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27/02/2024 | FRANCE | N°22BX00560

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 27 février 2024, 22BX00560


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Biganos à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime.



Par un jugement n° 1906279 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 20 février 2022, M. C...

A..., représenté par la SELARL Cabinet Raffaillac, agissant par Me Raffaillac, demande à la Cour :



1°) d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Biganos à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime.

Par un jugement n° 1906279 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 février 2022, M. C... A..., représenté par la SELARL Cabinet Raffaillac, agissant par Me Raffaillac, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 décembre 2021 précité ;

2°) de condamner la commune de Biganos à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Biganos les dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête, qui n'est pas tardive, est recevable ;

- il est victime de harcèlement moral de la part de ses collègues, MM. F... et E..., révélé par l'absence d'invitation à se faire accompagner d'un délégué syndical lors des différents entretiens liés aux faits qu'on lui reproche, ainsi que par leur comportement agressif à son égard ;

- le harcèlement moral dont il a été victime résulte également de son état dépressif consécutif à l'entretien du 25 février 2015, de la différence de traitement avec M. F... également coupable de vol de carburant, de l'ambiance malsaine des services coupables de favoritisme à l'égard de certaines entreprises, de l'absence de communication des conclusions du comité médical consécutives à sa visite de reprise le 4 novembre 2015, de son placement injustifié en garde-à-vue, de l'interdiction faite par M. E... à son secrétariat de transmettre la demande de reprise du travail de ce dernier au comité médical au mois de janvier 2019, de l'interdiction qui lui a été faite le 11 avril 2019 de reprendre son emploi, de l'agression subie le 27 juin 2019 par M. E..., de son lourd état dépressif , de l'absence de rémunération au titre de mars 2019 et des dix premiers jours du mois d'avril, de l'absence de comité hygiène et sécurité au sein de la commune ;

- le comportement abusif de la commune et de plusieurs de ses collègues est la cause de la dégradation de son état de santé ; il a été victime d'un accident vasculaire-cérébral le 25 mai 2015 et présente depuis lors diverses séquelles ;

- étant travailleur handicapé, il ne pourra plus travailler à temps plein à l'avenir et ses droits à la retraite sont réduits en raison de deux ans de suspension.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2023, la commune de Biganos, représentée la SELARL HMS Atlantique Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de M. A... devant le tribunal est tardive ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 6 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Cazcarra pour la commune de Biganos.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., agent de maintenance aux services techniques de la commune de Biganos et affecté à l'atelier menuiserie, a été suspendu de ses fonctions à compter du 4 janvier 2016, à raison du vol à des fins personnelles d'essence et de gazole. Le maire de Biganos l'a exclu de ses fonctions pour deux ans par un arrêté du 10 mai 2016, qui a été annulé par le tribunal administratif de Bordeaux par un jugement n°1602948 du 30 décembre 2016 au motif de l'insuffisance de motivation. Par un second arrêté du 9 janvier 2017, M. A... a été exclu pour une durée de deux ans pour les mêmes faits. M.A... a en outre été condamné pour ces faits par un jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux du 9 juin 2017, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 25 avril 2018. M. A... a été placé en congé de maladie ordinaire du 26 février 2015 au 3 janvier 2016, puis en congé longue maladie du 11 avril 2016 au 10 avril 2019. M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Biganos à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du harcèlement moral dont il s'estime victime. Il relève appel du jugement du 20 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

4. M. A... soutient qu'il a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, et particulièrement de M. F..., responsable des services techniques et de M. E..., directeur des ressources humaines de la commune de Biganos à partir de février 2015, date à laquelle les faits de vol de carburants qui lui sont reprochés ont été découverts. Il fait ainsi valoir qu'il n'a pas été invité à être assisté d'un délégué syndical lors des entretiens organisés au titre de l'enquête, et qu'il a subi un comportement agressif de leur part, ayant causé son état dépressif. En outre M. F... se serait également rendu coupable de détournement de carburant sans avoir été sanctionné démontrant une différence de traitement entre les agents. L'ambiance de travail serait malsaine et favorable au favoritisme dans l'attribution de chantiers aux entreprises. Par ailleurs, les conclusions du rapport du comité médical consécutif à la visite de reprise de M. A... du 4 novembre 2015 auraient été dissimulées par M. E.... Le placement abusif de M. A... en garde-à-vue résulterait d'une attestation mensongère rédigée par plusieurs collègues à la demande de MM. E... et F.... M. A... fait valoir qu'il a déposé deux plaintes le 8 février 2016 pour harcèlement moral contre X et contre Mme B... pour attestation mensongère. En janvier 2019, alors que M. A... sollicitait le bénéfice d'un mi-temps thérapeutique, il a été fait obstacle à l'instruction de sa demande et il a été interdit de reprendre son emploi le 11 avril 2019 au motif que sa sanction d'exclusion temporaire de deux ans n'avait pas été exécutée. M. A... a déposé plainte pour avoir été agressé par M. E... le 27 juin 2019. Enfin, M. A... fait valoir qu'il n'a pas été rémunéré pour le mois de mars et les dix premiers jours d'avril 2019 et que la commune de Biganos ne veillerait pas à la sécurité de ses agents, faute de réunion d'un comité d'hygiène et de sécurité.

