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20/02/2024 | FRANCE | N°22BX00662

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 20 février 2024, 22BX00662


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Uhartekoa a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler le titre de recettes émis à son encontre le 19 septembre 2018 par la directrice générale de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), en vue du remboursement d'une somme de 28 710,42 euros correspondant à l'avance qui lui a été versée au titre de la prise en charge des pertes de revenus à compter du 1er décembre 2016, c

onsécutives à l'épisode d'influenza aviaire H5N8.



Par un jugement n° 1900...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Uhartekoa a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler le titre de recettes émis à son encontre le 19 septembre 2018 par la directrice générale de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), en vue du remboursement d'une somme de 28 710,42 euros correspondant à l'avance qui lui a été versée au titre de la prise en charge des pertes de revenus à compter du 1er décembre 2016, consécutives à l'épisode d'influenza aviaire H5N8.

Par un jugement n° 1900622 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 février 2022, l'EARL Uhartekoa, représentée par Me Mendiboure, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900622 du tribunal administratif de Pau du 2 décembre 2021 ;

2°) d'annuler le titre de recettes émis à son encontre le 19 septembre 2018 par la directrice générale de FranceAgriMer ;

3°) d'enjoindre à FranceAgriMer de lui restituer les sommes indument remboursées à ce titre et de lui verser le solde de l'aide sollicitée ;

4°) de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le titre de recettes est entaché d'erreur de droit dès lors que le dispositif d'indemnisation mis en place par les décisions du 12 avril 2017 et du 14 février 2018 de la directrice générale de FranceAgriMer concerne exclusivement les éleveurs de palmipèdes s'engageant à ne pas mettre en place de nouveaux palmipèdes à compter du 1er décembre 2016 et qu'elle a respecté cette condition ; le motif qui lui est reproché, de ne pas avoir respecté l'obligation de dépeuplement par abattage des canards présents sur son exploitation, est étranger au cadre réglementaire, dont FranceAgriMer fait une mauvaise interprétation ; l'indemnisation liée aux pertes résultant de l'abattage de canards fait l'objet d'un dispositif distinct et indépendant ; la décision du 14 février 2018 ne peut, au demeurant, fixer de nouvelles conditions à l'octroi de la subvention, qui l'a été antérieurement à cette décision ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que, par un arrêté du 25 avril 2017, elle a été autorisée à déroger aux mesures de vide sanitaire ; par un jugement du 10 décembre 2018, elle-même et sa gérante ont été relaxées des faits d'obstacle ou d'entrave aux fonctions des agents chargés de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de la santé publique vétérinaire et de la protection des végétaux, et de non-respect des mesures d'abattage prescrites, dans le cadre d'une maladie réglementée, au motif de l'absence de tout acte positif direct de leur part y ayant concouru ; elle a procédé à l'abattage de ses canards en fin de cycle d'exploitation et a respecté l'obligation de vide sanitaire avant la réintroduction de nouveaux canetons ;

- il est entaché de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2023, FranceAgriMer, représenté par Me Vandepoorter, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'EARL Uhartekoa sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en soutenant que les moyens soulevés par l'EARL Uhartekoa ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 2018/252 de la Commission du 19 février 2018 ;

- la directive 2005/94/CE du Conseil du 20 décembre 2005 ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche du 18 janvier 2008 ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture de l'agroalimentaire et de la forêt du 4 janvier 2017 ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture de l'agroalimentaire et de la forêt du 31 mars 2017 ;

- la décision FranceAgriMer n° INTV-GECRI-2017-07 du 15 février 2017 ;

- la décision FranceAgriMer n° INTV-GECRI-2017-24 du 12 avril 2017 ;

- la décision FranceAgriMer n° INTV-GECRI-2018-05 du 14 février 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michaël Kauffmann,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique, désignée en application de l'article R 222-24 du code de justice administrative,

