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04/02/2016 | FRANCE | N°14DA01322

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 04 février 2016, 14DA01322


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 4 juin 2010, la SARL Orme a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la chambre de commerce, d'industrie et de services de Béthune à lui verser la somme de 2 009 000 euros avec intérêts moratoires au taux légal à compter du jugement à intervenir et capitalisation des intérêts ; la chambre de commerce d'industrie et de service de Béthune a alors appelé les constructeurs à la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre et a

demandé reconventionnellement la condamnation de la SARL Orme à lui verser la so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 4 juin 2010, la SARL Orme a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la chambre de commerce, d'industrie et de services de Béthune à lui verser la somme de 2 009 000 euros avec intérêts moratoires au taux légal à compter du jugement à intervenir et capitalisation des intérêts ; la chambre de commerce d'industrie et de service de Béthune a alors appelé les constructeurs à la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre et a demandé reconventionnellement la condamnation de la SARL Orme à lui verser la somme de 72 315,94 euros.

Par un jugement n° 1003545 du 8 mars 2011, le tribunal administratif de Lille a rejeté la requête de la SARL Orme, a condamné cette société à verser à la chambre de commerce, d'industrie et de services de Béthune la somme de 15 003,09 euros au titre des frais financiers de l'opération, et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n° 11DA00719 du 25 juin 2013, la cour administrative d'appel de Douai a annulé l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille condamnant la SARL Orme à verser à la chambre de commerce, d'industrie et de services de Béthune la somme de 15 003,09 euros, et a rejeté le surplus de la requête de la SARL Orme ainsi que les conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, des sociétés APR Concept, Etablissement Loison, Tommasini, Foucault, Lehoucq, Eiffage Energie Industrie Nord, l'EURL CEMN et de M. F....

Par une décision n° 371633 du 4 juillet 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'article 3 de l'arrêt de la cour administrative de Douai rejetant le surplus des conclusions de la requête de la SARL Orme et des conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, des sociétés APR Concept, Etablissement Loison, Tommasini, Foucault, Lehoucq, Eiffage Energie Industrie Nord, l'EURL CEMN ainsi que de M. F... et a renvoyé l'affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, devant la cour administrative d'appel de Douai.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mai 2011, et un mémoire, enregistré le 23 février 2012 sous le n° 11DA00719, puis, après cassation de l'arrêt, par des mémoires, enregistrés les 30 septembre, 3 novembre 2014, 8 janvier, 15 janvier, 11 février, 11 mars et 24 mars 2015 sous le n° 14DA01322, la SARL Orme, représentée par la SCPE..., Lacroix, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler les articles 1er et 3 du jugement du tribunal administratif de Lille du 8 mars 2011 ;

2°) de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de l'Artois à lui verser la somme de 2 009 000 euros avec intérêts moratoires à compter de l'arrêt à intervenir et capitalisation des intérêts et actualisation du préjudice financier tel que détaillé en page 18 du rapport d'expertise au taux du marché monétaire ;

3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la CCI a commis une faute en exécutant tardivement et incomplètement le contrat, en méconnaissance de la commune intention des parties et du principe en vertu duquel un contrat doit être exécuté dans un délai raisonnable ;

- le retard doit être évalué à cinquante mois compte tenu notamment de la date de réception prononcée le 21 novembre 2000 avec d'importantes réserves qui rendaient l'ouvrage impropre à son utilisation ainsi que la date du 20 novembre 2003 à partir de laquelle l'autorisation d'ouverture au public a été obtenue ;

- le retard est imputable à l'inaction de la CCI qui a manqué à ses obligations de maître d'ouvrage en ne mettant pas en oeuvre ses pouvoirs coercitifs à l'égard des constructeurs, tels que la résiliation du marché ou la mise en régie, et en diligentant une expertise qui a fait perdre du temps ;

- l'expert a relevé que l'essentiel des réserves à la réception étaient fondées ;

- la société Orme n'a commis aucune faute qui exonérerait la CCI de sa responsabilité ;

- le jugement du tribunal administratif de Lille du 3 novembre 2009, devenu définitif, qui a retenu la responsabilité du maître d'oeuvre et des entreprises, s'il interdit aujourd'hui à la CCI et aux entreprises d'invoquer une prétendue faute de la société Orme qui était partie à cette instance, n'exonère pas de ses propres fautes contractuelles l'organisme consulaire, qui ne saurait invoquer le fait du tiers ;

- le préjudice est constitué par une perte de marge imputable au retard mais aussi par la perte de chance de réaliser un résultat meilleur encore ;

- la progression de l'activité est imputable à l'ouverture à une clientèle de particuliers permise par l'ouverture du showroom.

Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2011 sous le n° 11DA00719, et des mémoires, enregistrés les 30 septembre 2014, 1er décembre 2014, 13 février 2015 sous le n° 14DA01322, la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, représentée par la société d'avocats Ernst et Young, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal de rejeter la requête de la SARL Orme ;

2°) et de condamner la SARL Orme à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner les sociétés APR Concept, Etablissement Loison, Tommasini, CEMN, Foucault, Etablissements Loison, Lehoucq, Millot, F...et Norelec Infra ainsi que M. F... à la garantir de toute condamnation.

Elle soutient que :

- l'ouvrage était réputé achevé aux termes de l'article 6 du protocole par la délivrance du certificat de conformité par le maire et la prise de possession de l'ouvrage par la société Orme et par la vente à la société Sogefimur, soit en novembre 2000 ;

- elle a mis en oeuvre les moyens adéquats pour régler les litiges entre la société Orme et les constructeurs, les mesures coercitives souhaitées par la société Orme étant incompatibles avec le droit des contrats publics, ou inadaptées ;

- le retard pris pour la levée des réserves est imputable aux fautes d'exécution des constructeurs, à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre et au comportement de la SARL Orme qui a nourri les querelles avec les entreprises, ce qui l'exonère de sa responsabilité ;

- la SARL Orme, qui n'était pas partie à l'instance ne peut pas se prévaloir de l'autorité de la force jugée du jugement du tribunal administratif de Lille du 3 novembre 2009 ;

- les commandes n'ayant pas significativement augmenté après la livraison du showroom, le préjudice n'est pas établi ;

- la cause juridique de l'appel en garantie, fondée sur la notion de délai raisonnable de mise à disposition de l'ouvrage, est distincte de celle qui a donné lieu au jugement du tribunal administratif de Lille du 3 novembre 2009.

Par un mémoire, enregistré le 8 décembre 2014, M. C...F...conclut au rejet de l'appel en garantie ;

Il soutient que :

- le retard n'est pas imputable aux entreprises mais aux exigences du client ;

- le délai de mise en service du lot chauffage, qui lui incombait a été respecté.

Par un mémoire, enregistré le 20 janvier 2012 sous le n° 11DA00719, et les mémoires, enregistrés les 18 décembre 2014, 15 janvier 2015, 4 mars 2015 sous le n° 14DA001322, les sociétés APR Concept, Etablissement Loison, Tommasini, Foucault, Lehoucq, Eiffage Energie Industrie Nord, l'EURL CEMN ainsi que M. F..., représentés par la SCP d'avocats Savoye et associés, concluent dans le dernier état de leurs écritures :

1°) au rejet de la requête de la SARL Orme ;

2°) au rejet de l'appel en garantie de la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois ;

3°) à ce que la SARL Orme soit condamnée à leur verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le retard correspond à la période comprise entre le 6 juillet 2000, date d'achèvement prévisible des travaux, et le 21 novembre 2000, date de prise de possession de l'ouvrage, et non le 10 novembre 2003, date de l'ouverture du showroom ;

- ce retard de quatre mois, qui présente un caractère raisonnable, est largement imputable aux modifications incessantes réclamées par la SARL Orme ;

- le délai pour obtenir l'ouverture au public est imputable à la non-présentation de documents obligatoires dont la responsabilité incombe soit à la CCI, soit à l'exploitant, soit à la commission de sécurité elle-même, et non aux entreprises ;

