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15/01/2024 | FRANCE | N°23BX02682

France | France, Cour administrative d'appel, 15 janvier 2024, 23BX02682


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :



Par une ordonnance n°2300025 du 21 juin 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a, sur la demande de M. F... G..., Mme A... G..., Mme D... G... et M. E... G..., prescrit une expertise portant sur les désordres affectant les parcelles cadastrées section AX n° 424, 427, 428, 425, 426 et 571 leur appartenant, situées au lieu-dit L'Ile Andouard, et désigné M. B... C... en qualité d'expert.



M. B... C..., expert, a demandé au juge des référés du tribun

al d'étendre les opérations de l'expertise prescrite par l'ordonnance du 21 juin 2023 au préfet...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Par une ordonnance n°2300025 du 21 juin 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a, sur la demande de M. F... G..., Mme A... G..., Mme D... G... et M. E... G..., prescrit une expertise portant sur les désordres affectant les parcelles cadastrées section AX n° 424, 427, 428, 425, 426 et 571 leur appartenant, situées au lieu-dit L'Ile Andouard, et désigné M. B... C... en qualité d'expert.

M. B... C..., expert, a demandé au juge des référés du tribunal d'étendre les opérations de l'expertise prescrite par l'ordonnance du 21 juin 2023 au préfet de la Vienne, au directeur départemental des territoires de la Vienne et à l'Office français de la biodiversité.

Par une ordonnance n° 2200025 du 18 octobre 2023, le président du tribunal administratif de Poitiers, juge des référés, a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 octobre 2023, et un mémoire enregistré le 10 janvier 2024 et non communiqué, l'Office français de la biodiversité, représentés par Me Labetoule, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 18 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers portant extension des opérations d'expertise à l'Office français de la biodiversité ;

2°) de rejeter la demande d'extension des opérations d'expertise à l'Office français de la biodiversité ;

Il soutient que :

- l'ordonnance est irrégulière car rendue en méconnaissance du principe du contradictoire résultant de l'article L. 5 du code de justice administrative et de l'article R. 532-4 du même code ; une notification de la demande et des écritures des consorts G... lui a été faite par la plateforme Télérecours mais il ne l'a pas reçu par suite d'un disfonctionnement ; une notification par voie postale a également échoué par suite d'une erreur dans l'adresse mentionnée sur le pli ; le pli n'a été réceptionné que la veille de l'intervention de l'ordonnance ; de plus, il ne contenait pas les pièces de la procédure initiale et notamment pas l'ordonnance prescrivant l'expertise ;

- l'ordonnance est également irrégulière car non motivée, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative ; elle ne précise pas si l'Office est appelé en qualité de partie ou de sachant ni les motifs justifiant de l'utilité de sa présence aux opérations ;

- la demande de l'expert est en l'espèce exclusivement guidée par la volonté de s'assurer que les travaux qu'il serait en mesure de préconiser ne feraient pas l'objet d'un refus ultérieur de la part d'un des services de l'Etat chargé d'instruire la demande de travaux ; sa présence n'a donc pas été sollicitée en tant que personne n'étant pas manifestement étrangère au litige susceptible d'être engagé devant le juge de l'action ; sa responsabilité est insusceptible d'être engagée dans l'affaire considérée ; au demeurant, il est un établissement public administratif placé sous la tutelle des ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture dont les missions sont précisément définies par l'article L. 131-9 du code de l'environnement ; il ne peut s'autosaisir d'un dossier ;

- il ne peut davantage être appelé en tant que sachant ; il ne dispose d'aucune information sur l'affaire en cause qui n'a d'ailleurs donné lieu à la constitution d'aucun dossier complet ; rien n'indique non plus que, si des travaux devaient être engagés à l'issue de l'expertise, ce qui reste incertain, l'avis de l'Office serait sollicité ; rien n'indique que les travaux seraient soumis à autorisation environnementale, étant précise que l'expert ne peut se prononcer sur ce point qui est un point de droit ; l'Office ne dispose d'aucune compétence en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage ni de conception d'ouvrage ; alors même qu'il aurait participé à une réunion sur la continuité écologique du site, il ne peut, en tout état de cause, se prononcer en qualité de sapiteur sur un dossier dont il pourrait ensuite avoir à connaître en qualité d'agence de l'Etat, ce qui pourrait créer une confusion sur son rôle et détourner les moyens humains dont il dispose au profit de missions visant à pallier d'insuffisance de compétence d'un expert ou son refus de demander la désignation d'un sapiteur.

Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2023, le syndicat du Clain aval et la société anonyme SMACL assurances SA, représentés par Me Boissy, concluent au rejet de la requête et, subsidiairement, à l'extension des opérations d'expertise à l'Office français de la biodiversité en qualité de sachant.

