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08/10/2015 | FRANCE | N°15DA00409

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 08 octobre 2015, 15DA00409


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H...G...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune d'Évreux à lui verser une somme totale de 170 617,32 euros, assortie des intérêts à taux légal à compter du 30 juillet 2009, à titre de réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en conséquence de la création d'une place aménagée devant un local commercial lui appartenant et de mettre à la charge de cette commune une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 0903285 du 9 novembre 2011, le tribunal administratif de Rouen, f...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H...G...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune d'Évreux à lui verser une somme totale de 170 617,32 euros, assortie des intérêts à taux légal à compter du 30 juillet 2009, à titre de réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en conséquence de la création d'une place aménagée devant un local commercial lui appartenant et de mettre à la charge de cette commune une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 0903285 du 9 novembre 2011, le tribunal administratif de Rouen, faisant partiellement droit à cette demande, a condamné la commune d'Evreux à verser à M. G... une somme de 50 000 euros, assortie des intérêts tels que demandés, à titre de réparation du préjudice couvrant la perte de loyers et les dépenses engagées pour la conservation ou le changement d'affectation du bien et mis à la charge de la commune d'Evreux une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 12DA00023-12DA00045 du 19 janvier 2013, la cour, saisie des requêtes d'appel formées par Mme D...G...et par la commune d'Evreux a annulé ce jugement et rejeté la demande formée par M. G...devant le tribunal administratif de Rouen.

Par une décision n° 367342 du 11 février 2015, le Conseil d'Etat a annulé, sur le pourvoi formé par MmeG..., cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour de céans.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et deux mémoires, enregistrés sous le n° 12DA00023 le 5 janvier 2012, le 14 juin 2012 et le 14 novembre 2012, Mme D...G..., représentée par Me J... -K...B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 novembre 2011 du tribunal administratif de Rouen, en tant qu'il ne fait que partiellement droit à sa demande ;

2°) de condamner la commune d'Evreux à lui verser, à titre principal, une somme totale de 210 268,04 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis et, à titre subsidiaire, une somme totale de 180 382,89 euros, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal dans les conditions susmentionnées ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Evreux une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 35 euros au titre des dépens.

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II. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 12DA00045 le 9 janvier 2012 et le 27 septembre 2012, la commune d'Evreux, représentée par Me A...C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 novembre 2011 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. G...devant le tribunal administratif de Rouen, de même que les conclusions présentées en appel par Mme G...;

3°) de mettre à la charge de Mme G...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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III. Par deux mémoires après cassation, enregistrés le 28 mai 2015 et le 10 septembre 2015 sous le n°15DA00409, Mme D...G..., représentée par Me J...-A...F..., conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens, la somme demandée à titre de réparation de l'ensemble de ses préjudices étant toutefois portée à 324 298,72 euros, compte tenu d'un préjudice lié à la perte de loyers porté à 76 455,12 euros, d'une perte de chance de conclure un nouveau bail désormais évaluée à 114 682 euros et d'un préjudice lié aux impôts locaux porté à 16 530 euros.

Par deux mémoires après cassation enregistré le 28 mai 2015 et le 10 septembre 2015, la commune d'Evreux, représentée par Me A...C..., conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens, la somme demandée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative étant toutefois portée à 5 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Maryse Pestka, rapporteur public,

- et les observations de Me J...-A...F..., représentant MmeG..., et de Me E...I..., représentant la commune d'Evreux.

