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30/04/2024 | FRANCE | N°22BX01529

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 30 avril 2024, 22BX01529


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La région Réunion a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner solidairement les sociétés Grands Travaux de l'Océan Indien (GTOI), Organisme de contrôle DIDES, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et bureau d'études techniques bois béton et structures (BET BESM) à lui verser la somme totale de 9 137 052,86 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation des désordres affectant le Centre de formation aux métiers de l'automobile et des transports (C

FAT) de Saint-Pierre, assortie des intérêts légaux à compter du 5 juillet 2013 et de leur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Réunion a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner solidairement les sociétés Grands Travaux de l'Océan Indien (GTOI), Organisme de contrôle DIDES, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et bureau d'études techniques bois béton et structures (BET BESM) à lui verser la somme totale de 9 137 052,86 euros toutes taxes comprises (TTC) en réparation des désordres affectant le Centre de formation aux métiers de l'automobile et des transports (CFAT) de Saint-Pierre, assortie des intérêts légaux à compter du 5 juillet 2013 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1901153 du 2 mars 2022, le tribunal administratif de La Réunion a condamné solidairement la société GTOI, la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, la société BET BESM et la société Organisme de Contrôle DIDES à verser à la région Réunion la somme de 4 688 011,40 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 5 août 2019 et capitalisation au 5 août 2020, a condamné la société GTOI à garantir les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à hauteur de 76 %, a condamné la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés à garantir les sociétés GTOI, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à hauteur de 10 %, a condamné la société BET BESM à garantir les sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et Organisme de Contrôle DIDES à hauteur de 10 %, a condamné la société Organisme de Contrôle DIDES à garantir les sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et BET BESM à hauteur de 4 % , a condamné les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à verser à la société GTOI respectivement 10 %, 10 % et 4% de la somme de 247 734,29 euros HT, a mis à la charge des sociétés des sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES une somme de 1 000 euros chacune au profit de la région Réunion, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juin 2022 et 4 janvier 2024, la région Réunion, représentée par Me K'Jan, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 mars 2022 du tribunal administratif de La Réunion en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 4 688 011,40 euros TTC ;

2°) de porter la somme que la société GTOI, la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, la société BET BESM et la société Organisme de Contrôle DIDES ont été solidairement condamnées à lui verser à la somme de 10 146 902 euros TTC, ou à titre subsidiaire à la somme de 7 220 604 euros TTC s'agissant des travaux de reprise de la charpente et à la somme de 2 634 639,40 euros TTC s'agissant des autres préjudices consécutifs aux désordres, assorties des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2013 ou, à défaut, à compter du 5 août 2019, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise avant d'évaluer le coût des travaux de réparation de la charpente ;

4°) de mettre à la charge de la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, de la société BET BESM et de la société Organisme de Contrôle DIDES une somme de 6 000 euros au titre de L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a intérêt et qualité à agir ; si, en application de la loi dite " Avenir professionnel", les régions ont perdu leur compétence générale en matière d'apprentissage, elles ne sont cependant pas totalement dépourvues de compétences en matière de formation professionnelle et peuvent notamment poursuivre leur programme d'investissement dans les centres de formation des apprentis (CFA) ; cette loi n'organise pas de transfert des biens immobiliers affectés en tout ou partie à l'exercice de cette compétence ; l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales n'organise pas davantage un tel transfert de biens au profit de l'Etat ;

- elle a justifié du détail des dépenses engagées ; elle est recevable à actualiser ses demandes indemnitaires en appel ;

- en ce qui concerne les travaux de reprise de la charpente, le caractère durable de la solution de réparation préconisée par le cabinet Depoux, consistant en la reprise ponctuelle et le renforcement de la structure, n'est pas avéré et est contesté par l'expert, auquel il appartenait de définir la nature et le montant des travaux ; de tels travaux de réparation, qui ne permettraient pas de remédier à toutes les malfaçons, ne sont pas de nature à garantir la pérennité de la charpente ; le versement d'une indemnisation n'est pas conditionné par l'exécution des travaux de reprise ; il n'y a pas lieu d'appliquer un coefficient de vétusté compte tenu de la durée de 3 ans entre la levée des réserves et l'apparition des désordres ; il y a lieu de lui allouer une indemnité de 6 500 000 euros TTC ; si la cour entendait retenir la solution Depoux, le montant retenu par le tribunal est insuffisant, l'expert ayant lui-même relevé qu'une telle solution nécessiterait des adaptations ; le coût de ces travaux de réparation devrait être porté à 2 400 000 euros afin de tenir compte des aléas de chantier ; dans l'hypothèse d'une simple réparation, il conviendrait en outre de lui allouer une somme de 2 806 173 euros TTC pour tenir compte de la perte de valeur vénale du bâtiment ;

- en ce qui concerne les préjudices consécutifs aux désordres affectant la charpente, elle démontre leur réalité et la nécessité des dépenses engagées ;

- l'expert s'est à juste titre adjoint un sapiteur financier ; le tableau qu'elle a produit pour justifier ses préjudices immatériels, visé par le payeur général, est revêtu d'une force probante ; ce tableau est en outre assorti d'une liasse de pièces établissant les dépenses qu'elle a engagées ; c'est à tort que le tribunal n'a fait que partiellement droit à ses demandes en n'accordant les sommes que pour leur montant certifié, alors qu'elle a apporté des justificatifs de l'engagement des dépenses pour un montant total de 2 459 403 euros TTC ;

- elle n'a redéployé que les seules activités que le bâtiment A2 abritait ; la dépense engagée à raison du recours à une assistance à maîtrise d'ouvrage est établie par les factures produites, la réalité du service fait n'ayant pas à être démontrée ; elle a droit, à ce titre, à une indemnisation de 27 114,15 euros TTC ;

- la circonstance que la commune de Saint-Pierre a conclu avec l'établissement public foncier de La Réunion (EPFR), dont la région est membre, une convention d'acquisition foncière des locaux, ne remet pas en cause le principe de la location ; la convention de mise à disposition des locaux et les avis des sommes à payer démontrent que les loyers qui lui sont réclamés sont destinés à l'occupation des locaux ; le tribunal a exactement évalué ce poste de préjudice en lui allouant une somme de 701 999, 70 euros TTC ;

- les locaux de substitution loués à Saint-Pierre pour y installer provisoirement une partie des activités du bâtiment A2 du CFAT ont dû faire l'objet d'aménagements qui ne pourront pas être réutilisés par la région ; si le matériel pourra être utilisé par la suite, elle n'aurait pas exposé une telle dépense en l'absence des désordres affectant la charpente, de sorte qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'un amortissement ; elle a produit l'ensemble des justificatifs des dépenses engagées ; ce poste de préjudice, partiellement indemnisé par le tribunal qui n'a pas tenu compte de l'ensemble des justificatifs, doit être évalué à la somme totale de 349 403,96 euros ;

- le gardiennage est lié à la configuration spécifique des lieux et au matériel stocké sur place ; le tribunal lui a alloué à juste titre une somme de 443 788, 19 euros TTC à ce titre ;

- s'agissant des travaux et opérations associés liés aux désordres déjà réalisés, son indemnisation doit être portée à 332 507,32 euros TTC ;