- elles étaient liées à la CCI par un contrat distinct de celui qui la liait à la SARL Orme, et ne sauraient être appelées en garantie pour une faute contractuelle engageant la responsabilité de la CCI envers la SARL Orme ;

- cette garantie, à supposer l'appel recevable, ne saurait être solidaire et ne pourrait être motivée que par la faute prouvée d'une ou plusieurs entreprises ;

- le tribunal administratif de Lille, par jugement du 3 novembre 2009, devenu définitif a arrêté les comptes entre la CCI et les entreprises et statué sur les questions de responsabilité ;

- ce jugement n'est pas revêtu de la force jugée à l'égard de la société Orme, les causes juridiques étant différentes, et les responsabilités des entreprises ont été minimes dans les retards et les malfaçons ;

- la responsabilité de la société Eiffage Energie Tertiaire Nord, qui a repris la société Forclum Artois Escaut devenue Norelec, n'a pas été mise en cause, ni par la CCI ni par la SARL Orme ;

- les retards imputés à Norelec ne sont pas à l'origine du retard dans l'ouverture du showroom.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 20 mai 2015.

Vu :

- le rapport d'expertise de M. L...K..., enregistré le 2 mai 2003 au greffe du tribunal administratif de Lille ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Christian Bernier, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,

- et les observations de Me I...E..., représentant la société Orme, de Me D...J..., représentant la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, et de Me G...A..., substituant Me B...H..., représentant la société APR Conseil et autres.

1. Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 323-1 du code de l'urbanisme alors en vigueur, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Béthune, devenue ultérieurement la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, s'est contractuellement engagée avec la société Orme qui fabrique et commercialise des portes coulissantes et des placards sur mesure, par un protocole d'accord conclu le 22 décembre 1998 dans le cadre de ses missions de développement économique et de développement de l'emploi, à assurer la maîtrise d'ouvrage pour la réalisation de bâtiments à usage d'atelier, de stockage, de bureau et de showroom destinés à être mis à disposition de cette société dans le cadre d'une opération de crédit-bail ; que la société Orme estime qu'elle a subi un préjudice d'exploitation important compte tenu du retard excessif mis à la remise d'un ouvrage propre à son utilisation, et en particulier du showroom destiné à une ouverture au public ; qu'elle impute ces retards aux fautes commises par la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois pour assurer le complet achèvement des travaux ; que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 25 juin 2013, qui avait confirmé le rejet des prétentions de cette société prononcé par un jugement du tribunal administratif de Lille du 8 mars 2011, a été annulé par une décision du 4 juillet 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, qui lui a renvoyé l'affaire pour y statuer à nouveau ;

Sur les stipulations applicables :

2. Considérant que le protocole d'accord de maîtrise d'ouvrage conclu le 22 décembre 1998 entre la chambre de commerce d'industrie et de services de l'arrondissement de Béthune et la société Orme comporte notamment un article 6 relatif aux " modalités de construction et de livraison des locaux cédés ", un article 7 relatif aux questions liées aux points suivants : " vérification - non-conformité " et un article 8 portant sur la " Garantie des défauts de la chose vendue " ;

3. Considérant que l'article 6 comprend quatre subdivisions relatives à l'article 6.1 aux " Obligations d'achever ", à l'article 6.2 au " Délai d'exécution ", à l'article 6.3 aux " Qualités et pouvoirs conférés au maître d'ouvrage " et à l'article 6.4 à la " Constatation de l'achèvement " ;

4. Considérant qu'aux termes des stipulations de l'article 6.1 (" Obligations d'achever ") : " Les parties déclarent qu'elles entendent adopter pour la notion d'achèvement la définition suivante: / - Obtention du certificat de conformité par l'autorité qui a délivré le permis de construire. / - La construction sera réputée achevée lorsque seront exécutés les ouvrages, objet du permis de construire. Pour l'appréciation de cet achèvement, le défaut de conformité avec les prévisions du contrat ne sont pas pris en considération lorsqu'ils n'ont pas un caractère substantiel ni les malfaçons qui ne rendent pas les ouvrages ou les éléments ci-dessus précisés impropres à leur utilisation. / Cet achèvement au sens ci-dessus sera constaté contradictoirement ou à défaut par le maître d'oeuvre ou par la DDE, nommés d'un commun accord ou par voie judiciaire " ;

