en 2010 d'une décision de non opposition à déclaration préalable en vue d'une division foncière, se sont vus opposer par la commune de Cussac-Fort-Médoc, lors des demandes de permis de construire correspondant aux lots créés, des refus de permis de construire qui ont été annulés par le tribunal administratif de Bordeaux par des jugements confirmés par la cour administrative d'appel de Bordeaux par des arrêts du 25 juin 2015. Il résulte également de l'instruction que la commune, par une délibération du 19 juin 2014 approuvant le plan local d'urbanisme, a classé les mêmes parcelles en zone agricole les rendant de fait inconstructibles et que par un jugement du 14 janvier 2016, devenu définitif, ce classement a été annulé. Enfin, il résulte encore de l'instruction que les refus du maire de la commune d'accorder des permis de construire à M. et Mme B... sur les 3 lots B, C et E des parcelles en cause ont été annulés par le même tribunal, et que ces jugements ont été confirmés par des arrêts de la cour du 29 juillet 2020.Il résulte de tous ces éléments que les illégalités ainsi commises par la commune, qui au surplus a confirmé ses décisions de refus malgré les décisions juridictionnelles la censurant, sont constitutives de fautes susceptibles d'engager sa responsabilité. Toutefois, les décisions illégales mentionnées précédemment ne peuvent être qualifiées de faits de harcèlement dès lors qu'aucun élément ne révèle une attitude systématiquement et intentionnellement hostile de la part de la commune.

Sur les préjudices :

4. L'ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués. La perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

5. En premier lieu, les requérants font valoir qu'ils ont subi un préjudice résultant de l'impossibilité de vendre le lot F. Ils ajoutent qu'ils ont dû concéder à la candidate à l'acquisition de ce lot la vente au même prix que le lot F d'un autre terrain d'une valeur pourtant supérieure. Toutefois, et ainsi que l'a pertinemment jugé le tribunal, ils ne produisent qu'un " engagement unilatéral d'achat " de l'acquéreur potentiel pour un prix fixé à 55 000 euros, document qui ne démontre pas les intentions sérieuses de la part du pétitionnaire sur ce lot alors que la candidate a acquis une autre parcelle leur appartenant. En outre, à supposer même que M. et Mme B... aient cédé une parcelle à l'intéressée pour un prix inférieur au prix du marché, l'illégalité du refus de délivrer le permis sur le lot F n'impliquait pas une telle opération financière, les requérants n'étant pas tenus à un quelconque dédommagement envers l'intéressée. Par suite, M. et Mme B... n'établissent pas le caractère direct et certain du préjudice invoqué.

6. En deuxième lieu, en ce qui concerne la baisse du prix du marché des lots A et D, M. et Mme B... soutiennent que les refus illégaux de leur délivrer les permis de construire les a privés d'une recette compte tenu de la perte de valeur immobilière de ces lots dont la valeur en 2011 était de 55 000 euros et qu'ils ont finalement cédé à des prix inférieurs en 2017. Ils ajoutent qu'ils ont été dans l'obligation de réaliser des travaux de raccordement d'un montant de 10 058 euros. Toutefois, d'une part, ils n'établissent pas la valeur de ces lots en 2011 en se bornant à se référer au prix d'un lot différent sans justifier qu'il comportait les mêmes caractéristiques et au demeurant qui ne faisait pas l'objet de négociations commerciales avancées. D'autre part, si des travaux de raccordement leur ont été imposés par la commune dans le cadre des permis de construire délivrés en juillet 2016 pour les lots A et D, ils n'établissent toutefois pas le lien de causalité direct entre les fautes de la commune et la réalisation de ces travaux. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander la réparation de ces préjudices.

7. En troisième lieu, et en l'absence de démonstration de la part des requérants de négociations commerciales avancées en 2011 concernant les lots A, D, et F ainsi qu'il a été dit aux points précédents, ils ne sont pas fondés à demander l'indemnisation d'un préjudice résultant de la perte des intérêts qu'ils auraient pu percevoir s'ils avaient vendu les lots en 2011, ni davantage du préjudice qui serait résulté de la modification du régime fiscal de l'imposition des plus-values sur ventes.

8. En quatrième lieu, M. et Mme B... demandent l'indemnisation de frais de géomètre, de frais d'architecte, de frais d'huissier, de frais d'envoi postal et de frais de reprographie. Il résulte toutefois de l'instruction, que les frais de géomètre ont été engagés dans le cadre de la déclaration préalable de division et non dans le cadre des demandes de permis de construire. Par ailleurs les frais d'architecte pour la réalisation de cinq permis de construire n'ont pas été engagés en vain puisque la cour a confirmé dans son arrêt du 25 juin 2015, la nécessité de la présentation des demandes de permis de construire par un architecte. En conséquence, M. et Mme B... étaient dans l'obligation d'exposer cette dépense qui est sans lien direct avec les décisions illégales de refus de la commune. Il en est de même des frais d'huissier qui ont été exposés antérieurement aux décisions illégales de la commune. Enfin, s'agissant des frais d'envoi et de reprographie, en l'absence de factures ou d'éléments équivalents, les requérants ne justifient ni du lien entre les envois postaux et la faute commise par la commune, ni du montant des frais de reprographie engagés en lien avec la faute commise par la commune. Par suite, il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à demander le paiement des sommes en cause.

9. Enfin et en revanche, il résulte de l'instruction que les requérants ont dû engager des procédures contentieuses pour développer leur projet immobilier qui a partiellement abouti. Aussi, dans les circonstances de l'espèce, et ainsi que l'a évaluée à bon droit le tribunal administratif de Bordeaux, la somme de 10 000 euros doit leur être allouée en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi, en lien direct et certain avec l'illégalité des refus de permis de construire qui leur ont été opposés par la commune de Cussac-Fort-Médoc.

10. Il résulte de tout ce qui précède, que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a seulement condamné la commune de Cussac-Fort-Médoc à leur verser la somme de 10 000 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Cussac-Fort-Médoc, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent M. et Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des requérants la somme que demande la commune de Cussac-Fort-Médoc sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Cussac-Fort-Médoc tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et à la commune de Cussac-Fort-Médoc.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 novembre 2021.

La rapporteure,

Fabienne Zuccarello La présidente,

Marianne Hardy La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01725


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01725
Date de la décision : 17/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-05-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services de l'urbanisme. - Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Fabienne ZUCCARELLO
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : BOISSY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-11-17;19bx01725 ?
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