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30/12/2016 | FRANCE | N°15DA00233

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3 (bis), 30 décembre 2016, 15DA00233


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E...a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Marenla, d'une part, à lui verser une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice de jouissance et une somme de 3 000 euros au titre de son préjudice matériel en raison des désordres causés par l'insuffisance du réseau public de collecte des eaux pluviales et, d'autre part, d'enjoindre à cette commune de procéder aux travaux de réalisation d'un système d'évacuation des eaux pluviales adapté aux besoins des riverain

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E...a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Marenla, d'une part, à lui verser une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice de jouissance et une somme de 3 000 euros au titre de son préjudice matériel en raison des désordres causés par l'insuffisance du réseau public de collecte des eaux pluviales et, d'autre part, d'enjoindre à cette commune de procéder aux travaux de réalisation d'un système d'évacuation des eaux pluviales adapté aux besoins des riverains dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1204730 du 16 décembre 2014, le tribunal administratif de Lille a condamné la commune de Marenla au paiement d'une somme de 875 euros à titre de réparation des préjudices subis par M.E..., mis à la charge de celle-ci les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 4 502,82 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 février 2015, la commune de Marenla, représentée par Me H...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler, à titre principal, le jugement du 16 décembre 2014 du tribunal administratif de Lille ;

2°) de condamner, à titre subsidiaire, M. O...B...I...à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de M. E...une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour se prononcer sur ce litige en l'absence d'un dommage de travaux publics ;

- la requête est irrecevable en l'absence de liaison du contentieux ;

- le lien de causalité entre l'ouvrage et le dommage n'est pas démontré ;

- le dégât des eaux invoqué n'a pas été constaté par l'expert ;

- il n'y a aucun travaux à effectuer, la canalisation bouchée ayant été remplacée ;

- les agissements d'un tiers exonèrent en totalité la commune de toute responsabilité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2015, M. E..., représenté par Me L... J..., demande à la cour ;

1°) de réformer le jugement du 16 décembre 2014 du tribunal administratif de Lille en ce qu'il a limité la condamnation de la commune de Marenla à la somme de 875 euros et rejeté les conclusions à fin d'injonction ;

2°) de porter par appel incident à la somme de 23 875 euros l'indemnité due ;

3°) d'enjoindre à la commune de Marenla de procéder aux travaux de réalisation d'un système d'évacuation des eaux pluviales adapté aux besoins des riverains dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Marenla une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public, le régime de responsabilité sans faute doit s'appliquer ;

- il existe un lien direct entre les carences du réseau d'eau pluvial et le dommage subi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2015, M. B... I..., représenté par Me F...G..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. E... d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ce litige, la conduite en cause empruntant la voie publique et est affectée à l'usage du public ;

- la responsabilité sans faute de la commune est engagée à raison de l'absence de dispositif particulier d'écoulement des eaux pluviales ;

- la responsabilité quasi-délictuelle d'un tiers par rapport à une opération de travail public ne peut être mise en cause.

Par un mémoire, enregistré le 6 décembre 2016, la commune de Marenla conclut aux mêmes fins que sa requête ; elle demande, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise complémentaire soit ordonnée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public,

- et les observations de MeN..., représentant M. E....

1. Considérant que M. A...E..., habitant rue du Bas à Marenla, a subi à partir du mois d'août 2010, une inondation du sous-sol et du garage de sa maison qui a endommagé du mobilier ; que, la commune de Marenla relève appel du jugement du 16 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Lille l'a condamnée au paiement d'une somme de 875 euros à titre de réparation des préjudices subis par M. E...; que M. E...demande, par la voie de l'appel incident, à ce que l'indemnité due par la commune de Marenla soit portée à la somme de 23 875 euros ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Considérant que les collectivités publiques doivent réparer les dommages causés aux tiers par les ouvrages publics dont ils ont la charge ou les travaux publics qu'ils entreprennent ; que la responsabilité qu'elles encourent ainsi, même en l'absence de toute faute relevée à leur encontre, ne peut être appréciée que par la juridiction administrative ;

3. Considérant que la canalisation objet des désordres subis est située sur le terrain privé de M. B...I...et prolonge la conduite située sous la voie publique financée pour moitié par l'ancien propriétaire du terrain de M. E...et pour l'autre moitié par la commune de Marenla, afin d'assurer l'évacuation des eaux pluviales d'une partie des rues de la commune ; qu'il en résulte que cet ouvrage, nécessaire pour assurer le fonctionnement du réseau d'évacuation des eaux pluviales de la commune, a servi à des fins d'utilité publique et constitue dès lors un ouvrage public ; qu'en conséquence, la juridiction administrative est compétente pour connaître des conclusions dirigées contre la commune de Marenla par M.E..., en qualité de tiers victime d'un dommage qu'il impute au réseau d'évacuation des eaux pluviales ; que, dès lors, l'exception d'incompétence de la juridiction administrative soulevée par la commune de Marenla doit être écartée ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Marenla :

4. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. " ; qu'il résulte de l'instruction que le préjudice invoqué par M. E...se rattache au fonctionnement d'un ouvrage public constituant un litige de travaux publics ; que par suite, en l'absence d'exigence d'une décision administrative liant le contentieux, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête doit être écarté ;

