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04/10/2022 | FRANCE | N°20BX00265

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 04 octobre 2022, 20BX00265


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... F... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 22 octobre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge une contribution spéciale et une contribution forfaitaire de frais de réacheminement d'un montant total de 18 430 euros, ramené à 15 000 euros par application du bouclier pénal, pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail.

Par un jugement n° 1800744

du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à sa de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... F... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 22 octobre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge une contribution spéciale et une contribution forfaitaire de frais de réacheminement d'un montant total de 18 430 euros, ramené à 15 000 euros par application du bouclier pénal, pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail.

Par un jugement n° 1800744 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2020, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Schegin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 6 décembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande de M. F... ;

3°) de mettre à la charge de M. F... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de fait en estimant qu'il n'existait aucune relation de travail entre M. F... et M. A... D... ;

- il a également entaché son jugement d'une contradiction de motifs en estimant que les déclarations de M. A... D... étaient insuffisantes pour établir la réalité de la relation de travail, alors que l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi d'un travailleur étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, quelle que soit la durée de cet emploi.

La clôture d'instruction a été fixée au 5 novembre 2021 à 12 heures par une ordonnance du 5 octobre 2021.

Un mémoire en défense, pour M. F..., a été enregistré le 4 septembre 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de Mme Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 mars 2018, les services de police ont procédé au contrôle d'un véhicule, au rond-point Carrère dans la commune du Lamentin (Martinique), appartenant à M. F... comprenant à son bord deux personnes, dont M. A... D..., ressortissant saint-lucien, qui était dépourvu de titre de séjour et d'autorisation de travail. Ce dernier a indiqué se rendre sur le chantier de construction d'une villa au quartier Capes dans la commune du François et être employé comme ouvrier polyvalent par M. F.... Après avoir recueilli les observations écrites de ce dernier le 26 septembre 2018, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a, par une décision du 22 octobre suivant, mis à sa charge les sommes de 17 850 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et de 580 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit un montant total de 18 430 euros, ramené à 15 000 euros par application du plafond établi par ce dernier article, pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail. M. F... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler cette décision. Par un jugement du 6 décembre 2019 dont le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration relève appel, le tribunal a annulé cette décision et a déchargé M. F... du paiement de la somme de 15 000 euros.

Sur le bien-fondé du motif retenu par les premiers juges :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution (...) ". Selon l'article L. 5221-8 du même code : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1. ".

3. L'infraction aux dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur.

4. En outre, la qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l'existence d'un lien juridique, fût-il indirect, de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant. Dès lors, pour l'application des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. / Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler, au premier alinéa du présent article et à l'article L. 8253-1 du code du travail ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de fixer le montant de cette contribution. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la contribution forfaitaire est due par l'employeur qui a embauché, conservé à son service ou employé pour quelque durée que ce soit un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour et de titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.

6. Pour annuler la décision du 22 octobre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à la charge de M. F... une contribution spéciale et une contribution forfaitaire de frais de réacheminement d'un montant ramené à 15 000 euros, pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail, les premiers juges se sont fondés sur le moyen tiré de ce que, en l'absence d'éléments suffisants de nature à caractériser un lien de subordination, l'exactitude matérielle des faits reprochés à M. B... E... n'était pas établie.

7. Il résulte certes de l'instruction que, lors de son audition le 26 mars 2018 dont un procès-verbal a été dressé, M. D... a déclaré se rendre sur un chantier de construction d'une villa individuelle dans la commune du François pour y effectuer des travaux d'enduisage et de nettoyage pour le compte de l'entreprise " Construction Marie E... " appartenant M. F... dont il aurait fait connaissance lors d'une soirée à son domicile et qui n'ignorait pas qu'il était dépourvu de titre de séjour et d'autorisation de travail. Il a également indiqué avoir effectué au moins deux jours de travail en février 2018 et trois jours en mars 2018 contre une rémunération de 50 euros par journée de travail, versée en espèces, et être en attente du versement d'une partie de sa rémunération. Toutefois, si M. F... a confirmé, lors de son audition réalisée le même jour, tant le lieu de sa rencontre avec M. D... que le fait que ce dernier se rendait effectivement sur un chantier de son entreprise sur lequel il avait l'intention de l'embaucher, les seuls faits et déclarations retranscrits dans les procès-verbaux d'audition du 26 mars 2018 sont insuffisants pour caractériser un lien de subordination entre l'intéressé, qui a été interpellé dans le cadre d'un contrôle d'identité effectué dans un véhicule et non en situation de travail, et M. F..., lequel a indiqué n'avoir eu qu'un premier contact avec cette personne pour un emploi. Le lien de subordination entre M. D... et M. F... ne peut donc être regardé comme établi par les éléments versés au dossier. Dès lors, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne pouvait légalement mettre à la charge de M. F... ni la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail ni la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de ce qui précède que le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché ni d'erreur de fait ni d'une contradiction de motifs, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision litigieuse.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. F..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à M. G... F....

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

M. Anthony Duplan premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2022.

Le rapporteur,

Anthony C...

La présidente,

Florence DemurgerLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX00265


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00265
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: M. Anthony DUPLAN
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SCHEGIN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-04;20bx00265 ?
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