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22/11/2016 | FRANCE | N°15DA00374

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 22 novembre 2016, 15DA00374


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sanef a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la SA Entreprise Philippe Lassarat, la société Entreprise Roth et Compagnie SAS, la SA Prezioso, la SARL Acogec et le Centre d'études techniques de l'équipement (CETE) Nord-Picardie à lui payer, d'une part, la somme de 2 983 135,95 euros hors taxes (HT) en réparation des désordres de corrosion apparus sur les platines des bracons des viaducs de Quehen, Herquelingue et Echinghen après la réalisation de travaux de r

éfection consistant en la remise en peinture complète des ouvrages, d'autr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sanef a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la SA Entreprise Philippe Lassarat, la société Entreprise Roth et Compagnie SAS, la SA Prezioso, la SARL Acogec et le Centre d'études techniques de l'équipement (CETE) Nord-Picardie à lui payer, d'une part, la somme de 2 983 135,95 euros hors taxes (HT) en réparation des désordres de corrosion apparus sur les platines des bracons des viaducs de Quehen, Herquelingue et Echinghen après la réalisation de travaux de réfection consistant en la remise en peinture complète des ouvrages, d'autre part, la somme de 56 148,40 euros HT au titre des frais d'expertise, enfin, la somme cumulée de 40 211,80 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1103813 du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, par ses articles 1er et 2, condamné le groupement des constructeurs, soit les sociétés Entreprise Philippe Lassarat SA, Entrprise Roth et Compagnie SAS et Prezioso, à verser à la société Sanef la somme de 2 403 997,17 euros HT, portant intérêts à compter du 4 juillet 2011, au titre des travaux nécessaires à la reprise des peintures anticorrosion des viaducs, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, d'autre part, par son article 3, mis les frais d'expertise s'élevant à 59 381,40 euros toutes taxes comprises (TTC) à la charge de ces trois entreprises, encore, à l'article 4, condamné les sociétés Acogec et l'Etat à garantir les sociétés Entreprise Philippe Lassarat SA, Entreprise Roth et Compagnie SAS et Prezioso à hauteur de 70 % des sommes mises à leur charge, enfin, à l'article 5, mis à la charge in solidum des sociétés Entreprise Philippe Lassarat SA, Entreprise Roth et Compagnie SAS, Prezioso, Acogec et de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à la société Sanef sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, par l'article 6, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistré le 4 mars 2015, la SAS Prezioso Linjebygg et la société Entreprise Roth et Compagnie SAS, représentées par Me B...F..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement en tant qu'il retient leur responsabilité ;

2°) de rejeter la demande de la société Sanef, notamment en tant qu'elle est dirigée contre elles ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer la condamnation solidaire de la société Acogec et de l'Etat à les garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre ou, à défaut, de les condamner l'un ou l'autre à les garantir intégralement ;

4°) de mettre à la charge de la société Sanef ou, à défaut, des appelés en garantie, la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la société Sanef, bien qu'elle soit partie au contrat, n'a pas qualité pour introduire une action indemnitaire fondée sur la responsabilité décennale ou contractuelle dès lors que les biens en cause constituent des biens de retour de l'Etat dès leur achèvement ;

- le groupement d'entreprises n'a commis aucune faute au titre du devoir de conseil ;

- les conditions de meulage des arrêtes des platines des bracons des viaducs ne sont pas la cause des désordres ;

- la faute commise par le groupement de maîtrise d'oeuvre justifie qu'il les garantisse de l'intégralité des condamnations mises à leur charge ;

- les demandes indemnitaires complémentaires de la société Sanef ne sont pas justifiées.

Par des mémoires, enregistrés les 23 avril 2015 et 20 mai 2016, la SARL Acogec, représentée par Me E...A..., conclut :

1°) au rejet de la requête en tant qu'elle comporte des conclusions dirigées contre elle ;

2°) à la réformation de l'article 4 du jugement attaqué comme elle l'a demandée dans sa requête enregistrée sous le n° 15DA000291 ;

3°) à la mise à la charge des sociétés SAS Prezioso Linjebygg et Entreprise Roth et Compagnie de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la juridiction administrative est compétente pour statuer sur son appel en garantie ;

- le maître d'ouvrage a été impliqué dans le choix du produit et donc dans la conception ;

- le groupement d'entreprises n'a émis aucune réserve quant au choix de la solution anticorrosion et n'a pas fait de proposition alternative ;

- la responsabilité de la société Sanef doit être retenue à hauteur de 50 % au titre, d'une part, de l'absence d'entretien de l'ouvrage et, d'autre part, de son ingérence dans le choix de la solution anticorrosion à l'origine des désordres ;

- l'indemnisation du préjudice subi doit être limitée à la somme de 1 800 000 euros HT.