- elle est recevable et fondée à solliciter en appel une somme de 10 501 euros TTC au titre de la relocalisation de ses activités sur le CPOI ;

- la somme qui lui a été allouée en réparation de son préjudice d'image doit être portée à 200 000 euros, soit 25 000 euros par an ; la fermeture de l'atelier en raison des désordres a indéniablement entraîné des répercussions sur l'image du CFAT ainsi que la qualité des enseignements dispensés ; elle a produit différents articles montrant le fort mécontentement des élèves ; de plus, elle n'a pas pu réaliser l'ensemble des formations prévues ;

- elle est fondée à solliciter l'indemnisation de son préjudice futur lié au redéploiement des activités le temps de réaliser les travaux définitifs de reprise de la charpente ; ce préjudice futur doit être évalué à 959 770 euros TTC si la solution Depoux, estimée à 9 mois, devait être retenue, et à 1 488 602 euros TTC si la solution de réfaction intégrale, estimée entre 18 et 24 mois, devait être retenue ;

- elle est fondée à demander une réévaluation du montant demandé en première instance à hauteur de 33% afin de tenir compte de l'augmentation du prix des matières premières depuis le début de l'année 2022 ; l'indice Index du bâtiment BT16b - Charpente bois est passé de 110,4 en juin 2018 à 137,6 en août 2023, soit une augmentation de 27,3 points ;

- dès lors qu'elle n'est pas assujettie à la TVA sur l'activité exercée au titre du service public de l'enseignement professionnel, elle est fondée à estimer son préjudice TTC ;

- il y a lieu de faire courir les intérêts du 5 juillet 2013, soit à compter de la date de sa requête devant le tribunal de grande instance de Saint-Pierre, ou à défaut à compter du 5 août 2019, date d'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif ; elle a également droit à la capitalisation des intérêts.

Par des mémoires enregistrés les 9 septembre 2022 et 27 novembre 2023, la société Lanik, représentée par Me Brajeux, conclut au rejet de la requête et des appels en garantie dirigés à son encontre par les sociétés Atelier d'architecture Dupuy et BET BESM et à la mise à charge de la région Réunion d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et demande à cour, à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité allouée à la région Réunion à la somme de 1 711 877,79 euros TTC.

Elle soutient que :

- la région Réunion, qui n'est plus propriétaire du bâtiment litigieux, n'a pas qualité pour agir ;

- la région n'établit ni la nécessité de remplacer intégralement la charpente litigieuse, ni celle de délocaliser la totalité de l'activité du CFAT ; la région pouvait réaliser les travaux de réfection de la charpente une fois déposé le rapport d'expertise judiciaire, de sorte qu'elle ne peut ni prétendre à une indemnisation au-delà de 2018 ni à une augmentation forfaitaire de 33 % ;

- les désordres en cause ne lui sont pas imputables ;

- les appels incidents des sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et BET BESM soulèvent un litige distinct de l'appel principal de la région Réunion, qui porte exclusivement sur le montant de l'indemnisation qui lui a été allouée ;

- les conclusions d'appel en garantie dirigées contre elle par les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et BET BESM ne ressortissent pas de la compétence de la juridiction administrative.

Par des mémoires enregistrés les 22 septembre 2022, 9 juin 2023 et 19 octobre 2023, la société GTOI, représenté par Me Danilowiez, conclut au rejet de la requête et demande à a cour, par la voie de l'appel incident, de ramener l'indemnisation allouée à la région Réunion aux sommes de 1 911 380,70 euros HT s'agissant des travaux de reprise et à 74 433 euros s'agissant des autres préjudices, et, par la voie d'appel provoqué, de condamner les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à la garantir à hauteur de 20 % chacune de la condamnation prononcée à son encontre et à lui rembourser à hauteur de 20 % chacune la somme de 247 734,29 euros HT correspondant aux mesures conservatoires, enfin, de mettre à la charge des sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la région, qui ne démontre pas être toujours propriétaire du bâtiment litigieux, ne justifie pas de sa qualité et de son intérêt à agir ;

- s'agissant du sous-dimensionnement de la charpente, elle avait confié à la société SACBA l'ensemble des études de la charpente comprenant son dimensionnement et sa fabrication ; cette société est donc responsable des désordres ; le BET BESM, qui a validé l'ensemble des études produites par cette société, est également responsable ; le contrôleur technique, qui a émis un avis favorable sur l'ensemble des plans et notes de calcul produites par la société SACBA, et n'a ainsi pas relevé les erreurs engageant la pérennité de l'ouvrage, est également responsable ;

- s'agissant des problèmes d'assemblage relevés par l'expert, cet assemblage avait été sous-traité à la société Lanik ; les malfaçons affectant cet assemblage sont imputables à cette société ; de plus, la maitrise d'œuvre, qui devait suivre le montage de la charpente, a failli dans sa mission ; il en va de même du contrôleur technique, qui effectuait des visites sur site pour suivre les travaux ;

- elle a réalisé à ses frais des travaux conservatoires pour un total de 247 734,29 euros HT ; ces travaux doivent être intégrés dans le coût total des travaux ; la part de responsabilité du maître d'œuvre, du bureau d'études techniques et du contrôleur technique doit être portée à 20 % chacun ;

- le tribunal a retenu à juste titre la solution de reprise ; elle a établi le 30 juin 2017 un devis de 1 840 780,70 euros HT ; le délai de réalisation est estimé à 9 mois ; les frais de maitrise d'œuvre d'exécution des travaux s'élèvent à 70 900 euros ; la solution de reprise s'élève donc à la somme de 1 911 380,70 euros HT ; cette solution a été vérifiée par la société SOCOTEC, contrôleur technique , qui a estimé que ces travaux permettraient de garantir la solidité de l'ensemble de la charpente bois du bâtiment ; l'expert ne remet pas en cause la validité technique de cette solution ; si l'expert note qu'elle ne permet pas de vérifier les éventuelles malfaçons visibles, il précise que ces malfaçons n'ont pas d'incidence sur la résistance de la charpente ;

- les entreprises s'étant engagées à réaliser les travaux de reprises pour les prix figurant dans leurs devis, il n'y a pas lieu de procéder à la réévaluation du dommage de la région, réévaluation qui n'est aucunement justifiée ;

- la région ne saurait réclamer une indemnité à raison d'une perte vénale dès lors que ces travaux vont au contraire contribuer à l'allongement de la durée de vie du bâtiment ;

- il y a lieu d'appliquer un abattement de vétusté qui ne saurait être inférieur à 68 % ;

- si le redéploiement des activités a pu entrainer des charges d'exploitation, il convient toutefois de les comparer aux coûts enregistrés avant ce redéploiement ; sans délocalisation, la région aurait exposé des dépenses relatives à l'entretien des locaux, lesquelles doivent être déduites du surcoût allégué ;

- il n'est pas démontré que les frais dont il est demandé le remboursement correspondaient à des prestations strictement nécessaires ; le document établi par la région elle-même n'a pas de valeur probante ; les bons de commande, devis et factures produits par la région ne démontrent pas que la région les aurait effectivement réglés ;

- aucun élément ne démontre la nécessité du recours à un assistant à la maitrise d'ouvrage ; la région n'y avait d'ailleurs pas eu recours dans le cadre du marché en litige ; la preuve du règlement effectif n'est en outre pas rapportée ;