Sur la responsabilité :

5. Considérant qu'une collectivité publique est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont elle a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; que, dans ce cas, elle ne peut dégager sa responsabilité à l'égard des victimes que si elle établit que les dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert missionné par le juge des référés du tribunal administratif de Lille, établi le 9 novembre 2011 que, depuis le mois d'août 2010, M. B...I...a pris l'initiative d'enlever la canalisation située sur son terrain qui permet l'écoulement des eaux pluviales issues de la rue du Bas provoquant, même par faible pluviosité, une inondation du sous-sol de l'habitation de M. E...résidant au 6 rue du Bas engendrant des dégradations à l'immeuble et aux meubles entreposés dans le garage ; que, dans son rapport, l'expert a précisé que les eaux pluviales qui empruntaient la canalisation située rue du Bas pour se déverser dans le cours d'eau la Rivierette alimentant la Canche servant d'exutoire rejoignaient auparavant la canalisation située sur le terrain de M. B... I... ; que celui-ci a bouché cette canalisation puis l'a supprimée pour cause de débordement, provoquant par effet de " barrage " les désordres subis par M. E...qui trouvent ainsi leur origine dans l'obturation puis la suppression, par un tiers, du collecteur des eaux pluviales ; que le réseau d'évacuation des eaux pluviales, à l'égard duquel M. E...est un tiers, n'a pu en conséquence évacuer l'ensemble des précipitations provenant du réseau situé en amont de l'habitation de M.E..., provoquant l'inondation évoquée ci-dessus ; que dès lors, le lien de causalité entre l'ouvrage public constitué par le réseau d'évacuation des eaux pluviales et les dommages causés à l'habitation de M. E...à l'occasion de ce sinistre est établi ;

7. Considérant que le fait d'un tiers n'est pas exonératoire en matière de dommages de travaux publics alors même que M. B...I...a contribué à la réalisation du dommage ; qu'il en résulte, sans qu'il soit besoin d'une expertise supplémentaire, que la commune de Marenla n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont estimé que la responsabilité de la commune de Marenla, eu égard au préjudice de M.E..., qui présente un caractère anormal et spécial, est engagée ;

Sur le préjudice :

8. Considérant que l'expert a évalué le préjudice résultant des travaux de nettoyage du sous-sol subi par M. E...à une somme de 475 euros, non contestée par la commune de Marenla ; que l'expert mentionne, en outre, l'absence de dégâts des eaux, en dehors de celui constaté par huissier en août 2010, notamment par la réalisation par M. E...de pompages préventifs avec rejet des eaux pluviales sur le bord de la voirie pour faire face à l'insuffisance du réseau public d'assainissement pluvial ; que l'expert relève également la fin des troubles de jouissance à compter du 8 juillet 2011, M. B...I...ayant procédé au remplacement de la conduite des eaux de pluie qu'il avait obturée puis supprimée ; que M. E...n'est pas fondé à soutenir que, par le jugement attaqué, le tribunal a inexactement apprécié les troubles de jouissance qu'il avait subis au cours de la période du 23 août 2010 au 8 juillet 2011 en lui allouant une somme de 400 euros ;

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Marenla de réaliser des travaux :

9. Considérant que M. E...demande à la cour d'ordonner à la commune de Marenla de réaliser, sous astreinte, un système d'évacuation des eaux pluviales adapté ; que cependant, en dehors des cas prévus par les articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, dont les conditions ne sont pas remplies en l'espèce, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration ; que par suite, ces conclusions sont irrecevables ;

Sur les conclusions d'appel en garantie de la commune de Marenla :

10. Considérant que la commune de Marenla demande la condamnation de M. B... I... à la garantir des sommes mises à sa charge ; que cette action tend à mettre en cause, à l'initiative du maître de l'ouvrage ou d'un des participants, la responsabilité quasi-délictuelle d'une personne qui est étrangère à l'opération de travail public ; qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur de telles conclusions, qui ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

12. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune de Marenla doivent, dès lors, être rejetées ;

13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Marenla une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. E...et non compris dans les dépens ;

14. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E...une somme au titre des frais exposés par M. B... I...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Marenla est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident de M. E...sont rejetées.

Article 3 : La commune de Marenla versera à M. E...une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de M. B...I...sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Marenla, à M. A... E...et à M. P... I....

Délibéré après l'audience publique du 13 décembre 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

,- Mme K...C..., première conseillère,

- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.

Lu en audience publique le 30 décembre 2016.

Le premier conseiller le plus ancien,

Signé : D. C...Le président-assesseur,

Signé : M. M...

Le greffier,

Signé : M.T. LEVEQUE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier

Marie-Thérèse Lévèque

3

N°15DA00233


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 15DA00233
Date de la décision : 30/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-01-01 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Notion de dommages de travaux publics. Existence.


Composition du Tribunal
Président : M. Lavail Dellaporta
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SCP WABLE TRUNECEK TACHON AUBRON

Origine de la décision
Date de l'import : 17/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-12-30;15da00233 ?
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