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22/11/2023 | FRANCE | N°21BX03246

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 22 novembre 2023, 21BX03246


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Island Architecture a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner le département de La Réunion à lui verser la somme de 146 604,76 euros au titre des prestations supplémentaires qu'elle a réalisées durant l'exécution d'un marché de maîtrise d'œuvre portant sur la mise en accessibilité de collèges aux personnes en situation de handicap, et la somme de 398 360,15 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1900951 du 25 mai 2021, le tribunal a conda

mné le département de La Réunion à verser à la société Island Architecture la somme de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Island Architecture a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner le département de La Réunion à lui verser la somme de 146 604,76 euros au titre des prestations supplémentaires qu'elle a réalisées durant l'exécution d'un marché de maîtrise d'œuvre portant sur la mise en accessibilité de collèges aux personnes en situation de handicap, et la somme de 398 360,15 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1900951 du 25 mai 2021, le tribunal a condamné le département de La Réunion à verser à la société Island Architecture la somme de 22 000 euros au titre de ses prestations supplémentaires et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 juillet 2021 et le 23 novembre 2022, la société Island Architecture, représentée par Me Balladur, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1900951 du tribunal administratif de La Réunion du 25 mai 2021 ;

2°) de condamner le département de La Réunion à lui verser la somme de 177 125,71 euros au titre de ses prestations supplémentaires et la somme de 387 196 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de rejeter les conclusions du département de La Réunion tendant à sa condamnation à verser une somme de 15 000 euros au titre de pénalités de retard ;

4°) de mettre à la charge du département de La Réunion une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne son droit au paiement de ses prestations supplémentaires :

- sa demande de rémunération n'est pas irrecevable au-delà de la somme de 22 000 euros mentionnée dans son mémoire en réclamation dès lors que celui-ci mentionnait expressément son acceptation à percevoir cette somme sous réserve que ses autres réclamations soient satisfaites ;

- sa demande doit être satisfaite sur le terrain de l'enrichissement sans cause ; elle doit également être satisfaite au regard du principe selon lequel des prestations supplémentaires exigées par le maître de l'ouvrage et non prévues au contrat doit faire l'objet d'une rémunération ; le caractère forfaitaire du marché ne fait pas obstacle à ce qu'elle obtienne une rémunération pour de telles prestations ;

- lors d'une réunion de chantier qui s'est tenue le 21 mai 2015, le maître de l'ouvrage a demandé au groupement de maîtres d'œuvre de prendre en compte, dans le cadre de leur mission diagnostic, les évolutions réglementaires introduites par l'arrêté du 8 décembre 2014, et de remplir une fiche de synthèse pour chacun des sites prévus au marché afin d'aider l'assistant au maître de l'ouvrage dans sa mission de réalisation de l'agenda accessibilité programmé pour les établissements recevant du public ; ces demandes constituent des prestations supplémentaires que le département de La Réunion a pourtant refusé de rémunérer et que le tribunal a évaluées à 22 000 euros, somme ne correspondant pas à l'étendue réelle des missions réalisées compte tenu du nombre important de non-conformités relevées dans certains collèges par les maîtres d'œuvre ; aussi, la cour fixera à 146 604,76 euros hors taxes le montant exact, et justifié au dossier, de ces prestations supplémentaires.

En ce qui concerne l'indemnisation de ses préjudices causés par la faute du département :

- le département de La Réunion a commis une faute dans la conception du marché qui engage sa responsabilité ; le département a fait savoir à son cocontractant qu'un schéma directeur immobilier du handicap avait été réalisé, à sa demande, en 2010, par le cabinet Accessmétrie et que ce document comportait la liste exhaustive des non-conformités affectant les bâtiments concernés par le marché ; elle devait exécuter son marché en se fondant sur le diagnostic effectué par ce schéma directeur ; le département a ainsi chiffré le coût prévisionnel du marché en fonction de ce diagnostic ; or celui-ci a sous-estimé de façon importante le nombre de non-conformités, ce qui constitue une faute du maître de l'ouvrage ; elle a subi un préjudice lié à la perte de rémunération de l'architecte-gérant qui a dû réduire sa rémunération pour faire face à l'explosion du nombre de non-conformités tout en respectant les délais contractuels d'achèvement des prestations ; elle a dû recourir à du personnel supplémentaire, et en conséquence supporté des coûts supplémentaires ; son préjudice total doit être évalué à 387 196 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 janvier 2022 et le 25 novembre 2022, le département de La Réunion, représenté par la SELAS Charrel et Associés, agissant par Me Gaspar, demande à la Cour :