5. Considérant qu'il résulte des stipulations de l'article 6.1 que la notion de conformité et celle d'achèvement sont liées au contrôle des ouvrages au regard du dossier de permis de construire et que seuls les défauts de conformité d'une certaine importance doivent être pris en considération pour faire obstacle à l'achèvement des travaux ;

6. Considérant que le premier alinéa de l'article 6.2 (" Délai d'exécution ") stipule que : " La CCIS s'oblige à achever l'édification de l'immeuble, objet des présentes, dans un délai de ... mois [laissé en blanc] à compter la levée de toutes les conditions suspensives mentionnées à l'article 5 et ce, sauf survenance d'un cas de force majeure ou d'une clause contractuelle légitime de suspension du délai de livraison " ; que les autres alinéas du même article définissent les cas et conditions de suspension prévues au premier alinéa ;

7. Considérant que le silence du contrat sur la détermination du délai de réalisation d'un ouvrage ne peut être regardé comme permettant au maître d'ouvrage, qui s'est engagé à mettre ensuite cet ouvrage à disposition de son cocontractant, de retarder pendant une durée indéfinie l'exécution de l'engagement qu'il a contracté ; que, par suite, le cocontractant peut utilement se prévaloir devant le juge d'un moyen tiré de ce que l'ouvrage devait être mis à sa disposition dans un délai raisonnable ; que le délai d'exécution prévu par l'article 6.2 n'ayant pas été fixé contractuellement, il appartient alors à la juridiction, saisie de la question, d'établir un délai raisonnable d'exécution ;

8. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article 6.3 (" Qualités et pouvoirs conférés au maître d'ouvrage "), il est prévu qu'" afin notamment de lui donner les moyens de tenir ses engagements ", le maître d'ouvrage " conservera les pouvoirs du maître de l'ouvrage jusqu'à la cession de l'ouvrage " et qu'" En conséquence, la CCI restera seule qualifiée tant pour donner les instructions nécessaires à la poursuite des travaux que pour prononcer la réception des ouvrages ainsi effectués " ;

9. Considérant qu'il résulte de l'article 6.3 que le maître d'ouvrage, qui dispose des moyens d'agir jusqu'à la levée des réserves liés à la réception des travaux et des ouvrages, est en principe libéré de ses obligations avec la cession de l'ouvrage ;

10. Considérant qu'aux termes des stipulations de l'article 6.4 (" Constatation de l'achèvement ") du même protocole : " La date de la livraison à la société de crédit-bail des locaux construits pour la société bénéficiaire, crédit-preneur, devra lui être notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception quinze jours calendaires à l'avance ; cette lettre indiquera la date exacte fixée pour l'établissement du procès-verbal destiné à constater l'achèvement des travaux en conformité avec la description des devis et plans. / Le crédit bailleur et /ou le crédit preneur ne pourront refuser de prendre possession des ouvrages dès lors que les défauts de conformité avec les prévisions du contrat n'auront pas un caractère substantiel et que les malfaçons ne rendent pas les ouvrages vendus impropres à leur utilisation. / Le procès-verbal de livraison sera dressé par la CCIS en présence de la société de crédit-bail et de la société bénéficiaire ou en leur absence dès lors qu'elles auront été régulièrement appelées. / Si ce procès-verbal est établi sans réserve de la part de la société de crédit-bail et de la société bénéficiaire, les ouvrages seront réputés être livrés à la date d'établissement dudit procès-verbal. / Si ce procès-verbal fait état de réserves portant sur la conformité avec les plans et descriptifs et si ces réserves sont acceptées par la CCIS, les locaux ne sont pas réputés livrés et la CCIS disposera d'un délai de .... mois [laissé en blanc] pour effectuer tous les travaux permettant de lever ces réserves ; un nouveau procès-verbal devra être établi constatant la levée de toutes les réserves et les ouvrages seront réputés être livrés à la date de ce dernier procès-verbal. / Toutefois si la société bénéficiaire prend possession des ouvrages avant que toutes les réserves aient pu être levées, elle sera réputée accepter l'ouvrage sans réserve et le paiement du prix deviendra immédiatement exigible " ;

