La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/04/2023 | FRANCE | N°21BX02306

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 18 avril 2023, 21BX02306


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Brisard Caraïbes a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la commune de Sainte-Luce à lui verser la somme de 128 731,19 euros à la suite de la résiliation du lot n° 2 " charpente métallique - couverture " du marché de travaux de construction de la médiathèque.

Par un jugement n° 1900747 du 11 mars 2021, le tribunal a condamné la commune de Saint-Luce à verser à la société Brisard Caraïbes la somme de 53 654,24 euros et rejeté le surplus de la demande.<

br>
Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 29 mai 2021 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Brisard Caraïbes a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la commune de Sainte-Luce à lui verser la somme de 128 731,19 euros à la suite de la résiliation du lot n° 2 " charpente métallique - couverture " du marché de travaux de construction de la médiathèque.

Par un jugement n° 1900747 du 11 mars 2021, le tribunal a condamné la commune de Saint-Luce à verser à la société Brisard Caraïbes la somme de 53 654,24 euros et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 29 mai 2021 et le 28 octobre 2021, la commune de Sainte-Luce, représentée par Me Nicolas, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900747 du tribunal et de surseoir à son exécution ;

2°) de rejeter la demande de première instance de la société Brisard Caraïbes ;

3°) de mettre à la charge de la société la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- la décision de résiliation du marché du 3 février 2015 a été notifiée à la société Brisard Caraïbes sans mention des voies et délais de recours, certes ; pour autant, la société a saisi le tribunal administratif de sa contestation plus de quatre années après avoir eu connaissance de cette résiliation ; la demande de paiement présentée par la société a fait l'objet d'une décision implicite de rejet en application des dispositions de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration ; la commune n'a pas à apporter la preuve que la société a été informée des conditions de naissance d'une telle décision implicite ; la société avait nécessairement connaissance de la naissance de la décision, laquelle résulte de l'écoulement du délai de deux mois ; la demande de première instance était dès lors tardive pour avoir été présentée au-delà du délai raisonnable d'un an.

Elle soutient, en ce qui concerne la prescription de la demande de la société, que :

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté l'exception de prescription quinquennale opposée par la commune en application de la loi du 31 décembre 1968 ; les créances en litige sont nées entre le 25 novembre 2010 et le 30 juillet 2014, et étaient en conséquence prescrites lorsque la société a, le 29 novembre 2017, mis la commune en demeure de les régler.

Elle soutient, au fond, que :

- la demande de la société Brisard Caraïbes ne serait fondée que sur le terrain de la responsabilité contractuelle ; en cas de résiliation du contrat à l'initiative de l'administration, le cocontractant ne pourrait obtenir une indemnisation qu'en cas de faute de cette dernière ; au cas d'espèce, la commune n'a commis aucune faute au contraire de la société qui a été défaillante dans l'exécution de son contrat ;

- les sommes demandées par la société ne sont pas justifiées ; compte tenu des avances et des acomptes qui lui ont été versées et des pénalités de retard dont elle est redevable, la société n'est pas fondée à demander une quelconque somme à la commune.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2021 et le 14 février 2022, la société Brisard Caraïbes, représentée par Me Ballorin, conclut :

1°) au rejet de la requête de la commune de Sainte-Luce ;

2°) à la réformation du jugement en ce qu'il a limité à 53 654,24 euros le montant de sa créance et à ce que ce montant soit porté à 128 731,19 euros ;

3°) à la mise à la charge de la commune de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de sa demande de première instance, que :

- sa demande n'a pas été présentée à l'expiration d'un délai raisonnable dès lors qu'elle n'a jamais été informée de la naissance de la décision implicite de rejet opposée à sa demande de paiement.

Elle soutient, en ce qui concerne la prescription de sa créance, que :

- la créance résultant des travaux accomplis se rattache à l'année 2015, date de résiliation de son marché ; ainsi, la prescription quinquennale n'était pas acquise en 2017 quand elle en a demandé le paiement.

Elle soutient, au fond, que :

- les moyens soulevés par la commune doivent être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... A...,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 18 octobre 2010, la société Brisard Caraïbes a signé avec la commune de Sainte-Luce un marché public portant sur le lot n° 2 " charpente métallique - couverture " des travaux de construction de la médiathèque communale pour un montant de 532 460,71 euros TTC, porté à 599 468,34 euros TTC après un avenant signé en octobre 2012. La commune de Sainte-Luce a, le 22 octobre 2013, mis en demeure la société Brisard Caraïbes d'exécuter ses prestations dans les délais prévus au contrat et de présenter le dossier d'agrément de son sous-traitant. Le 22 avril 2014, la commune a adressé à la société une nouvelle mise en demeure de poursuivre l'exécution du marché dans les délais contractuels, sous peine d'exécution des travaux à ses frais et risques. Puis la commune a, le 9 septembre 2014, ordonné l'arrêt des travaux après avoir estimé que la toiture de l'ouvrage présentait des malfaçons susceptibles d'engendrer des sinistres graves avant de se résoudre finalement à résilier le marché, aux frais et risques de la société, par une décision du 3 février 2015.