1°) de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a limité à 22 000 euros la somme allouée à la société Island Architecture au titre des prestations supplémentaires et en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de condamnation de la société Island Architecture à lui verser une somme au titre des pénalités de retard et de condamner cette société à lui verser à ce titre la somme de 15 000 euros ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le cabinet Accesmetrie à le garantir des condamnations excédant le montant précité de 22 000 euros qui seraient éventuellement prononcées à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de la société Island Architecture la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'en application de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG/PI), la demande de rémunération des prestations supplémentaires est limitée au montant formulé dans le mémoire en réclamation, soit 22 000 euros demandés par la société dans son mémoire du 8 avril 2019 ; la société Island Architecture n'est dès lors pas recevable à demander la somme de 146 604,76 euros hors taxes invoquée dans ses écritures ; au fond, que tous les autres moyens de la requête doivent être écartés comme infondés ; enfin, la société doit être condamnée à lui verser une somme de 15 000 euros à titre de pénalités compte tenu du retard avec lequel elle a exécuté des prestations.

Par ordonnance du 25 août 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 septembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé, notamment son annexe II ;

- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- l'arrêté du 8 décembre 2014 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19-7 à R. 111-19-11 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 14 du décret n° 2006-555 relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public, situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes ouvertes au public ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Balladur pour la société Island Architecture et de Me Thareau, substituant Me Gaspar, pour le département de La Réunion.

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 janvier 2014, le département de La Réunion a conclu avec un groupement solidaire de maîtrise d'œuvre, dont la société Island Architecture était la mandataire, cinq marchés publics pour un forfait de rémunération total de 746 038,27 euros hors taxes, portant sur la mise en accessibilité de 22 collèges aux personnes en situation de handicap comportant les missions DIAG, APS, APD, PRO, ACT, VISA, DET, AOR, OPC et DUEM. Au titre de ses missions, le groupement était notamment chargé d'effectuer, dans un délai de quatre semaines à compter de l'ordre de service de démarrage, un diagnostic préalable de la situation des collèges au regard de la législation sur l'accès des personnes handicapées aux établissements recevant du public.

2. Par un mémoire en réclamation du 8 septembre 2017, la société Island Architecture a sollicité du département de La Réunion, en sa qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, le paiement de prestations supplémentaires que le groupement aurait réalisées et l'indemnisation des préjudices financiers qu'il aurait subis au cours de l'exécution du marché. Le président du conseil départemental, qui est resté taisant sur cette demande, a, par une décision du 15 novembre 2018, résilié le marché à l'issue de la phase de diagnostic confiée au groupement de maîtrise d'œuvre en application des stipulations de l'article 20 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marches de prestations intellectuelles (CCAG-PI). Le 9 avril 2019, la société Island Architecture a adressé au département un nouveau mémoire en réclamation réévaluant ses prétentions financières, accompagné d'une mise en demeure d'établir un décompte de résiliation.

3. Ses demandes ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet, la société Island Architecture a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une requête tendant à la condamnation du département de La Réunion à lui verser la somme de 146 604,76 euros hors taxes au titre de ses prestations supplémentaires ainsi que la somme de 398 360,15 euros en réparation de ses préjudices. Par un jugement rendu le 25 mai 2021, le tribunal a condamné le département de La Réunion à verser à la société une somme de 22 000 euros en rémunération de ses prestations supplémentaires et a rejeté le surplus de la demande. Par ce même jugement, le tribunal a rejeté les conclusions reconventionnelles du département de La Réunion tendant à ce que la société lui verse une somme correspondant aux pénalités de retard prévues au marché.

4. La société Island Architecture relève appel de ce jugement et demande à la Cour, d'une part, de porter à 146 604,76 euros hors taxes la somme due au titre des prestations supplémentaires, et, d'autre part, de condamner le département de La Réunion à lui verser la somme de 397 196 euros à titre de dommages et intérêts. Le Département, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour d'annuler le jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce que la société Island Architecture lui verse la somme de 15 000 euros au titre des pénalités de retard.

Sur l'appel principal de la société Island Architecture :

En ce qui concerne le paiement de prestations supplémentaires :

5. Le droit à indemnisation du cocontractant sur le terrain de l'enrichissement sans cause, lequel présente un caractère subsidiaire, ne peut être reconnu qu'en cas de nullité d'un contrat ou en l'absence d'un tel contrat. Les prestations dont la société Island Architecture sollicite le paiement ont été réalisées en exécution des contrats qu'elle a signés, comme mandataire du groupement, avec le département de La Réunion le 22 janvier 2014 et la société Island Architecture n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la responsabilité du maître de l'ouvrage serait engagée sur le terrain quasi-contractuel de l'enrichissement sans cause.

