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17/12/2021 | FRANCE | N°19BX04299

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 17 décembre 2021, 19BX04299


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Fleuriau Investissement a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1702476 du 17 septembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 novembre 2019, la SARL Fleuriau Investissement, repr

sentée par la société d'avocats Jurica, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Fleuriau Investissement a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1702476 du 17 septembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 novembre 2019, la SARL Fleuriau Investissement, représentée par la société d'avocats Jurica, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 septembre 2019 ;

2°) de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices 2011, 2012 et 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les avantages consentis à la SARL La Ferme à Jules ne sont pas constitutifs d'un acte anormal de gestion dès lors qu'ils ont eu des contreparties ;

- la provision non admise par l'administration était déductible puisqu'elle concernait de simples travaux de nettoyage et de remise en état.

Par mémoire en défense enregistré le 24 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les conclusions ne sont recevables qu'à hauteur des moyens soulevés soit 240 562 euros et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 8 avril 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 juin 2021 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dominique Ferrari,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Fleuriau Investissement est une société holding qui a pour activité la gestion de patrimoine mobilier et immobilier. Ses parts sont détenues pour 70,37 % par M. A... C..., par son épouse Mme E... F... pour 0,20 %, et pour 29,43 % par M. D... L'Honnen. Le 1er février 2010 elle a donné en location, par bail professionnel d'une durée de 15 ans, des locaux à usage industriel à la Sarl " La Ferme à Jules ", ayant pour objet le commerce en gros de fruits et légumes. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2011, 2012 et 2013, l'administration a considéré, d'une part, que la SARL Fleuriau Investissement avait consenti un avantage anormal au preneur du bail en lui accordant une franchise de loyer de 60 mois, un versement différé du dépôt de garantie, et la prise en charge de travaux d'aménagement des locaux et, d'autre part, remis en cause la déduction d'une provision pour grosses réparations. Au terme de la procédure, des suppléments d'impôt sur les sociétés ont été mis à la charge de la SARL Fleuriau Investissement au titre des exercices 2011, 2012 et 2013, pour un montant total en droits et pénalités de 264 769 euros. La société a contesté devant le tribunal administratif de Poitiers ces impositions à hauteur de 240 562 euros. Elle relève appel du jugement du 17 septembre 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande en décharge de ces impositions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'acte anormal de gestion :

2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Par ailleurs, s'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un abandon de créances ou d'intérêts consenti par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

3. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la SARL Fleuriau Investissement a donné en location à la SARL La Ferme à Jules, le 1er février 2010, des locaux à usage industriels, situés 70 avenue de Bernadotte à Rochefort (17), composés de deux bâtiments A et C d'une superficie totale de 1 096 m². Le bail a été conclu pour une durée de 15 ans avec une période incompressible de 7 ans pour un loyer annuel de 120 000 euros et un dépôt de garantie de 30 000 euros. Par ailleurs, une franchise de loyer de 60 mois a été accordée au preneur (soit 600 000 euros) jusqu'au 1er février 2015 et le versement du dépôt de garantie pouvait également être reporté à cette même date. Le bail prévoyait aussi la possibilité d'être résilié par le locataire tous les ans avec 6 mois de préavis à compter de l'expiration de la période incompressible de 7 ans. Enfin, il résulte également de l'instruction que la SARL Fleuriau Investissement s'était engagée à réaliser et financer des travaux d'aménagement et de remise en état dans les locaux du bâtiment C pour un coût estimé à 137 689 euros hors taxe avant le 31 juillet 2011 et qu'une sanction d'un montant de 185 000 euros était prévue en cas de retard dans l'exécution des travaux. En ce qui concerne le bâtiment A, des travaux de prévention des risques et des nuisances d'un coût de 167 451 euros hors taxe devaient également être réalisés par le bailleur et une sanction de 225 000 euros était aussi prévue en cas de non-exécution. Les travaux prévus sur le bâtiment C ont été réalisés pour un montant de 170 603,67 euros alors que ceux prévus pour le bâtiment A n'ont pas été réalisés. L'administration a considéré qu'en accordant une franchise de loyer de 60 mois sans que cela soit justifié par les intérêts de l'exploitation commerciale, et sans en tirer de contrepartie, la SARL Fleuriau Investissement avait effectué un acte incompatible avec une gestion normale de ses intérêts et a donc réintégré aux résultats des exercices clos les 31 décembre 2011, 2012 et 2013 le montant annuel du loyer.

4. La société requérante conteste cette analyse en soutenant qu'il existait une contrepartie à la franchise accordée et donc un intérêt à l'avoir consentie. La société fait ainsi valoir que la franchise de loyer de 60 mois accordée au preneur, était justifiée par la nécessité de bénéficier d'un locataire stable après 10 ans de vacance des locaux et avait pour contrepartie un locataire ayant accepté un bail de 15 ans au lieu de neuf dans le cadre d'un bail commercial normal avec une période d'engagement incompressible d'une durée de 7 ans. Par ailleurs, elle estime que le montant du loyer était fixé à une valeur supérieure à celle du marché et fait valoir à cet égard une offre de location publiée en 2014 pour un immeuble à usage de bureaux sur la commune de Périgny (Charente-Maritime) d'une surface de 1 300 m², pour un loyer mensuel de 5 000 euros. Enfin, elle soutient également que la comparaison entre le montant total des loyers sur l'ensemble de la période contractuelle de 10 ans soit 1 200 000 euros, et le coût des travaux prévu dans le bail de 305 140 euros, faisait apparaître un gain net de 894 860 euros, soit une rentabilité de 2,9 fois le coût des travaux.