La SA Entreprise Philippe Lassarat, représentée par la SELARL Griffiths, Duteil associés, a présenté des observations par un mémoire enregistré le 22 mai 2015.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2016, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que l'Etat soit intégralement garanti de toute condamnation mise à sa charge par la SARL Acogec et les entreprises Prezioso, Entreprise Roth et Compagnie SAS et Entreprise Philippe Lassarat SA.

Elle soutient que :

- la société Sanef était dépourvue de qualité pour agir ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, l'Etat devra être garanti compte tenu des fautes respectives des constructeurs.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juin et 13 juillet 2016, la société Sanef, représentée par la SELARL Grange, D..., Ramdénie, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre d'appel incident, à la réformation de l'article 1er du jugement en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires et à la condamnation solidaire des constructeurs à lui verser la somme complémentaire de 369 138,78 euros HT au titre des frais inhérents à la réalisation des travaux de reprise ;

3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SAS Prezioso Linjebygg et de la société Entreprise Roth et Compagnie SAS sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- elle a qualité pour engager les responsabilités contractuelle et décennale des constructeurs des ouvrages en litige dès lors qu'elle en est le maître d'ouvrage ;

- ses conclusions reconventionnelles sont recevables ;

- l'intervention d'un coordinateur SPS est obligatoire, en application de l'article L. 4532-2 du code du travail en cas de multiplicité d'intervenants, et doit être indemnisée à hauteur de 65 000 euros HT ;

- la mise en concurrence des maîtres d'oeuvre et entreprises appelés à réaliser les travaux de reprise est également obligatoire et doit être indemnisée à hauteur de 12 000 euros HT au titre des coûts internes ;

- le recours à un maître d'oeuvre est rendu nécessaire par les difficultés particulières du chantier et doit être indemnisé à hauteur de son coût, soit 10 % du montant des travaux à réaliser ;

- l'affectation exclusive de deux de ses agents aux travaux de reprise est justifiée par les difficultés du dossier, sans que cela relève de leurs attributions habituelles relatives au contrôle de la bonne tenue des ouvrages, ce qui doit être indemnisé à hauteur de 52 138,78 euros HT.

Par un mémoire, enregistré le 30 juin 2016, la SARL Acogec conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire et, en outre, au rejet des conclusions d'appel incident de la société Sanef et d'appel provoqué de l'Etat.

Elle soutient, en outre, que :

- les conclusions de la société Sanef tendant au versement d'une somme supplémentaire de 369 138,78 euros HT sont irrecevables faute d'avoir été présentées dans le délai d'appel ;

- elles sont en tout état de cause mal fondées dès lors que la somme demandée correspond à des frais dont il n'est pas justifié.

Par un mémoire, enregistré le 8 juillet 2016, la SA Entreprise Philippe Lassarat conclut au rejet des conclusions de la SARL Acogec, de l'Etat et de la société Sanef.

Elle soutient que les moyens que ces parties ont présentés à l'appui de leurs conclusions propres ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2016, la SAS Prezioso Linjebygg et la société Entreprise Roth et Compagnie SAS concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens et, en outre, au rejet des conclusions d'appel incident de la société Sanef.

Vu l'ordonnance du 29 juillet 2016 prononçant la clôture immédiate de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,

- et les observations de Me B...F..., représentant les sociétés Prezioso et Entreprise Roth et Compagnie SAS, de Me E...A..., représentant la société Acogec, et de Me H...D..., représentant la société Sanef.

Une note en délibéré présentée par Me E...A..., pour la SARL Acogec, a été enregistrée le 18 octobre 2016.

Une note en délibéré présentée par Me H...D..., pour la société Sanef, a été enregistrée le 21 octobre 2016.