2. Le 29 novembre 2017, la société Brisard Caraïbes a mis en demeure la commune de Sainte-Luce d'établir le décompte de résiliation du marché, mais sa demande est restée sans réponse. La société a alors saisi le tribunal administratif de la Martinique d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Sainte-Luce à lui verser la somme de 128 731,19 euros, correspondant au montant des travaux qu'elle avait exécutés et qui ne lui avaient pas été payés. Par un jugement rendu le 11 mars 2021, le tribunal a condamné la commune à verser à la société Brisard Caraïbes la somme de 53 654,24 euros et rejeté le surplus de la demande.

3. La commune de Sainte-Luce relève appel de ce jugement dont elle demande en outre, dans son mémoire en réplique, le sursis à exécution. Par la voie de l'appel incident, la société Brisard Caraïbes demande à la cour de porter à 128 731,19 euros le montant de la créance qu'elle estime détenir sur la commune.

Sur l'appel principal de la commune de Sainte-Luce :

En ce qui concerne le bien-fondé de la résiliation pour faute :

4. Il résulte de l'instruction que le 22 octobre 2013, le maire de Sainte-Luce a mis en demeure la société Brisard Caraïbes de se faire représenter aux réunions de chantier, de réceptionner les supports bétons afin de procéder à l'adaptation d'éléments du gros œuvre, d'adapter ses effectifs et moyens à l'importance des travaux et de présenter sans délai le dossier d'agrément de son sous-traitant chargé de la réalisation de l'étanchéité de la couverture de l'ouvrage. Le 22 avril 2014, le maire de Sainte-Luce a, une nouvelle fois, mis en demeure la société Brisard Caraïbes de reprendre son activité sur le chantier, alors interrompue depuis plusieurs semaines, en posant la couverture du bâtiment pour le mettre hors d'eau et permettre l'intervention des corps d'état secondaires, en répondant à la proposition d'un autre intervenant destinée à remédier aux noues défectueuses et en transmettant au maître d'œuvre un dossier complet d'études d'exécution. Cette mise en demeure du 22 avril 2014 faisait état, en particulier, de ce que la couverture du bâtiment aurait dû être posée le 21 novembre 2013 et d'un retard général sur le planning d'exécution de 116 jours. Après une visite du chantier effectuée le 8 septembre 2014, le contrôleur technique Bureau Veritas a, le 9 septembre, dressé un compte-rendu duquel il ressort que la toiture de la médiathèque était affectée de malfaçons susceptibles d'entraîner des sinistres. C'est pourquoi le maire de Sainte-Luce a, dès le 9 septembre 2014, ordonné à la société Brisard Caraïbes d'interrompre les travaux. Les retards et malfaçons imputables à la société Brisard Caraïbes ont été repris et résumés dans les procès-verbaux des réunions du 7 octobre 2014 et du 4 novembre 2014 auxquelles cette société n'a pas assisté.

5. La société Brisard Caraïbes reproche au maître d'œuvre des retards dans la validation du dossier technique relatif au complexe d'étanchéité et produit à l'appui de ses affirmations deux courriels qu'elle a envoyés à cette fin audit maître d'œuvre les 31 octobre et 12 décembre 2013, un compte-rendu de chantier et un courrier qu'elle a adressé au maire le 16 juillet 2014 pour contester la pénalité qui lui a été appliquée pour absence de présentation du dossier d'agrément de son sous-traitant.

6. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le retard qu'aurait pris le maître d'œuvre dans la validation des fiches techniques, à le supposer d'ailleurs établi, serait à l'origine des propres retards de la société dans la réalisation de ses prestations et dans la survenance des malfaçons observées sur les ouvrages. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que l'absence de validation des fiches techniques alléguée aurait, à elle seule, empêché le dépôt de la demande d'agrément de son sous-traitant par la société qui, par ailleurs, ne fait état d'aucune autre circonstance pouvant justifier que les retards et les malfaçons en cause ne lui seraient pas imputables.

7. Dans ces circonstances, la résiliation du marché prononcée le 3 février 2015 était justifiée.

En ce qui concerne les droits de la société :

8. La circonstance que la résiliation du marché soit justifiée ne fait pas obstacle au droit de la société Brisard Caraïbes à être payée des prestations effectivement réalisées à la date de la résiliation. Conformément aux dispositions de l'article 47.2.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés de travaux, ce paiement doit être effectué à hauteur de la valeur contractuelle des prestations exécutées.

