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18/03/2022 | FRANCE | N°20BX00124

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 18 mars 2022, 20BX00124


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'État à lui verser la somme de 64 400 euros au titre de l'indemnité d'éloignement afférente à son séjour à Mayotte entre 2010 et 2014 ainsi que la somme de 5 000 euros au titre des frais de changement de résidence.

Par un jugement n° 1700821 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'État à verser à M. A... la somme de 64 400 euros au titre de l'indemnité d'éloignement et a rejeté le surplu

s de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 janv...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'État à lui verser la somme de 64 400 euros au titre de l'indemnité d'éloignement afférente à son séjour à Mayotte entre 2010 et 2014 ainsi que la somme de 5 000 euros au titre des frais de changement de résidence.

Par un jugement n° 1700821 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'État à verser à M. A... la somme de 64 400 euros au titre de l'indemnité d'éloignement et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2020 et un mémoire enregistré le 17 décembre 2021, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a condamné l'État au versement de la somme de 64 400 euros et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande de M. A... tendant au versement de la somme de 64 400 euros.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la créance de M. A... relative à l'indemnité d'éloignement au titre de son premier séjour du 1er septembre 2010 au 31 août 2012 était atteinte par la prescription quadriennale à la date de sa demande le 31 mai 2017 ;

- M. A... ne pouvait prétendre au versement de cette indemnité en raison de sa position de congé pour raison de santé qui a entraîné la suspension du cours du délai d'affectation pris en compte pour l'attribution de l'indemnité prévue par les articles 1 à 5 du décret n° 96-1028 du 27 novembre 1996 ;

- à titre subsidiaire, les premiers juges ont fait une inexacte application de l'article 5 de ce décret, en vertu duquel M. A... ne pouvait prétendre au versement de la deuxième fraction de l'indemnité due au titre de son second séjour et ne pouvait bénéficier de la première fraction qu'au prorata de la durée de son séjour soit 9/24ème ;

- le décret n° 78-1159 du 12 décembre 1978 a été abrogé par le décret n° 96-1028 et n'est donc pas applicable ;

- la situation de M. A... ne relève pas de l'article 4 du décret de 1996, qui concerne les personnels affectés sans limitation de durée à Mayotte, mais des articles 3 et 5 de ce décret.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 novembre 2021, M. A..., représenté par Me Clerc, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 64 400 euros au titre de l'indemnité d'éloignement afférente à son séjour à Mayotte entre 2010 et 2014 ainsi que la somme de 5 000 euros au titre des frais de changement de résidence ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que, en application de l'article 2 de la loi du 30 juin 1950, des articles 2 et 4 du décret du 27 novembre 1996 et de l'article 4 du décret n° 78-1159 du 12 décembre 1978, son affectation à Mayotte du 1er septembre 2010 au 31 août 2014 lui ouvrait droit au bénéfice de l'indemnité d'éloignement ; par suite, l'État a commis une faute en lui refusant ce versement.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Limoges en tant qu'il rejette la demande de M. A... tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des frais de changement de résidence, qui relèvent d'un litige distinct du litige relatif au versement de l'indemnité d'éloignement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 50-772 du 30 juin 1950 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 96-1028 du 27 novembre 1996 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,

- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., professeur certifié de mathématiques, a été affecté au

vice-rectorat de Mayotte, au lycée de Sada, du 1er septembre 2010 au 31 août 2014, puis, à compter du 1er septembre 2014, au collège Anatole France de Limoges. Par courrier du 16 février 2017, il a sollicité auprès du vice-recteur de Mayotte le versement de la somme de 64 400 euros au titre de l'indemnité d'éloignement afférente à ce séjour et la somme de 5 000 euros au titre des frais de changement de résidence. Sa demande ayant été rejetée, il a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'État à lui verser ces sommes. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif a condamné l'État à lui verser la somme de 64 400 euros au titre de l'indemnité d'éloignement et a rejeté le surplus de ses demandes. Le ministre chargé de l'éducation relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné au versement de cette somme et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros au titre des frais de l'instance. M. A..., par la voie de l'appel incident, demande que l'indemnité qui lui a été allouée en première instance soit augmentée de 5 000 euros.