5. Cependant, d'une part, alors que la franchise de cinq ans couvre un tiers de la durée théorique du contrat, et plus de 70 % de sa durée ferme, compte tenu de la possibilité pour le preneur de donner congé au terme de la septième année, si la société requérante soutient n'avoir trouvé aucun autre locataire pendant une durée de dix ans, elle ne produit aucun document établissant qu'elle aurait réellement procédé à une telle recherche. D'autre part, si la société Fleuriau soutient également que le bail aurait été consenti pour un montant supérieur à la valeur du marché, elle ne l'établit pas en se bornant à faire référence à une offre publiée en 2014 concernant un immeuble à usage de bureaux sur la commune de Périgny, d'une surface de 1 300 m² pour un loyer mensuel de 5 000 euros, qui n'est pas de même nature que les biens en litige. Enfin, compte-tenu des conditions dérogatoires du bail, notamment de sa durée ferme, la requérante ne pouvait espérer de manière certaine, de montant total de loyers supérieur à 240 000 euros hors taxe alors qu'elle s'était engagée à réaliser des dépenses d'aménagement conséquentes, nécessaires à l'activité du preneur, d'un montant total de 305 140 euros hors taxe, ce qui ne permet pas de rentabiliser, avec certitude, comme elle le soutient, la mise à disposition des locaux à hauteur de 2,9 fois le coût des travaux. Dans ces conditions, compte tenu du déséquilibre général du contrat et des écarts entre le montant des dépenses et celui des recettes fermes escomptées, et des relations familiales entre le preneur et le bailleur, puisque la société " la Ferme à Jules " était détenue à hauteur de 30 % par la famille de M. A... C..., lui-même propriétaire de 70 % de la SARL Fleuriau Investissement et qu'elle était gérée par le fils de ce dernier, M. B... C..., l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe que les abandons de créances consentis par la société Fleuriau à la société " la Ferme à Jules " ne relevaient pas d'une gestion commerciale normale et c'est en conséquence à bon droit que l'administration a réintégré la valeur des loyers dans le bénéfice imposable de la SARL Fleuriau Investissement au titre des années 2011, 2012 et 2013.

En ce qui concerne la déductibilité de la provision :

6. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'effet de l'article 209 du même code : " I. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que les frais d'entretien et de réparation constituent normalement une charge de l'exercice au cours duquel ils sont exposés. Par suite, ils ne peuvent, avant que les travaux ne soient engagés, faire l'objet de provisions constituées sur le fondement de l'article 39-I-5° précité que si les travaux à prévoir excèdent, par leur nature et par leur importance, et sans pour autant procurer à l'entreprise une augmentation de ses valeurs d'actif, les travaux d'entretien ou de réparation dont le coût entre dans les charges annuelles et normales de l'entreprise.

8. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'au cours de l'exercice 2010, la société Fleuriau Investissement a constitué une provision pour grosses réparations de 167 451 euros, pour la réalisation des travaux dans le bâtiment A, tels que prévus par le bail conclu avec la société " La Ferme à Jules ". L'administration a considéré que les travaux envisagés de décontamination du bâtiment industriel, de salubrité et de sécurité des installations, n'avaient pas pour seul objet de vérifier le bon état de fonctionnement des installations existantes et de les entretenir, mais étaient la condition de mise en état d'utilisation de l'immeuble pour effectuer les traitements de produits alimentaires et qu'ils devaient, par suite, être regardés comme un élément constitutif du prix de revient de l'immeuble, et ne pouvaient dès lors constituer des charges déductibles par voie de provision.

9. La société requérante soutient que les travaux en litige concernent de simples travaux de nettoyage et de remise en état des locaux qui n'affectent pas la structure du bâtiment. Elle fait également valoir que ces travaux ont été réalisés dans son intérêt puisqu'ils étaient nécessaires avant toute mise en location, et auraient dû être réalisés quel que soit le preneur. Toutefois, il résulte des faits que les travaux litigieux concernent la désoxydation, le ragréage, la minéralisation des murs et plafonds, la reprise des fissures, la recherche et la réparation des fuites, et la reprise du circuit électrique. Ainsi, ces travaux ne constituent pas des travaux superficiels de nettoyage, contrairement à ce que soutient la société requérante mais ont visé à mettre l'immeuble en état d'utilisation pour le traitement de produits alimentaires afin de répondre aux exigences du preneur. Dès lors c'est à bon droit que l'administration a considéré ces travaux comme étant constitutifs d'un élément de prix de revient de l'immeuble qu'ils valorisaient et qu'elle a réintégré la provision en litige dans le résultat imposable de la société requérante au titre de l'exercice clos en 2010.

10. Il résulte de tout ce qui précède, que la société Fleuriau Investissement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande en décharge des impositions et pénalités en litige. Par conséquent ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Fleuriau Investissement est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Fleuriau Investissement et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

Le rapporteur,

Dominique Ferrari

La présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 19BX04299


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04299
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Dominique FERRARI
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELARL JURICA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-17;19bx04299 ?
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