1. Considérant que M.G..., propriétaire d'un local commercial situé sur le territoire de la commune d'Evreux, lequel était donné en location à la société Midas France qui y exploitait un fonds de commerce de réparation de véhicules, a recherché la responsabilité de la commune au titre du préjudice résultant de travaux d'aménagement des voies qui avaient rendu l'accès à son local plus difficile pour les véhicules excédant un certain gabarit ; que, par un jugement du 9 novembre 2011, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune d'Evreux à lui verser une indemnité de 50 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa demande ; que, Mme G...et la commune d'Evreux ayant chacune relevé appel de ce jugement, la cour a, par un arrêt du 29 janvier 2013, annulé celui-ci et rejeté la demande indemnitaire ; que toutefois, sur un pourvoi en cassation introduit par MmeG..., le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt, par une décision du 11 février 2015, au motif que si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique ; qu'en jugeant que les préjudices subis par le requérant n'étaient pas indemnisables dès lors que les aménagements en cause n'avaient pas eu pour effet de lui interdire tout accès à la voie publique, sans rechercher s'ils n'avaient pas eu pour effet de rendre cet accès excessivement difficile et s'il n'en résultait pas pour l'intéressé, dans les circonstances de l'espèce, un préjudice grave et spécial, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit ; que le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire à la cour, pour qu'elle y statue à nouveau ;

Sur la jonction :

2. Considérant que les requêtes d'appel de MmeG..., venant aux droits de son époux défunt, et de la commune d'Evreux, enregistrées initialement sous les nos 12DA00023 et 12DA00045, et dont les conclusions ont été reprises sous le nouveau n° 15DA00409, après que, par la décision n° 367342 du 11 février 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, ait annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 29 janvier 2013 et lui ait renvoyé l'affaire pour qu'elle statue à nouveau, sont dirigées contre le même jugement du 9 novembre 2011 du tribunal administratif de Rouen et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul arrêt ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant, d'une part, que, si Mme G...soutient que le jugement attaqué ne comporte pas la signature du président de la formation de jugement, ni la mention du nom du greffier d'audience, il résulte de l'examen de la minute de ce jugement que ces moyens manquent en fait ; qu'en outre, aucune disposition du code de justice administrative n'impose, à peine d'irrégularité, que le jugement comporte la mention du grade de ce greffier, ni ne prescrit à peine d'irrégularité que le cachet du tribunal soit apposé sur la minute du jugement ;

4. Considérant, d'autre part, qu'à supposer que les premiers juges se soient mépris sur la nature du préjudice qu'ils ont condamné la commune d'Evreux à indemniser, une telle erreur, qui concerne le bien-fondé du jugement, serait insusceptible d'en affecter la régularité ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme G...n'est pas fondée à soutenir que ce jugement serait entaché d'une irrégularité de nature à en entraîner l'annulation ;

Sur la responsabilité :

6. Considérant que si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment d'un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 8 juin 2011 à la demande de M. et MmeG..., que les travaux d'aménagement d'un espace piétonnier et de places de stationnement réalisés par la commune d'Evreux à proximité du local commercial en cause ont eu pour effet de rendre excessivement difficile l'approche de celui-ci par les camions de livraison ou de dépannage nécessaires à l'exploitation du fonds de commerce, lesquels sont désormais contraints, lorsque les places de stationnement situées aux abords de la voie d'accès sont occupées, d'effectuer de nombreuses manoeuvres afin de pouvoir, à l'issue d'un délai de plusieurs dizaines de minutes, accéder à ce local ; que, si la commune d'Evreux conteste la réalité de cette situation, en se prévalant notamment d'un procès-verbal de constat d'huissier dressé à sa demande et faisant état d'un accès aisé et rapide à l'immeuble dont s'agit, même pour un camion excédant le gabarit habituel, ce constat, réalisé le 12 août 2011, à une période durant laquelle le stationnement est particulièrement réduit, ne peut être regardé comme de nature à remettre en cause les constations précédemment effectuées, dans des conditions habituelles de fréquentation des lieux ; qu'il suit de là que les conditions d'accès particulièrement difficiles résultant des travaux d'aménagement réalisés aux abords du local commercial appartenant à Mme G...doivent être regardées comme ayant causé à cette dernière un préjudice grave et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute de la commune d'Evreux à son égard ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune d'Evreux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a retenu sa responsabilité ;