11. Considérant que les stipulations de l'article 6.4 fixent le régime de la livraison de l'ouvrage ; que le procès-verbal de livraison est ainsi en principe distinct du procès-verbal de réception des travaux que le maître de l'ouvrage doit dresser avec les constructeurs qui ont contracté avec lui pour la réalisation de l'ouvrage ; qu'en cas de crédit-bail, comme c'est le cas en l'espèce, la société bénéficiaire de l'ouvrage peut formuler des réserves lors de la livraison de l'ouvrage ; que ces réserves, qui doivent être acceptées par le maître de l'ouvrage, doivent porter sur " la conformité avec les plans et descriptifs ", ce qui renvoie aux stipulations de l'article 6.1 rappelées au point 4 et analysées au point 5 ; que le délai d'exécution des travaux de levée des réserves n'ayant pas été fixé contractuellement, il appartient alors à la juridiction, saisie de la question, d'établir un délai raisonnable d'exécution ; que la prise de possession des ouvrages vaut levée des réserves ; qu'à l'issue de la procédure de livraison, l'ouvrage peut être vendu ;

12. Considérant que l'article 7 (" Vérification - Non conformité ") stipule que : " La société bénéficiaire disposera d'un délai de .... mois [laissé en blanc] à dater de la signature du procès-verbal de livraison, ou de la prise de possession ci-dessus visés pour vérifier la conformité des ouvrages avec les descriptifs et plans annexés aux présentes. / La Société bénéficiaire pourra, au cours du délai prévu ci-dessus, notifier au maître d'ouvrage par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les défauts de conformité qu'elle aura constatés. Cette notification conservera, au profit de l'acquéreur, tout recours ou actions. En revanche, une fois ce délai expiré, l'acquéreur et/ou le bénéficiaire ne pourront élever de nouvelles contestations relatives à la conformité " ;

13. Considérant que les stipulations de l'article 7 organisent une procédure complémentaire de vérification de conformité des ouvrages au sens de l'article 6.1 par la société bénéficiaire après la signature du procès-verbal de livraison ou la prise de possession ; que le délai de notification des défauts de conformité ainsi constatés n'ayant pas été fixé contractuellement, il appartient alors à la juridiction, saisie de la question, d'établir un délai raisonnable de vérification ; que la notification de ces défauts de conformité a des effets sur les voies de recours ;

14. Considérant que l'article 8 (" Garantie des défauts de la chose vendue ") comprend cinq subdivisions concernant respectivement à l'article 8.1 la " Garantie des vices apparents ", à l'article 8.2 la " Garantie de parfait achèvement ", à l'article 8.3 la " Garantie décennale et bon fonctionnement ", à l'article 8.4 le " Point de départ de la garantie " et à l'article 8.5 la " Substitution de ce régime de garantie au droit commun de la vente " ; que la garantie des vices apparents est fondée sur les dispositions 1642-1 du code civil, la garantie de parfait achèvement sur celles de l'article 1792-6 du même code, et la garantie décennale sur l'article 1646-1 de ce code pour le maître d'ouvrage et des articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 pour les autres personnes liées au maître d'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ; que, selon l'article 8.4 : " Le point de départ de la garantie visée ci-dessus au 8.2 et 8.3 est constitué par la réception des ouvrages au sens de l'article 1792-6, réception dont la date sera notifiée par le maître d'ouvrage " ; qu'en application de l'article 8.5 : " La garantie, tant des vices apparents que des vices cachés, se substituera ainsi qu'il en est expressément convenu à celle qui constitue le droit commun de la vente, en vertu des articles figurant au Code Civil (titre VI, chapitre 4, section 3, paragraphe 2) autres que ceux-ci dessus visés " ;

Sur le respect du délai d'exécution au sens de l'article 6.2 :