- et les observations de Me Goachet, représentant FranceAgriMer.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du dispositif mis en œuvre par l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt du 31 mars 2017, en vue de prévenir, de surveiller et de lutter contre la propagation de l'épizootie de virus d'influenza aviaire H5N8, hautement pathogène dans certaines parties du territoire, la mise en place de nouveaux palmipèdes a été interdite jusqu'au 28 mai 2017, notamment dans certaines communes des Pyrénées-Atlantiques et un vide sanitaire obligatoire, pendant lequel des mesures d'assainissement des exploitations sont obligatoires, a été instauré du 17 avril au 28 mai 2017. Par deux décisions du 12 avril 2017 et du 14 février 2018, la directrice générale de FranceAgriMer a respectivement défini les conditions d'éligibilité au paiement de l'avance et du solde des aides financières destinées à indemniser les pertes d'exploitation des producteurs concernés. L'EARL Uhartekoa, qui a pour activité l'élevage et le gavage de canards à Barcus, a déposé le 6 juin 2017 un dossier de demande d'aide, qui a été accepté. En conséquence, elle a bénéficié d'une avance de 50 %, ayant fait l'objet de deux versements en août et septembre 2017, à hauteur de 20 507,44 euros et 8 202,98 euros. Après la présentation, le 19 mars 2018, de sa demande de paiement du solde de l'aide compensatoire, un titre de recettes a toutefois été émis à son encontre, le 19 septembre 2018, en vue du remboursement intégral de l'avance perçue. L'exploitation relève appel du jugement du 2 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce titre de recettes.

Sur le cadre du litige :

2. D'une part, la directive 2005/94/CE du Conseil du 20 décembre 2005, concernant des mesures communautaires de lutte contre l'influenza aviaire et abrogeant la directive 92/40/CEE, a établi certaines mesures préventives relatives à la surveillance et à la détection précoce de l'influenza aviaire et visant à renforcer le niveau de vigilance et de préparation des autorités compétentes et du monde agricole vis-à-vis des risques liés à cette maladie, des mesures minimales de lutte à appliquer en cas d'apparition d'un foyer d'influenza aviaire chez des volailles ou d'autres oiseaux captifs et une détection précoce de la propagation éventuelle des virus de la maladie à des mammifères, et d'autres mesures subsidiaires visant à éviter la propagation des virus de l'influenza d'origine aviaire à d'autres espèces.

3. Par un arrêté du 4 janvier 2017 relatif aux mesures complémentaires techniques et financières pour la maîtrise de l'épizootie d'influenza aviaire due au virus H5N8 dans certains départements, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a organisé des mesures d'abattage préventif en vue d'accélérer la maîtrise de l'épizootie d'influenza aviaire due au virus H5N8, au sein des zones de protection, de surveillance ou des zones de contrôle temporaire prévues par l'arrêté ministériel du 18 janvier 2008, dites zones réglementées. Aux termes de l'article 5 de cet arrêté : " L'Etat prend en charge les frais de transport, d'abattage et de destruction des animaux détruits en application de l'article 1er. / Le mandatement des participations pour ces opérations est subordonné à la production au préfet de factures acquittées ou d'un relevé justificatif des sommes effectivement dépensées. ".

4. Par une décision du 15 février 2017, le directeur général de FranceAgriMer a précisé les modalités de mise en œuvre d'une indemnisation des éleveurs de volailles ayant subi des pertes dues à l'abattage préventif, hors foyers, ordonné par l'administration depuis janvier 2017 en lien avec l'épizootie d'influenza aviaire.

5. D'autre part, sur le fondement du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, et notamment son article 220, paragraphe 1, point a), la Commission européenne a adopté le règlement d'exécution (UE) n° 2018/252 du 19 février 2018 portant sur des mesures exceptionnelles de soutien du marché pour le secteur de la volaille en France, par lequel elle a arrêté une participation de l'Union au financement des mesures à concurrence de 50 % des dépenses supportées par la France pour soutenir le marché de la volaille gravement touché par l'apparition de 486 foyers d'influenza aviaire hautement pathogène de sous type H5, décelée et notifiée par la France entre le 1er décembre 2016 et le 30 juin 2017. Les dépenses engagées par la France sont admissibles à ce cofinancement de l'Union, sous certaines conditions, notamment pour les élevages de volailles soumis aux mesures zoosanitaires et vétérinaires et situés dans les zones dites réglementées.