6. En revanche, si le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est en principe rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peuvent donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération.

7. L'article 2 des actes d'engagement des lots n° 7, 8, 16, 17 et 19 du marché en litige ont confié au groupement de maîtrise d'œuvre une mission " diagnostic " au sens de l'article 12 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre pour les opérations de réutilisation ou de réhabilitation d'ouvrage de bâtiments, et de l'annexe II à l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé. Selon l'annexe II de l'arrêté du 21 décembre 1993, les études de diagnostic, qui doivent permettre de renseigner le maître de l'ouvrage sur l'état du bâtiment et sur la faisabilité de l'opération, incluent la réalisation des relevés nécessaires à l'état des lieux du bâtiment, la définition d'un programme fonctionnel d'utilisation, la réalisation d'une estimation financière permettant de mesurer la faisabilité de l'opération, et le cas échéant des études complémentaires d'investigation des existants.

8. L'article 3.2 du programme " mise en accessibilité des sites du département de La Réunion ", lequel fait partie des pièces du marché en application de l'article 2.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) de ce marché, a attribué au groupement de maîtrise d'œuvre la réalisation d'un diagnostic détaillé et exhaustif des non conformités des 22 collèges du Département à la réglementation sur l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public, et la mission de proposer pour chacune d'elles des actions de mise en conformité.

9. Il résulte de l'instruction que lors d'une réunion du 21 mai 2015, le département de La Réunion a demandé au groupement de maîtrise d'œuvre de prendre en compte, au titre de ses missions de diagnostic, les évolutions introduites par l'arrêté du 8 décembre 2014 relatif à l'accessibilité des établissements recevant du public. Au cours de cette même réunion, le Département a également demandé à son cocontractant d'établir, pour chacun de 22 collèges, une fiche de synthèse afin d'aider le nouvel assistant à maîtrise d'ouvrage à réaliser un agenda d'accessibilité des établissements concernés.

10. Le programme " mise en accessibilité ", inclus dans les pièces du marché, stipulait que le groupement devrait, dans l'exercice de sa mission diagnostic, " intégrer les récentes évolutions réglementaires d'accessibilité du règlement de sécurité incendie ERP, non prises en compte " dans le schéma directeur immobilier du handicap réalisé en 2010 et " traiter les parties règlementaires " qui ne l'avaient pas été dans ce document. Par suite, la prise en compte des évolutions introduites par l'arrêté du 8 décembre 2014 était incluse dans le diagnostic détaillé des non-conformités que le groupement devait établir en exécution du contrat afin que le maître d'ouvrage puisse connaître précisément l'ensemble des travaux à effectuer pour tendre vers l'objectif de mise en conformité maximale de chaque site. Dans ces conditions, la prise en compte des évolutions réglementaires postérieures à la conclusion du marché, notamment celles issues de l'arrêté du 8 décembre 2014 relatif à l'accessibilité des établissements recevant du public, ne constitue pas une prestation supplémentaire ouvrant droit à paiement pour la société.

11. En revanche l'élaboration de documents synthétisant pour chacun des collèges visités les non-conformités relevées constitue une prestation supplémentaire non prévue au marché, ce que le département de La Réunion ne conteste d'ailleurs pas. Il s'ensuit que la société Island Architecture est en droit d'obtenir une rémunération supplémentaire pour ce travail.

12. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas sérieusement contesté par la société requérante, que la réalisation des fiches de synthèse a simplement consisté en un travail de compilation des données sur l'état des sites recueillies au cours du diagnostic. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que la prestation réalisée, compte tenu de sa nature, devrait être évaluée à 146 604,76 euros hors taxes comme le soutient la société Island Architecture en produisant un simple tableau dénué d'éléments explicatifs. Dans ces conditions, et alors même qu'il existe une forte disparité entre certains collèges quant au nombre de non-conformités existantes, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation des prestations supplémentaires réalisées en les évaluant à 1 000 euros par fiche, soit 22 000 euros au total. Par suite, les conclusions de la société appelante, tendant ce que la somme due soit portée à 146 604,76 euros hors taxes, doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée à leur encontre ni d'ordonner une expertise.

En ce qui concerne la faute du maître de l'ouvrage :

13. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché peuvent ouvrir droit à indemnité au profit du titulaire dans la mesure où celui-ci justifie qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'estimation de ses besoins ou dans la conception même du marché.