1. Considérant que la société Sanef, concessionnaire de l'Etat pour la construction, l'entretien et l'exploitation de l'autoroute A 16, a conclu, en sa qualité de maître d'ouvrage, le 18 décembre 1995, un marché de construction de trois viaducs à Quehen, Herquelingue et Echinghen (dits " viaducs du boulonnais "), situés sur l'autoroute A16, à la hauteur de Boulogne-sur-Mer ; que ces travaux ont été réceptionnés le 12 janvier 1998 et les réserves levées ; que des phénomènes de corrosion ayant été relevés à compter du mois d'août 1999, le tribunal administratif de Lille a désigné, le 2 janvier 2003, M.C..., en qualité d'expert, pour analyser les causes de ces désordres ; qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise de ce dernier, les parties au marché de construction ont transigé et, notamment, l'assureur du groupement d'entreprises a versé à la société Sanef la somme de 4 400 000 euros pour une remise en peinture complète des viaducs ; que, le 21 janvier 2005, la maîtrise d'oeuvre des travaux de réfection a été confiée au groupement de maîtrise d'oeuvre solidaire composé de la SARL Acogec, mandataire, et du centre d'études techniques de l'équipement (CETE) Nord-Picardie, tous deux ayant pour sous-traitant, chargé du suivi des travaux, la société ICRS ; que le 27 mars 2006, les travaux de réfection ont été confiés au groupement solidaire d'entreprises composé de la société Prezioso Linjebygg, de la société Entreprise Roth et Compagnie SAS et de la société Entreprise Philippe Lassarat SA, mandataire, ayant pour sous-traitant la société Soprotec, chargée du traitement des platines et bracons ; que ces travaux ont fait l'objet de " réceptions partielles " sans réserve au fur et à mesure de leur réalisation puis d'une réception globale, le 25 septembre 2008, avec effet au 15 mars 2008, assortie de deux réserves dont l'une portant sur les platines des bracons des trois viaducs, où sont apparues, dès novembre 2006, des traces de corrosion ; que, le 19 février 2008, le tribunal administratif de Lille a désigné M. G...en qualité d'expert pour analyser l'étendue et les causes de ces désordres ; que ce dernier a déposé son rapport le 30 avril 2010 ; que, saisi par la société Sanef, le tribunal administratif de Lille a, aux termes des articles 1er et 2 de son jugement du 15 décembre 2014, condamné les sociétés formant le groupement d'entreprises à lui verser la somme de 2 403 997,17 euros hors taxes (HT), avec intérêts à compter du 4 juillet 2011, au titre des travaux nécessaires à la reprise des peintures anticorrosion des viaducs ; que, par l'article 3 de ce jugement, il a mis les frais d'expertise, s'élevant à 59 381,40 euros toutes taxes comprises (TTC), à la charge des trois entreprises du groupement ; que, par l'article 4 du même jugement, il a condamné la maîtrise d'oeuvre, soit la SARL Acogec et l'Etat, dont relève le CETE Nord-Picardie, à garantir la société Entreprise Philippe Lassarat SA, la société Entreprise Roth et Compagnie SAS et la société Prezioso Linjebygg, à hauteur de 70 % des sommes mises à leur charge ; qu'il a, aux termes de l'article 5, mis à la charge in solidum de ces sociétés ainsi que de la SARL Acogec et de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à la société Sanef sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, par l'article 6 de ce jugement, rejeté le surplus des conclusions des parties ;