- les nouveaux locaux de substitution sont loués à l'Etablissement Public Foncier Réunion dont est membre la région ; cette dernière n'établit pas que les loyers dont elle sollicite le remboursement sont destinés à l'occupation des locaux ; elle ne justifie pas davantage du paiement effectif des loyers ;

- s'agissant des aménagements réalisés dans les locaux de substitution, ils ne seront ni abandonnés ni détruits au terme de la location ; les ponts élévateurs pourront par exemple resservir ou être transférés ; il appartient à la région de fournir les écritures d'amortissement du matériel acquis et des travaux ; la plupart des postes ne sont justifiés que par des devis ou des lettres de commande, qui ne permettent pas de s'assurer d'un règlement effectif ;

- les frais de gardiennage ne sont pas justifiés par la seule production d'un bon de commande et d'un devis ; il y a lieu de s'interroger sur le bien-fondé de ces prestations, notamment dans la journée et s'agissant du nombre de veilleurs de nuit ;

- s'agissant de la location d'un terrain doté d'un hangar et d'un parking, la région ne produit aucune preuve du versement effectif des loyers ; il en va de même s'agissant de la location du terrain doté d'une cabine de peinture, d'une aire de préparation et d'une aire de stockage, ou encore d'un atelier de 500 m² et de bureaux et de la mise à disposition d'un plateau destiné aux examens ;

- s'agissant de la somme réclamée de 353 980, 55 euros TTC au 30 juin 2019 au titre des travaux et opérations associés aux désordres, la région ne communique ni factures, ni preuve du règlement effectif des sommes dont le remboursement est réclamé ; si la région a procédé au règlement de la somme de 74 433 euros au titre de la facture GTOI, elle n'a pas réglé cette facture à hauteur de 22 667, 26 euros ;

- le préjudice d'image invoqué par la région n'est pas établi ;

- aucune facture ni preuve de règlements effectifs ne sont produits s'agissant de l'assistance technique aux opérations d'expertise et aux constants d'huissier et de la location de la nacelle ;

- la somme de 10 501,04 euros correspondant aux " nouvelles dépenses " n'était pas demandée en première instance et la région n'explique pas à quoi correspondent ces dépenses ;

- la région étant éligible au FCTVA en vertu des articles L. 1615-1, L. 1615-12 et R. 1615-1 à R. 1615-7 du code général des collectivités territoriales, il convient d'évaluer son préjudice hors taxes ;

- la désignation d'un nouvel expert n'est pas justifiée en l'espèce.

Par des mémoires enregistrés les 30 septembre 2022 et 26 octobre 2023, la société Organisme de Contrôle DIDES, représentée par Me Fournier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, à titre principal, d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il l'a condamnée à indemniser la région Réunion, à verser à cette dernière une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à garantir les sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et BET BESM à hauteur de 4 % des condamnations prononcées à leur encontre et à rembourser à la société GTOI respectivement 4% de la somme de 247 734,29 euros HT, à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité allouée à la région Réunion à la somme de 1 911 380,70 euros HT s'agissant des travaux de reprise et de rejeter ses autres demandes indemnitaires, enfin, de mettre à la charge de la région Réunion une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en vertu des articles L.111-23 et L.111-24 du code de la construction et de l'habitation, le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages, dans les limites de la mission que le maître d'ouvrage lui a confiée , de sorte que le contrôleur technique n'est soumis aux dispositions des articles 1792,1792-1 et 1792-2 du Code civil que dans les seules limites de sa mission ; il n'est pas considéré comme un constructeur d'ouvrage et n'est donc pas assujetti à une présomption générale de responsabilité ; il ne peut être tenu vis à vis des constructeurs de supporter la réparation des dommages, qu'à concurrence de la part de responsabilité susceptible d'être mise à sa charge ;

- en l'espèce, la conformité de l'assemblage aux normes en vigueur à l'époque du chantier a été contrôlée ; l'expert s'est fondé sur une nouvelle norme technique intégrant une vérification supplémentaire sur " rupture de bloc " ; cette nouvelle vérification n'était toutefois prévue ni par les règles de calculs CB 71 ni par les règles professionnelles BLC au moment du chantier ;

- il n'est pas démontré que les malfaçons auraient pu être décelées par le contrôleur technique dans le cadre de sa mission ; l'expertise a identifié de multiples modifications de perçage des pièces en bois faites sur le chantier par les entreprise, qui ont eu pour effet de modifier les jeux d'assemblage et provoquer des glissements d'assemblage supérieurs à ceux normalement attendus ; ces malfaçons d'exécution sont principalement à l'origine du sinistre ; or, le contrôle sur la réalisation des ouvrages incombe au maître d'œuvre, le contrôleur technique ne pouvant que formuler des observations sur les défauts visibles à l'occasion de ses visites aléatoires sur le chantier ;

- il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir constaté que le mode de montage de la charpente n'était pas celui initialement prévu ; aucun document d'exécution ou note de calcul ne faisait état des conditions de montage ; aucune exigence détaillée sur le mode de montage ne figurait au CCTP du dossier de conception analysé par le contrôleur technique ou au CCTP du marché de travaux ;

- aucun argument ne justifie d'écarter la solution de réparation de la charpente ;

- aucun élément n'étant apporté par la région sur la nécessité qu'il y aurait eu de délocaliser la totalité des activités du CFAT alors que le sinistre est survenu sur un seul bâtiment

- la quasi-totalité des montants alloués par le tribunal résulte d'un tableau établi par la région elle-même, sans valeur probante ;

- la région ne démontre ni l'utilité ni la pertinence de la dépense de 27 114,15 euros au titre d'une assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'accompagner dans les opérations de délocalisation du pôle formation automobile, de celle exposée au titre de l'assistance technique aux opérations d'expertise, et de celles correspondant aux constats d'huissier ou encore des nouvelles dépenses ;

- certaines dépenses, non arbitrées, sont imprécises et ne peuvent en l'état faire l'objet d'une indemnisation ; c'est le cas des 349 403,96 euros sollicités au titre de la location de locaux de substitution dans l'ancien atelier Renault ou des frais de gardiennage de l'ancien atelier ;

- le préjudice d'image invoqué par la région n'est pas établi.

Par un mémoire, enregistré le 22 août 2023, les sociétés Atelier d'architecture Dupuy et BET BESM, représentées par Me Broglin, concluent au rejet de la requête de la région Réunion et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, de ramener l'indemnité allouée à la région Réunion à la somme de 1 850 000 euros s'agissant des travaux de reprise, par la voie de l'appel provoqué, de condamner les société GTOI, Organisme de Contrôle DIDES, SACB et Lanik à les garantir de toute condamnation et de mettre à leur charge une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la région n'a plus qualité pour agir ; l'ouvrage litigieux est un centre de formation d'apprentis qui a été édifié du temps où les régions avaient compétence sur la politique d'apprentissage ; cette compétence a été transférée des régions à l'État à compter du 1 er janvier 2020 dans le cadre de la loi du 5 septembre 2018 relative à " la liberté de choisir son avenir professionnel " ; ce transfert de compétence a entrainé la mise à disposition des biens meubles et immeubles à l'État pour l'exercice de cette compétence et l'État a indemnisé les collectivités pour le transfert de patrimoine ; la région conserve à titre résiduel un intérêt à agir pour les frais qu'elle a engagés à titre conservatoire durant la période antérieure à janvier 2020 ;