9. Il résulte de l'instruction que le marché a été signé entre la commune de Sainte-Luce et la société Brisard Caraïbes pour un montant total de 599 468,34 euros TTC à la suite de l'avenant signé en octobre 2012. Il n'y a pas lieu d'intégrer dans ce prix de base les sommes de 20 871,16 euros TTC et 11 626,86 euros TTC que demande la société dès lors qu'elles correspondent à de simples offres de prestations et qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elles auraient été acceptées par le maître de l'ouvrage et exécutées.

10. Il est constant que la résiliation du marché n'a pas été suivie de l'établissement du procès-verbal de constatation des travaux exécutés par la société Brisard Caraïbes prévu par l'article 47.1.1 du CCAG Travaux. Néanmoins, il ressort du constat d'huissier établi le 27 novembre 2014 à la demande de la société que celle-ci avait procédé, avant l'interruption des travaux, à la construction de l'intégralité de la charpente métallique. En revanche, ce même constat établit que la société n'avait pas mis en place le bandeau métallique ceinturant le bâtiment et dont le prix avait été fixé à 35 121,45 euros TTC par l'avenant signé en octobre 2012.

11. Il s'ensuit que la valeur contractuelle des travaux exécutés par la société Brisard Caraïbes s'élève à 564 346,89 euros TTC (599 468,34 - 35 121,45).

12. Les premiers juges ont évalué à 433 161,53 euros le montant des avances et acomptes payés à la société en se fondant sur un projet de décompte établi par cette dernière, lequel n'a été visé ni par le maître d'ouvrage ni par le maître d'œuvre. Toutefois, il ressort des mandats de paiement émis par le maire de Sainte-Luce les 16 février 2011, 9 février 2012, 25 juillet 2013 et 4 septembre 2014 qu'une somme totale de 519 346,85 euros TTC a été réglée à la société au titre des avances et acomptes. Il y a donc lieu de déduire cette dernière somme, et non celle de 433 161,53 euros retenue par les premiers juges, du montant restant à régler à la société Brisard Caraïbes au titre des travaux exécutés.

13. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la société Brisard Caraïbes a accusé un retard de 141 jours pour déposer sa demande d'agrément du sous-traitant, ce qui a conduit à l'application des pénalités journalières de retard correspondant à 1/1000e du montant du marché conformément à l'article 4.4 du cahier des clauses administratives particulières. Le montant de ces pénalités s'élève ainsi à la somme de 75 076,95 euros TTC. Ainsi qu'il a été dit, il ne résulte pas de l'instruction que le retard qu'aurait pris le maître d'œuvre dans la validation des fiches techniques pouvait à lui seul expliquer le manquement de la société à ses obligations contractuelles. Dans ces conditions, il y a lieu de déduire la somme de 75 076,95 euros, correspondant aux pénalités, du montant restant à régler à la société.

14. Il résulte de ce qui précède que les montants de 519 346,85 euros et 75 076,95 euros (soit un total de 594 423,80 euros TTC) à déduire de la valeur contractuelle des travaux exécutés par la société sont supérieurs à cette valeur contractuelle (564 346,89 euros TTC). Dès lors, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a considéré que la commune de Sainte-Luce restait devoir à la société la somme de 53 654,24 euros.

Sur l'appel incident de la société Brisard Caraïbes :

15. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions de la société, tendant à ce que la somme de 53 654,24 euros que le tribunal a mise à la charge de la commune, soit portée à 128 731,19 euros, ne peuvent qu'être rejetées.

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance ni l'exception de prescription quadriennale soulevée, que la commune de Sainte-Luce est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée par la société Brisard Caraïbes. Les conclusions d'appel incident de la société Brisard Caraïbes doivent également être rejetées.

Sur le sursis à l'exécution du jugement :

17. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête de la commune de Sainte-Luce dirigées contre le jugement attaqué, ses autres conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement, qui n'ont d'ailleurs pas été présentées par une requête distincte, sont privées d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais d'instance :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de la société Brisard Caraïbes, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Sainte-Luce et non compris dans les dépens. En revanche, les conclusions présentées par la société sur ce même fondement doivent être rejetées dès lors que la commune n'est pas la partie perdante à l'instance d'appel.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1900747 du tribunal administratif de la Martinique du 11 mars 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de la société Brisard Caraïbes sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la commune de Sainte-Luce de sursis à exécution du jugement n° 1900747.

Article 4 : La société Brisard Caraïbes versera à la commune de Sainte-Luce la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Brisard Caraïbes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Sainte-Luce et à la société Brisard Caraïbes.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2023 laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2023.

Le rapporteur,

Frédéric A...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX02306 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02306
Date de la décision : 18/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SELAS JURISCARIB

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-04-18;21bx02306 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award