5. Toutefois, il résulte de l'instruction que les entretiens qui se sont tenus les 23 et 25 février 2015 ont eu pour objet de conduire une enquête administrative portant sur la consommation de carburants au sein de la collectivité et non de procéder à une enquête disciplinaire à l'encontre de M. A..., laquelle a été initiée postérieurement. Dès lors, la circonstance que M. A... n'a pas été informé de la possibilité d'être assisté d'un délégué du personnel n'est pas de nature à caractériser une volonté de lui nuire. Si les différentes attestations et comptes-rendus d'auditions produits relatent la charge émotionnelle de M. A... lors des entretiens au cours desquels il a reconnu avoir commis des vols de carburants au détriment de la commune de Biganos, faits pour lesquels il a été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux du 29 juin 2017 confirmé en appel, ces circonstances, eu égard à l'objet même des entretiens et alors qu'aucun élément ne permet d'établir un comportement abusif de la part de ses supérieurs qui l'ont interrogé sur de possibles complices et sur les faits de vols présumés, ne sont pas davantage de nature à établir l'existence d'un harcèlement moral à son égard. Enfin, les allégations du requérant tenant à la circonstance que M. F... se serait également rendu coupable de détournement de carburants sans avoir été sanctionné, démontrant un traitement différent pour les agents, ne sont corroborées par aucun élément.

6. En outre, si M. A... soutient que M. E... aurait dissimulé les conclusions du comité médical à la suite de sa visite de reprise du travail le 4 novembre 2015, celles-ci lui ont été adressées par courrier du 8 décembre 2015, en réponse à sa demande formée le 4 décembre 2015. Par suite, cette allégation n'est pas établie. Par ailleurs, M. A..., qui avait été placé en congé de longue maladie jusqu'au 11 avril 2019, s'est vu opposer un refus à sa demande de reprise du travail au motif que l'exécution de la sanction d'exclusion temporaire de service d'une durée de deux ans n'avait pas été exécutée. Cette circonstance ne peut être regardée comme caractérisant une situation de harcèlement moral. Il en est de même quant à l'information délivrée par M. E... le 11 avril 2019 au sujet de l'impossibilité d'une reprise du travail ce même jour. Enfin, si M. A... soutient que sa garde-à-vue résulterait de fausses attestations, il ne l'établit pas.

7. Par ailleurs, s'agissant de l'incident survenu le 27 juin 2019, il ressort de l'enquête préliminaire que M. A... a insulté M. E.... Un rappel à la loi a été ordonné par l'autorité judiciaire. La seule circonstance que le conseil de M. A... a saisi le procureur de la République, par courrier du 25 juillet 2019, pour lui faire part de ce que M. E... aurait menacé M. A... de révocation et l'aurait insulté ne permet pas de regarder ces faits comme établis. Dans ces conditions, l'incident survenu le 27 juin 2019 ne révèle pas une situation de harcèlement moral. De même, il ne ressort du dossier ni que le rapport circonstancié signé par MM. F..., Iparraguire, Tampon et Zurcher serait mensonger, ni que l'ambiance de travail serait malsaine et empreinte de favoritisme dans l'attribution des chantiers aux entreprises. En outre, si M. A... soutient que la commune de Biganos ne dispose pas de comité d'hygiène et de sécurité se réunissant régulièrement, il ressort des arrêtés du 10 décembre 2014 et du 17 décembre 2018 portant composition du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail que ce comité a été créé et M. A... n'établit pas l'avoir saisi de sa situation et des faits de harcèlement qu'il dénonce.

8. Enfin, il ressort des bulletins de salaires produits par la commune de Biganos que M. A... a perçu en mars un demi-traitement correspondant au mois de février 2019, et n'a perçu aucun traitement pour la période allant du 1er mars 2019 jusqu'au 10 avril 2019. Si cette absence de rémunération n'était pas justifiée, elle a depuis été régularisée par son employeur, et ne saurait à elle seule caractériser une situation susceptible de relever de faits constitutifs de harcèlement moral. M. A... se prévaut également de la dégradation de son état de santé au cours de ces dernières années, de la survenance d'un accident vasculaire cérébral, de l'obtention du statut de travailleur handicapé et d'un état dépressif sévère. Toutefois, ces circonstances ne sont pas de nature à établir, en l'espèce, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la réalité du harcèlement moral qu'il invoque.

9. Il suit de là que les agissements invoqués par M. A... ne sont pas de nature à établir l'existence d'un comportement susceptible de relever du harcèlement moral et à engager la responsabilité de la commune de Biganos.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune de Biganos, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais de l'instance :

11. En l'absence de dépens, les conclusions présentées à ce titre par M. A... doivent être rejetées.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Biganos, qui n'est pas partie perdante dans le cadre de la présente instance, la somme demandée par M. A... sur ce fondement. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Biganos sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera une somme de 1 500 euros à la commune de Biganos sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la commune de Biganos.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 5 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 février 2024.

La rapporteure,

Caroline D...

La présidente,

Ghislaine MarkarianLa greffière,

Catherine JussyLa République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX00560 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00560
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : CABINET D'AVOCAT RAFFAILLAC SELARLU

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;22bx00560 ?
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