- les désordres constatés sur la charpente en lamellé-collé ne sont pas imputables à la mission qui a été confiée à l'architecte Dupuy, chargé de la conception architecturale du projet et de la conception et du suivi des lots architecturaux ; le lot charpente en lamellé-collé n'est pas un lot architectural, mais un lot structurel qui a été conçu et suivi par le bureau d'études BESM ; l'architecte devait simplement s'assurer que les documents d'exécution et les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions de son projet architectural ayant fait l'objet de l'autorisation d'urbanisme accordée ;

- l'expert n'a relevé aucune faute dans le dossier de conception établi par le BET BESM au titre de la phase PRO ; il n'est pas établi qu'il aurait manqué à son devoir de conseil ; aucun manquement ne peut lui être reproché dans sa mission VISA dès lors que les calculs et vérifications de la structure de la charpente ont été faits par rapport aux règles applicables sur le chantier ; la méthode de calcul de la rupture de bloc au niveau des assemblages a été introduite par l'Eurocode 5 en janvier 2010 ; le BET BESM n'a commis aucune faute dans le suivi des travaux ; le désordre touchant l'assemblage de l'entrait de la ferme en file 8 n'était pas décelable par un contrôle visuel dès lors que les ouvrages de charpente sont situés à des hauteurs de 6 à 7 mètres et que tous les assemblages métalliques sont masqués par des plaques en bois lamellé-collé de 75mm d'épaisseur qui servent de protection au feu ; le BET BESM a été trompé par l'entreprise chargée de la pose et ses sous-traitants, qui lui ont dissimulé s'être entendues pour adapter les pièces de charpente en procédant à des recoupes et des percements ; s'agissant du désordre tenant à la déformation importante de la charpente, aucun manquement ne peut être reproché au titre de la mission VISA, le BET BESM ayant bien prévu une déformation dans les tolérances ; en ce qui concerne la DET, la maîtrise d'œuvre a demandé avant réception des travaux que l'entreprise communique un relevé de déformation de la charpente pour vérification de la conformité par rapport aux limites admissibles ; le relevé qui lui a été communiqué, que la société GTOI avait été corrigé et ne dépassait pas les valeurs limites ; ainsi, l'entreprise connaissait la déformation excessive de la charpente par endroit et l'a dissimulée à la maîtrise d'œuvre et au bureau de contrôle pour ne pas avoir à reprendre son ouvrage ; s'agissant du troisième désordre relevé par l'expert et correspondant aux diverses malfaçons, à savoir des défauts de serrage des fixations et des reperçages et recoupes des pièces de bois, ils étaient difficilement détectables par un contrôle visuel ;

- la Région Réunion n'est aujourd'hui plus propriétaire du bâtiment A2 et n'aura donc pas à entreprendre de travaux de réparation ; elle ne peut donc réclamer une indemnisation à ce titre ;

- les conclusions indemnitaires de la région ne sont pas justifiées ;

- l'expert a estimé que la solution de réparation était adaptée et satisfaisante et l'a évaluée à 1 850 000 euros ; si l'expert indique aussi qu'il pourrait subsister des défauts sur les assemblages non contrôlés et difficilement contrôlables, cela reste hypothétique, d'autant que l'expert admet que s'il devait y avoir d'autres désordres cachés, ceux-ci auraient une incidence limitée sur la stabilité de l'ouvrage ;

- rien n'interdisait à la région d'engager les travaux dès le dépôt du rapport ; elle n'est donc pas fondée à solliciter une réévaluation du montant des travaux à réaliser ;

- la région Réunion est bénéficiaire du FCTVA et remplit les conditions pour récupérer la TVA sur les travaux ;

- s'agissant de la mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, il résulte de l'attestation du payeur général du 12 mai 2021 que la Région n'a payé qu'une somme de 14 097,41 euros TTC ;

- s'agissant des frais d'aménagement des locaux à Saint-Pierre, il ressort de l'attestation du trésorier payeur général que ces prestations n'ont pas été payées en totalité ; il résulte de l'attestation du payeur régional faite le 30 mai 2022 que la région a versé une somme 74 433,57 euros TTC au groupement GTOI/AXIMUM, la région ne justifie toujours pas de la somme de 85 546,12 euros TTC et cette attestation comporte des incohérences ;

- les dépôts de garantie de 11 392,50 euros et 1 000 euros sont récupérables à la fin de la location ;

- certaines dépenses n'apparaissent pas comme étant liées au sinistre, en particulier les frais d'assistance à maître d'ouvrage pour les opérations de délocalisation du pôle de formation pour 27 114,15 euros, les frais de gardiennage pour les nouveaux locaux pour 636 870 euros, la location d'un terrain et d'un parking à Saint-Louis pour 188 837,84 euros ;

- certaines dépenses ne sont pas justifiées, en particulier les travaux d'aménagement pour 349 403,96 euros, la location d'un terrain avec cabine de peinture pour 11 000 euros, la location d'un atelier et d'un bureau pour 240 870 euros, les frais de déménagement pour 32 946 euros, les travaux associés aux désordres pour 353 980,55 euros ;

- les nouveaux locaux de substitution sont loués à l'établissement Public Foncier Réunion dont est membre la région ; cette dernière ne conteste pas qu'elle a la possibilité de récupérer le montant de 701 999,70 euros versé à titre de loyer à l'EPFR ;

- si la requérante réclame des frais de redéploiement des activités pendant et après les travaux, elle n'aura pas à assumer cette dépense dès lors que, depuis janvier 2020, les régions n'ont plus compétence pour l'apprentissage ;

- le préjudice d'image invoqué par la région n'est pas établi.

Par une ordonnance du 9 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 janvier 2024.

Par un courrier du 22 février 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office.

Des observations ont été présentées pour la société Lanik le 7 mars 2024.

Un mémoire a été produit pour la région Réunion le 18 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général des impôts ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris,

- les observations de Me Rameau, représentant la région Réunion,

- les observations de Me Danilowiez, représentant la société GTOI ;

- les observations Me Chanaron, représentant la société Organisme de contrôle DIDES ;

- les observations de Me Broglin, représentant Me Hoareau, la société Egide et la société BET BESM ;

- et les observations de Me Clavière-Schiele, représentant la société Lanik.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du marché de travaux relatif à la construction d'un centre de formation aux métiers de l'automobile et des transports (CFTAT) à Saint-Pierre, la région Réunion a confié la maitrise d'œuvre à un groupement composé des sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et bureau d'études techniques bois béton et structures (BET BESM), et le contrôle technique à la société Organisme de contrôle DIDES. Par un acte d'engagement du 7 septembre 2006, le lot n° 4 " charpente bois lamellé-collé " a été attribué à la société Grands Travaux de l'Océan Indien (GTOI) pour un montant total de 28 061 726,21 euros toutes taxes comprises (TTC). La société GTOI a sous-traité la prestation " études, fabrication et conception " à la société SACBA et la prestation de pose de la charpente à la société Lanik, qui a elle-même fait appel à la société SUPORTEMA, sous-traitante de second rang, pour la pose de la charpente. Les travaux de pose de la charpente ont été réalisés entre septembre 2007 et mars 2008. L'ouvrage a été réceptionné le 6 novembre 2008 avec des réserves, sans lien avec la charpente, qui ont été levées le 14 juin 2010. Le 14 juin 2013, la charpente de l'atelier de maintenance des véhicules légers du bâtiment A2 s'est rompue au niveau de l'assemblage sur l'entrait de la ferme en file 8. Par une ordonnance du 17 juillet 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Pierre a, sur la demande de la région Réunion, ordonné une expertise aux fins de déterminer l'origine des désordres affectant la charpente du bâtiment. L'expert a rendu son rapport le 20 juin 2018.

