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04/10/2016 | FRANCE | N°15DA01984

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 04 octobre 2016, 15DA01984


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Logidis Comptoirs Modernes, CSF France, Carrefour Insurance LTD, Générali IARD, Allianz Global, Tokio Marine Insurance et Ace European group Limited ont demandé de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 174 474,72 euros et 11 006,17 euros respectivement pour les deux premières et 70 322,27 euros pour les suivantes majorées des intérêts en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de l'action menée par des agriculteurs du 27 au 29 mai 2009.

Par un jugement n° 120157

6 du 22 octobre 2015, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verse...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Logidis Comptoirs Modernes, CSF France, Carrefour Insurance LTD, Générali IARD, Allianz Global, Tokio Marine Insurance et Ace European group Limited ont demandé de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 174 474,72 euros et 11 006,17 euros respectivement pour les deux premières et 70 322,27 euros pour les suivantes majorées des intérêts en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de l'action menée par des agriculteurs du 27 au 29 mai 2009.

Par un jugement n° 1201576 du 22 octobre 2015, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la société Logidis Comptoirs Modernes la somme de 71 007,13 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de la société Logidis Comptoirs Modernes et des sociétés CSF France, Carrefour Insurance Limited, Générali IARD, Allianz Global, Tokio Marine Insurance et Ace European group Limited.

Par un arrêt n° 15DA01983 du 10 mai 2016, la cour a rejeté la demande de la préfète du Pas-de-Calais tendant, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-16 du code de justice administrative, au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Lille du 22 octobre 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2015, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour d'annuler le jugement du 22 octobre 2015 du tribunal administratif de Lille.

Elle soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant que les conditions de la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure étaient réunies dès lors que les préjudices subis par la société Logidis Comptoirs Modernes ont pour origine des actions organisées, planifiées et préméditées par un groupe structuré.

Par des mémoires enregistrés, le 7 juin et 23 août 2016, les sociétés CSF venant aux droits de la société CSF France, Carrefour Supply Chain venant aux droits de la société Logidis Comptoirs Modernes, Générali IARD, Allianz Global Corporate and Specialty AG venant aux droits d'Allianz Global, Tokio Marine Kilin Insurance Limited venant aux droits de la société Marine Insurance, Ace European Group Limited, représentées par Me B...D..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de réformer le jugement du 22 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille a limité à 71 007,13 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation du préjudice subi par la société Logidis Comptoirs Modernes en portant à la somme de 174 474,72 euros l'indemnité due à la société Carrefour Supply Chain venant aux droits de la société Logidis Comptoirs Modernes à titre d'indemnisation de son préjudice, assortie des intérêts à compter de la date d'enregistrement de la requête et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner l'Etat à verser la somme de 70 322,27 euros aux sociétés Générali IARD, Allianz Global Corporate and Specialty AG venant aux droits d'Allianz Global, Tokio Marine Kilin Insurance Limited et Ace European group Limited, assortie des intérêts à compter de la date d'enregistrement de la requête et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de condamner l'Etat à verser la somme de 11 006,17 euros hors taxe à la société CSF venant aux droits de la société CSF France ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête d'appel n'est pas recevable dès lors qu'il n'est pas justifié de ce que le secrétaire général de la préfecture bénéficiait d'une délégation de la préfète du Pas-de-Calais ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des attroupements doit être engagée sur le fondement des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales par un attroupement de manifestants par des actes commis à force ouverte constituants des délits ;

- la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques doit être retenue à défaut d'intervention de l'Etat pour lever les blocages des entrepôts, elle est à l'origine d'un préjudice présentant un caractère anormal et spécial ;

- le tribunal ne pouvait rejeter des chefs de préjudices dès lors qu'il reconnaissait leur existence dans son principe sans procéder à une expertise pour procéder à leur chiffrage.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public,

- et les observations de Me A...C..., représentant les sociétés CSF et autres.

Une note en délibéré présentée pour les sociétés CSF et autres a été enregistrée le 9 septembre 2016.