15. Considérant qu'il est constant que le délai d'exécution tel qu'il est mentionné à l'article 6.2 du protocole d'accord de maîtrise d'ouvrage conclu le 22 décembre 1998, n'a pas été dans le cas d'espèce perturbé par la mise en oeuvre des conditions suspensives mentionnées au même article dont le contenu a été rappelé au point 6 ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 7, les parties ayant omis de fixer le délai d'exécution à l'article 6.2, et aucun autre document contractuel ne l'ayant arrêté, il appartient à la cour d'établir le délai raisonnable d'exécution des ouvrages que l'organisme consulaire s'était engagé à réaliser et à livrer en vue de sa cession au crédit-bailleur, la société Sogefimur, au bénéfice du crédit-preneur, la société Orme ;

16. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les travaux confiés par la chambre de commerce et d'industrie de Béthune aux entreprises chargées des différents lots étaient répartis en deux phases ; que les travaux de réalisation du bâtiment à usage d'atelier et de stockage, correspondant à la première phase, ont été achevés le 23 décembre 1999 et mis à disposition de la société Orme qui en a pris possession le 4 janvier 2000 ; que la seconde phase des travaux relative au bâtiment destiné aux bureaux et au showroom, principalement en litige, a démarré le 24 janvier 2000 et devait s'achever en principe le 6 juillet de la même année ou, ainsi que l'admet d'ailleurs la société Orme, compte tenu du point de départ effectif des travaux, le 24 juillet ; que l'ensemble des ouvrages a été reçu avec réserves le 21 novembre 2000 ; que, compte tenu de la nature et des caractéristiques des ouvrages à exécuter ainsi que des difficultés rencontrées en cours de chantier, un tel délai de réalisation doit être regardé, en l'espèce, pour la mise à disposition des bâtiments à la date de réception, comme raisonnable ; que le maître d'ouvrage n'a donc pas commis de faute sur ce point ;

Sur l'achèvement des ouvrages reçus avec réserves :

En ce qui concerne le bâtiment de la première phase des travaux :

17. Considérant que la société Orme, bénéficiaire du bâtiment destiné à l'atelier et au stockage, qui en a pris possession dès le 4 janvier 2000, est réputée, en vertu du dernier alinéa de l'article 6.4 du protocole qui la liait à la CCI, l'avoir accepté sans réserve alors même que des réserves auraient pu être émises concernant cette partie d'ouvrage le 21 novembre 2000 ; que, par suite, cette société ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir d'un retard dans la levée des réserves concernant ce bâtiment ;

En ce qui concerne le bâtiment faisant l'objet de la seconde phase des travaux :

18. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la prise de possession de l'autre bâtiment destiné aux bureaux et au showroom, mis à disposition dès le 21 novembre 2000, n'est pas intervenue avant le 1er août 2002 ; qu'en outre, la salle d'exposition n'a pu être autorisée à l'ouverture au public, compte tenu de problèmes liés au lot électricité, avant l'avis favorable que la commission d'accessibilité et de sécurité de l'arrondissement de Béthune a donné le 10 novembre 2003 ;

19. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la procédure de livraison de l'ouvrage s'est confondue, en l'espèce, avec celle de réception des travaux ; que la société Orme s'est alors immiscée dans les opérations de réception des travaux et a dressé un catalogue de plus de deux cents réserves au total concernant en plus ou moins grand nombre tous les lots ; qu'au demeurant, ces réserves excédaient, en tout état de cause, pour la plupart celles qu'elle aurait pu émettre dans le cadre d'une livraison de l'ouvrage, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit aux points 10 et 11, le contrôle à ce stade devait se faire à la lumière du dossier de permis de construire ; qu'en outre, les réserves émises par la société Orme n'ont pas été acceptées par la maîtrise d'oeuvre ; que, cependant, la maîtrise d'ouvrage n'ayant pas suivi la position du maître d'oeuvre et celui-ci ayant déclaré forfait, il est constant que les ouvrages ont été reçus, à l'initiative du maître d'ouvrage, avec l'ensemble des réserves établies par la société Orme le 21 novembre 2000 ;