14. Aux termes de l'article 2 du CCAP applicable au marché en litige : " Documents constitutifs du contrat. 2.1 Documents contractuels particuliers (...) l'acte d'engagement (...) le présent CCAP, le programme + ses annexes, le rapport SDIH (schéma directeur immobilier du handicap) ... ". Selon le programme " mise en accessibilité des sites du département de La Réunion ", lequel fait partie des pièces du marché en application de l'article 2.1 précité du CCAP, " un schéma directeur immobilier du handicap a été formalisé fin 2010 par le cabinet Accesmetrie. Les objectifs de cette mission ont été les suivants : - faire un bilan de la réglementation en matière d'accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées - faire un diagnostic de la situation des sites départementaux, mettre en évidence les non-conformités - par site, élaborer un plan d'action à mettre en œuvre pour le mettre en conformité au regard de l'accessibilité pour les personnes en situation de handicap - formaliser, sous forme de schéma directeur immobilier du handicap, le scenario global faisant la synthèse des actions à mener par site. Pour chaque site à diagnostiquer, le département dispose d'un rapport " SDIH " établissant une liste exhaustive des non conformités, des solutions prévisionnelles et de leurs coûts associés (...) ". Le 2 intitulé " Objectifs de l'opération " du programme précise que " les rapports SDIH [sont] des documents de niveau global (préprogramme). Le département souhaite à présent réaliser une opération de mise en accessibilité complète en se rapprochant le plus possible d'une accessibilité à 100 %. Pour cela un diagnostic détaillé est nécessaire afin de proposer un scenario de mise en conformité maximal pertinent. ". Aux termes de l'article 3.2 du programme de mise en accessibilité : " Contraintes à prendre en compte - Approfondir le diagnostic des non conformités : compte tenu du niveau des documents remis par Accesmetrie, le prestataire devra faire un diagnostic détaillé et exhaustif des non conformités, et proposer pour chacune d'elles les actions de mise en conformité à préconiser - Intégrer les récentes évolutions réglementaires d'accessibilité du règlement de sécurité incendie ERP non prises en compte dans le rapport " SDIH " - Traiter les parties réglementaires qui ne l'ont pas été dans les rapports SDIH : l'éclairage : il faudra atteindre les valeurs réglementaires (...), la signalétique (...) autres points (...) ".

15. Il résulte des stipulations contractuelles précitées que le SDIH réalisé en 2010 par le cabinet Accesmetrie, dont l'objet était d'établir un diagnostic des non-conformités des sites départementaux à la réglementation en matière d'accessibilité aux personnes handicapées, constitue un document " de niveau global (préprogramme) " et que le Département, souhaitant garantir une accessibilité complète à ses bâtiments, a prévu la réalisation d'un " diagnostic détaillé " afin de concevoir " un scenario de mise en conformité maximal ". C'est pourquoi l'article 3.2 du programme " mise en accessibilité des sites du département de La Réunion ", qui fait partie des pièces contractuelles, prévoit la réalisation par le maître d'œuvre d'un " diagnostic détaillé et exhaustif des non conformités ", lui impose d'y intégrer les récentes évolutions du règlement d'accessibilité de sécurité incendie des établissements recevant du public, lesquelles ne pouvaient être prises en compte par le SDIH, et lui demande encore d'effectuer ce diagnostic au regard des dispositifs réglementaires non pris en compte dans ce dernier document.

16. Il résulte du contrat que le rapport SDIH devait servir, pour le groupement de maîtrise d'œuvre, de base de travail à sa mission qui consistait, ainsi qu'il a été dit, à établir un diagnostic détaillé de chaque collège afin de permettre au maître de l'ouvrage de connaître précisément les travaux à effectuer pour tendre vers l'objectif de mise en conformité maximale de ses bâtiments. Dans ces conditions, la société Island Architecture n'est pas fondée à se prévaloir de la circonstance que le nombre de non-conformités recensées au cours de sa mission diagnostic est très supérieur à celui figurant dans le SDIH pour soutenir que le département aurait, de ce fait, sous-estimé la mission de la maîtrise d'œuvre, et ainsi commis une faute, au stade de la conception du marché, de nature à engager sa responsabilité. Il s'ensuit que les conclusions de la société appelante, tendant à ce que le département soit condamné à lui verser une somme en réparation de ses préjudices financiers allégués, ne peuvent qu'être rejetées.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Island Architecture n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a limité à 22 000 euros le montant de la rémunération due au titre des prestations supplémentaires réalisées, et a rejeté le surplus de sa demande.