2. La région Réunion a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale, les sociétés GTOI, Organisme de contrôle DIDES, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et BET BESM à l'indemniser des préjudices liés aux désordres affectant la charpente du bâtiment. Par un jugement du 2 mars 2022, le tribunal administratif de La Réunion a condamné solidairement la société GTOI, la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, la société BET BESM et la société Organisme de Contrôle DIDES à verser à la région Réunion la somme de 4 688 011,40 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 5 août 2019 et capitalisation à partir du 5 août 2020, a condamné la société GTOI à garantir les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à hauteur de 76 %, a condamné la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés à garantir les sociétés GTOI, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à hauteur de 10 %, a condamné la société BET BESM à garantir les sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et Organisme de Contrôle DIDES à hauteur de 10 %, a condamné la société Organisme de Contrôle DIDES à garantir les sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et BET BESM à hauteur de 4 %, a condamné les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à verser à la société GTOI respectivement 10 %, 10 % et 4% de la somme de 247 734,29 euros HT, a mis à la charge des sociétés des sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES une somme de 1 000 euros chacune, au profit de la région Réunion, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

3. La région Réunion relève appel de ce jugement en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 4 688 011,40 euros TTC et demande à la cour de porter la somme que la société GTOI, la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, la société BET BESM et la société Organisme de Contrôle DIDES ont été solidairement condamnées à lui verser à la somme de 10 146 902 euros TTC, ou à titre subsidiaire à la somme de 7 220 604 euros TTC s'agissant des travaux de reprise de la charpente, et à la somme de 2 634 639,40 euros TTC s'agissant des autres préjudices consécutifs aux désordres affectant la charpente. La société GTOI demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de ramener l'indemnisation allouée à la région Réunion aux sommes de 1 911 380,70 euros hors taxe (HT) s'agissant des travaux de reprise et à 74 433 euros s'agissant des autres préjudices, et, par la voie d'appel provoqué, de condamner les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Organisme de Contrôle DIDES à la garantir à hauteur de 20 % chacune de la condamnation prononcée à son encontre et à lui rembourser à hauteur de 20 % chacune la somme de 247 734,29 euros HT correspondant aux mesures conservatoires. Les sociétés Atelier d'architecture Dupuy et BET BESM demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, de ramener l'indemnité allouée à la région Réunion à la somme de 1 850 000 euros s'agissant des travaux de reprise et, par la voie de l'appel provoqué, de condamner les sociétés GTOI, Organisme de Contrôle DIDES, SACB et Lanik à la garantir de toute condamnation. La société Organisme de Contrôle DIDES demande à la cour, à titre principal, d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il l'a condamnée à indemniser la région Réunion, à garantir les sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et BET BESM à hauteur de 4 % des condamnations prononcées à leur encontre et à rembourser à la société GTOI 4 % de la somme de 247 734,29 euros HT, à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité allouée à la région Réunion à la somme de 1 911 380,70 euros HT s'agissant des travaux de reprise et de rejeter ses autres demandes indemnitaires. Enfin, la société Lanik conclut au rejet des appels en garantie dirigés à son encontre par les sociétés Atelier d'architecture Dupuy et BET BESM.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel de la région Réunion :

4. Les sociétés GTOI, Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, BET BESM et Lanik soutiennent que l'action en garantie décennale de la région Réunion aurait été transmise à l'Etat à la suite de l'adoption de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elles ne se prévalent cependant d'aucune disposition législative ou règlementaire qui aurait organisé le transfert, au profit de l'Etat, de la propriété des immeubles appartenant aux régions et affectés à la formation professionnelle. A cet égard, elles ne sauraient utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales, uniquement relatives au transfert de compétence entre les collectivités territoriales, leurs établissements et leurs groupements. La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la région Réunion doit, dès lors, être écartée.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs :

5. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La garantie décennale peut être recherchée pour des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Pierre, que la charpente de l'atelier de maintenance des véhicules légers du bâtiment A2 du CFTAT a présenté, en juin 2013, une rupture au niveau de l'assemblage sur l'entrait de la ferme en file 8 ainsi qu'un affaissement. Ces désordres, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage eu égard au risque de ruine relevé par l'expert, ont été causés par le sous-dimensionnement de la charpente au stade de sa conception et par les modalités de montage, en particulier les nombreux reperçages et redécoupes des pièces et un défaut de serrement des fixations, ayant contribué à fragiliser encore la charpente. Ainsi que l'a relevé le tribunal, ces désordres sont imputables à la société GTOI, attributaire du lot n°4 " charpente bois lamellé-collé ", aux sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et BET BESM, membres du groupement de maîtrise d'œuvre et à la société DIDES, contrôleur technique chargé notamment du contrôle de la solidité de l'ouvrage. La circonstance que les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et DIDES n'auraient pas commis de faute n'est pas de nature à les exonérer en tout ou partie de la responsabilité encourue par elles à vis-à-vis du maître de l'ouvrage.

7. Par suite, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la région Réunion est fondée à demander la condamnation solidaire de la société GTOI, de la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, de la société BET BESM et de la société Organisme de Contrôle DIDES, sur le fondement de la responsabilité décennale, à réparer les préjudices subis à raison des désordres affectant la charpente du bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre.

Sur la réparation des préjudices subis par la région Réunion :

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

S'agissant des travaux de reprise de la charpente :

8. Le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection, sans que l'indemnisation qui lui est allouée à ce titre puisse dépasser le montant des travaux strictement nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme à sa destination et à ses caractéristiques contractuelles en usant des procédés de remise en état les moins onéreux possible.

9. La région Réunion fait valoir que, suivant les préconisations du rapport d'expertise, les travaux destinés à remédier de manière pérenne aux désordres affectant la charpente du bâtiment A2 du CFTAT doivent consister en un remplacement de l'intégralité de la charpente en lamellé-collé. Il résulte toutefois de l'instruction que la société GTOI, assistée par le Cabinet Depoux structure ingénierie, a présenté au cours des opérations d'expertise une proposition de réparation consistant, sur la base des structures d'étaiement déjà posées, à soulever la charpente, zone après zone, et à recréer les assemblages défaillants sur les entraits de ferme, puis à enlever tous les étaiements afin qu'il ne subsiste aucune entrave sous la charpente. L'expert indique que cette solution de réparation, quoique complexe à réaliser, est adaptée pour remédier aux désordres tenant à la rupture d'un assemblage et à l'affaissement généralisé de la charpente. Il relève néanmoins que cette solution de réparation ne permettrait pas de contrôler les zones non visibles des assemblages, probablement affectées des mêmes malfaçons que celles déjà constatées, et écarte en conséquence cette solution. Toutefois, l'expert indique à plusieurs reprises dans son rapport que les malfaçons qui subsisteraient à l'issue de tels travaux de réparation n'auraient qu'une incidence limitée, voire aucune incidence sur la stabilité globale de la structure. Il résulte en outre de l'instruction que la solution de réparation proposée par la société GTOI a été validée par un rapport du 6 juin 2017 de la société SOCOTEC, contrôleur technique, qui a estimé que ces travaux permettraient de garantir la solidité de l'ensemble de la charpente bois du bâtiment. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont estimé les premiers juges, il convient de déterminer l'indemnité de la région Réunion correspondant aux travaux de reprise de la charpente par référence au montant des travaux de réparation de cette charpente, moins onéreux que des travaux de remplacement intégral et permettant de remédier aux désordres affectant la solidité de l'ouvrage.