20. Considérant, d'autre part, qu'il résulte également de l'instruction que les ouvrages ont été cédés par un acte de vente des 27 novembre et 4 décembre 2000 conclu entre la CCI de Béthune et la société Sogefimur, crédit-bailleur, qui a été cosigné par la société Orme, crédit-preneur ; qu'en vertu des stipulations de l'article 6.3 du protocole de maîtrise d'ouvrage public rappelées au point 8, l'organisme consulaire conservait les pouvoirs du maître de l'ouvrage jusqu'à la cession de l'ouvrage ; que, dans ces conditions, les réserves formulées dans les conditions indiquées au point précédent doivent être regardées comme ayant été formulées au titre des stipulations de l'article 7 du protocole rappelées au point 12 et non au titre des stipulations de l'article 6.3 rappelées au point 8 ; qu'en outre, la CCI de Béthune qui n'a pas entendu se retrancher derrière la stipulation de l'article 6.3 pour se considérer exemptée de toute obligation après la cession du bien, a accepté de prolonger l'exercice de sa mission afin de concilier les intérêts opposés de la société Orme et des entreprises titulaires des lots, dans le cadre d'une levée des réserves rendue conflictuelle ;

21. Considérant qu'en effet, et alors même qu'elle s'en défende, il résulte des éléments recueillis par l'expert et de plusieurs pièces du dossier que la société Orme, par ses exigences répétées et pointillistes, par ses interférences nombreuses dans le déroulement du chantier ainsi que par son implication marquée lors de la réception, a non seulement conduit à un désengagement de la maîtrise d'oeuvre, mais a suscité de vives oppositions de la part des sociétés titulaires des lots ; que, dans ce contexte et après avoir constaté une situation de blocage, la CCI de Béthune a sollicité, dès le 17 avril 2001, du tribunal administratif de Lille, qui a fait droit à sa demande le 8 août suivant, la désignation en référé d'un expert, M. K..., afin qu'il éclaire les parties sur le bien-fondé technique des réserves, et notamment la réalité et l'étendue des malfaçons alléguées, suive le déroulement des opérations de levée de celles-ci et cherche un règlement amiable des différends sur ce point ; qu'en procédant ainsi, plutôt qu'en décidant la " mise en régie " des travaux, l'appel à des entreprises tierces pour les achever et la résiliation des marchés conclus avec les titulaires de lots ou la maîtrise d'oeuvre, la CCI de Béthune, qui, au demeurant, avait consulté le gérant de la société Orme sur son initiative à laquelle il ne s'était pas opposé, n'a pas, dans les circonstances de l'espèce commis de faute en privilégiant une résolution judiciaire et en s'abstenant de mettre en oeuvre les prérogatives qui étaient les siennes en principe et en vertu de l'article 6.3, jusqu'à la cession de l'ouvrage ;

22. Considérant que le rapport de l'expert a permis de révéler que, pour la très grande majorité des réserves émises, les malfaçons ne portaient pas sur des éléments substantiels et n'étaient pas de nature à rendre l'immeuble impropre à son utilisation ; qu'en outre, et en dépit de leur très grand nombre et du contexte conflictuel déjà rappelé, ces réserves ont pu être levées le 31 juillet 2002, soit environ un an après la désignation de l'expert M.K..., par une ordonnance du 8 août 2001, et grâce à son intervention ; que, dans les conditions particulières de l'espèce et eu égard au fait que la durée des opérations était également en rapport avec les exigences initiales de la société Orme, ce délai doit, en tout état de cause, être regardé comme raisonnable ;

23. Considérant qu'en outre, au cours des opérations d'expertise et lors la visite du 31 juillet 2002, et malgré la prise de possession des ouvrages le 1er août 2002, les exigences de la société Orme, qui n'a cependant pas cherché à obtenir la mise en oeuvre des garanties de la chose vendue prévues par l'article 8 du protocole telles que rappelées au point 14, ont abouti à une nouvelle liste de " réserves ", en sorte qu'un nouveau délai a été accordé aux entreprises pour que d'ultimes travaux soient exécutés avant le 7 janvier 2003 ; que l'expert a remis le 2 mai 2003 son rapport dont il ressort que les seuls défauts sérieux subsistants et qui appelaient une intervention urgente portaient sur des finitions relevant du lot " électricité " ; qu'en outre, ces dernières malfaçons n'étaient pas toutes liées à une mauvaise exécution des travaux prévus initialement mais à des modifications qui avaient été sollicitées en cours de chantier par la société Orme ; que l'organisme consulaire a, toutefois, sans tarder, mis en demeure la société Norelec de parfaire ces travaux, ce qu'elle a fait le 18 juillet 2003 et ce qui a été constaté le 30 juillet 2003 ; que ce délai n'a pas en lui-même présenté un caractère excessif ;