6. Par un arrêté du 31 mars 2017 déterminant des dispositions de prévention, de surveillance et lutte complémentaires contre l'influenza aviaire hautement pathogène dans certaines parties du territoire, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a notamment interdit la mise en place de palmipèdes, pendant la période comprise entre la date d'entrée en vigueur de cet arrêté et le 28 mai 2017, en particulier dans les communes des Pyrénées-Atlantiques dont la liste a été publiée au Bulletin officiel du ministère en charge de l'agriculture. Aux termes du 3ème alinéa de l'article 1er de cet arrêté : " Un vide sanitaire est obligatoire du 17 avril 2017 au 28 mai 2017 pendant lequel des mesures d'assainissement des exploitations sont obligatoires. Ces mesures et les conditions de dérogation correspondantes sont définies à l'article 4. ".

7. Par une décision du 12 avril 2017, la directrice générale de FranceAgriMer a précisé les modalités de mise en œuvre d'une avance de 50 % sur la prise en charge des pertes de non production à compter du 1er décembre 2016, liées à l'épisode d'influenza aviaire H5N8, à destination des éleveurs de volailles (palmipèdes et gallinacés), non foyers, implantés au sein des zones réglementées mises en place dans le sud-ouest. Aux termes du paragraphe 3 de cette décision, fixant les critères cumulatifs d'éligibilité à cette avance : " Les bénéficiaires éligibles à la mesure de soutien décrite dans cette décision doivent répondre aux critères suivants : / être exploitant agricole, un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC), une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), ou une autre personne morale ayant pour objet l'exploitation agricole qui réalise une activité commerciale de production de volailles ; / être immatriculée au répertoire SIREN de l'INSEE par un numéro SIRET actif au moment du dépôt de la demande de compensation et du paiement ; / avoir une activité d'élevage (ou gavage le cas échéant) de volailles et commercialiser celle-ci (vivants, entiers, découpés ou transformés). Les exploitations qui pratiquent le gavage doivent répondre aux exigences de l'arrêté du 21 avril 2015 établissant des normes minimales relatives à l'hébergement des palmipèdes destinés à la production de foie gras ; / avoir son siège situé dans une zone réglementée mise en place pour lutter contre l'épisode d'influenza aviaire H5N8, et subir des interdictions de mise en place de volailles dans son exploitation, ou, par dérogation, avoir un bâtiment d'élevage au moins situé dans la zone réglementée à condition de pouvoir justifier que l'activité de ce bâtiment répond aux critères d'éligibilité ; / avoir débuté une production de volaille avant la mise en œuvre des mesures d'interdiction de mise en place de volailles dans la zone réglementée dans laquelle l'exploitation est implantée ; / ne pas être une exploitation foyer d'IAHP H5N8. Les exploitations foyers relèvent d'un autre dispositif. / Les entreprises concernées par une procédure de liquidation judiciaire sont exclues de la mesure d'avance. ". Le paragraphe 7 de cette décision précise que : " En cas d'irrégularité détectée après paiement, il est demandé au bénéficiaire le reversement de tout ou partie de l'aide attribuée. En outre, une sanction de 10 % du montant de l'aide indue est appliquée. / Si l'irrégularité est relevée avant paiement, l'aide sollicitée est réduite à concurrence du montant indu. / Des intérêts pourraient être appliqués en cas de demande de remboursement et de non-paiement dans les délais prévus. ".