Sur le préjudice :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment d'une attestation émise le 3 janvier 2011 et précisée le 22 mai 2012 par la société Midas France, que cette dernière a mis fin, à compter du 31 décembre 2007, au bail commercial portant sur la local en cause en raison de la forte baisse de chiffre d'affaires qu'elle a constatée après les aménagement réalisés par la commune d'Evreux et de l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de poursuivre ses activités sur le site compte tenu de son accès difficile ; qu'il résulte également de l'instruction que le local en cause ne peut, pour cette raison, être de nouveau donné en location en vue d'y exercer une activité de réparation ou d'entretien de véhicules automobiles ; qu'ainsi, Mme G...a subi, en conséquence directe de l'aménagement urbain réalisé par la commune d'Evreux, un préjudice consistant en une perte de loyers commerciaux, qui a pris naissance à compter du 1er janvier 2008 et s'est poursuivi jusqu'au terme initialement prévu pour le bail ; que le tribunal administratif de Rouen a, dans ces conditions, fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant, en tenant compte des dépenses inhérentes à la conservation du bien, à la somme de 50 000 euros ; qu'il y a lieu d'allouer à Mme G...à ce titre une somme de 80 000 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du bail commercial conclu pour le local en cause avec la société Midas France, que le preneur rembourserait au bailleur les impôts et taxes afférents à l'immeuble, alors même que ceux-ci seraient légalement à la charge de ce dernier ; que Mme G...a ainsi subi, du fait du départ anticipé du preneur, un préjudice correspondant aux dépenses qu'elle a dû supporter à ce titre en lieu et place du preneur jusqu'au terme initialement prévu pour ce bail ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 16 500 euros ;

11. Considérant que, si Mme G...fait état de travaux d'aménagement qui seraient destinés à améliorer l'accès à son local et qu'elle évalue, sur la base d'un devis versé au dossier, à une somme de 53 700, 40 euros, il ne résulte pas de l'instruction que ces travaux présenteraient un caractère utile dans le cas où le local en cause serait donné en location à un commerçant n'exerçant pas une activité de réparation automobile ou nécessitant des livraisons par des véhicules susceptibles d'être gênés par l'état actuel des accès, ni, alors même que ce local a été exploité en tant que garage automobile durant une vingtaine d'années, qu'un tel changement d'affectation ne puisse être réalisé ; que, pour le même motif, Mme G... n'est pas fondée à demander à être indemnisée à raison du manque à gagner lié à l'abandon de la surface nécessaire à la réalisation de ces travaux d'aménagement ;

12. Considérant, en revanche, que MmeG..., qui a été contrainte d'effectuer, à la suite de son défunt mari, de nombreuses démarches afin d'être indemnisée, a subi un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation par le versement d'une somme de 3 000 euros ;

13. Considérant que le préjudice total subi par Mme G...doit ainsi être fixé à la somme de 99 500 euros ; que Mme G...a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme, à compter du 30 juillet 2009, date de sa réclamation préalable, ainsi qu'elle le demande ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme G...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen n'a condamné la commune d'Evreux qu'à lui verser une indemnité de 50 000 euros et à demander que celle-ci soit portée à 99 500 euros ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de MmeG..., qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la commune d'Evreux et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en application des mêmes dispositions et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Evreux une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme G...et non compris dans les dépens ; qu'enfin, il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du même code, de mettre les dépens de l'instance, constitués par la contribution à l'aide juridique de 35 euros que Mme G...a acquittée, à la charge de la commune d'Evreux, partie perdante ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 50 000 euros que la commune d'Evreux a été condamnée à verser à Mme G...par le jugement du 9 novembre 2011 du tribunal administratif de Rouen est portée à 99 500 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2009.

Article 2 : Le jugement du 9 novembre 2011 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune d'Evreux versera à Mme G...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que la somme de 35 euros au titre de l'article R. 761-1 de ce code.

Article 4 : La requête de la commune d'Evreux et le surplus des conclusions d'appel principal et incident de Mme G...sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...G...et à la commune d'Evreux.

Copie en sera adressée au préfet de l'Eure.

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N°s 12DA00023, 12DA00045, 15DA00409

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