La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/03/2022 | FRANCE | N°20BX00812

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 24 mars 2022, 20BX00812


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie des Halles a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été soumise au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et de condamner l'État au paiement des intérêts moratoires en application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.

Par un jugement n° 1702574 du 19 décembre 2019, le tribunal administrat

if de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie des Halles a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été soumise au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et de condamner l'État au paiement des intérêts moratoires en application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.

Par un jugement n° 1702574 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 mars 2020, et deux mémoires en réplique, enregistrés le 6 octobre 2021 et le 14 février 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la SELARL Pharmacie des Halles, représentée par Me Bieler, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Pau ;

2°) de prononcer la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été soumise au titre des exercices clos en 2013 et 2014 pour un montant total de 72 928 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car il contrevient aux dispositions de l'article R. 200-1 du livre des procédures fiscales, dès lors que la présidence de la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a été exercée par la même personne que celle ayant exercé les fonctions de rapporteur public devant le tribunal administratif ;

- les indices tant externes (prix du marché au regard des transactions de référence et des statistiques professionnelles, avis d'un expert du secteur) qu'internes (baisse du chiffre d'affaires et de la rentabilité de la pharmacie depuis 2010, ayant entraîné des difficultés financières) établissent la dépréciation de son fonds de commerce ; par suite, c'est indûment que lui a été refusée la déduction, pour la détermination du résultat imposable, de la dotation à la provision pour dépréciation constituée au cours de l'exercice clos le 31 mai 2013 ; en outre, le résultat de l'exercice 2013 est anormalement majoré par des produits qui auraient dû être rattachés à l'exercice précédent ; la provision constituée était en tout état de cause conforme aux exigences des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2020, et un nouveau mémoire, enregistré le 17 janvier 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens présentés par la SELARL Pharmacie des Halles ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SELARL Pharmacie des Halles, qui exploite une officine de pharmacie située 3 place du Champ commun à Lourdes (Hautes-Pyrénées), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juin 2011 au 31 mai 2015. À l'issue de ce contrôle, le service a remis en cause une provision pour dépréciation du fonds de commerce d'un montant de 220 000 €, qu'il a réintégrée au résultat des exercices clos en 2013 et 2014. Il en est résulté des suppléments d'impôt sur les sociétés pour un montant total de 72 928 euros, mis en recouvrement le 8 août 2017 après que la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a confirmé la position de l'administration dans un avis rendu le 18 juillet 2017. Par réclamation contentieuse du 21 août 2017, la société Pharmacie des Halles contestait ces impositions supplémentaires. Toutefois, par décision du 25 octobre 2017, l'administration rejetait sa réclamation. La société Pharmacie des Halles fait appel du jugement du tribunal administratif de Pau du 19 décembre 2019, qui a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés qui trouvent leur origine dans le contrôle précité.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 200-1 du livre des procédures fiscales : " (...) Un membre du tribunal ou de la cour ne peut siéger dans le jugement d'un litige portant sur une imposition dont il a eu à apprécier la base comme président de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires mentionnée à l'article 1651 du code général des impôts. ".

3. Le principe d'impartialité, applicable à toutes les juridictions, fait obstacle à ce que le magistrat ayant présidé la commission départementale des impôts fasse partie de la formation de jugement appelée à se prononcer sur la décharge de l'imposition, dès lors que celle-ci, lorsqu'elle émet un avis, qu'elle se déclare incompétente ou qu'elle se prononce sur l'imposition contestée, prend nécessairement connaissance du litige.

4. Il résulte de l'instruction que M. A... a présidé la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du département lors de la séance du 18 mai 2017 au cours de laquelle le litige opposant la société Pharmacie des Halles à l'administration fiscale, s'agissant des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, a été examiné. Le principe d'impartialité faisait obstacle à sa participation à la formation de jugement du tribunal lorsque celui-ci a statué sur la demande dont la société l'avait saisi contre les mêmes suppléments d'imposition. Par suite, le jugement attaqué est intervenu au terme d'une procédure irrégulière et doit être annulé.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SELARL Pharmacie des Halles tant devant le tribunal administratif que devant la cour.

Sur les conclusions à fin de décharge :

6. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) / 5° les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Aux termes des dispositions de l'article 38 sexies de l'annexe III au même code : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment (...) les fonds de commerce, (...) donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts ".

7. Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par l'entreprise, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent en outre comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice, et qu'enfin, elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Par ailleurs, la dépréciation doit affecter l'ensemble du fonds de commerce et non pas seulement certains de ses éléments, et doit être effective au cours de l'exercice considéré, une provision irrégulièrement constituée dès l'origine devant être rapportée aux résultats de l'exercice au cours duquel elle a été constituée. Il appartient au contribuable, indépendamment des règles qui régissent la charge de la preuve pour des raisons de procédure, d'établir le bien-fondé et de justifier du montant d'une telle provision au regard des caractéristiques de l'exploitation au cours de la période en litige.