8. Par une décision du 14 février 2018, la directrice générale de FranceAgriMer a précisé les modalités de mise en œuvre de la prise en charge des pertes de non production à compter du 1er décembre 2016, liées à l'épisode d'influenza aviaire H5N8 à destination des éleveurs de volailles (palmipèdes et gallinacés) implantés au sein des zones réglementées mises en place dans le sud-ouest. Aux termes du paragraphe 2 de cette décision, fixant les critères cumulatifs d'éligibilité au dispositif d'indemnisation : " Pour être éligibles à la mesure de soutien décrite dans cette décision, les bénéficiaires doivent répondre aux critères suivants : / être un exploitant agricole, un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC), une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), ou une autre personne morale ayant pour objet l'exploitation agricole et qui réalise une activité commerciale de production de volailles ; / avoir une activité d'élevage et/ou de gavage de volailles et commercialiser celles-ci (vivantes, entières, découpées ou transformées). Les exploitations qui pratiquent le gavage doivent répondre aux exigences de l'arrêté du 21 avril 2015 établissant des normes minimales relatives à l'hébergement des palmipèdes destinés à la production de foie gras ; / avoir son siège situé dans une zone réglementée mise en place pour lutter contre l'épisode d'influenza aviaire H5N8, et avoir subi des interdictions de mise en place de volailles dans son exploitation, ou, avoir un bâtiment d'élevage au moins situé dans la zone réglementée à condition de pouvoir justifier que l'activité de ce bâtiment répond aux critères d'éligibilité ; / avoir débuté une production de volaille avant la mise en œuvre des mesures d'interdiction de mise en place de volailles dans la zone réglementée dans laquelle l'exploitation est implantée. / Il n'est pas nécessaire d'avoir obtenu une avance dans le cadre des dispositifs mis en place par la décision INTV-GECRI-2017-24 modifiée pour bénéficier de la présente mesure. ".

Sur la légalité du titre de recettes du 19 septembre 2018 :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur de droit :

9. Une décision qui a pour objet l'attribution d'une subvention constitue un acte unilatéral qui crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. Il en résulte que les conditions mises à l'octroi d'une subvention sont fixées par la personne publique au plus tard à la date à laquelle cette subvention est octroyée. Lorsque, notamment en cas d'urgence, une avance est octroyée au bénéficiaire, la personne publique peut toutefois subordonner sa liquidation définitive au respect de conditions qui seront ultérieurement précisées. Quand ces conditions ne sont pas respectées, en tout ou partie, le retrait ou la réduction de la subvention peuvent intervenir sans condition de délai.

10. Il ressort des pièces du dossier que, par deux arrêtés des 7 avril 2017 et 20 avril 2017 du préfet des Pyrénées-Atlantiques, l'enlèvement et l'abattage préventif des palmipèdes détenus en liberté (prêts à gaver) ont été ordonnés dans les exploitations citées en annexe de ces arrêtés, parmi lesquelles figure l'EARL Uhartekoa, qui exerce son activité à Barcus, commune mentionnée sur la liste publiée au Bulletin officiel du ministère en charge de l'agriculture. Ces arrêtés n'ont toutefois pu être mis en œuvre en raison d'une opposition, les 14 et 21 avril 2017, de plusieurs dizaines de personnes qui ont empêché les agents mandatés par l'administration ainsi que les véhicules dédiés à l'enlèvement et à l'abattage des volailles d'accéder au sein de l'exploitation. En conséquence, la directrice générale de FranceAgriMer a refusé de verser à l'EARL Uhartekoa le solde des aides financières destinées à indemniser ses pertes d'exploitation et, par un titre de recettes du 19 septembre 2018, lui a demandé de reverser les sommes déjà perçues.