24. Considérant qu'en dernier lieu, la production des documents et la réalisation des mises en conformité imposées par la commission d'accessibilité et de sécurité à la suite de ses visites ne relevaient pas des obligations incombant à la maîtrise d'ouvrage ; que le délai nécessaire à l'obtention de l'avis favorable de la commission d'accessibilité et de sécurité n'a pas davantage été provoqué ou allongé par l'action ou une carence de la CCI de Béthune ; qu'en outre, par ses interventions, elle a favorisé la résolution de ces difficultés résiduelles ; que, par suite, la société Orme ne peut davantage rechercher sa responsabilité pour un retard sur ce point ou une carence dans la mise en oeuvre de ses pouvoirs d'action ;

25. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que ni le délai d'exécution des travaux, ni celui de levée des réserves, ni même celui lié à la mise en conformité des installations avec les exigences de la commission d'accessibilité et de sécurité, ne révèlent, par eux-mêmes, dans les circonstances de l'espèce, un caractère excessif ou une carence de la CCI de Béthune dans la mise en oeuvre des pouvoirs qu'elle détenait dans le cadre du contrat qui la liait à la société Orme ; que, dès lors, cette dernière ne peut, en tout état de cause, dans cette affaire se prévaloir d'un retard global ; que, par suite, la société Orme n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes ;

Sur les conclusions d'appel provoqué :

26. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la société requérante dirigées contre la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, n'aggrave pas la situation de cette dernière en appel ; que, par suite, les conclusions d'appel provoqué de l'organisme consulaire dirigées contre les sociétés APR Concept, Millot, Etablissement Loison, Tommasini, Foucault, Lehoucq, Eiffage Energie Industrie Nord et CEMN, ainsi que M. F..., ne sont pas recevables et doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la société Orme, qui est la partie qui succombe ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière la somme de 2 000 euros à verser à la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les sociétés APR Concept, Etablissement Loison, Tommasini, Foucault, Lehoucq, Eiffage Energie Industrie Nord, l'EURL CEMN ainsi que par M. F... dirigées contre la société Orme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors que la société requérante n'a pas présenté de conclusions à leur encontre, leur présence à l'instance résultant des conclusions d'appel provoqué formées par la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois ;

DECIDE :

Article 1er : Les conclusions de la requête de la SARL Orme sont rejetées.

Article 2 : La société Orme versera une somme de 2 000 euros à la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois.

Article 3 : Les autres conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois et celles présentées par les autres parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : le présent arrêt sera notifié à la société Orme, à la chambre de commerce et d'industrie de l'Artois, à la SA Tommasini, à l'EURL CEMN, à la SARL Foucault, à la SARL Etablissement Loison, à la SARL Lehoucq, à la société Millot, à M. C...F..., à la SARL APR Concept et à la société Eiffage Energie Industrie Nord.

Copie en sera communiquée pour information à M. L...K..., expert.

Délibéré après l'audience publique du 21 janvier 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- M. Hadi Habchi, premier conseiller.

Lu en audience publique le 4 février 2016.

Le président-rapporteur,

Signé : C. BERNIERLe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne au préfet de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie et au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chacun en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Sylviane Dupuis

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N°14DA01322 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14DA01322
Date de la décision : 04/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01 Marchés et contrats administratifs. Exécution technique du contrat. Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Christian Bernier
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : SCP MATHOT-LACROIX

Origine de la décision
Date de l'import : 17/02/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-02-04;14da01322 ?
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