2. Considérant que, par la présente requête, la SAS Prezioso Linjebygg et la société Entreprise Roth et Compagnie SAS relèvent appel de ce jugement, à tire principal, en tant que, par les articles 1er et 2, le tribunal les a condamnées, avec la société Entreprise Philippe Lassarat SA, à verser à la société Sanef la somme de 2 403 997,17 euros hors taxes (HT), augmentée des intérêts à compter du 4 juillet 2011 ; qu'à titre subsidiaire, elles demandent la réformation de l'article 4 du jugement afin que la SARL Acogec et l'Etat les garantissent intégralement ; que la société Sanef relève appel, à titre incident, de l'article 1er du jugement et réclame une majoration de la condamnation mise à la charge des constructeurs ; que la SARL Acogec demande, pour sa part, le rejet des conclusions d'appel incident de la société Sanef et d'appel provoqué de l'Etat et reprend ses conclusions d'appel principal présentées sous le n° 15DA00291 ; qu'à titre principal, l'Etat conclut au rejet de la requête d'appel de la SAS Prezioso Linjebygg et de la société Entreprise Roth et Compagnie SAS et, à titre subsidiaire, présente des conclusions, d'appel incident à l'encontre de la SAS Prezioso Linjebygg et de la société Entreprise Roth et Compagnie SAS, et d'appel provoqué à l'encontre de la société Entreprise Philippe Lassarat SA et de la SARL Acogec, tendant à ce que l'Etat soit intégralement garanti par eux de toute condamnation mise à sa charge ; que la SA Entreprise Philippe Lassarat conclut au rejet des conclusions des parties ;

Sur les conclusions d'appel principal de la SAS Prezioso Linjebygg et de la société Entreprise Roth et Compagnie SAS dirigées contre les articles 1er et 2 du jugement :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de la société Sanef en première instance :

3. Considérant qu'en tant que concessionnaire d'une partie du réseau autoroutier français, notamment de l'autoroute A 16, la société Sanef, non seulement en assure l'exploitation, mais a également la qualité de maître d'ouvrage pour la construction et l'entretien de ce réseau ; que, par suite, elle avait la qualité de maître d'ouvrage pour la construction et l'entretien des viaducs de Quehen, Herquelingue et Echinghen, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que, s'agissant d'ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, ils appartiennent, en principe, dès leur réalisation, à l'Etat, en tant que biens de retour ; que la société Sanef a confié la maîtrise d'oeuvre des travaux de réfection de l'ensemble des peintures de ces viaducs au groupement solidaire composé de la SARL Agocec et du CETE Nord-Picardie et la réalisation de ces travaux au groupement solidaire d'entreprises constitué des sociétés Entreprise Philippe Lassarat SA, Prezioso Linjebygg et Entreprise Roth et Compagnie SAS ; qu'elle a, par conséquent, qualité et intérêt pour introduire toute action en responsabilité des constructeurs ayant participé à la réalisation de ces travaux ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la SAS Prezioso Linjebygg et la société Entreprise Roth et Compagnie SAS, ainsi que par l'Etat en défense, tirée de l'absence de qualité pour agir de la société Sanef, doit être écartée ;

En ce qui concerne l'imputabilité du dommage :

4. Considérant que l'article 9.6.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de travaux en cause prévoit que les entreprises du groupement sont, à l'égard du maître d'ouvrage, tenues à une garantie anticorrosion de sept ans, dont la mise en oeuvre n'est pas conditionnée par le constat, dans ce délai, d'une faute mais seulement d'un degré d'enrouillement des ouvrages repris supérieur à 0,05 % des surfaces traitées ; que, pour prononcer, par les articles 1er et 2 du jugement attaqué, la condamnation des entreprises du groupement à verser à la société Sanef la somme de 2 403 997,17 euros hors taxes (HT), augmentée des intérêts à compter du 4 juillet 2011, le tribunal administratif de Lille s'est notamment fondé sur ces stipulations ; que la circonstance, ainsi que le tribunal administratif l'a également jugé au titre des appels en garantie, que les phénomènes de corrosion trouvent leur cause dans un vice de conception imputable au groupement de maîtrise d'oeuvre ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de cette garantie anticorrosion, dont seules les entreprises sont redevables, en l'absence même de toute faute de leur part ; que si le tribunal a également constaté un manquement au devoir de conseil des entrepreneurs vis-à-vis du maître d'ouvrage et une faute d'exécution ayant accéléré le phénomène de corrosion, dont l'imputabilité aux entreprises n'est d'ailleurs pas sérieusement contestée, cela ne remet pas en cause la mise en oeuvre de la garantie prévue par les stipulations du CCAP précitées ; que, par suite, la SAS Prezioso Linjebygg et la société Entreprise Roth et Compagnie SAS ne sont pas fondées à critiquer l'imputabilité des désordres en litige ;