10. Le coût des travaux de réparation de la charpente peut être évalué à 1 840 780,70 euros HT selon le devis établi le 30 juin 2017 par la société GTOI relatif aux études d'exécution, au suivi et à la réalisation des travaux. Il convient d'ajouter les frais de maitrise d'œuvre, qui peuvent être évalués à 70 900 euros HT sur la base de la proposition faite en juin 2017 par le Cabinet Depoux structure ingénierie. Ainsi que l'indique l'expert, il y a lieu de retrancher le coût des travaux de mise en place de protections au feu de deux heures, qui ne sont pas obligatoires, tout en tenant compte de la nécessité de prévoir des protections au feu de 30 minutes, prescrites par le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché. Il y a également lieu de tenir compte des aléas inhérents à ce type de chantier particulièrement complexe, que l'expert estime inéluctables. En revanche, si la région demande une actualisation du coût des travaux à hauteur de 33 % afin de tenir compte de l'augmentation du prix des matières premières depuis le début de l'année 2022, elle était à même de procéder aux travaux de reprise de la charpente dès après le dépôt du rapport d'expertise en 2018, de sorte qu'elle n'est pas fondée à solliciter cette actualisation. Enfin, la région Réunion n'établit pas que la solution de réparation de la charpente engendrerait une perte de valeur vénale de l'ouvrage. Dans ces conditions, eu égard au coût des travaux tels que chiffrés par les entreprises, et afin de tenir compte des surcoûts impliqués par les aléas du chantier, il y a lieu d'évaluer le coût des travaux de reprise de la charpente à la somme de 2 300 000 euros TTC.

11. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les désordres affectant la charpente du bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre sont apparus trois ans après la réception définitive des travaux. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'appliquer un coefficient de vétusté au coût des travaux de reprise de la charpente.

12. Enfin, le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d'ouvrage ne relève d'un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu'il a perçue à raison de ses propres opérations. Si, en vertu des dispositions de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée vise à compenser la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales notamment sur leurs dépenses d'investissement, il ne modifie pas le régime fiscal des opérations de ces collectivités. Ainsi, ces dernières dispositions ne font pas obstacle à ce que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les travaux de réfection d'un immeuble soit incluse dans le montant de l'indemnité due par les constructeurs à une collectivité territoriale, maître d'ouvrage, alors même que celle-ci peut bénéficier de sommes issues de ce fonds pour cette catégorie de dépenses.

13. En se bornant à faire valoir que la région Réunion bénéficie du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et associés et BET BESM ne produisent aucun élément permettant de renverser la présomption de non-assujettissement à cette taxe dont bénéficie la région Réunion. Dès lors, il y a lieu d'inclure cette taxe dans le montant du préjudice indemnisable de la région.

S'agissant des dépenses engagées à raison des travaux de sécurisation de la charpente :

14. Il résulte de l'instruction qu'eu égard au risque de ruine, la région Réunion a fait réaliser un diagnostic puis des travaux conservatoires de confortement de la charpente, incluant notamment des relevés géométriques et études, le démontage et le remontage des plaques pare-feu et l'étaiement de la charpente. Elle a produit les bons de commande et factures correspondants, et il résulte de l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021, laquelle présente un caractère probant, que les dépenses exposées à ce titre se sont élevées à la somme totale 247 051, 20 euros. Elle produit en outre en appel une nouvelle attestation du payeur régional établie le 30 mai 2022, également revêtue d'un caractère probant, selon laquelle elle a en outre payé le 29 novembre 2013 une somme de 74 433,57 euros au titre de l'expertise de la charpente. Enfin, il résulte de l'instruction que les opérations ci-dessus mentionnées ont nécessité de louer des nacelles. Selon l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021, la région a exposé à raison de ces locations de nacelles une somme totale de 21 473,23 euros. Dans ces conditions, la somme qui lui a été allouée par le tribunal en réparation du préjudice lié aux travaux de sécurisation de la charpente doit être portée à 342 958 euros.

S'agissant des dépenses engagées à raison du redéploiement des activités :

15. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, qu'en raison du risque de ruine de la charpente du bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre, la région Réunion a dû procéder au redéploiement des activités de formation du pôle automobile abritées par ce bâtiment. Pour effectuer ce redéploiement, qui impliquait de louer de nouveaux locaux et de déménager les ateliers, elle a conclu un contrat d'assistance technique à maîtrise d'ouvrage avec la société OTEIS. Eu égard à la complexité de cette opération de redéploiement, les sociétés DIDES et GTOI ne sont pas fondées à remettre en cause l'utilité de cette dépense. La région Réunion produit un bon de commande établi le 18 février 2016 pour un montant de 27 114,15 euros TTC et les factures émises par la société OTEIS. Toutefois, il résulte du tableau des dépenses certifiées par le payeur régional de la région Réunion du 12 mai 2021 que seule la facture émise en avril 2018 pour un montant de 14 697,41 euros a été payée par la région, et cette dernière n'apporte en appel aucun élément permettant de démontrer qu'elle aurait effectivement payé une somme de 27 114, 15 euros à la société OTEIS. Le tribunal a dès lors fait une exacte évaluation de ce poste de préjudice en lui allouant une somme de 14 697,41 euros.

16. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier de l'attestation du payeur régional de la région Réunion que les frais de déménagement exposés par la région Réunion à raison du redéploiement des activités abritées par le bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre se sont élevés à la somme totale de 32 946, 02 euros.

17. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, pour poursuivre l'activité de formation " véhicule industriel ", la région Réunion a, selon un contrat de mise à disposition conclu le 26 novembre 2015 et résilié au 31 août 2017, loué à la société SOREQUIP des locaux situés à Etang-Salé comportant un atelier de 500 m², une fosse mécanique et des bureaux. Elle a en outre loué à cette même société, selon un contrat conclu le 12 novembre 2016, un plateau destiné à l'organisation des épreuves techniques des examens. Il résulte de l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021, qui suffit à démontrer le paiement effectif des loyers, que la région a exposé à ce titre une somme totale de 229 477,50 euros, déduction faite du dépôt de garantie de 11 392,50 euros récupérable au terme de la location.

18. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que, pour poursuivre l'activité de formation " carrosserie peinture automobile ", la région Réunion a, en vertu d'un contrat de mise à disposition conclu le 18 janvier 2016, loué à la société Garage Ramay, à raison de quelques journées au cours de l'année 2016, un terrain situé à Saint-Louis, doté d'une cabine de peinture, d'une aire de préparation et d'une aire de stockage. Il résulte des termes mêmes de cette convention que cette location était en lien avec le redéploiement des activités à la suite de la fermeture partielle des locaux de CFTAT de Saint-Pierre. Il résulte de l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021 que la région a exposé à ce titre une somme totale de 10 000 euros, déduction faite du dépôt de garantie de 1 000 euros récupérable au terme de la location.