1. Considérant que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 22 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la société Logidis Comptoirs Modernes la somme de 71 007,13 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation de préjudices subis entre le 27 et le 29 mai 2009 du fait d'une action de blocage par des producteurs de lait de deux plateformes logistiques situées sur la zone d'activité Saint-Martin de la commune d'Aire-sur-la-Lys et sur la zone industrielle du Bois Rigault le Mont Marlière de la commune de Vendin-le-Vieil et exploitées par la société Logidis Comptoirs Modernes (LCM) ; que les sociétés CSF et autres demandent la réformation du jugement du 22 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille a limité à 71 007,13 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat pour le préjudice subi par la société Logidis Comptoirs Modernes et rejeté les demandes des autres sociétés requérantes ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par les sociétés CSF et autres :

2. Considérant que par un arrêté du 24 juillet 2015, régulièrement publié le 27 juillet 2015 au recueil spécial n° 59 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais modifié par arrêté du 22 janvier 2016, régulièrement publié le même jour au recueil spécial n° 7 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. Marc Del Grande, secrétaire général de préfecture, pour signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents, en toute matière sauf exceptions non applicables en l'espèce ; que, dès lors, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête d'appel doit être écarté ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction alors en vigueur : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;

4. Considérant que deux actions de blocage de deux plateformes logistiques situées sur la zone d'activité Saint-Martin de la commune d'Aire-sur-la-Lys et sur la zone industrielle du Bois Rigault le Mont Marlière de la commune de Vendin-le-Vieil ont été organisées les 27, 28 et 29 mai 2009 par des producteurs de lait ; qu'il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux dressés par les services de police et de gendarmerie, que l'accès aux plateformes était bloqué par plusieurs dizaines d'agriculteurs avec des tracteurs, des bennes et tas de pneus empêchant ainsi tout accès de véhicules ; que l'ensemble de ces éléments caractérisent l'existence d'une action préméditée, organisée par un groupe structuré ; que si les dommages invoqués par la société Logidis Comptoirs Modernes et autres résultent de délits, commis à force ouverte ou par violence, la circonstance que les faits se sont déroulés dans un contexte de revendication nationale des producteurs de lait ne suffit pas à établir que les agissements à l'origine du blocage ont été commis, de manière spontanée, par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions précitées ; que dès lors, les conditions d'application de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales n'étaient pas remplies et la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour engager la responsabilité de l'Etat ;

5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les sociétés tant en première instance qu'en appel à l'appui de leurs conclusions indemnitaires ;

En ce qui concerne la responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques :

6. Considérant que, compte tenu du caractère général des manifestations et actions de cette nature déclenchées par des producteurs laitiers en mai et juin 2009 sur l'ensemble du territoire, un nombre important de commerces de la grande distribution a été affecté par ces incidents ; que, dans ces conditions, la société Logidis Comptoirs Modernes et autres ne peuvent soutenir qu'elles auraient subi un préjudice anormal et spécial susceptible en tant que tel d'être indemnisé sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

7. Considérant que la société Logidis Comptoirs Modernes et autres n'apportent aucun élément de nature à établir que l'absence alléguée d'intervention des forces de l'ordre en vue de mettre un terme à la situation de blocage des deux plateformes, eu égard au risque de trouble à l'ordre public plus important que celui résultant de cette situation qu'une telle intervention était susceptible de comporter, constitue une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de la société Carrefour Insurance Limited ni d'examiner la recevabilité des conclusions des autres sociétés qui n'ont pas le caractère d'un recours incident, que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée ; que par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif Lille a condamné l'Etat à verser à la société Logidis Comptoirs Modernes la somme de 71 007,13 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

10. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par les sociétés CSF et autres doivent, dès lors, être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 22 octobre 2015 sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées devant le tribunal administratif de Lille et les conclusions des sociétés CSF venant aux droits de la société CSF France, Carrefour Supply Chain venant aux droits de la société Logidis Comptoirs Modernes, Carrefour Insurance LTD, Générali IARD, Allianz Global Corporate and Specialty AG venant aux droits d'Allianz Global, Tokio Marine Kilin Insurance Limited venant aux droits de la société Marine Insurance et Ace European group Limited au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète du Pas-de-Calais, à la société CSF venant aux droits de la société CSF France, à la société Carrefour Supply Chain venant aux droits de la société Logidis Comptoirs Modernes, à la société Carrefour Insurance Limited, à la société Générali IARD, à la société Allianz Global Corporate and Specialty AG venant aux droits d'Allianz Global, à la société Tokio Marine Kilin Insurance Limited venant aux droits de la société Tokio Marine Insurance et à la société Ace European Group Limited.

Délibéré après l'audience publique du 6 septembre 2016 à laquelle siégeaient :

- Mme Odile Desticourt, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.

Lu en audience publique le 4 octobre 2016.

Le rapporteur,

Signé : M. E...La présidente de chambre,

Signé : O. DESTICOURT

Le greffier,

Signé : M.T. LEVEQUE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier

Marie-Thérèse Lévèque

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N°15DA01984


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA01984
Date de la décision : 04/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux. Attroupements et rassemblements (art. L. 2216-3 du CGCT).


Composition du Tribunal
Président : M. Hoffmann
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SELARL CARAKTERS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-10-04;15da01984 ?
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