Sur les conclusions d'appel principal de la SAS Prezioso Linjebygg et de la société Entreprise Roth et Compagnie SAS tendant, à titre subsidiaire, à la réformation de l'article 4 du jugement :

5. Considérant que la SAS Prezioso Linjebygg et la société Entreprise Roth et Compagnie SAS demandent, à titre subsidiaire, à être intégralement garanties par les deux membres du groupement de maîtrise d'oeuvre des condamnations prononcées à leur encontre, et non pas seulement à hauteur de 70 %, comme cela résulte de l'article 4 du jugement attaqué ; qu'elles font valoir à ce titre, d'une part, qu'elles n'avaient ni qualité ni autorité pour procéder elles-mêmes à des essais de validation de la solution anticorrosion, lesquels ne leur étaient pas demandés contractuellement, d'autre part, qu'elles ne sont pas spécialistes de l'étanchéité, comme l'a indiqué le tribunal, enfin, qu'elles ont émis des réserves en cours de chantier dès qu'elles ont été informées que les platines traitées avec le produit Chesterton présentaient des désordres, soit en février 2007 ;

6. Considérant, d'une part, que, dans le cadre de la conception d'une solution innovante pour procéder à la reprise des peintures des viaducs du boulonnais, des tests de convenance ont été menés, à l'initiative et sous le contrôle de la maîtrise d'oeuvre, sur une période de neuf mois à partir du 12 mai 2005 sur le viaduc de Quehen, avec les produits de la gamme Chesterton, dont il est constant qu'ils sont dépourvus de pigments anticorrosion ; que ces tests ont été réalisés par la société Soprotec, sous-traitant de la société Entreprise Philippe Lassarat SA, qui est le mandataire du groupement d'entreprises à qui a été confié, par marché du 27 mars 2006, l'exécution de ces travaux ; que le suivi du comportement des planches d'essai a été assuré par le laboratoire régional des Ponts-et-chaussées (LRPC) dépendant du CETE Nord-Picardie, avec notamment pour objectif de s'assurer de l'étanchéité de la jonction entre le béton et les platines hautes et basses des bracons ; qu'il résulte du compte rendu établi le 2 mars 2006, signé par deux membres du LRPC de Lille, dont le responsable de la cellule peinture anticorrosion, à la suite de leur intervention sur place le 28 février 2006 en présence des représentants des sociétés Soprotec et Sanef, que " la jonction platine-béton présente un changement d'aspect sur les bords est et nord du bracon (...). Un enrouillement diffus s'y développe nettement. Le bord ouest ne présente aucune altération " ; que ces différences de comportement ont été analysées par le LRPC de Lille comme résultant d'une application " bord à bord " en zone dégradée et " en débordement " sur la zone non dégradée ; qu'il a ainsi été conclu que " Au vu du comportement satisfaisant à 9,5 mois du produit " ARC 855 " appliqué avec recouvrement [souligné dans le compte rendu] à l'interface béton-platine d'un bracon en travée P6-P7 du viaduc de Quehen, le CETE valide la nouvelle méthodologie proposée par la société Soprotec pour traiter l'interface béton-platine des trois ouvrages " ; que, sur proposition de la société Soprotec, une nouvelle méthodologie d'application en débordement de 10 mm au niveau de la jonction entre le béton et le pied des platines a été retenue sans que de nouveaux tests de convenance ne soient alors réalisés ; que le marché de travaux de remise en peinture a été signé dès le 27 mars 2006 avec mention, dans le CCTP, de l'usage des produits de la gamme Chesterton ; que les premiers désordres de corrosion sur les platines sont apparus en novembre 2006 ; qu'il résulte en effet des conclusions du rapport d'expertise, non contestées par les parties, que la nouvelle méthodologie d'application s'est avérée insuffisante pour assurer l'étanchéité au niveau des bossages en béton, ceux-ci n'étant pas correctement protégés des risques de pénétration d'humidité ; que l'extension des désordres a été constatée et consignée dans les comptes rendus établis par le CETE les 8 janvier, 7 février et 16 mars 2007 ; que la SARL Acogec en a dressé la liste et a demandé au groupement de constructeurs d'y remédier par courrier du 25 avril 2007, lesquels ont à leur tour mis en demeure leur sous-traitant, la société Soprotec, de résoudre ces désordres ; qu'alors, les constructeurs ont proposé de changer de solution, ce qui a été accepté par la maîtrise d'oeuvre et mis en oeuvre par ordre de service n° 4 du 2 août 2007 ;