19. En cinquième lieu, il résulte également de l'instruction qu'afin de stocker des machines à la suite de la fermeture d'une partie des locaux du CFTAT de Saint-Pierre, la région Réunion a conclu le 9 novembre 2015 avec la société Farmah un contrat de mise à disposition d'un terrain situé à Saint-Louis, doté d'un hangar et d'un parking, pour un loyer mensuel de 3 797 euros. Si la région fait valoir que la société Farmah avait conclu un mandat de gestion locative avec le cabinet Habilis, agence immobilière, elle n'établit pas avoir elle-même réglé les honoraires de négociation, de rédaction et d'états des lieux d'entrée et de sortie, d'un montant de 7 595 euros, qui incombaient au propriétaire selon le contrat produit au dossier. Il résulte de l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021 que la région a exposé, à raison des loyers versés de novembre 2015 à novembre 2019, une somme totale de 188 837,84 euros. S'il est exact que la région pouvait, dès après le dépôt du rapport d'expertise en juin 2018, faire procéder aux travaux de reprise de la charpente, la durée de ces travaux était estimée par la société GTOI à environ 9 mois, durée à laquelle il convient d'ajouter les inéluctables aléas du chantier liés à la complexité de tels travaux. Dans ces conditions, la région Réunion est fondée à solliciter la réparation du préjudice subi à raison de la location de locaux de substitution jusqu'à la fin de l'année 2019.

20. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que, selon des conventions d'occupation précaire conclues avec la commune de Saint-Pierre les 11 août 2016 et 1er avril 2018, la région Réunion a loué à cette commune un ensemble immobilier constitué de garages et de bureaux, qui était un ancien atelier Renault, pour un loyer mensuel de 14 666,66 euros, porté à 16 666,66 euros à partir du 1er avril 2018. Selon les termes mêmes de la convention, cette location était destinée à redéployer les activités du CFTAT après la fermeture d'une partie de ses locaux. Il résulte de l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021 que la région a exposé, à raison des loyers versés d'avril 2016 à décembre 2019, une somme totale de 701 999,70 euros. Or, ainsi qu'il a été dit au point précédent, la région Réunion est fondée à solliciter la réparation du préjudice subi à raison de la location de locaux de substitution jusqu'à la fin de l'année 2019. Enfin, la circonstance que la commune de Saint-Pierre a conclu avec l'établissement public foncier de La Réunion (EPFR), dont la région est membre, une convention d'acquisition foncière des locaux en cause, ne permet nullement d'établir que la région pourrait récupérer les loyers qu'elle a versés à raison de cette location.

21. En septième lieu, la région Réunion établit avoir engagé des dépenses aux fins d'aménager l'ensemble immobilier loué à la commune de Saint-Pierre. Selon les pièces produites, ces dépenses ont porté, notamment, sur la mise en place de ponts élévateurs et d'un compresseur et des travaux sur les installations électriques, et sont ainsi directement liés à la nécessité de redéployer les activités qu'abritait le bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre. Il résulte de l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021, qui permet de démontrer le paiement effectif de ces aménagements, que la région a exposé à ce titre une somme totale de 206 150,21 euros. La région ne justifie en revanche pas avoir effectué d'autres paiements à ce titre. Par ailleurs, et ainsi que le font valoir les sociétés en défense, les ponts élévateurs, acquis en juillet et septembre 2016 pour un montant total de 80 032,40 euros, pourront être réutilisés ou, le cas échéant, vendus par la région. En tenant compte d'une durée d'amortissement de l'ordre de 5 années pour ce type de matériel, il y a lieu d'indemniser la région à hauteur de 50 % du coût d'acquisition des ponts élévateurs, soit 40 016, 20 euros. Dans ces conditions, la somme que le tribunal a alloué à la région Réunion au titre de l'aménagement de l'ensemble immobilier loué à la commune de Saint-Pierre doit être ramenée à 166 134 euros.

22. En huitième lieu, en se bornant à faire état, sans autre précision, de la configuration spécifique des locaux et du matériel stocké sur place, la région Réunion n'établit pas que le poste de préjudice tenant aux frais de gardiennage serait en lien avec les désordres affectant la charpente du bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre, et ne soutient au demeurant pas davantage qu'elle n'aurait pas exposé de tels frais en l'absence de redéploiement des activités du CFTAT.

23. Enfin, la région Réunion sollicite en appel le versement d'une somme complémentaire de 10 501,04 euros au titre de la relocalisation de ses activités sur le CFTAT à l'issue des travaux de confortement de la charpente. La réalité de cette relocalisation n'est pas contestée par les parties. Les dépenses y afférentes ont été exposées postérieurement à l'attestation du payeur régional du 12 mai 2021, qui ne pouvait dès lors en faire état. A l'aune des factures produites au débat, il est établi que la région a exposé à ce titre une dépense totale de 10 501,04 euros. Contrairement à ce que soutient la GTOI, la région Réunion est recevable à solliciter, pour la première fois en appel, la réparation de ce chef de préjudice, qui se rattache au même fait générateur que celui invoqué en première instance.

24. Il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par la région Réunion à raison des dépenses engagées pour le redéploiement des activités qu'abritait le bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre doit être évalué à la somme totale de 1 354 593,51 euros TTC.

S'agissant du préjudice futur de redéploiement des activités durant les travaux de reprise :

25. Ainsi qu'il a été dit, la région Réunion aurait pu faire procéder, dès après le dépôt du rapport d'expertise en juin 2018, aux travaux de reprise de la charpente du bâtiment A2 du CFTAT de Saint-Pierre, et ainsi réintégrer ces locaux au plus tard en 2020. Dans ces conditions, le préjudice dont elle demande la réparation à raison des dépenses à engager pour redéployer ses activités durant la réalisation de ces travaux est imputable à sa propre décision de différer la réalisation desdits travaux. Sur ce point, ses conclusions indemnitaires doivent donc être rejetées.

S'agissant du préjudice d'image :

26. La circonstance que la presse locale ait fait état de la fermeture du CFAT de Saint-Pierre à raison des désordres en cause et que cette fermeture ait généré le mécontentement des apprentis ne suffit pas à établir la réalité du préjudice d'image invoqué par la région Réunion. C'est ainsi à tort que les premiers juges lui ont alloué une indemnisation à ce titre.

S'agissant des frais divers :

27. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'attestation du payeur général de la région Réunion, que cette dernière a exposé une dépense de 4 628,07 euros TTC au titre des constats d'huissier réalisés entre 2013 et 2016. La région établit également avoir exposé une 24 974,53 euros TTC au titre de l'assistance technique aux opérations d'expertise, dépense dont l'utilité ne peut être sérieusement contestée au regard de la complexité technique de l'expertise judiciaire. Enfin, par une ordonnance du 27 juin 2018, la vice-présidente du tribunal de grande instance de Saint-Pierre a taxé les frais de l'expertise ordonnée par ce tribunal, d'un montant de 37 000 euros. Il résulte de cette ordonnance que les avances de frais avaient été réglées à hauteur de 27 000 euros et que le solde de 10 000 euros devait être réglé à l'expert par la régie d'avances et de recettes auprès de laquelle cette somme était consignée. Il est ainsi suffisamment établi que la région Réunion a exposé une somme de 37 000 euros à raison des frais de cette expertise. Le tribunal a dès lors fait une exacte évaluation de ces frais divers en lui allouant une somme totale de 66 602,60 euros.