Ils soutiennent que :

- ils s'en remettent à la décision de la cour quant à la méconnaissance du principe du contradictoire devant le premier juge ;

- l'ordonnance est suffisamment motivée ;

- compte-tenu de ses missions, l'Office dispose d'une réelle expertise en matière d'évaluation de la faune sauvage et de gestion adaptative des espèces mentionnées à l'article L. 425-16 du code de l'environnement ; il a pour mission notamment la mise au service des acteurs publics de sa connaissance et de son expertise ; en l'espèce, l'expert a notamment pour mission d'indiquer la nature des travaux nécessaires pour remédier à l'érosion de la berge des parcelles concernées et, le cas échant, combler la brèche du déversoir du barrage d'Archillac ; la présence de l'Office est donc utile pour donner à l'expert des éléments d'information sur les particularités du cours d'eau, d'autant que son avis sera requis en cas de travaux relevant d'une autorisation prévue par l'article L. 214-3 du code de l'environnement ; il y a donc lieu d'appeller l'Office aux opérations en qualité de sachant.

Par un mémoire enregistré le 11 janvier 2024, la commune de Naintré, représentée par Me Brossier, conclut au rejet de la requête ou, subsidiairement, à ce que les opérations d'expertise soient étendues à l'Office français de la biodiversité en qualité de sachant.

Elle soutient que :

- l'erreur alléguée dans la communication des éléments du dossier n'est pas étayée ;

- l'ordonnance est suffisamment motivée ;

- la présence de l'Office aux opérations d'expertise est nécessaire aux fins de déterminer si les travaux préconisés par l'expert sont pertinents au regard de la préservation des continuités écologiques.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné Mme Jayat, président de chambre, en qualité de juge des référés, en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article R. 532-1 du même code : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". L'article R. 532-3 de ce code dispose que : " Le juge des référés peut, à la demande de l'une des parties formée dans le délai de deux mois qui suit la première réunion d'expertise à laquelle elle a été convoquée, ou à la demande de l'expert formée à tout moment, étendre l'expertise à des personnes autres que les parties initialement désignées par l'ordonnance, ou mettre hors de cause une ou plusieurs des parties ainsi désignées (...) ".

2. Il résulte des dispositions précitées que, lorsqu'il est saisi d'une demande d'une partie ou de l'expert tendant à l'extension de la mission de l'expertise à des personnes autres que les parties initialement désignées par l'ordonnance ou à l'examen de questions techniques qui se révélerait indispensable à la bonne exécution de cette mission, le juge des référés ne peut ordonner cette extension qu'à la condition qu'elle présente un caractère utile. Cette utilité doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher.

3. Les berges des parcelles appartenant aux consorts G..., situées au lieu-dit L'Ile Andouard, en aval du déversoir du barrage d'Archillac appartenant à la commune de Naintré (Vienne) et comportant une brèche, subissent une érosion provoquée par l'écoulement des eaux de la rivière Le Clain. Les consorts G... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Poitiers qu'une expertise soit ordonnée aux fins de se prononcer sur la cause des désordres affectant leurs parcelles, cadastrées section AX n° 424, 427, 428, 425, 426 et 571. Par ordonnance du 21 juin 2023, le président du tribunal, juge des référés, a prescrit une expertise en donnant pour mission à M. C..., expert, 1°) de se rendre sur les lieux et procéder à la constatation et au relevé précis et détaillé des désordres qui affectent les parcelles appartenant aux consorts G... situées au lieu-dit L'Ile Andouard, en procédant notamment à un relevé de l'érosion comme du recul des berges et en établissant un historique de cette détérioration, mais aussi constater les désordres affectant le déversoir du barrage d'Archillac, 2°) de donner un avis motivé sur les causes et origines de l'érosion des berges dont il s'agit, en précisant notamment si elle est imputable à la brèche du déversoir du barrage d'Archillac, aux conditions d'utilisation et d'entretien de la rivière Le Clain ou aux travaux réalisés sur les parcelles alentours et, dans le cas de causes multiples, évaluer les proportions relevant de chacune d'elles, 3°) d'indiquer la nature des travaux nécessaires pour remédier à l'érosion de la berge des parcelles appartenant aux consorts G..., voire la reconstituer, ainsi que ceux, le cas échéant, nécessaires pour combler la brèche du déversoir du barrage d'Archillac, 4°) de donner un avis motivé sur le coût de ces travaux et 5°) d'une façon générale, de recueillir tous éléments et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer le tribunal dans son appréciation des responsabilités éventuellement encourues et des préjudices subis.

4. Ayant organisé une première réunion d'expertise qui a eu lieu le 7 septembre 2023, l'expert s'est adressé, le 19 septembre 2023, au juge des référés du tribunal. Il a exposé que, selon ses constatations, la brèche du barrage d'Archillac provoque des débits soutenus à l'origine de l'érosion de la berge en aval et que les seuls travaux envisageables pour y remédier consistent en la démolition ou la reconstruction du seuil d'Archillac. Exposant par ailleurs que les services de l'Etat semblent être opposés tant à la reconstruction qu'à la démolition des vestiges du seuil, il a demandé au juge des référés l'extension des opérations d'expertise au préfet de la Vienne, au directeur départemental des territoires de ce département et à l'Office français de la biodiversité. Par ordonnance du 18 octobre 2023, le juge des référés du tribunal a fait droit à cette demande. L'Office français de la biodiversité fait appel de cette ordonnance en tant qu'elle prononce l'extension à cet établissement public des opérations d'expertise.