Sur l'appel incident présenté par le département de La Réunion :

18. Il résulte des articles 4-1 et 4-1-2 des actes d'engagement des lots n° 7, 8, 16, 17 et 19 en litige que le délai maximum de réalisation de la mission diagnostic est fixé à quatre semaines à compter de la notification au cocontractant d'un ordre de service de démarrage. Aux termes de l'article 4-1-1 de chacun des actes d'engagement : " en cas de non-respect des délais d'études objet de l'article 4-1, il sera fait application des pénalités prévues à l'article 4-3 du CCAP. ". Il résulte de l'article 4-3 du CCAP, et de l'article 4-1 des actes d'engagement, qu'en cas de retard dans la remise de ses prestations, le groupement de maîtrise d'œuvre était redevable d'une pénalité journalière de 150 euros.

19. Les pénalités prévues par les clauses d'un contrat de la commande publique ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer à l'acheteur le non-respect, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles. Elles sont applicables au seul motif qu'une inexécution des obligations contractuelles est constatée et alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.

20. Lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un contrat de la commande publique, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat. Il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l'autorité concédante, et compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée.

21. Il résulte de l'instruction que la société Island Architecture a reçu notification des ordres de services de démarrage des prestations en juillet, septembre et novembre 2014 et qu'à l'issue du délai de quatre semaines, prévu au contrat, le groupement de maîtrise d'œuvre avait rendu ses diagnostics pour 5 sites seulement au lieu des 22 attendus. Il résulte également de l'instruction que les prestations restantes n'avaient toujours pas été effectuées au 21 mai 2015, date à laquelle le Département a demandé à son cocontractant la réalisation de fiches de synthèse qui constituaient, ainsi qu'il a été dit, des prestations supplémentaires. Toutefois, les premiers juges ne pouvaient rejeter les conclusions du département de La Réunion, tendant à la condamnation de son cocontractant à verser des pénalités de retard, au seul motif que la demande du 21 mai 2015 avait prolongé le délai d'achèvement des prestations, dès lors qu'à cette date les diagnostics manquants n'avaient toujours pas été remis en méconnaissance des stipulations du contrat relatives au délai d'exécution des prestations.

22. Les pénalités de retard dont est redevable le groupement de maîtrise d'œuvre au titre de la mission DIAG courent à compter de l'expiration du délai de quatre semaines à compter de la notification de l'ordre de service de démarrage des prestations et leur terme doit être fixé au 21 mai 2015, date à laquelle le Département a imposé à son cocontractant des prestations supplémentaires. En appel, le département de La Réunion, fait valoir que le montant des pénalités de retard dont la maîtrise d'œuvre serait redevable envers lui s'élève ainsi à la somme 25 650 euros pour quatre sites, soit pour 171 jours du 1er décembre 2014 au 21 mai 2015 à raison de 150 euros par jour de retard, mais que ce montant étant disproportionné par rapport au montant total de la mission DIAG d'un montant de 59 683,08 euros hors taxes, il sollicite une pénalité d'un montant de 15 000 euros correspondant à 25 % de la mission DIAG.

23. Dès lors que les contrats, auxquels le maître d'ouvrage est partie, fixent la part qui revient à chaque membre du groupement solidaire dans l'exécution des prestations, et que la société Island architecture présente pour son compte ses demandes indemnitaires et conteste en réplique les pénalités mises à sa charge en raison des retards dans l'exécution des prestations lui incombant, les pénalités doivent être appréciées par rapport à la seule part du marché attribué à la société requérante, soit 31 088,51 euros hors taxes. Les pénalités, qui représentent alors plus de 50 % de sa part du marché, atteignant un montant manifestement excessif, leur montant doit être fixé à 10 000 euros, somme qu'il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante.

Sur les frais d'instance :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de La Réunion, qui n'a pas la qualité de partie perdante à l'instance d'appel, la somme demandée par la société Island Architecture au titre de ces dispositions. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de cette dernière, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département de La Réunion et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er : La requête de la société Island Architecture est rejetée.

Article 2 : La société Island Architecture versera une somme de 10 000 euros au département de La Réunion au titre des pénalités de retard.

Article 3 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La société Island Architecture versera une somme de 1 500 euros au département de La Réunion au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Island Architecture et au département de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 23 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Julien Dufour, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2023. Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine MarkarianLa greffière,

Catherine JussyLa République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX03246 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03246
Date de la décision : 22/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : SCP CHARREL et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-22;21bx03246 ?
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