Sur l'appel incident :

2. Par la voie de l'appel incident, M. A... demande la condamnation de l'État à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des frais de changement de résidence. Il ressort des pièces du dossier qu'il a reçu notification du jugement attaqué le 15 novembre 2019 et son mémoire comportant les conclusions incidentes n'a été enregistré au greffe de la cour que le 12 novembre 2021 après l'expiration du délai d'appel. Ces conclusions incidentes portent par ailleurs sur des dispositions qui sont divisibles de celles mises en cause par l'appel principal. Elles soulèvent ainsi un litige distinct et, ayant été présentées après expiration du délai de recours, ne sont, dès lors, pas recevables.

Sur la régularité du jugement :

3. Le jugement attaqué expose les motifs pour lesquels le tribunal a accueilli les moyens soulevés par M. A.... Il est suffisamment motivé, conformément aux exigences de l'article L.9 du code de justice administrative. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

4. Aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ". Par suite, l'administration qui oppose la prescription quadriennale pour la première fois en appel n'est pas recevable à l'invoquer, sans que le ministre ne puisse utilement se prévaloir du principe selon lequel une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes de l'article 2 de la loi du 30 juin 1950 fixant les conditions d'attribution des soldes et indemnités des fonctionnaires civils et militaires relevant du ministère de la France d'outre-mer : " Pour faire face aux sujétions particulières inhérentes à l'exercice de la fonction publique dans les territoires d'outre-mer, les fonctionnaires civils (...) recevront : (...) / 2° Une indemnité destinée à couvrir les sujétions résultant de l'éloignement pendant le séjour et les charges afférentes au retour, accordée au personnel appelé à servir en dehors soit de la métropole, soit de son territoire, soit du pays ou territoire où il réside habituellement, qui sera déterminée pour chaque catégorie de cadres à un taux uniforme s'appliquant au traitement et majorée d'un supplément familial. Elle sera fonction de la durée du séjour et de l'éloignement et versée pour chaque séjour administratif, moitié avant le départ et moitié à l'issue du séjour (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 27 novembre 1996 relatif à l'attribution de l'indemnité d'éloignement aux magistrats et aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'État en service à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, dans sa version applicable à la situation de M. A..., le droit à l'indemnité d'éloignement : " est ouvert lors de l'affectation à Mayotte, (...) à la condition que cette affectation entraîne, pour l'agent concerné, un déplacement effectif pour aller servir en dehors du territoire dans lequel est situé le centre de ses intérêts matériels et moraux ". Selon l'article 3 du même décret : " L'agent qui reçoit une affectation pour aller servir deux ans à Mayotte... a droit, à chacune des échéances prévues au 2 ° de l'article 2 de la loi du 30 juin 1950 susvisée, à une fraction d'indemnité égale à : 3° Onze mois et quinze jours de traitement indiciaire net lorsqu'il est affecté à Mayotte. Pour l'application du 1°, du 2° et du 3° ci-dessus, le traitement à prendre en compte est celui que perçoit l'agent à l'échéance de la fraction d'indemnité. ". Enfin, aux termes de l'article 5 de ce décret : " Lorsqu'un séjour de deux ans ouvrant droit au bénéfice de l'indemnité prend fin avant son terme, les dispositions ci-après sont applicables : / 1° L'agent qui a effectué moins de douze mois de services n'a pas droit à la seconde fraction de l'indemnité. Il conserve le bénéfice de la totalité de la première fraction de l'indemnité si l'interruption du séjour est indépendante de sa volonté. Dans le cas contraire, le montant de la première fraction de l'indemnité est calculé au prorata de la durée du service accompli ; / 2° L'agent qui a effectué au moins douze mois de services conserve le bénéfice de la première fraction de l'indemnité. Il a droit à l'intégralité de la seconde fraction de l'indemnité si l'interruption du séjour est indépendante de sa volonté. Dans le cas contraire, le montant de la seconde fraction de l'indemnité est calculé au prorata de la durée du service accompli. / Pour l'application du présent article, le déplacement d'office prononcé à l'issue d'une procédure disciplinaire ne vaut pas circonstance indépendante de la volonté de l'agent concerné ".