5. Il résulte de l'instruction que l'expertise ordonnée par le premier juge a une utilité dans la perspective d'un litige entre les consorts G... et les personnes responsables de la dégradation des berges de leur propriété, et notamment la commune de Naintré, propriétaire du barrage susceptible d'être à l'origine de ces dommages. Ainsi que le soutient l'Office français de la biodiversité, cet établissement public, dont les missions sont limitativement prévues à l'article L. 131-9 du code de l'environnement et qui n'est ni propriétaire, ni responsable de l'ouvrage, ni chargé de son entretien, ni en charge de l'état des berges du cours d'eau concerné, est étranger à l'objet du litige à l'origine de la demande d'expertise. A supposer même que l'Office pourrait être amené à donner un avis sur une éventuelle demande d'autorisation de la commune de Naintré concernant des travaux à réaliser sur le seuil d'Archillac, une éventuelle opposition des services de l'Etat ne pourrait donner lieu qu'à un litige distinct de celui concernant la responsabilité des dommages subis par les consorts G... et il n'appartient pas à l'expert de se prononcer sur des questions de droit telles que l'application du régime de l'autorisation aux travaux qu'il pourrait estimer nécessaires ou les prescriptions qui s'imposeraient pour l'obtention d'une autorisation relative à ces travaux. L'Office est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge l'a mis en cause dans le cadre des opérations d'expertise prescrites par l'ordonnance du 21 juin 2023.

6. En admettant même que le juge des référés ait entendu appeler l'Office français de la biodiversité dans l'instance de référé à titre de " sachant ", cette extension ne peut être regardée comme présentant un caractère d'utilité à ce titre dès lors que les experts demeurent libres d'entendre toutes personnes disposant de renseignements utiles à l'accomplissement de leur mission. Au surplus, et comme il a été dit précédemment, il n'appartient pas à l'expert de se prononcer sur le régime juridique et les restrictions règlementaires auxquels seraient soumis les travaux qu'il pourrait proposer. Enfin, et comme le soutient l'Office français de la biodiversité, il ne lui appartient pas de donner un avis sur la conformité juridique de travaux qui n'ont pas encore donné lieu à l'établissement d'un dossier de demande et sur lesquels il serait susceptible d'être consulté une fois la demande déposée. Il ne lui appartient pas davantage, en dehors des missions d'appui à l'Etat qui lui sont attribuées par l'article L. 131-9 du code de l'environnement, de donner son avis sur le choix de solutions techniques relatives à l'état d'un ouvrage hydraulique. Si, comme le soutiennent le syndicat du Clain aval et son assureur, l'Office a pour mission l'expertise et l'assistance en matière d'évaluation de l'état de la faune sauvage et de gestion adaptative des espèces mentionnée à l'article L. 425-16 du code de l'environnement, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que des questions concernant l'état de la faune sauvage ou la gestion adaptative des espèces visées par cette gestion appelleraient en l'espèce des précisions utiles à la mission qui a été confiée à l'expert par l'ordonnance du 21 juin 2023.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité de l'ordonnance attaquée, que l'extension de la mission de l'expertise à l'Office français de la biodiversité, en qualité de partie et, en tout état de cause, en qualité de " sachant ", n'est pas utile dans la perspective d'un litige auquel elle est susceptible de se rattacher. L'Office est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que cette extension a été prononcée par l'ordonnance attaquée et le syndicat du Clain aval ainsi que son assureur ne sont pas fondés à demander à titre subsidiaire que l'Office français de la biodiversité soit appelé en la cause en qualité de " sachant ".

ORDONNE :

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers du 18 octobre 2023 est annulée en tant qu'elle étend à l'Office français de la biodiversité les opérations de l'expertise prescrite par ordonnance du 21 juin 2023.

Article 2 : La demande d'extension présentée devant le tribunal administratif de Poitiers par M. C... est rejetée en tant qu'elle concerne l'Office français de la biodiversité.

Article 3 : Les conclusions d'appel du syndicat du Clain aval et de la société SMACL assurances SA sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Office français de la biodiversité, au syndicat du Clain aval, à la société SMACL assurances SA, à M. F... G..., à Mme A... G..., à Mme D... G..., à M. E... G..., à la commune de Naintré, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à M. B... C..., expert.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Vienne

Fait à Bordeaux, le 15 janvier 2024

La juge des référés,

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX02682


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Numéro d'arrêt : 23BX02682
Date de la décision : 15/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP B C J - BROSSIER - CARRE - JOLY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-15;23bx02682 ?
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