7. Considérant, d'autre part, que l'article 2.3 du CCTP du marché de travaux stipule que : " l'entreprise doit la fourniture et la mise en oeuvre : / d'un matériau pour l'étanchéité de la jonction platine / béton. Ce matériau sera compatible avec les peintures époxy modifié. Il devra avoir prouvé par des tests en laboratoire sa résistance face aux agressions chimiques (exposition à un brouillard salin) et par un suivi sur chantier sa fiabilité à long terme. Il sera choisi dans la gamme des produits Chesterton (produit Arc 855) ou équivalent. / D'un polymère d'imperméabilisation du béton, type Arc 797 ou équivalent. / D'un mortier de ragréage compatible avec le matériau précité (type Arc 791 ou équivalent) " ;

8. Considérant qu'il résulte de ces stipulations que le groupement de constructeurs attributaire du marché des travaux de reprise des peintures des viaducs devait prioritairement utiliser la gamme des produits Chesterton ; que, s'agissant d'une solution innovante expressément validée par la maîtrise d'oeuvre, il ne peut lui être reproché de n'avoir pas proposé une solution équivalente alternative ; qu'il résulte également de ces stipulations que le matériau utilisé pour la jonction platine-béton devait avoir prouvé sa résistance, notamment à un brouillard salin, par des tests en laboratoire et sa fiabilité à long terme par un suivi sur chantier ;

9. Considérant qu'il résulte néanmoins de ce qui a été dit au point 6 que le groupement d'entreprises, par l'intermédiaire de leur sous-traitant, la société Soprotec, ne pouvait ignorer les résultats des tests sur site réalisés avec les produits de la gamme Chesterton ; qu'en tant que sociétés spécialisées dans l'application de peintures anticorrosion, elles n'ont pourtant pas émis de réserves quant à l'utilisation d'un produit dépourvu de tout pigment anticorrosion, alors même que les résultats des tests sur site se révélaient peu satisfaisants ; qu'il est constant que les propriétés de ce produit se sont révélées insuffisantes pour assurer l'imperméabilisation totale des surfaces traitées et donc prévenir toute corrosion susceptible de les affecter ; que les entreprises disposaient pourtant des fiches techniques des produits appliqués et connaissaient l'environnement particulièrement corrosif des ouvrages en cause, situés en zone côtière maritime de forte salinité, comme cela est précisé à l'article 2.2.1 du CCTP ; qu'elles ont ainsi manqué à leur devoir de conseil eu égard à leur association au choix d'une technique innovante ; que la circonstance que les sociétés aient émis des réserves en cours de chantier ne sauraient les exonérer de leur responsabilité au stade du choix du produit ;

10. Considérant, en outre, qu'il ressort du rapport d'expertise et des comptes rendus de travaux établis par le CETE et la SARL Acogec, notamment sa lettre du 25 avril 2007, que les arêtes vives des platines ont été insuffisamment meulées, en méconnaissance de l'article 1.4 du CCTP ; qu'il n'est pas contesté que ces défauts ont contribué à accélérer l'apparition des désordres ; que, par suite, les constructeurs ont également commis une faute dans l'exécution des travaux ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 10 que la SAS Prezioso Linjebygg et l'Entreprise Roth et Compagnie SAS ne sont pas fondées à soutenir que le tribunal aurait insuffisamment pris en compte la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre dans l'apparition des désordres en la condamnant à garantir les entrepreneurs à hauteur de 70 % des sommes mises à leur charge ; que, dès lors, leurs conclusions subsidiaires tendant à la réformation de l'article 4 du jugement attaqué doivent être rejetées ; que les conclusions d'appel incident ou provoqué, d'ailleurs présentées à titre subsidiaire, par lesquelles l'Etat demande que ces constructeurs le garantissent de l'intégralité des sommes mises à sa charge doivent également être rejetées ;

Sur l'appel incident de la société Sanef tendant à un complément d'indemnisation :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par les SAS Prezioso Linjebygg, Entreprise Roth et Compagnie et la SARL Acogec ;