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société requérante, qui avait racheté, le 5 avril 2006, un fonds de commerce d'officine de pharmacie pour un montant de 1 760 000 €, déduction faite du montant versé au titre de l'achat de matériels, a constitué, au titre de l'exercice clos le 31 mai 2013, une provision pour dépréciation de son fonds de commerce à hauteur de 220 000 € en se fondant, d'une part, sur une estimation de la valeur du fonds réalisée par un transactionnaire spécialisé, évaluée entre 1 500 000 et 1 550 000 euros et, d'autre part, sur les statistiques professionnelles de la pharmacie issues du projet de bilan arrêté au 31 mai 2013 situant le prix d'achat moyen des fonds d'officine de pharmacie à 83 % du chiffre d'affaires TTC, soit en l'espèce une valeur du fonds de 1 617 000 euros et 7,69 fois l'excédent brut d'exploitation, soit en l'espèce une valeur du fonds de 1 469 000 euros. En combinant ces deux méthodes, la société requérante est parvenue à une valeur du fonds de commerce de 1 543 000 euros, qu'elle a arrondie à 1 540 000 euros, et a alors considéré qu'une provision de 220 000 euros pour dépréciation de son fonds de commerce devait être comptabilisée au 31 mai 2013.

9. La société Pharmacie des Halles fait en effet valoir que tant des indices externes qu'internes justifient ainsi de la perte de valeur du fonds, notamment, d'une part, du fait des mutations qui ont impacté le secteur de la pharmacie d'officine ces dernières années, la baisse de valeur vénale corrélative dudit fonds au regard des transactions de référence, confirmée par les statistiques professionnelles et l'avis d'un spécialiste des transactions du secteur et, d'autre part et par voie de conséquence, une perte de rentabilité et une baisse de chiffre d'affaires de plus de 8 % sur la période 2008-2010. Cependant, s'il résulte effectivement de l'instruction qu'entre 2010 et 2013, la société requérante a connu une diminution de 6,81 % de son chiffre d'affaires, passé de 1 995 941 € à 1 860 011 €, sa rentabilité, sur cette même période n'a pas diminué dès lors que le résultat d'exploitation a augmenté de 3,43 % pendant que le bénéfice comptable, abstraction faite de la provision litigieuse, a augmenté de 65,57 % sur cette même période, sans que cette progression de la rentabilité soit liée à une diminution de la masse salariale, celle-ci ayant au contraire légèrement augmenté sur ladite période. Par suite, la seule érosion du chiffre d'affaires, non corroborée par une diminution significative des bénéfices, ne justifie pas, au regard des critères exposés au point 7, la constatation d'une provision pour dépréciation d'un fonds de commerce. En outre, si la société Pharmathèque, spécialisée dans les transactions d'officines et qui a réalisé une évaluation du fonds, a bien relevé une baisse du chiffre d'affaires au titre des " ventes de marchandises ", notamment sur le secteur réglementé du médicament du fait en particulier des déremboursements de médicaments et de la valorisation des génériques, son rapport indique que cette baisse est atténuée par les prestations de services réalisées par la pharmacie en matière de linéaires et de prestations commerciales, si bien que le bénéfice comptable représentait 5,25 % du montant du chiffre d'affaires en 2010, mais 5,34 % en 2011, 6,25 % en 2012, pour s'élever à 9,33 % en 2013. Par conséquent, la baisse de rentabilité alléguée n'est ainsi pas établie. Dans ces conditions, et dès lors que la société requérante ne justifie pas du bien-fondé de la provision litigieuse qu'elle a constituée à la clôture de l'exercice 2013, l'administration a pu, à bon droit, remettre en cause cette provision et procéder à sa réintégration dans les résultats de la société au titre des années en litige.

10. En deuxième lieu, la société Pharmacie des Halles, en se bornant à faire état de la doctrine exprimée dans l'instruction administrative du 30 décembre 2013, référencée 4 A-13-05, au soutien de son interprétation de la loi fiscale, ne saurait être regardée comme invoquant le bénéfice de la garantie prévue par l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Du reste, la société requérante n'apporte pas de précisions suffisantes quant au paragraphe de cette doctrine dont elle entend se prévaloir.

11. En troisième et dernier lieu, dès lors que, comme rappelé aux points 6 et 7 du présent arrêt, le bien-fondé d'une provision dépend de l'appréciation des événements en cours à la clôture de l'exercice, la circonstance que la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ait rendu un avis en faveur de la provision pour dépréciation du fonds de commerce constituée par la requérante au titre de l'année 2016 est sans incidence sur le bien-fondé des impositions litigieuses qui portent sur une période distincte.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SELARL Pharmacie des Halles n'est pas fondée à demander la décharge des suppléments d'imposition litigieux.

Sur les frais de l'instance :

13. L'État n'étant pas partie perdante dans la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Pharmacie des Halles relatives aux frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1702574 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SELARL Pharmacie des Halles est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie des Halles, ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la relance. Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mars 2022.

La rapporteure,

Florence Rey-Gabriac

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX00812


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 20BX00812
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur le revenu. - Détermination du revenu imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : BIELER et FRANCK AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-24;20bx00812 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award