28. Il résulte de ce qui précède que la somme de 4 688 011,40 euros TTC que le tribunal a alloué à la région Réunion en réparation de ses préjudices doit être ramenée à 4 064 154,11 euros.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

29. Ainsi que l'a jugé le tribunal, les intérêts au taux légal sur la somme allouée à la région Réunion courent à compter du 5 août 2019, date d'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif tendant à la condamnation des constructeurs à l'indemniser. La région Réunion a en outre demandé, dans sa demande de première instance, la capitalisation des intérêts. Il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande au 5 août 2020, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

30. En premier lieu, les conclusions d'appel en garantie présentées par les sociétés Atelier d'Architecture Dupuy et Associés et BET BESM à l'encontre des sociétés SACB et Lanik sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

31. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que les désordres en cause sont notamment imputables à un sous-dimensionnement de la charpente au stade de sa conception. Si les documents de conception ont été élaborés par la société SACBA, la société GTOI ne s'aurait s'exonérer de sa responsabilité décennale vis-à-vis du maître d'ouvrage en invoquant la faute commise par son sous-traitant, qui n'a pas la qualité de constructeur. En outre, les sociétés BET BSM et DIDES, qui ont contrôlé les notes de calcul élaborées par la société SACBA, ont failli dans leur mission de contrôle en ne décelant pas ce sous-dimensionnement. Sur ce point, si les sociétés font valoir que l'expert s'est appuyé sur la norme de calcul dite " rupture de bloc " qui n'était pas en vigueur au moment du chantier, ce dernier explique toutefois dans sa réponse aux dires des parties s'être appuyé sur les normes de calcul alors applicables, à savoir les règles CB71 et le guide pratique de conception et de mise en œuvre des charpentes en bois lamellé-collé du SNCCBLC, et n'avoir utilisé la terme " rupture de bloc " que pour mieux caractériser le sous-dimensionnement des sections nettes des bois vis-à-vis des contraintes de traction et de cisaillement dans l'assemblage.

32. En troisième lieu, il résulte de l'instruction qu'alors que les documents de conception élaborés par la société SACBA prévoyaient un montage de la charpente au sol, la société GTOI a refusé de fournir à la société SUPORTEMA, chargée de la pose de la charpente, les moyens de levage nécessaires, à savoir des grues télescopiques, de sorte que cette dernière a procédé au montage " en l'air ". Ce mode de montage a engendré des glissements dans les assemblages, dus aux jeux de montage, et des déformations sur la structure partiellement montée, conduisant la société SUPORTEMA à procéder, en méconnaissance des règles de l'art, à des découpes et des reperçages d'environ 30 % des pièces de charpente, lesquels ont diminué la capacité résistante des assemblages. Cette faute commise dans la méthodologie de montage est imputable à la société GTOI. Par ailleurs, dès lors que la méthodologie de montage figurait dans les documents de conception élaborés par la société SACBA, la société BET BSM, qui ne pouvait ignorer les risques inhérents à un montage " en l'air " d'une telle charpente, a failli dans sa mission de contrôle.

33. En quatrième lieu, les diverses malfaçons affectant la charpente, consistant en de multiples découpes et reperçages et en des défauts de serrement des fixations, traduisent une méconnaissance des règles de l'art engageant la responsabilité de la société GTOI.

34. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction qu'à l'issue du chantier de pose de la charpente, la société GTOI a fourni à la maîtrise d'œuvre un relevé des déformations de la charpente " corrigé ", lui dissimulant ainsi les déformations affectant la charpente, lesquelles excédaient déjà les limites admissibles.

35. En sixième lieu, l'expert relève que la société SACBA ne possédait pas l'agrément " Qualibat " pour la fabrication et la pose de charpente en bois lamellé collé pour des portées supérieures à 40 mètres et que la société SUPORTEMA ne possédait pas d'agrément ou de qualification professionnelle pour la pose de ce type de structure. L'agrément de ces sociétés en qualité de sous-traitantes de la société GTOI révèle une faute de conseil du groupement de maîtrise d'œuvre, en particulier du BET BESM chargé des lots structurels.

36. En dernier lieu, ainsi qu'elle le fait valoir en appel, la société Atelier d'architecture Dupuy et Associés, chargée, au sein de groupement de maîtrise d'œuvre, des lots architecturaux, n'a commis aucune faute à l'origine des désordres en cause.

37. Il résulte de ce qui précède que les fautes commises par la société GTOI, la société BET BSM et la société DIDES ont concouru, respectivement, à 80 %, 15 % et 5 % du dommage subi par la région Réunion.

38. Par suite, il y a lieu de condamner les sociétés BET BSM et DIDES à garantir la société GTOI à hauteur de, respectivement, 15 % et 5 % des condamnations prononcées à son encontre, de condamner les sociétés GTOI et DIDES à garantir les sociétés Atelier d'architecture Dupuy et BET BSM à hauteur de, respectivement, 80 % et 5% des condamnations prononcées à leur encontre, et de réformer à ce titre le jugement attaqué.

Sur les conclusions présentées par la société GTOI au titre des travaux conservatoires :

39. Il résulte de l'instruction que la société GTOI a, au cours des opérations d'expertise, financé des travaux conservatoires de confortement de la charpente pour un montant de 247 734, 29 euros HT. Eu égard à ce qui a été ci-dessus, il y a lieu de condamner les BET BESM et la société Organisme de Contrôle DIDES à rembourser partiellement à la société cette somme sur la base de la répartition de leurs responsabilités, soit, respectivement, à hauteur de 15 % et de 5 %.

Sur les frais d'instance :

40. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme que la société GTOI, la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, la société BET BESM et la société Organisme de Contrôle DIDES ont été solidairement condamnées à verser à la région Réunion est ramenée à 4 064 154,11 euros TTC. Cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 août 2019. Les intérêts échus à la date du 5 août 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Les sociétés GTOI et DIDES sont condamnées à garantir les sociétés Atelier d'architecture Dupuy et BET BSM à hauteur de, respectivement, 80 % et 5% des condamnations prononcées à leur encontre

Article 3 : Les sociétés BET BSM et DIDES sont condamnées à garantir la société GTOI à hauteur de, respectivement, 15 % et 5 % de la condamnation prononcée à son encontre

Article 4 : Les sociétés BET BESM et DIDES sont condamnées à verser à la société GTOI respectivement 15 % et 5 % de la somme de 247 734,29 euros HT.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la région Réunion, à la société GTOI, à la société Atelier d'Architecture Dupuy et Associés, à la société BET BESM, à la société Organisme de Contrôle DIDES, à la société Lanik et à la société SACBA.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve-Dupuy

Le président,

Laurent Pouget Le greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au préfet de la Réunion, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX01529


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01529
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : HOLMAN FENWICK WILLAN FRANCE LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22bx01529 ?
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