12. Considérant que la société Sanef estime que le montant de l'indemnité fixé à l'article 1er du jugement attaqué ne tient pas compte, à tort, de quatre postes de dépenses nécessaires à la réalisation des travaux de reprise ; qu'elle demande ainsi la prise en compte du coût d'un coordinateur SPS pour 65 000 euros HT, des consultations nécessaires pour le choix de la maîtrise d'oeuvre et des entreprises, pour un total de 12 000 euros HT, d'un maître d'oeuvre et d'un bureau de contrôle externe à hauteur de 240 00 euros HT, soit 10 % du coût des travaux, et de la mobilisation d'un cadre et d'un constructeur de travaux en interne pour assurer le suivi du chantier et la participation aux réunions, pour un coût évalué à 52 138,78 euros HT, soit un total de 369 138,78 euros HT ;

13. Considérant que certains de ces postes sont susceptibles d'être indemnisés en tant qu'ils sont nécessaires à la réalisation des travaux de reprise, comme celui lié au coût d'un coordinateur SPS dont la présence est, dans les circonstances de l'espèce, imposée par le code du travail et celui lié au coût de la maîtrise d'oeuvre, compte tenu notamment de la nature et de la technicité du chantier ; qu'il est néanmoins constant que les marchés afférents aux travaux de reprise en litige ont désormais été conclus et les travaux d'ores et déjà achevés ou sur le point de l'être et qu'invitée à plusieurs reprises, en particulier par les sociétés Acogec et Lassarat, à justifier des coûts réellement exposés pour la réalisation de ces travaux, de manière générale et spécialement au titre des quatre postes mentionnés au point 13, la société Sanef n'a produit, avant la clôture de l'instruction, aucune pièce de nature à justifier de la réalité et du montant de ses dépenses ; qu'en outre et surtout, elle ne justifie pas que les montants qu'elle réclame n'auraient pas d'ores et déjà été couverts par le montant de l'indemnité qui lui a été allouée dès la première instance par un jugement dont elle n'a au demeurant pas relevé appel ; que, dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de rouvrir l'instruction à la suite de la note en délibéré qu'elle a transmise à la cour, ses conclusions tendant à ce que l'indemnité allouée par les premiers juges soit augmentée doivent être rejetées ;

Sur les conclusions d'appel de la SARL Acogec et d'appel croisé de l'Etat :

14. Considérant que, par un appel principal enregistré sous le n° 15DA00291, la SARL Acogec a demandé, à titre principal, l'annulation de l'article 6 du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'appel en garantie de l'Etat, et, à titre subsidiaire, une diminution de l'assiette de l'indemnité que le groupement de maîtrise d'oeuvre avait été condamné à garantir dans les proportions fixées à l'article 4 du même jugement ; que, dans la même instance, l'Etat a présenté un appel incident contre la SARL Acogec ; qu'il n'y a donc pas lieu d'y statuer à nouveau dans la présente instance où ces conclusions ne constituent qu'une reprise des conclusions de l'instance n° 15DA00291 ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sociétés SAS Prezioso Linjebygg et Entreprise Roth et Compagnie SAS obtiennent la somme demandée sur ce fondement ; que, pour les mêmes raisons, les conclusions présentées par la société Sanef sur ce fondement doivent être rejetées ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la SAS Prezioso Linjebygg et de l'Entreprise Roth et Compagnie SAS une somme globale de 1 000 euros à verser à la SARL Acogec sur le même fondement ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des sociétés SAS Prezioso Linjebygg et Entreprise Roth et Compagnie SAS est rejetée.

Article 2 : La SAS Prezioso Linjebygg et l'Entreprise Roth et Compagnie SAS verseront la somme globale de 1 000 euros à la SARL Acogec sur le même fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 15 décembre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les conclusions de la société Sanef sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Prezioso Linjebygg, à la société Entreprise Roth et Compagnie SAS, à la société Entreprise Philippe Lassarat SA, à la société Sanef, à la société Acogec et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Délibéré après l'audience publique du 14 octobre 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 22 novembre 2016.

Le rapporteur,

Signé : A. FORT-BESNARDLe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : C. SIRE

La République mande et ordonne à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Christine Sire

N°15DA00374 2


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