6. Il résulte des termes mêmes du 2° de l'article 2 de la loi du 30 juin 1950 que l'indemnité d'éloignement a été instituée par le législateur pour couvrir les sujétions de tous ordres résultant d'une affectation dans un territoire d'outre-mer, dont les risques liés à l'état de santé. La suspension de son versement n'est prévue que dans le cas d'une interruption prématurée du séjour y ouvrant droit. Ainsi, le versement de cette indemnité n'est pas lié à l'exercice effectif des fonctions outre-mer mais au séjour effectif outre-mer nécessité par l'affectation de l'agent. Par suite, le ministre chargé de l'éducation n'est pas fondé à soutenir que M. A... ne pouvait bénéficier de l'indemnité en litige pour les périodes de son séjour à Mayotte durant lesquelles il a été placé en congé de maladie.

7. Il résulte de l'instruction que M. A..., dont le centre des intérêts matériels et moraux était en métropole, a été affecté à Mayotte pour une première période limitée à deux ans du 1er septembre 2010 au 31 août 2012 puis une seconde du 1er septembre 2012 au 31 août 2014. Il résulte également de l'instruction, et il n'est pas contesté, que M. A... a séjourné à Mayotte du 1er septembre 2010 au 20 mai 2013, date à laquelle il a informé le recteur de son retour en métropole et de sa décision de ne pas revenir à Mayotte. Alors que M. A... ne soutient ni même n'allègue qu'il lui était impossible de recevoir des soins à Mayotte, cette interruption de séjour ne peut être regardée comme indépendante de sa volonté. Ainsi, en application des dispositions susvisées, M. A... avait droit aux deux fractions de l'indemnité pour son premier séjour, soit 23 mois de traitement indiciaire net. En revanche, la durée de son second séjour étant inférieure à 12 mois, il ne peut bénéficier de la seconde fraction de l'indemnité d'éloignement au titre de ce séjour et le montant de la première fraction doit être proratisé à hauteur de 9/12ème de 11 mois et 15 jours pour tenir compte de l'interruption volontaire de son séjour par M. A.... Dès lors, M. A... tirait de ces dispositions le droit de bénéficier, au titre de son affectation à Mayotte et de la durée effective de son séjour, d'une indemnité à hauteur de 31 mois et 19 jours d'un traitement net d'un montant non contesté de 2 800 euros.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre chargé de l'éducation n'est pas fondé à soutenir qu'en accordant à M. A... la somme de 64 400 euros, évaluée sur la base non contestée de son traitement indiciaire net pour une durée de 23 mois, telle qu'elle était demandée dans la requête, le tribunal administratif de Limoges aurait inexactement appliqué les textes cités au point 5 ni inexactement apprécié la situation de M. A.... Par suite la requête du ministre chargé de l'éducation nationale ne peut qu'être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est rejetée.

Article 2 : L'État versera une somme de 1 500 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions incidentes de M. A... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Brigitte Phémolant, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2022.

La rapporteure,

Christelle Brouard-LucasLa présidente,

Brigitte Phémolant

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 20BX00124


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00124
Date de la décision : 18/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-08-03-02 Fonctionnaires et agents publics. - Rémunération. - Indemnités et avantages divers. - Indemnités allouées aux fonctionnaires servant outre-mer (voir : Outre-mer).


Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CLERC

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-18;20bx00124 ?
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