11. Il ne résulte d'aucune des mentions de la décision précitée du 12 avril 2017 de la directrice générale de FranceAgriMer que l'abattage préventif des volailles constituerait l'une des conditions nécessaires à l'attribution de la subvention qu'elle prévoit, qui a pour objet d'indemniser les pertes de non production subies par les éleveurs en raison de l'interdiction de mise en place de nouvelles volailles édictée, notamment, par l'arrêté du 31 mars 2017, distinctes des pertes résultant de l'abattage préventif ordonné par l'administration en application de l'arrêté du 4 janvier 2017, en lien avec l'épizootie d'influenza aviaire H5N8, qui, pour leur part, ont fait l'objet d'un dispositif d'indemnisation distinct, précisé par une décision du 15 février 2017 de la directrice générale de FranceAgriMer. Toutefois, il résulte des termes du paragraphe 2 de la décision du 12 avril 2017 que la subvention accordée en raison des pertes résultant de l'interdiction de mise en place de volailles dans les zones réglementées constitue une avance provisoire, à hauteur de 50 % de la perte de marge brute estimée par animal éligible non produit, la liquidation définitive de cette aide intervenant ultérieurement, sur la base d'un régime d'indemnisation s'appuyant sur l'article 220 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013, faisant alors l'objet de discussions en cours entre les autorités françaises et la Commission européenne. Le paragraphe 5 de cette décision prévoit, dans le même sens, que tout producteur bénéficiant d'une avance s'engage à déposer un dossier permettant la régularisation de cette avance dans les conditions qui seront fixées dans la décision ad hoc. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient l'EARL Uhartekoa, la directrice générale a pu, sans entacher le titre de recettes contesté d'erreur de droit, subordonner l'octroi définitif de l'avance qui lui a été versée en août et septembre 2017 au respect de conditions fixées ultérieurement, dans sa décision du 14 février 2018.

12. Il résulte, à cet égard, des termes du paragraphe 4 de la décision précitée du 14 février 2018 que, s'agissant des palmipèdes, pour calculer le montant indemnisable au titre des pertes subies pendant les mesures sanitaires ou postérieurement à celles-ci, il est tenu compte, notamment, du nombre de jours d'interdiction correspondant au vide sanitaire imposé par les autorités sanitaires afin de mettre en œuvre les mesures d'assainissement des exploitations concernées. Le vide sanitaire rendu ainsi obligatoire implique nécessairement, pour les éleveurs qui ont atteint la fin d'un précédent cycle de production, de ne pas mettre en place de nouveaux individus et pour ceux qui, à l'instar de l'EARL Uhartekoa, n'ont pas encore écoulé la totalité de leur production, de procéder au préalable au dépeuplement de la zone pour qu'il n'y ait plus d'animaux, avant de mettre en œuvre les mesures d'assainissement des exploitations, conformément aux dispositions de l'arrêté ministériel du 31 mars 2017 susmentionné. Ainsi, quand bien même l'abattage préventif des volailles ne constitue pas une condition formellement mentionnée au paragraphe 2 de la décision du 14 février 2018, fixant les critères cumulatifs d'éligibilité au dispositif d'indemnisation, cette condition découle nécessairement des normes qui régissent la subvention en cause. Le formulaire Cerfa n° 15860*01 déposé le 19 mars 2018 par la gérante de l'exploitation pour la régularisation de l'avance perçue prévoit d'ailleurs que le demandeur atteste sur l'honneur avoir respecté les mesures de dépeuplement et de vide sanitaire. Par suite, c'est sans entacher le titre de recettes contesté d'erreur de droit que la directrice générale de FranceAgriMer, pour refuser le versement du solde de la subvention sollicitée par l'EARL Uhartekoa et exiger le remboursement des sommes déjà perçues, s'est fondée sur le motif tiré du non-respect de cette condition, quand bien même l'appelante aurait respecté celle tenant à l'absence d'installation de nouveaux palmipèdes.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation :

13. Aux termes du II de l'article 4 de l'arrêté ministériel du 31 mars 2017 ci-dessus mentionné : " II. - Les responsables des exploitations commerciales qui seraient amenés à maintenir des palmipèdes en place après le 17 avril 2017, en dehors des palmipèdes en gavage destinés à la consommation humaine, doivent demander une dérogation préfectorale au vide sanitaire synchronisé. Les conditions d'octroi de la dérogation portent sur les points suivants. / a) Obtention d'un dépistage de l'influenza aviaire sur un lot d'un minimum de 60 individus par unité de production, avec résultat favorable en recherche virologique et sérologique obtenu au plus tôt le 10 avril 2017. / b) Réalisation d'un dépistage de l'influenza aviaire sur un lot d'un minimum de 60 individus par unité de production, avec résultat favorable en recherche virologique tous les 21 jours, le dernier étant obtenu sur des prélèvements réalisés après le 28 mai 2017. / c) Engagement écrit sur l'honneur à respecter les dispositions de l'arrêté du 8 février 2016 susvisé et à respecter après le départ des palmipèdes les dispositions des points a à c du I du présent article. / En outre le détenteur doit informer la direction départementale en charge de la protection des populations des dates de départ des palmipèdes afin de permettre la supervision des opérations d'assainissement qui s'ensuivent. (...) ".

14. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 25 avril 2017, le préfet des Pyrénées-Atlantiques, prenant acte de ce que ses précédents arrêtés des 7 avril 2017 et 20 avril 2017 n'avaient pu être mis en œuvre à l'endroit de l'EARL Uhartekoa, a placé l'exploitation sous la surveillance du directeur départemental de la protection des populations et d'un vétérinaire et a instauré notamment la mise en place de prélèvements et de recherches sérologiques et virologiques sur des populations de 60 individus de chaque unité de production, tous les 21 jours entre le 26 avril 2017 et le 7 juin 2017. Ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, en l'absence de demande présentée par l'EARL Uhartekoa aux fins de déroger aux mesures de vide sanitaire, dans les conditions prévues par les dispositions précitées du II de l'article 4 de l'arrêté ministériel du 31 mars 2017, les mesures de surveillance dont elle a fait l'objet ne s'inscrivaient pas dans ce cadre dérogatoire mais ont été prises à défaut de démarche volontaire de l'EARL Uhartekoa susceptible de permettre l'exécution des arrêtés des 7 et 20 avril 2017. Dès lors, l'appelante n'est pas fondée à soutenir qu'en estimant qu'elle n'avait pas respecté les mesures de dépeuplement et de vide sanitaire, la directrice générale de FranceAgriMer a entaché le titre de recettes litigieux d'erreur manifeste d'appréciation. A cet égard, est sans incidence la circonstance que, par un jugement du 10 décembre 2018, le tribunal correctionnel de Pau a relaxé l'EARL Uhartekoa et sa gérante des faits d'obstacle ou d'entrave aux fonctions des agents chargés de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de la santé publique vétérinaire et de la protection des végétaux, et de non-respect des mesures d'abattage prescrites, dans le cadre d'une maladie réglementée, au motif de l'absence de tout acte positif direct de leur part y ayant concouru. Enfin, si l'EARL Uhartekoa soutient qu'elle a finalement procédé à l'abattage de ses canards en fin de cycle d'exploitation et a respecté l'obligation de vide sanitaire avant la réintroduction de nouveaux canetons, elle n'en justifie pas alors, au demeurant, que le vide sanitaire réglementaire visé par la décision du 14 février 2018 de la directrice générale de FranceAgriMer devait être mis en œuvre entre le 17 avril 2017 et le 28 mai 2017 et non postérieurement à cette période.

En ce qui concerne le moyen tiré du détournement de pouvoir :

15. Le moyen tiré du détournement de pouvoir n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que la directrice générale de FranceAgriMer aurait mis en œuvre le droit dont elle dispose de retirer l'avance accordée, lorsque les conditions ne sont pas respectées, pour des considérations étrangères à des préoccupations sanitaires, afin de lutter contre la propagation de l'épizootie de virus d'influenza aviaire H5N8. Par suite, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

16. Il résulte de ce qui précède que l'EARL Uhartekoa n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de FranceAgriMer, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par l'EARL Uhartekoa au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'EARL Uhartekoa une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par FranceAgriMer et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'EARL Uhartekoa est rejetée.

Article 2 : L'EARL Uhartekoa versera à FranceAgriMer une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL Uhartekoa et à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

Michaël Kauffmann La présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture, de l'alimentation et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX00662

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00662
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : SCPA MENDIBOURE-CAZALET

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;22bx00662 ?
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